Billet invité.
Dans la liste des dogmes de la théorie économique figure en bonne place l’indépendance des banques centrales vis à vis du pouvoir politique. Elle s’appuie sur deux présupposés : les dirigeants politiques sont a priori irresponsables, et des experts doivent assurer le réglage de la machine monétaire afin d’assurer la stabilité des prix. Pour le reste, il faut laisser faire le marché.
Réalité ou fiction, cette indépendance est actuellement mise en cause par des hommes politiques, des banquiers centraux, et des économistes. Par le nouveau premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui a intimé l’ordre d’augmenter sa cible d’inflation à la Banque du Japon, par Mark Carney, le futur gouverneur de la Banque d’Angleterre qui préfère prendre les devants, et enfin par des régulateurs ou financiers défroqués comme Zoltan Pozsar et Paul McCulley, ou bien encore par des chroniqueurs reconnus comme Gavyn Davis, qui constatent chacun à leur manière que nous sommes entrés dans une nouvelle période et que cela change la donne. Ils soulignent que les dirigeants des banques centrales empiètent sur le pouvoir des autorités politiques en prenant des décisions qui vont au-delà de leurs prérogatives monétaires, car leurs instruments monétaires ne permettent pas de réparer la machine financière. Dans ces conditions, comme le fait remarquer Stephen King, l’économiste en chef de HSBC, est-il sage de laisser dans les mains d’experts non-élus des décisions éminemment politiques ?
Hier sacrilège, une nouvelle approche prend corps ici et là, qui s’appuie sur l’idée, prudemment revendiquée, d’une « coordination » des banques centrales et des gouvernements. Les scénarios en cours de développement, qui tous s’appuient sur des programmes faisant appel à la création monétaire des banques centrales, ne partagent cependant pas les mêmes objectifs : la monétisation de la dette japonaise va financer un programme de grands travaux et vise à dévaluer le yen, tandis que celle de la dette britannique accompagne une politique gouvernementale d’austérité destinée à réduire le déficit public, et aux États-Unis le gouvernement tente de poursuivre sa réduction tout en jouant la stabilisation de ses taux obligataires longs et la dévaluation du dollar grâce à des achats massifs de la dette. La BCE ? Elle fait encore bande à part mais a déjà accompli des pas notables dans la même direction.
Dans tous ces cas, on est loin de la lutte contre l’inflation, cette mission gravée dans le marbre des banques centrales mais devenue secondaire. Et en plein dans la monétisation de la dette, afin de la résorber, car la réduction des déficits publics se révèle ne pas être une partie de plaisir, et un sérieux coup de pouce s’impose. Grâce à des dévaluations compétitives, celui-ci vise également à développer les exportations, à ranimer un commerce international qui n’est plus porteur de croissance économique comme précédemment, et à accroître les recettes fiscales des États afin de contribuer à la réduction des déficits.
Il est toujours de bonnes âmes pour ménager la chèvre et le chou quand la question de l’indépendance vient sur le tapis. Ben Bernanke, le président de la Fed, avait anticipé cette évolution en 2003 en expliquant que « le rôle d’une banque centrale est différent suivant que l’on se trouve dans un environnement inflationniste ou déflationniste. Face à l’inflation, la vertu d’une banque centrale consiste à pouvoir dire non au gouvernement ». En période de déflation, poursuivait-il alors, « une plus étroite collaboration pour un temps avec les autorités fiscales n’est en aucune mesure incompatible avec l’indépendance des banques centrales ».
Une sourde inquiétude est sous-jacente à ce reniement plus ou moins déguisé : serions-nous en passe de tomber dans une trappe à liquidités, sur le modèle d’un Japon qui ne parvient toujours pas à en sortir et fait office de repoussoir ? Sinon, pourquoi les instruments de la politique monétaire – la politique des taux, notamment – ne fonctionne-t-elle plus ? Ne serait-ce pas la sanction de la formation d’une bulle financière devenue trop imposante, comme cela avait été le cas dans les années 80 au Japon, et d’un désendettement ne fonctionnant pas ? A ceci près que le phénomène ne touchait alors qu’un seul pays et qu’il est aujourd’hui mondial, 750 milliers de milliards de dollars de liquidités spéculatives sans contre-partie valide pesant sur le système financier : on mesure la profondeur du trou qu’il faut combler !
Que resterait-il alors à faire, sinon tenter de ranimer l’inflation en la contrôlant, puis en la combinant avec une relance en vue d’accroître les ressources fiscales ? De s’engager sur ce chemin étroit, afin de ne pas connaître le sort de l’Argentine ou de la Grèce, avec au bout une restructuration de la dette…
Face à un désendettement problématique, il ne reste qu’à tenter de naviguer entre deux maux, celui d’une inflation – dont le risque est qu’elle dérape, si la trappe n’en faisait pas son affaire – et celle d’une restructuration de la dette aux conséquences inconcevables, aux deux sens du terme. Et de sacrifier au passage l’indépendance des banques centrales, en y mettant les formes, puisque leur mission n’est plus la même.
On entre en territoire inconnu, tout cela pour quoi ?
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