Je poursuis la publication des chapitres de Principes des systèmes intelligents. Alors là, aujourd’hui, on passe aux choses sérieuses : à ce qui fit véritablement l’originalité de ce livre. Croyez-moi, mes amis : en 1989, on n’avait jamais parlé d’intelligence artificielle dans les termes que vous lirez ci-dessous…. et ce n’est qu’un début !
12. La dynamique de l’affect
La question de l’affect en intelligence artificielle
La question de l’affect n’a jamais été éludée en intelligence artificielle. Il y a dix ans, Douglas Hofstadter écrivait :
« … il est un peu prématuré de penser à des ordinateurs qui pleurent : il faut d’abord penser à des règles qui permettent aux ordinateurs de s’occuper du langage et d’autres choses ; nous serons confrontés aux questions plus profondes en temps utile. » (Hofstadter 1980 [1979] : 676.)
Évoquer des ordinateurs qui pleurent était pour Hofstadter une manière imagée d’affirmer qu’il était prioritaire pour les systèmes intelligents de manipuler correctement le langage, et que la question de l’affect pourrait être traitée ultérieurement. Dans le contexte de 1979 il était urgent de réaliser des systèmes convaincants avant que le public ne se laisse impressionner par la croisade menée contre l’IA par Hubert Dreyfus – selon qui l’ordinateur ne pourrait produire une phrase correcte avant qu’on ne l’ait pourvu d’un corps et… d’une âme ! (Dreyfus 1979 [1972] : troisième partie.)
En 1985, Haugeland posait la question de l’affect de manière beaucoup plus explicite : « Selon le préjugé commun, les robots n’ont aucun sentiment. Ils sont sans doute rationnels, mais froidement : logiques, efficaces, insensibles. La fiction et sa culture sont curieusement incertaines sur le point de savoir s’il s’agit là d’une bénédiction ou d’une malédiction – si l’on épargne aux engins pensants les éprouvantes turbulences de l’humeur et de l’émotion, ou si au contraire on le prive ainsi de tout ce qui rend la vie digne d’être vécue. Dans un cas comme dans l’autre cependant, cette conception présuppose que la pensée et le sentiment sont des choses séparées, que l’intellection et l’affect sont fondamentalement distincts et divers. Et dans la mesure où elle ne touche qu’à la connaissance, l’intelligence artificielle semble se fonder sur la même supposition. Mais ceci ne fait que souligner les questions essentielles : L’IA pourrait-elle réserver une place au sentiment? Devrait- elle le faire ? » (Haugeland 1985 : 230.)
La réponse qu’apportait Haugeland quelques pages plus loin à sa propre question, était « Oui » :
« Je suggère que (l’)engagement du moi pourrait être une partie intégrante du processus de compréhension. […] les sentiments existants […] pourraient être des facteurs essentiels à la compréhension en temps réel. Les personnes s’engagent dans ce qu’elles entendent, et leurs réactions affectent leur écoute – ce qu’elles remarquent, la manière dont elles conceptualisent, ce que les choses évoquent pour elles, et ainsi de suite. » (Ibid. 240.)
Donc, pour Haugeland, l’affect constituait un ingrédient indispensable au progrès de l’IA. Dans la perspective de Hofstadter, l’affect était une dimension qui finirait simplement par émerger avec la sophistication croissante du logiciel :
« Question : Les émotions seront-elles explicitement programmées dans une machine ?
Spéculation : Non. C’est ridicule. Toute simulation directe des émotions – PARRY, par exemple – ne peut approcher en complexité les émotions humaines qui naissent indirectement de l’organisation de notre esprit. Les programmes et les machines acquerront des émotions de la même manière : en tant que sous-produits de leur structure, de la manière dont elles sont organisées – non par de la programmation directe.
Ainsi, par exemple, personne n’écrira une sous-routine “tomber-amoureux”, pas plus qu’il n’écrira une sous-routine “faire-une-erreur”. “Tomber-amoureux” est une description que nous attachons à un processus complexe d’un système complexe; il n’est pas nécessaire qu’un module unique appartenant au système en soit le seul responsable. » (Hofstadter 1980 [1979] : 677.)
L’affect et l’auto-organisation
Selon Hofstadter, l’alternative se présentait donc ainsi : ou bien l’affect était introduit dans le système comme un élément spécifiquement programmé, ou bien il apparaissait de lui-même par un effet d’émergence. Toutefois s’il est vrai qu’une sous-routine « tomber-amoureux » n’est pas plus susceptible de susciter du sentiment dans un système qu’une sous-routine « faire-sens » n’en a de le faire accéder à la signification, il est tout aussi vrai que le sentiment n’émergera pas automatiquement d’une programmation fondée sur des procédures purement logiques – pas plus que l’intelligence n’émergera automatiquement d’une programmation « orientée sentiment ».
Les termes de l’alternative proposée par Hofstadter rappellent deux approches classiques que l’on peut désigner du nom de leurs représentants les plus célèbres :
Descartes et Goethe. Toutes deux ont rapport à la question de l’auto-organisation : la première parce qu’elle n’y croit pas du tout, la seconde parce qu’elle ne croit qu’à ça. Pour caricaturer un peu les positions, disons que si quelqu’un rattrape un vase à l’instant même où il va s’écraser au sol, le cartésien cherchera l’explication du côté d’un dispositif-moteur-à-rattraper-les-objets-qui-tombent, alors que le goethéen aura tendance à penser qu’il n’y a là rien à expliquer puisque – comme chacun le sait par sa propre expérience – rattraper un objet qui tombe, cela se fait tout seul. Plus sérieusement, le cartésien aborde la question de la reconnaissance des visages à partir de l’hypothèse d’un « dispositif cognitif de reconnaissance des visages », alors qu’un goethéen comme Norman Malcolm dira que « reconnaître son ami Jean consiste à lui sourire et à lui dire “Salut, Jean !” », un point c’est tout (Malcolm 1971 : 386).
La troisième voie consiste à supposer, comme le cartésien, qu’il doit exister un dispositif – mais probablement peu spécialisé – et comme le goethéen, que cela se passe tout seul – mais en raison des capacités auto-organisantes du dispositif. Et dans le cas qui nous occupe ici de l’affect, qu’il ne s’agit pas, comme le voudrait le cartésien, d’inscrire d’une manière ou d’une autre dans la machine « de l’amour », puis « du désespoir », puis « de la joie retrouvée », etc., ni, comme le voudrait le goethéen, qu’il suffit de faire de l’intelligence artificielle et que l’affect apparaîtra de lui-même. La troisième voie implique pratiquement qu’il faudra soumettre un système à une dynamique (universelle) de l’affect – en comptant sur les capacités auto-organisantes du dispositif global pour faire apparaître les phénomènes que les êtres humains reconnaissent spontanément (parce que les mots existent dans le lexique de leurs langues naturelles pour nommer la diversité observée) comme « l’amour », « le désespoir » et « la joie retrouvée ».
Et dans cette perspective-là, il n’existe qu’une seule approche possible : programmer en effet un mécanisme général qui simule l’affect, sans se préoccuper de ses formes phénoménales, en sachant que celles-ci seront – le cas échéant – reconnues dans l’interprétation que fera spontanément l’utilisateur des manifestations diverses qui naîtront de cette simulation.
44 réponses à “PRINCIPES DES SYSTÈMES INTELLIGENTS (1989), chapitre 12 (I), réédition en librairie le 23 novembre”
Je suis un peu surpris du choix du concept d’affect comme central, alors qu’il me semble que si on arrivait à faire des programmes intelligents comme des fourmis (dont l’absence de sentimentalité est connue de tous grâce à La Fontaine), ce serait déjà pas mal.
Il me semble que l’affect n’est qu’un cas particulier de l’intérêt, de la motivation, et en général du sens.
L’intérêt peut s’analyser comme quelque chose permettant d’anticiper pour éviter un manque.
Si on admet ça, les « tortues cybernétiques » ou le « renard » d’Albert Ducrocq (1953) décrits ici, ou les aspirateurs automatiques – qui se promènent puis reviennent se brancher sur la prise quand leur batterie faiblit – manifestent bien un intérêt : éviter de tomber en panne faute de courant, sans qu’on mobilise pour leur conception toute la quincaillerie psychologique liée à la notion d’affect. En fait c’est « bêtement » de la rétroaction, comme dans le régulateur de la machine à vapeur, et c’est déjà pas mal.
J’ai déjà mentionné ici le livre de mon frère, Penser avec la langue. Il se trouve que ce même frère avait réalisé au début des années 80, un ensemble de programmes de raisonnement artificiel qui essayaient de lutter contre l’explosion combinatoire des « vaines pensées » en donnant au programme un « but dans la vie », je ne sais plus comment. Il en avait causé avec le professeur Laurière, que vous citez également, mais sans le convaincre, ce qui ne prouve rien ni pour ni contre ce travail… resté sans soutien et sans suite.
Mais les fourmis sont mues par leurs affects, exactement comme tous les êtres vivants ! Les signaux chimiques qu’elles s’échangent leur font prendre des décisions, mais décider n’est jouer ! Encore faut-il agir, c’est-à-dire exécuter les décisions, et là, s’il n’y a pas d’affects, il n’y a plus rien.
Cet « intérêt », comme vous dites, est explicitement programmé, de sorte que le robot ne « manifestera aucun intérêt » pour ce que son créateur n’a pas prévu : l’usure d’une pièce, par exemple.
C’est très bien tout ça, mais on a vu dans un billet précédent que :
Ah ça ! Pour être simple, c’est simple ! 🙂 Mais l’on ne voit pas ce qui pourrait énerver un système artificiel ! Quoique… Un interlocuteur habile, sachant ce qu’il a dans le « ventre », (son réseau mnésique), pourrait peut-être se débrouiller pour que l’un de ces compteurs s’emballe. Pourquoi pas ? Auquel cas, prévoir une routine pour l’empêcher de péter les plombs ! 🙂
Ce qui l’énerve, c’est de ne pas pouvoir dire ce qu’il a envie de dire. Vous n’avez jamais regardé « Ce soir (ou jamais !) » ?
Chez l’homme, la capacité à examiner le monde de façon détachée, c’est à dire dans une affectivité neutre, ne devient possible que lorsque le psychisme s’est hissé au dessus de sa forme pulsionnelle.
Tout retour d’un affect violent déplaît au sujet de la connaissance qui dès lors va éviter les lieux « hauts » du paysage affectif. Il va tendre à parcourir les trajectoires décrites par les minima de potentiel. Il y a dans le paysage affectif de Jorion un équivalent du principe de moindre action.
C’est ce modelage des parcours du langage (et de la pensée) que permet l’affectif.Au fond,parler d’un système énervé revient à dire qu’il est en train d’emprunter un chemin légèrement différent du minimum.
M.
Mine de rien, cette série de billets nous fait la description, sommaire mais complète, d’une grande invention. Je trouve assez extraordinaire le travail de simplification conceptuelle qui s’en dégage, lequel me semble entièrement fondé sur l’idée que simuler l’intelligence devrait conduire à une intelligence non simulée. C’est un pari prometteur, et je parie qu’un jour l’on parlera de Paul Jorion comme de l’inventeur, génial, du premier système vraiment intelligent.
Damasio ?
Venu un peu après 1989, si je ne me trompe
» L’Erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 1995, 368 p. »
Donne une description de l’implication des émotions dans les décisions, discute notamment la localisation dans le cerveau (neo cortex…).
Je ne sais plus bien s’il aborde la question du pleur (que humain ? pas que humain ? pas vu d’équivalent mais pas cherché beaucoup..).
Que le pleur d’émotion se soit rajouté à la sophistication du néo-cortex et aux diverses situations de contradictions que l’émergence du langage fait apparaitre entre organisation mnésique (?) et réalité, c’est peut être un signe fort sur le sujet de l’affect dans le raisonnement. Peut être un petit bout de la lorgnette aussi (snif!) .
En effet, l’implication de l’affectivité dans les processus de la connaissance ne fait plus de doute pour les « neuros ».
D’ailleurs, Descartes ne dit-il pas déjà lui-même (avec quelle profondeur!), « voir, c’est sentir qu’on voit ». Penser, comprendre, concevoir sont aussi des manières d’éprouver.
Par conséquent, la « dynamique de l’affect » a un rôle essentiel dans l’intelligence.
M.
Considérant le principe de Délocalisation et de Distribution du réseau mnésique, je me demande vraiment si la localisation est dans le néo-cortex ou dans n’importe quel autre lieu. Il semble évidant que l’absence de cet espace empêche l’information de circuler.
Mais ne serait-il pas uniquement un centre intégrateur?
Chaque structure (cellule/tissus /organe/) aurait ainsi la capacité de permettre de vivre ou de rendre conscient l’historicité.
Oui il faut simuler l’affect et pour simuler l’affect, il faut attribuer une personalité (bareme) qui aurait été généré par un certain vécu/expérience -> donc inventé une petite enfance ! implementer des souvenirs en quelque sorte
perso je me base sur les travaux de Jung et de l’adaptation de ceux ci avec le MBTI (Myers Briggs Type Indicator) pour sélectionner le type qui irait le mieux à ma future IA Forte, et j’ai choisis la personnalité INTJ comme barème d affect par défaut.
Je pense que pour l’expérience vécu, elle devra avoir façonné un comportement stoïque, pragmatique
Je ne ‘sents’ pas spécialement mon intelligence comme artificielle, bien qu’appartenant au groupe très minoritaire (moins de 3% contre 6% en moyenne_ il y a 16 groupes dans le MBTI) des INTJs. Peut-être même vous trompez-vous, car le stoïcisme de ce groupe n’est pas forcément exclusif de certaines formes de colères, affects générés par nos cerveaux « reptiliens » que, bien évidemment ne possèdent pas les fourmis; de plus je ne suis pas sûr du tout que mon intelligence soit à la hauteur de vos espérances. Enfin, peut-être qu’avec un zest d’eugénisme et une dose de vaccin aux organismes génétiquement modifiés…
Évidement Eole, mais je suis volontairement imprécis et court, ce n’est pas dans un commentaire que je pourrais expliquer mon approche du problème.
je pars sur le principe que mon IA Forte ne pourra pas ressentir mais comprendre
et qu’elle aura atteints ou sera en état d’Ataraxie. forcement d’une certaine manière , elle sera d’une grande sagesse !
il ne s’agit pas de complétement copier/mimer l’être humain, car elle ne sera pas un être humain.
pour moi le premier rôle de l’affect n’est pas de rire ou pleurer mais de gérer les souvenirs et de valider ou invalider ainsi l’expérience. Il a d’autre role similaire, en fonction que l’on traite l’info en temps réel, ou en dormant. L’affect est une grille de lecture qui evolue avec le temps et l’expérience. L’instinct est aussi un grille de lecture qui ne se modifie pas, c’est le logicielle de base 1.0 , mais qui sera toujours assis à la table du jury avec l’affect.
j’en dis pas plus, moi aussi j’écrirais mon livre lorsque que mes essais pratique fonctionneront (pas avant)
la personnalité, est en fait une méthode pour gérer le doute/l’incertitude et établir une stratégie éventuelle d’action. en gros je considère que la personnalité est la surface visible de l’affect en temps réel. A l’age de 12 ans elle se fige et devient la version 2.0 de la grille de lecture.
-Il me semble qu’il faut considérer l’ affect comme un caractere essentiel si l’ on veut copier l’ intelligence , et non comme un accessoire sympathique .
A mon sens , l’ affect contient la « mémoire » des différents bénéficiaires de chacun de nos actes ( individu , groupe , civilisation et espece)……ou plutot les procédures mises en place pour intégrer l’ensemble de leurs intérets souvent contradictoires .
C’est la seule « force » capable de contrer la « raison » qui , si elle restait seule a mener notre destinée , aurait fait disparaitre rapidement notre espece ( Bergson) .
J’ ai posté un avis prématuré sur ce sujet :
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Si l’ on définit l’ IA , comme un outil servant , non pas a remplacer le cognitif humain , mais a l’ accroitre ….comme un outil ou appendice multipliant nos capacité cognitives ….,.le danger immédiat que devrait craindre un philosophe ou un sociologue …c’est que ce gain cognitif , va desequilibrer le « rapport de force » entre la « RAISON » et la « NATURE » …….
La « raison » privilégiant les interets de l’individu immédiat au détriment des interets du groupe , de la civilisation et de l’espece …., le contre-pouvoir que sont les règles , rites culturels , et autres morales structurantes , ne feront ( ne font) plus le poids pour atténuer l’opportunisme perverse de « LA RAISON » .
Il faudrait , mais c’est utopique , pouvoir integrer ces contre-pouvoirs ds l’outil artificiel ……ce qui ferait plier de rire ts acteurs au pouvoir .
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Kercoz : « La « raison » privilégiant les interets de l’individu immédiat au détriment des interets du groupe , de la civilisation et de l’espece … »
Ah bon ? Cette raison là, ne serait-elle pas plutôt de la déraison produite par le besoin de justification d’une attitude que l’on sait pertinemment erronée ? Je trouve que confondre un dogme d’apparence raisonnable avec la Raison afin de déclarer que toute raison est bien évidemment dogmatique, est une bien étrange stratégie cognitive.
Allez hop, circulez, c’est déjà pesé et emballé. La raison n’existe pas non plus, c’est que de l’enfumage néo-con. Décidément, à ce rythme de dénuement conceptuel, on va bientôt pouvoir faire chez Diogène dans les cerveaux. Pas sûr que ce soit le but de la manœuvre philo-pensive.
@Mor:
Un ex de ma démarche :
Pour l’ heritage , La « Raison » va induire un partage équitable entre les « ayants droits » qu’ils soient male ou femelle , premier ou dernier né ….C’est là , justice et équité » démocratique » .
Nombreuses sociétés , bien sur agraire , favorisent le male et le premier né ….Est ce la inéquité ?
Ce serait facile d’ y répondre par l’ affirmative …..Sauf que … certains rites societaux , par essais et élimination d’autres solutions on longtemps fait perdurer le « droit d’ainesse » …et ceci , non par inéquité , mais pour ne pas morceler a l’ infini les parcelles de qqs ares et les empires (Charlemagne) …..le but etant qu’une surface juste suffisante pour nourrir une famille ne puisse etre divisée pour ne pas nourrir 2 familles …..c’est complètement non démocratique , mais ça a permis plusieurs siecles de stabilité…et un max de curés …
Je ne comprends pas très bien votre objection car elle semble me donner raison, sans jeu de mot.
Vous dites que pour l’héritage, la « Raison » va induire un partage…; je le traduis par : on fabrique un raisonnement qui justifie une situation de fait dont on a perdu jusqu’au souvenir de l’origine.
Cette version de l’héritage que vous présentez, inclut une version forte de la propriété privée qui n’arrête pas de démontrer ses limites. Donc, c’est au moins une déraison que d’adhérer au dogme de la propriété privée par le biais de celui de son héritage. La raison capte facilement que tôt ou tard, il va y avoir un problème de partage d’un droit adossé à la possession d’un objet.
Quant aux essais et erreurs des sociétés, je pense qu’il faut faire attention à ce genre d’interprétation qui tend à assimiler l’évolution de la culture humaine à celle des espèces par la sélection naturelle. Ça a déjà trop fait de dégâts.
Principes des systèmes intelligents ou la tentation anthropo- sans- trique.
Emotion : ce qui sort de la non-machine.
« Une beauté brune dans une petite ville, un passé inavouable, une réputation ruinée, un amour perdu, sacrifié, protégé par l’oubli, le silence, donc éternel. J’envie presque ma mère, parfois, la fidélité, la tendresse avec laquelle elle préservait son amour de jeunesse, sa passion interdite, le père de son enfant illégitime. Au cours de ses dernières semaines encore, dans le service de long séjour, ma mère nous étonne, moi sa fille, et Dieu sait combien d’autres personnes, durant ses nuits effilochées rallongées par la douleur, en appelant un jeune homme, en répétant encore et encore, comme un refrain, dans son sommeil, dans son délire, dans sa souffrance : j’ai eu un jour un tendre amant, un très tendre amant, laissez donc la fenêtre entrouverte, j’aime tant regarder ces lilas blancs, avec la mer derrière, si tu le croises, dis-lui bonjour pour moi, dis bonjour de ma part à mon amour, dis-lui que je l’attends, dis-lui que tout va bien, que nous sommes toutes les deux en bonne santé, dis-lui que la petite à de beaux yeux, des yeux de violette, bleus comme la mer, exactement comme son père.
En toute innocence, je couvre de ces fleurs interdites les tables de chevet de ma mère endormie du lourd sommeil du début de la fin, elle ne crie plus, ne proteste plus, entrouvre juste les paupières pour laisser filtrer entre ses longs cils gris un éclat noisette de plus en plus rare, et je continue de lui apporter des fleurs, à pleines brassées, pour une fois, pour trois ans, pour trente ans, jusqu’à la fin. J’en prends soin comme de bouquets de mariée, je les porte avec précaution, je les soigne, je change l’eau des vases. Je deviens la vestale du Grand Amour de ma mère. La servante de son amant inconnu, de ma soeur ignorée. L’accompagnante des accompagnantes.
Dans son cercueil encore, je dispose autour du visage de ma mère et sur sa poitrine des violettes bleu nuit et du lilas blanc, trouvés à grand peine en ce mois de janvier. Je fais de sa bière en bouleau doublée de soie son dernier lit d’amour, l’odeur est enivrante, la petite chapelle s’emplit d’effluves presque indécents, du parfum humide et crémeux, trop vite fané, des amours d’été.
Assise dans la pâle lumière bleue des bougies de la chapelle, j’ignore combien d’êtres je pleure en réalité, qui sont tous ceux que je perds en même temps que ma mère ensevelie sous les violettes et le lilas.
auteur(s): Snellman Anja
infos: Le temps de la peau, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Presses Universitaires de Caen
l’affect est de la chimie… pas de chimie, pas de biologie… pas de biologie, pas d’affect…
La matière doit vivre et mourir… vivre l’épanouit, mourir la stresse… si cela est couplé à une intelligence, alors naîtra le sentiment…
Le sentiment, c’est le flux et le reflux d’une énergie vitale toujours entre deux eaux, le jeu d’équilibre des mélanges chimiques à l’intérieure du système vivant… en symbiose avec le système intelligent
plus ce mélange sera complexe, plus la palette des sentiments sera subtile
Mais promettez-moi Docteur Jorienstein… n’allez jamais faire souffrir une IA… par pitié
Laissons-la sotte et sans conscience… pauvrette
Ou alors, débrouillez-vous pour lui insuffler la plus grande des sagesses… surpassant de loin celles de nos plus grands sages!
Laissons-la calculette si l’on ne peut la faire Dieu
Ce que vous proposez semble correspondre à un logiciel de modélisation de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) qui vous « définit » en environ 250 questions binaires…
en somme le « robot » resterait à éduquer.
On entre, enfin, dans le vif du sujet !
Comme apéritif (ou pavé dans la marre), voici un extrait d’une interview (Philosophie magazine 2010) du grand phénoménologue belge Marc Richir, dont les trois dernières phrases sont particulièrement intéressantes :
« Vous faites partie des rares phénoménologues
à s’être confronté avec les hypothèses des
sciences humaines qui valorisent les grandes
structures inconscientes aux dépens des vécus
de la conscience. Quel enseignement en
avez-vous tiré ?
Que la pensée doit ruser avec les codes symboliques qui mettent en forme et en sens notre
expérience. Sans cette ruse, le symbolique se réduit à une machine qui tourne à l’aveugle.
Qu’est-ce que le sens en train de se faire ? Quand je veux dire quelque chose, c’est que je sais
déjà ce que j’ai à dire et, pourtant, je ne le saurai vraiment que quand je l’aurai dit, quand je
reconnaîtrai, dans ce que j’ai dit, ce que je projetais justement de dire. Dans cette
perspective, la langue, symboliquement instituée, peut être un obstacle : elle dirige, fige ce
qui devrait être une invention perpétuelle. Le poète parvient à jouer avec la langue afin
d’inventer une expression neuve pour sa pensée. Il y a d’autres moments où, au contraire,
les mots viennent à manquer. On sent ce qu’on veut signifier, mais on n’arrive plus à
l’exprimer par des mots. C’est précisément ce tremblé, ce bougé au sein même de la parole, à
l’intérieur des mots, qui font vivre l’institution symbolique (ici de langue), la mettant en
résonance profonde avec le champ de l’expérience vive. Si les mots étaient parfaitement
fixés, nous ne ferions que des performances au sein d’un système. C’est la croyance stupide
des cognitivistes, qui veulent situer les choses dans le cerveau, gigantesque ordinateur qui
procède par essais successifs et par optimisation des résultats. Nous vivons à une époque où
débarque, triomphante, l’idéologie néolibérale de la performance appliquée au langage et à
la conscience. »
Par ailleurs, dans un petit livre qu’il a écrit en 1993 (« Le corps Essai sur l’intériorité), dans son chapitre premier intitulé « Esquisse d’une phénoménologie du vivre incarné », il fait la distinction entre 1) Les sensations, 2) Les affections (plaisirs, déplaisirs, malaises, douleurs), 3) L’affectivité (ensemble des humeurs et des sentiments), 4) Les passions et 5) Les pensées.
Donc, c’est pas demain la veille que l’on créera un SI qui intégrera « Le vivre incarné » dans toute sa complexité. Et probablement jamais et tant mieux !
Vous annoncez ailleurs que vous quittez ce blog. Ce serait dommage.
Il en va du « quitter le blog » comme du suicide… ceux qui le disent ne le font jamais… ;o)
» Le suicide est le plus sûr moyen de passer de vie à trépas .
C’est pour ça qu’il est rarissime chez les jésuites » .
Pour les jésuites suicidants Juan j’en sais rien, mais la défense du suicide faisait partie des moult accusations qu’on porta contre eux lorsqu’on voulut, et réussit, à les faire interdire en France en 1763… malgré Louis XV…
Extrait de Comptes rendus des Constitutions des Jésuites par un certain Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, 1762 :
Sûr que s’ils avaient pu pousser tous les jansénistes et les gallicanistes au suicide, se seraient pas fait prier !
Et l’intelligence Artificielle… elle aura droit au suicide, l’intelligence Artificielle…?
Au fantasme du suicide au moins… ou walou…?
Et au fantasme tout court (« je ne dis rien mais je n’en pense pas moins »)….?
Et la prière…? Est-ce que nos terminaux Intelligents pourrons prier…?
Suicide, fantasme, désir, prière… Croyez-vous Paul que tout cela, s’il est écarté,
Je ne pense pas non plus que les mots soient fixés.
Au cours du temps certaines expressions change d’ailleurs de sens!
Par exemple:
Citation de : http://fr.wikisource.org/wiki/Comment_les_mots_changent_de_sens
« Soit par exemple l’adjectif latin uiuus : il est en latin inséparable du verbe uiuere « vivre », du substantif uita « vie », etc., et, par suite, ne saurait d’aucune manière perdre le sens de « vivant ». Mais du jour où la prononciation a, comme en français, séparé l’adjectif vif du verbe vivre et où la communauté radicale avec le mot vie a cessé d’être perceptible, une nuance de sens qui existait déjà en latin, celle de « mobile, animé », a pu prendre le dessus. »
@ à tous,
En rapport avec la phrase de Marc Richir que j’ai citée ( « Nous vivons à une époque où
débarque, triomphante, l’idéologie néolibérale de la performance appliquée au langage et à
la conscience » et à l’intérêt que nombre d’entre vous prêtent à la pensée économique, connaissez-vous Philip Mirowski ( http://en.wikipedia.org/wiki/Philip_Mirowski ) , ses livres ( http://www.amazon.fr/s/ref=nb_sb_noss?__mk_fr_FR=%C5M%C5Z%D5%D1&url=search-alias%3Denglish-books&field-keywords=Philip+mirowski ) et deux articles de lui traduits en français ( http://www.cairn.info/publications-de-Mirowski-Philip–15044.htm )(articles que je viens de découvrir et que je n’ai pas encore lus).
Je ne connais pas assez l’anglais pour me lancer dans la lecture de ses ouvrages.
J’ai pris connaissance de son existence chez Augustin Berque (géographe, orientaliste et philosophe français ) qui, dans son article « Le paysage de Cyborg », présente cet auteur dans le contexte suivant :
«Le Promeneur de Friedrich est, on le sait, “au dessus de la mer de nuages”. Sublime! De même Cyborg, né en 1960 dans la revue scientifique Astronautics. L’auteur qui le tint sur les fonts baptismaux, Manfred Clynes (par ailleurs l’un des pères du scanner), évoque la scène :
« I thought it would be good to have a new concept, aconcept of persons who can free themselves from the constraints of the environment to the extent that they wished. And I coined this word cyborg.» .
Cyborg fut employé à la NASA (National Aeronautics and Space Administration), qui explorait alors les techniques devant permettre d’adapter le corps humain aux voyages de longue durée dans l’espace.(…). Dans le cas de Cyborg, ladite opération <allusion aux "alchimistes chinois des Six-Dynasties, comme Ge Hong (284-364), dont la technologie visait au yu hua deng xian, “devenir ailé [i.e. abandonner la chrysalide corporelle] et surgir à l’immortalité” » > se place dans un courant de recherche, dont les retombées dominent l’évolution du monde actuel. En effet, comme l’a montré Mirowski, après la Seconde Guerre mondiale, economics becomes a Cyborg science . La raison majeure en est que l’économie néo- classique –laquelle, fondant et structurant le libéralisme de marché, régente notre monde– s’est moulée sur un modèle physicien; car elle a été guidée par les travaux de chercheurs venus de la physique et des sciences de l’ingénieur, financés notamment par le Pentagone pour des objectifs militaires. Alors que l’économie est en droit ce qui règle la gestion de la maison humaine (oikos), l’idéologie dominante en ce domaine est issue de modèles mécaniques, puis thermodynamiques, puis cybernétiques, et assaisonnés récemment de biologie moléculaire. Autrement dit, la maison dont elle s’occupe en fait, c’est une salle des machines ».
Sans plus de développements, ce qui me laisse sur la faim !
Je me demande s’il y avait un mécanisme général simulant l’affect lors du bigbang initial !
Je tombe volontiers d’accord que » l’affect » est le carburant de notre capacité à inventer ( hors du temps),à organiser ( présent) , et à nous projeter dans un (avenir) proche .
Si j’associe l’affect au passé ( jusqu’au bigbang ?) , je retrouve un moteur à quatre temps qui m’est cher , et suis prêt à retrouver dans la « philia » le carburant du moteur monde .
Elémentaire mon cher Watson !
Signé Juan Holmes .
PS : Si ce foutu affect vient du bigbang , je me demande bien pourquoi il n’a pas la même gueule chez « moi » que chez » les autres » .
A moins que ….?
AFFECTIONS et AFFECTIVITE
Dans mon post du 15/11, je parlais du petit livre que Marc Richir a écrit en 1993 (« Le corps Essai sur l’intériorité » (Hatier)), dans le premier chapitre duquel (« Esquisse d’une phénoménologie du vivre incarné »), il fait la distinction entre 1) Les sensations, 2) Les affections (plaisirs, déplaisirs, malaises, douleurs), 3) L’affectivité (ensemble des humeurs et des sentiments), 4) Les passions et 5) Les pensées.
Ce sont des descriptions phénoménologiques splendides que j’aimerais bien porter à votre connaissance. Je me contenterai de reproduire de très larges extraits des sections concernant les affections et l’affectivité. Pour aujourd’hui, les affections :
« Les affections (plaisirs, déplaisirs, malaises, douleurs) sont classiquement, aujourd’hui, attribuées à notre corps, comme si, par elles, celui-ci se manifestait ouvertement comme endogène (…). Si (…) , par les affections, notre corps paraît mener sa vie « à part », de manière obscure et rebelle , si donc cette « vie » pour nous aveugle paraît légitimement relever d’ordres précis de causalité, qui sont l’objet de la connaissance scientifique, il n’empêche qu’il y a (…) dans les affections un excès qui en fait autre chose que de simples « signaux » du corps physique. Cet excès se manifeste dans la manière dont nous vivons les affections, dans le plaisir, comme satisfaction ou jouissance, dans le déplaisir comme manque, défaillance ou agression. Il est caractéristique, déjà, que quand le plaisir ou le déplaisir sont intenses, ils tendent à se délocaliser, dans le premier cas comme plaisir qui « comble » ou « remplit » tout l’être que nous sommes, dans le second comme affection extrêmement pénible qu’il est impossible de mettre à distance pour la discipliner , et qui, à la mesure de son insistance, paraît agresser le noyau même de notre être, voire même de l’absorber jusqu’à l’insupportable. Notre corps est ainsi fait que, dans les extrêmes, nous tendons à n’être plus que le plaisir ou la souffrance – et cela excède, paradoxalement, les idées qu’on peut s’en faire à partir de l’irradiation nerveuse du plaisir ou de la douleur. Et par surcroît, si le plaisir intense est toujours éphémère, la douleur extrême peut être terriblement tenace, assiéger notre être jusqu’à l’envahir.
L’affection porte donc, pour ainsi dire, l’excès (…) d’un corps à ce point excessif qu’il en paraît envahissant – alors que dans la sensation, au contraire, il s’excède en s’évanouissant dans le monde – et par rapport auquel la vie normal paraît comme « éthérée » et presque sans corps. Le corps obscur et rebelle paraît comme le déchainement d’une violence anonyme, venue des tréfonds, accueillie dans une sorte d’extase de tout l’être dans la jouissance, redoutée comme son absorption dans la souffrance : expansion quasi illimitée dans le premier cas, même si elle est brève, contraction jusqu’à une région ou un point du corps qui ne sont plus, à la limite, région ou point du corps, mais région ou point du monde, dans le second. Mais là encore il n’y a pas d’affection qui soit, pour nous, purement et simplement physico-physiologique : elle porte toujours en elle cet excès d’elle-même sur elle-même que l’on subsume d’habitude par le terme « psychologique ». Mais « psychologique » ne signifie « immatériel » ou « incorporel » que dans une attitude d’esprit où le corps a été subrepticement réduit à la matérialité ou à la corporéité spatiale d’un instrument, d’un compagnon plus ou moins bienveillant ou malveillant. » (à suivre).
Dans la » représentation » que j’ai appris à faire mienne à ce jour , les choses s’expriment un peu autrement, et j’en profite pour effectivement corriger la correspondance que j’ai écrite trop vite entre « affect » et « philia carburant » .
Notre ( enfin ,au moins le mien ) affect inné nous pousse à quatre grands types de besoins-langages-comportements- recherches de « satisfaction » .
– l’affection ( certains diraient « relationnel ») , l’empathie , l’amour , la philia … plutôt inspirés du passé . On peut les pratiquer en mode donneur et/ou receveur
– l’intuition , la créativité , l’humour plutôt permise par le » hors temps » . On peut les pratiquer en mode donneur et/ou receveur .
– l’organisation , la logique , la référence fixe, le besoin « d’informations », le savoir , la règle . On peut les pratiquer en mode donneur et /ou receveur .
– le « sens » , la « valeur » ( j’emploie ici ce terme avec beaucoup de prudence compte tenu des débats qui l’entourent selon ses domaines) , la prise de risque à horizon pas trop éloigné ( mais certains font des paris éternels et divins qui ne sont que des « débordements » ). Il s’agit alors en fait d’une pulsion à maîtriser l’avenir ( » je suis maître de moi comme de l’Univers ! « ) . Le rapport au temps y est bien évidemment le futur .On peut les pratiquer en mode donneur et/ou receveur .
Les travaux qui m’ont nourri dans ce sens énoncent aussi que nous faisons une sorte d’apprentissage , en deux cycles de 10 ans ( pour faire simple ) de ces quatre « appels » ( et dans cet ordre là ) , un peu comme on fait ses gammes . Si tout va bien on en ressort adulte , ….mais ….
In fine , si nous avons tous des aptitudes à ces quatre temps et « appels » , l’expérience montre que nous en » privilégions » toujours deux à notre arrivée dans l’âge adulte ( pour moi , c’étaient le présent et le futur ), que nous aurons toujours tendance à « nourrir d’abord » , et qui ne « cèderont l’accès possible » aux deux restants que lorsqu’ils seront satisfaits ( cf la remarque de Paul Jorion sur les acteurs de l’émission de FR3 ) . S’ils ne le sont pas , c’est une situation de détresse et de mise en route de réactions de survie archaïques et inopérantes : le chef devient tyran , le professeur devient gourou , le créatif devient exhibitionniste capricieux et chiant , l’amoureux devient extincteur ou couvercle envahissant .Tout le pectre des temps possibles est alors occulté . Blocage . ( Suivez mon regard) .
L’expérience montre aussi qu’en avançant en âge , les temps ou « appels privilégiés , peuvent changer selon les évènements extérieurs , le sexe ( les femmes deviennnet plus normatives et pragmatiques , les hommes plus empathiques ) , et tout un tas de choses bizarres .
Pour le coup , si « l’affect » tel que je l’ai lu ( trop rapidement ) dans les derniers billets de Paul Jorion , est bien cette » tendance pulsionnelle à » , un homme ou une femme sont adultes accomplis quand ils arrivent à jouer également de toute la palette des possibles que » l’affect » leur laisse .
Je ne vois par contre toujours pas bien l’utilité ( ni même la possibilité ) de simuler un affect aussi puissant ,de ce type, à un » mécanisme » , sauf à jouer les démiurges .
Entre Corneille et Racine , je garde les deux .
A y repenser , ce commentaire peut tout aussi bien trouver sa place dans le billet du jour de « Un belge » ( la mise en demeure ) .
AFFECTIONS et AFFECTIVITE (suite)
L’affectivité :
« Des affections, il faut distinguer l’affectivité en tant qu’ensemble des humeurs et des sentiments (*). L’affectivité est le plus généralement mise au compte de la subjectivité psychologique. Elle paraît presque l’inverse de l’affection en tant qu’elle semble venir d’un excès quasi-incorporel du corps sur lui-même, au point de paraître s’en délivrer, de s’autonomiser en elle-même pour transfigurer les êtres et les chose : vers le haut (« lumineux », « transparent », « clair ») ou vers le bas (« ténébreux », « opaque », « obscur »), vers la vie (amour) ou vers la mort (haine), vers la légèreté (humeur bonne ou joyeuse) ou vers la pesanteur (humeur mauvaise ou sombre), etc. Ce qui est néanmoins significatif c’est que, tant dans l’humeur que dans le sentiment, se joue le sens de ce que nous nommions il y a un instant « transfiguration », et dont le corps est partie prenante ou intégrante, les affections pouvant y jouer leur rôle, comme par exemple dans la fatigue ou la fraîcheur retrouvée des forces. Si, comme nous l’avons vu, les sensations nous font accéder aux êtres et aux choses, au point de nous y confondre, l’affectivité, que l’on pourrait aussi nommer la sensibilité – au sens où nous disons de quelqu’un qu’il est « sensible » – nous fait accéder au monde – ce en quoi il y a des êtres et des choses – mais au monde toujours « coloré » par la couleur dominante ou le ton de telle ou telle tonalité affective. C’est le monde lui-même qui est léger dans une belle matinée de printemps, ou c’est le monde lui-même qui s’alanguit en une insurmontable pesanteur dans le gris après-midi hivernal. L’amour exalte, et pas seulement l’objet aimé, et la haine détruit, et pas seulement l’objet haï. L’exaltation l’est aussi de soi-même et du monde, donc de soi-même au monde et de l’autre au monde ; la destruction l’est tout autant, sinon plus, de soi-même et du monde, retranchant le soi du monde et disloquant celui-ci en perpétuels motifs d’insatisfaction.
L’excès de l’affectif dans l’affectif lui-même est donc dans l’absence de solution de continuité entre l’état –affecté par l’humeur ou le sentiment, et l’état du monde (…). En ce sens, le monde ne nous apparaît jamais comme neutre ou sans tonalité aucune : c’est là une abstraction de la connaissance objective, la connaissance elle-même, en son sens le plus général, étant liée à cette sorte d’égalité d’humeur qui est la tonalité d’un être incarné délivré des soucis quotidiens et lié au monde par la « contemplation désintéressée », s’excédant en elle-même dans la découverte du monde et conjointement d’elle-même – « la surprise », l’ « étonnement » : le thaumazein grec – où surgissent, tout simplement, des êtres ou des choses. C’est dans ce ton seulement que l’on peut parler, comme nous l’avons fait, des sensations et des affections. Mais c’est aussi seulement avec cette sorte de détachement que l’on peut tout simplement faire de la philosophie (…) sans que cela implique aucune hiérarchie a priori dans l’affectivité..
* On trouvera peut-être curieux que nous mettons quasiment sur le même plan humeurs et sentiments. C’est que la difficulté est grande de les distinguer, sauf à préciser que les humeurs sont elles-mêmes bien plus éphémères que les sentiments (à l’exception de certains cas de psychopathologies) et qu’elles sont donc, le plus souvent, sinon toujours, irréfléchies – paraissant ne venir de nulle part pour s’en aller comme elles sont venues, nulle part, alors même que le plus souvent, sinon toujours, les sentiments, mûrissant et dépérissant dans le temps, s’accompagnent de réflexions (de doutes, de retour au passé, de projections vers l’avenir, etc) sans que pour autant – c’est ce qui les rattache aux humeurs – les sentiments puissent « se commander » (ou se maîtriser) ».
J’ajoute ci-après un large extrait du texte de Richir concernant les SENSATIONS (qui « précèdent » les affections, qui elles-mêmes « précèdent » l’affectivité).
Plus tard, j’essayerai :
1) de résumer ces trois phénomènes, en mettant l’accent sur la notion d’ « excès » qu’utilise Richir;
2) d’examiner ce que pourrait apporter – ou ne pas apporter – à l’élucidation de IA, une approche purement phénoménologique de celle-ci et dégager une série de questions qui pourraient se poser.
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Les sensations :
« Déjà la sensation, pourtant la plus aisément réductible à un signal physique –qu’elle est aussi -, pour ainsi dire « filtré » par le corps-instrument, porte en elle, dans son caractère éphémère, un excès : la tendance du corps à s’évanouir dans les choses. C’est manifeste dans la vision où ce que je vois, c’est l’être lumineux ou coloré des choses, où donc je suis sur le point de passer dans les choses ; ce l’est aussi dans le toucher où je sens leur être rugueux ou poli, ce l’est encore dans l’audition, dans l’odorat ou le goûter, et cela chaque fois, selon leur rythme, puisque, si la vision est au plus près d’une rapidité telle qu’elle en paraît instantanée, le toucher ou la gustation sont plus lents, requièrent leur temps. En ce sens, il ne faut pas confondre (…) le caractère éphémère des sensations avec ce qui serait de l’ordre de la corruptibilité du corps : il y a en elles quelque chose qui, bien que fortement inscrit dans le temps, échappe au temps. Leur génération et leur oubli dans le flux du temps n’exclut pas parfois leur si extrême singularité qu’elles sont susceptibles de reparaître, inopinément dans la réminiscence (…). A cela, cependant, il faut ajouter que la dissociation des sensations selon les cinq sens a quelque chose d’abstrait – d’analytique -, et qu’il faut plutôt concevoir qu’il n’y a a pas de sensation qui ne soit une grappe ou un complexe de sensations (…). Plutôt que de « sensations » propres à chaque sens et d’un « sens commun », il vaut donc mieux de parler du « monde sensible » comme de « quelque chose » qui, multiplement bariolé, se tient en lui-même dans sa cohésion, avec un excès du sensible dans le sensible en lui-même.
C’est par rapport à cet excès que notre corps paraît à son tour, pour une part au moins de lui-même, situé : à la fois par les sensations de ses mouvements propres (kinesthèses) et par les sensations globales (coenesthèses), elles-mêmes liées en grappes ; dans cette situation, loin de s’évanouir totalement dans l’auto-transparence, il porte en lui-même cet excès sur lui-même qui, classiquement, est rapporté au « vécu » ou au « psychique ». En ce sens, le corps n’est pas seulement l’instrument plus ou moins adapté aux nécessité de la vie, par ailleurs périssable ou corruptible, mais il est aussi cette sorte de statue ou de stature intérieure infiniment labile et mouvante, éphémère et changeante dans ses manifestations, qui le tirent, malgré son être-engendré, du côté de l’incorruptibilité. Il l’est même tellement, pourrait-on dire, qu’il défie, en ce « statut » intermédiaire, ses limites factuelles de l’ici et du maintenant : cela, non seulement par la réminiscence (…), mais aussi par l’imagination que nous dirons sensible, en laquelle le corps peut se « transporter » quasi-instantanément là où il veut et quand il veut(…) : c’est ce que nous éprouvons tous quand, avant d’aller dans un pays, nous nous efforçons de l’imaginer avec le support d’images, et quand, y étant, nous sommes enchantés de voir qu’il dépasse tout ce que nous imaginions, ou sommes déçus de nous apercevoir qu’il est en réalité bien en-deçà » (à suivre).
@Juan :
//// Je me demande s’il y avait un mécanisme général simulant l’affect lors du bigbang initial ! /////
Je confierai bien le Role à l’ Entropie …
Puis a l’ agressivité intra-spécifique …l’ affect n’apparaissant que lors de l’ inhibition de cette agressivité pour des raisons de socialisation .
le processus d’hominisation
Pourquoi pas l’entropie , sauf que si j’ai perçu correctement la construction de Paul Jorion , « l’affect » est une notion qui n’a pas obligatoirement la traduction » anthropo-affective » qui nous vient spontanément à l’esprit .
Dès lors , l’entropie n’aurait pas besoin de filles .
Elle serait , dans votre proposition , l’affect lui même ou en tous cas sa forme intelligible .
@Methode :
J’ aime bien ce qu’écrit Girard , mais ne suis pas en accord sur sa position du « religieux » archaique comme culture originelle …
/// On peut ainsi retrouver dans le religieux archaïque l’origine de toutes les institutions politiques ou culturelles. //////
Si « Culturel » c’est ce qui s’oppose a « Naturel » …..les groupes sociaux corvidés et autres mamiferes sociaux ont des procédures culturelles .
Le culturel etant (selon moi) les processus de rites ( au sens Goffman-Lorenz du rituel inconscient ) qui inhibent l’ agressivité entre individus de meme espece afin de former société …
Le religieux , meme archaique est beaucoup plus tardif …et ne fait que squatter cette « zone de pouvoir » que sont ces rites …lorsque le cognitif évoluant , les rites demandent des explications rationnelles …ou irrationnelles mais accessible a la Raison .
kercoz,
question complexe, mais peut-être bien que le terme de religiosité eut été plus judicieux en ce cas, considérant qu’encore proche des grand singes, les simio-humains auraient développer sans pouvoir les exprimer (avant l’apparition des premiers rites) une attitude religieuse inconsciente et primitive envers l’univers, donc emprunte de la sensibilité personnelle des individus d’un groupe donné. conditions préalables et nécessaires à l’apparition au sein du groupe d’un premier ‘signifiant’ ‘sacré’ pour tous (la victimes de girard), polarisant les attitudes religieuses individuelles vers l’élaboration de rites communs… puis d’institutions communes ect..
conjecture que tout cela, mais je dois reconnaitre que son hypothèse d’une tombe comme premier monument de l’humanité m’a plutôt convaincu.
pour en revenir au billet, je pense qu’il est possible de chercher la source de l’affect à partir des hypothèses de girard et de c.g jung, ce dernier affirmant à l’instar de girard que dans l’indifférenciation générale et primitive des signifiants, le simio-humain n’avaient qu’un rapport sensitif/sensationnel aux choses (encéphale en prise directe) et qu’avec avec le temps vint l’intuition. son bagage culturel et son expérience sociétale s’étoffant (grâce au rite cimentant de plus grosses structures sociales), le simio-humain a pu développer les deux dernières fonctions de perception cognitive que sont l’affect et en dernier lieu l’intellect que nous apprécions tous beaucoup ici.
en ce sens l’affect serait né d’un raffinage orienté socialement de notre fonction intuitive.
(considérant que cette spécialisation sociale qu’est/serait l’affect est évidemment* bénéfique en terme de préservation de l’espèce, le simio-humain solitaire ne survivant guère longtemps dans la nature.)
*évidemment car les espèces ne se suicident pas, sauf chez mont santo.
@>Juan :
//// si j’ai perçu correctement la construction de Paul Jorion , « l’affect » est une notion qui n’a pas obligatoirement la traduction » anthropo-affective » qui nous vient spontanément à l’esprit ////
Voilà un point de vue de Paul Jorion qui m’ avait échappé !…et j’ y souscrit des deux mains ….
Il faut relire K.Lorenz ( L’ « agression « et « »l’humain ds le fleuve du vivant » ) pour voir l’évidence de comportements similaires entre ttes les especes sociales y compris humaines .
Il est tres difficile pour beaucoup ( subjectivité), d’admettre l’ hypothèse que l’ affect puisse etre une réutilisation de l’ agressivité ( modulée ou inversée )
si l’intélligence artificielle en est exactement là où se place mon correcteur orthographique, ça n’est guère brillant. et quand la modération est trop rapide… hmpf
@Methode :
Sans vouloir sauter a pieds joints ds le « mécanisme » ou l’ objectivisme forcené ….il me semble que le développement cognitif a été démontré comme provenant de l’ auto-domestication …ou plutot d’un début ( controlé et limité) de Néoténie , c’est a dire que la progéniture reste plus longtemps » au nid / nidipare versus nidifuge de K.Lorenz .
C’est une caracteristique propre aux animaux sociaux , pour la pluspart « spécialisés ds la non spécialisation »…..Le fait de rester au nid , protègé et dépendants , permet de « jouer » c’est a dire apprendre ……….LOrenz fait remarquer que les animaux domestiques ont tous ce caractere néoténique ( un félin ne ronronne pas a l’ etat adultes) …
Le passage d’ une espece de l’ animal solitaire /couple a Socialisé ( famille élargie) , a du exiger des millions d’années ……Et je persigne a dire que les rites apparaissent des le début , alors que la religiosité n’ émerge qu’ à la fin …les rites sont deja présents au stade animal socialisé et non humain .
intéressant de jeter un œil à la position jungienne, l’affect est pour lui l’une des quatre fonctions cognitives ou de préhension du réel, son orientation peut être introspective ou tournée vers l’extérieur. ces types sont applicables, selon jung, à toutes les cultures.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Type_psychologique#Les_fonctions_psychologiques
Les fonctions psychologiques ou processus mentaux sont, chez Jung, au nombre de quatre :
la sensation (sous-entendu notre faculté à nous placer dans et à percevoir le présent) ;
la pensée (sous-entendu l’intellect) ;
le sentiment (sous entendu l’évaluation affective) ;
l’intuition (ou évaluation globale).
Ces quatre fonctions vont aussi par paire, mais d’une manière moins claire que pour les types. Jung distingue, au sein de l’activité de l’esprit humain, deux grands types d’activité :
Recueillir de l’information ou Perception P, de deux manières opposées : l’intuition N et la sensation S ;
Traiter cette information pour aboutir à des conclusions ou jugement J, de deux manières opposées : la pensée T (pour thinking) et le sentiment F (pour feeling).