Billet invité. Cet article paraît aujourd’hui 20 septembre dans L’Humanité.
Initialement parue en 1983, la thèse de l’anthropologue Paul Jorion sur les pêcheurs d’Houat dans les années 1970 reparaît aujourd’hui augmentée d’une préface. La description minutieuse des codes langagiers, des modes d’existence et des manières de faire de cette petite communauté insulaire de Bretagne fait ressurgir un monde englouti. La parole rare des pêcheurs s’est vidée de tout sujet, laissant aux éléments naturels l’initiative de la réussite ou de l’échec commercial. Le discours des femmes sur l’île est, lui, plus directement politique puisqu’il se situe en permanence dans les rapports entre individus. L’espace est par ailleurs défini par le genre : aux hommes la mer, aux femmes la terre. Lorsque l’homme accoste, ses déambulations sont limitées (le port, le café), sa présence à terre est tolérée. L’emprise religieuse est forte encore au milieu des années 1970 sur cette petite île ; la République s’est introduite peu à peu dans une « théocratie » qui a longtemps concentré tous les pouvoirs.
Paul Jorion fait revivre, en des pages admirables, la vie difficile à bord des bateaux de pêche. La hiérarchie sociale repose sur une division technique du travail. Patron, mécanicien et matelots fondent la structure élémentaire du bateau. Les liens familiaux se superposent à cette organisation et les conflits (notamment sur les bateaux où des frères se côtoient) sont nombreux. Le « bon » pêcheur, patient, chanceux et courageux s’est constitué des principes d’action solides. Le temps à Houat est calqué sur la saison, cette notion polysémique qui articule les rythmes biologiques et humains, les scansions météorologiques et économiques. Le pêcheur déploie une science des marques qui lui permet de quadriller les plaines liquides et d’y repérer les fonds poissonneux. La transmission des savoirs est d’abord faite d’imprégnation : il faut connaître son bateau, ses engins de pêches (les casiers, les lignes), les données halieutiques des zones prospectées et même la psychologie d’un équipage.
L’économie archaïque de la pêche à Houat se fond, paradoxalement, dans les grandes lignes d’un système capitaliste inégalitaire : les armateurs sont favorisés dans la répartition des revenus, les plus jeunes font les frais d’une structure qui exploite leur force de travail. Trente ans après sa première publication, la thèse de Paul Jorion n’a rien perdu de sa pertinence anthropologique : entre le jeu subtil des hiérarchies familiales instables et les systèmes de croyance complexes, l’île de Houat fixe les formes anciennes d’une communauté insulaire qui a inlassablement creusé l’écume ingrate.
17 réponses à “Dans le sillage des pêcheurs d’Houat, par Jérôme Lamy”
De tout’les matières, c’est l’Hou-at que j’préfère… Un « monde englouti » ? Paul a retrouvé la ville d’Ys ! C’était pas coton !
Depuis l’île d’Houat, c’est plutôt Avallon qu’on pourrait apercevoir – par temps clair, certes.
L’île au trésor…
Er Yoc’h…
J’y étais la semaine dernière.
Armateurs – pêcheurs : privatisation des profits – socialisation du risque.
Une enquête actuelle sur nos modes d’existence, le projet EME ou AIME en anglais.
très bonne critique dans l’HUMA d’aujourd’hui p°19
par Jérôle Lamy, historien des sciences
à Houat comme ailleurs
le problème est le poisson
ou plutôt l’absence de poisson
autre problème à l’horizon : avec la meilleure flotte du monde (investissement), tous les bancs de poissons que vous voulez (préservation des ressources), le meilleur équipage (éducation et salaire), sans « énergie », vous resterez au port . . . et c’est sans doute pour demain en ce qui concerne les produits pétroliers
« La hiérarchie sociale repose sur une division technique du travail. Patron, mécanicien et matelots fondent la structure élémentaire du bateau. Les liens familiaux se superposent à cette organisation et les conflits (notamment sur les bateaux où des frères se côtoient) sont nombreux. »
La fonction qui crée l’organe?
àBasic :
//// « La hiérarchie sociale repose sur une division technique du travail. Patron, mécanicien et matelots fondent la structure élémentaire du bateau. Les liens familiaux se superposent à cette organisation et les conflits (notamment sur les bateaux où des frères se côtoient) sont nombreux. » /////
Les nombreux conflits , a mon sens, résultent du fait que la hierarchie n’est pas complètement reconnue par les acteurs du fait qu’elle ne suit pas une logique de capacité objective qui serait , elle , reconnue, admise , voire réclamée , par l’ensemble des acteurs ….Le patron commande parce qu’il est propriétaire et non le meilleur navigateur-pecheur-financier ….le mécanicien a son poste parce que c’est le beau frere , et un des matelot a lui de forte competences mécaniques non valorisées ni rétribuées ….
et le shadocks fabriques des pompent supplémentaires pour être unifiés dans l’action de pomper
chef shadock, sous chef shadock simple shadocks
l’objet n’est pas de savoir ce qu’on pompe mais simplement de pomper.
l’objet n’est plus le poisson
l’autre jour je suis tombée sur un reportage montrant des pêcheurs en méditerranée tirant sur leur chalut pour remplir une simple cagette
comment peut-on sortir en mer pour revenir après une journée de pêche avec une cagette d’une 20taine de poissons et rester cohérent en terme professionnel?
comment l’absurdité flagrante de cette situation peut-elle perdurer et se montrer comme encore existante dans un reportage
hors pour signaler le problème non plus du pêcheur mais du poisson?
@ kercoz
Je pense que vous avez raison: le pognon merdifie complètement le problème, on (= je) n’y comprend(s) plus rien.
@Basic …
C’est pas tellement le pognon , le problème .
Ds le bateau , on va tenter de répliquer la hierarchie sociale existant a terre (historique, financiere ou de renommée …)……sauf que cette hierarchisation n’est pas adaptée (ou mal adaptée) a la réalité a bord ……sauf a s’arranger a l’ embauche pour faire cadrer les deux hierarchie ….ce qui amenera l’acteur a « jouer » son role , celui qu’il est sensé joué…… meme si c’est un intellectuel génial , il jouera au con , a la brute sympa …
Il y a deja qqs temps qu’on ne place plus comme chef d’atelier le plus performant ds les plus anciens ouvrier (qui seraient capable d’occuper ce poste) …on va y mettre un jeune con sorti d’école …ce qui évitera les critiques d’ordre techniques puisque l’ouvrier se trouvera devant un « gestionnaire » .
On supprime ainsi une bonne part des interactions affectives et on passe d’ une hierarchie qui se devait etre « morale » ou immorale …au mode AMORAL , grande trouvaille des liberaux .
@ kercoz
C’est en gros ce que je voulais dire…
Finalement, ce n’est pas si mal que ce monde ait disparu. A quoi a-t-il laissé place ? Pas à un monde meilleur, ni à Houat ni ailleurs.
un lien connexe sur france culture
l’industrialisation de l’agriculture
Jean-pierre Berlan
qui donne une vision de la problématique capitaliste appliquée dans ce sujet à l’agriculture
mais donne une vision historique et économique des problèmes liés à l’agroalimentaire dont la pêche fait partie
( confrontation entre petite pêche raisonnable et exploitation prédatrice industrielle des océans)
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4493479