Billet invité.
Un symbole, au sens premier du mot, est un objet fractionné que se partagent deux hommes pour sceller un contrat et dont ils rassemblent les deux parties pour le liquider. Le symbole, comme une pièce de puzzle, casse le sens mais sa ligne de fracture aide à le reformer. Le préfixe sum– (« avec ») se retrouve dans le mot synoecisme, qui désigne, dans la Grèce antique, la coalescence de deux ensembles urbains. La ville de Zeugma (« joug » en grec), sur l’Euphrate, née de la réunion d’Apamée et de Séleucie, en est un exemple parfait. La symbolique se sert du réel comme d’un lexique iridescent, d’une lettre au-delà de la lettre, pour décrire les combinaisons sociales humaines. Cette instrumentalisation du réel n’est pas sa négation mais son détournement par distraction. Il n’y a donc rien qui doive nous retenir, dans la perspective d’une refondation des rapports sociaux sur des bases non concurrentielles, d’interroger les symboles autant que les pratiques. Le symbole est le chiffre de la pratique. Il nous rappelle que toute pratique, légale ou illégale, naît d’une entente entre deux ou plusieurs individus. En ces temps où la démocratie se résume à des rituels vides, autoréférentiels, en ces temps où des citoyens déboussolés se réclament de religions dont ils n’ont pas lu les livres (ainsi d’un manifestant contre le mariage pour tous qui situait l’épisode de la destruction de Sodome dans les Evangiles) et dont ils méconnaissent, quand ils ne l’ignorent pas tout à fait, le foisonnement symbolique, il me paraît capital de réfléchir à cette question.
Le général à la retraite Vincent Desportes était l’invité de la Matinale de France Culture du 14 janvier 2013. Nous avons pu l’entendre dénoncer, avec une moue de dédain perceptible à l’oreille, l’expression « guerre propre » et affirmer dans la foulée qu’aucune guerre ne l’est. La chose est d’autant plus piquante que ladite expression est un pur produit de la propagande militaire de ces dernières années. Paul Jorion, dans un billet récent (Les opérations militaires « compliquées »), décelait un léger infléchissement de notre rapport à la fièvre belliqueuse dans ce qualificatif compliquées appliqué à des opérations qui coûtent la vie à un seul soldat (la centaine de morts du camp d’en face étant indigne de figurer au catalogue de la soldatesque). Il me semble que ce qualificatif visait moins à prendre en compte une réalité (la guerre, c’est du sang et de la pisse, la gloire, le flacon de cristal qui les reçoit) qu’à décourager la critique de la stratégie mise en œuvre. Les opérations militaires se déroulent sur un « théâtre », ne l’oublions pas. La mise en scène prime toute autre considération. Le général Desportes fournit un intéressant contrepoint à l’ébranlement de la phraséologie militaire : il reconnaît que s’il est facile de commencer une guerre, celle-ci échappe aussitôt à ses acteurs. Il se félicite peu après que la décision d’engager des troupes au Mali ait été si rapide. Voilà un général qui nous avoue que des vies, celles de soldats et de citoyens contraints de se sentir solidaires de « leurs » troupes (la « France » est engagée au Mali, nous serinent les journalistes), sont exposées sur un coup de dés, la stratégie et la tactique n’étant qu’un quadrillage imaginaire du réel. Autant avouer qu’un général ne sert pas à grand-chose, ce qu’avait admis un « génie » militaire tel que Napoléon. En dépit de cette impuissance, ou à cause de celle-ci, il importe que les dés soient lancés le plus vite possible, dans un déni complet de la concertation démocratique. Puisque tout est possible, autant y aller à fond. Le pari de Pascal revisité. Il est vrai que le président de la République française est, de tous les présidents démocratiquement élus, celui qui dispose du plus de latitude pour précipiter la décision.
L’année nouvelle, dans le calendrier romain, commençait en mars, à l’ouverture des hostilités. Hollande a ouvert les siennes en janvier, ianuarius, le mois de Janus, le dieu de la paix, mais aussi le dieu des possibles. Tout un symbole. L’armée, en France et ailleurs, est considérée comme une institution. Je la regarde comme une institution dans le genre de la Comédie française, dont les statuts ont d’ailleurs été réécrits par Napoléon durant la campagne de Russie. La Grande Muette est en réalité aussi bavarde qu’un Matamore de foire et ses pantalonnades au pas cadencé ne doivent pas nous faire oublier le ridicule qu’il y a, pour une nation qui se proclame le conservatoire des Lumières, à confier le soin de la défendre à des joueurs de craps.
Une réponse à “DE L’INTÉRÊT D’INTERROGER LE SYMBOLE, par Bertrand Rouziès-Léonardi”
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