DES PARADIS FISCAUX ET DE CHYPRE EN PARTICULIER, par Zébu

Billet invité

« Car, on ne cessera jamais assez de dire que, dans la lutte contre les « paradis fiscaux », les dirigeants européens font d’abord de la communication en étrillant quelques boucs émissaires bien choisis. Ce fut la Suisse, c’est aujourd’hui Chypre. Mais le fond du problème n’est réellement jamais traité. Le fond du problème, c’est le manque de transparence des trusts basés dans les dépendances de la couronne britannique comme les îles Caïmans ou Jersey, sans compter ceux basés à Londres même. Sans ces systèmes, Chypre n’est qu’un tuyau qui, si on le casse, sera aussitôt remplacé par un autre. » (Source : La Tribune)

On en revient ainsi à la question, au demeurant centrale, de l’opacité de la personne morale anonyme et du véritable bénéficiaire. C’est particulièrement le cas des trusts. À Chypre, ou ailleurs. C’est l’opacité qui permet d’échapper à l’impôt. Cette même opacité permet à la richesse déjà constituée de converger pour coïncider avec ces espaces et de prospérer grâce à l’intérêt ou la spéculation, sans que la fiscalité ne vienne corriger cette concentration toujours croissante. Toujours cette opacité qui bénéficie aussi au crime et à l’exploitation.

La question de la fiscalité vient en second rang, comme on le voit avec l’alignement progressif au sein d’une même zone économique et financière comme l’UE de la TVA, mais aussi avec le taux d’imposition des sociétés. Il faut donc pouvoir défendre un principe simple  que l’on pourrait énoncer ainsi :

« Tout échange avec une personne morale qui ne permet pas d’identifier ses propriétaires et/ou ses bénéficiaires est interdit. Le non respect de cette interdiction est passible de sanctions civiles et pénales, allant d’une amende de XXX € à des peines de prison ferme, accompagnées d’une interdiction d’exercer l’activité jusqu’à X années pour les dirigeants et la suppression de l’autorisation d’activité pour la personne morale. »

L’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme pourrait ainsi être interprété de la façon suivante :

« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits [économiques] n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs [économiques] déterminée, n’a point de Constitution [pour l’économie]. »

Un trust, ou un paradis fiscal, ne peut pas garantir les droits économiques de par son opacité et la séparation des pouvoirs ne peut être déterminée entre le commanditaire, le commandité et le bénéficiaire : il ne peut donc y avoir de constitution pour l’économie. En fait, la question n’est pas liée au statut juridique, que celui-ci soit de droit privé (trust) ou public (États ou juridictions non coopératives) mais bien à la constitution et à la définition de la personne morale : détruire Chypre ici ne fera que laisser prospérer ailleurs les dark pools de demain.

La grande difficulté actuelle de la lutte contre les paradis fiscaux, c’est qu’elle se fonde sur la notion de « volonté », bonne ou mauvaise. Les néolibéraux, comme ils le font d’ailleurs pour la « science économique », fondent le droit sur les notions de volonté et de subjectivité du sujet. Il suffit de prendre l’exemple des conventions bilatérales que les juridictions non coopératives signent avec les États, afin de prouver leur « bonne foi » et leur « volonté » de se mettre en conformité par rapport aux normes édictées sur le sujet. Il faut sortir de ce droit subjectif, lequel s’édicte essentiellement par la jurisprudence, laquelle prend en compte dans sa définition du droit cette « volonté » du sujet. Et revenir à un droit réellement « positif » où les normes permettent de juger en droit sur des bases simples : telle personne morale, de droit privé ou public, permet-elle ou non d’identifier ses propriétaires/bénéficiaires ? Si oui, alors « a », si non, alors « b », la jurisprudence n’étant alors là que pour adapter le droit au cas particulier (l’équité, comme dirait Aristote), sans remettre en cause les principes ainsi énoncés.

L’actuelle féodalisation de l’économie par la finance n’existe que parce qu’elle se fonde sur les privilèges exorbitants de la personne morale que la société lui a concédés, sous prétexte qu’elle lui apporte la « liquidité », comme le seigneur était censé apporter la sécurité aux laboratores (« ceux qui travaillent ») sous l’ancien régime.

Il faudra bien un jour abolir ces privilèges, une nuit de 4 août.

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