« L’ouvrage de Paul Jorion constitue une introduction rigoureuse et préalable à une réflexion et à un travail dans le champ de l’intelligence artificielle ‑ c’est à ce titre que nous le recommanderions comme lecture introductive à des étudiants en robotique. Il a le mérite de poser les problèmes d’ordre logique, psychologique et dans une moindre mesure anthropologique qui travaillent ce champ disciplinaire (mobilisant à ce titre une vaste érudition). La lecture des Principes des systèmes intelligents, presque vingt-cinq ans après leur première publication1, fait apparaître au moins deux choses : la première, que ces réflexions ne semblent pas avoir (encore) été véritablement considérées par la communauté des chercheurs en intelligence artificielle (et tout particulièrement le recours à la métapsychologie freudo-lacanienne) ‑ à l’exception toutefois de quelques équipes de recherche s’inscrivant dans le courant de la robotique développementale cognitive qui explore le champ des systèmes s’auto-organisant par apprentissage en prenant au sérieux le rôle que joue le langage dans l’appareil psychique humain2. La seconde, que la culture dans laquelle sont pris les locuteurs humains a évolué, si bien que l’utilisateur d’un système artificiellement intelligent au début des années 1990, n’est peut-être plus tout à fait le même que l’utilisateur des années 2010. En effet, les individus de nos sociétés tendent à se concevoir toujours plus sur le modèle de l’ordinateur, voire comme des systèmes algorithmiques de prise de décision3. Le succès relatif de la psychologie cognitive dans la culture a bien dû participer à la diffusion d’un modèle de l’humain ; or, il vaut la peine de noter que cette psychologie repose sur le paradigme computationnel, soit ce qui affirme que l’esprit humain est comparable à un ordinateur traitant des informations, répondant (output) à des stimulations (input). D’un côté donc, une psychologie puisant dans les recherches en informatique ; de l’autre, des recherches en intelligence artificielle ou en robotique puisant (principalement) dans la psychologie des opérations cognitives4. Ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage de Jorion que d’offrir une perspective faisant apparaître la complexité de l’intelligence humaine ou artificielle en soulignant l’hétérogénéité des lois du langage à tout substrat (organique ou informatique)5. »
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1 La première édition (chez Masson) date de 1990.
2 Cf. par exemple la récente étude de Katsushi Miura et col. (« Vowel Acquisition based on an Auto-Mirroring Bias with a Less Imitative Caregiver », Advanced Robotics, vol. 26, n° 1-2, pp. 23-44, 2012) interrogeant les capacités phonétiques auto-organisatrices d’un système apprenant de nouvelles voyelles. Ajoutons que Jorion n’était pas le seul avoir tenté des rapprochements entre Intelligence Artificielle et psychanalyse : cf. par exemple Sherry Turkle, « Artificial Intelligence and Psychoanalysis: A New Alliance », Daedalus Journal of the American Academy of Arts and Sciences, vol. 117, n° 1 : « Artificial Intelligence », 1988.
3 Cf. la chronique de Didier Pourquery sur l’expression « Ou pas… », Le Monde, 2 mars 2013, p. 24. L’ironie de la situation voudrait qu’un locuteur artificiellement intelligent devra peut-être, à l’avenir, pour être convaincant, être un locuteur se prenant (artificiellement) pour un ordinateur !
4 Dans sa conclusion, Jorion affirme une idée très similaire : « La recherche en intelligence artificielle est trop souvent intellectuellement incestueuse : elle cherche les solutions à ses problèmes dans sa propre littérature à l’exclusion de toute autre. » (p. 241).
5 On se souvient que la question voisine de l’hétérogénéité des mathématiques au substrat cérébral avait été discutée par Jean-Pierre Changeux et Alain Connes (Matière à pensée, Paris, Odile Jacob, 2008).
La nouvelle puce quantique « Willow » de google, dont on trouve un article au 09/12 dans la revue Nature: « As a…