J’ai découvert Sartre à l’âge de treize ans, quand une « grande fille » de quinze ans qui m’avait demandé ce que je lisais avait fait la moue devant les Victor Hugo, Jules Romains, Anatole France que j’avais à lui proposer : « Il faut lire Hervé Bazin, il faut lire Camus, Sartre ! ».
J’étais allé acheter Vipère au poing en livre de poche. Pour Sartre, ce n’était pas nécessaire : La nausée se trouvait sur les rayons de la bibliothèque de mes parents, même si ce n’était pas sur l’étagère où se trouvaient les romans qu’ils me suggéraient de lire.
J’ai lu La nausée et j’ai en effet eu le sentiment, l’ayant refermé, d’être sorti de l’enfance. Du coup, j’ai lu tout le reste ou presque. J’en ai conçu à l’arrivée le sentiment qu’il y avait chez Sartre à boire et à manger. J’ai en particulier conservé le souvenir des trois volumes des Chemins de la liberté comme du retour des Hommes de bonne volonté mais sur un mode mineur, les personnages limpides de Romains, crapules ou héros, étant remplacés ici par des versions floutées, approximative chacune à sa façon. L’image du Jean-Sol Partre que Vian mettait en scène dans L’écume des jours coïncidait parfaitement avec celle que je m’étais construite de mon côté au fil des années.
Plus tard, j’ai bien connu Jean Pouillon, proche de Sartre dont il fut à une époque le secrétaire après avoir été son élève au lycée du Havre, alors que celui-ci rédigeait précisément La nausée. Les anecdotes drolatiques que Pouillon me rapportait sur Sartre et sur ses proches venaient étoffer l’image d’un sceptique surdoué ayant fait flèche de tout bois, secoué le plus souvent d’un fou-rire intérieur devant la condition humaine plutôt que le tribun enflammé qu’il affectait quelquefois d’être.
Ce qui m’amène à Pierre Verstraeten, qui vient de disparaître, que j’ai eu l’honneur de connaître à l’époque où il était à l’Université Libre de Bruxelles l’assistant de Chaïm Perelman, mon professeur d’histoire de la philosophie et de logique formelle.
Verstraeten était – et de là ma longue introduction – la personne qui ne voulut jamais soupçonner Sartre d’avoir parfois ri sous cape : tout chez ce dernier lui semblait également digne d’être érigé en monument.
Avait-il raison ? je ne le pense pas, mais si Sartre devait un jour être hissé au rang des plus grands philosophes du XXème siècle (je ne dis pas « penseurs » car cela il le fut certainement), Verstraeten, son disciple indéfectible, y serait sûrement pour quelque chose.
Une réponse à “PIERRE VERSTRAETEN (1933 – 2013)”
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