Je viens de passer une demi-heure dans les rues de Bruxelles. Comme l’hôtel où l’on m’a invité est proche de la grand-place, j’y suis allé, et je l’ai regardée, j’allais dire « avec des yeux neufs », mais ce n’est même pas ça : plutôt « pour la première fois ».
Je me suis même penché sur la dentelle dans la vitrine des magasins à touristes, pour voir comment c’est fait la dentelle de Bruxelles, de Malines ou de Bruges.
Pourquoi est-on aveugle, pourquoi n’a-t-on jamais rien vu dans sa ville natale ? Peut-être parce qu’on connaît déjà tout ça par cœur avant même de comprendre ce que veut dire « réfléchir à quelque chose ».
65 réponses à “AVEUGLE DANS SA VILLE NATALE”
Il n’y a malheureusement pas que les monuments que l’on ne voit plus , mais l’autre , ses proches , le temps use tout
non, ce n’est pas vrai du tout . au contraire, avec le temps , il est possible d’apprendre à découvrir encore plus celle qu’on aime et de l’aimer davantage. Se découvrir sans s’écorcher.
@ Eric L
A nouveau d’accord avec vous !
Je pense à un tableau de Bonnard, un que j’ai eu la chance de voir en vrai. Tableau qui représentait, dans mon souvenir, un coin de jardin, un buisson derrière lequel se dérobe un escalier. Je contemplai le buisson, me laissant absorber par ses couleurs puis mon regard a glissé insensiblement sur peut-être le bord d’une feuille, je ne sais, et d’un coup, toutes les feuilles se sont comme retournées dans un mouvement passant de l’ombre à la lumière, ou l’inverse, et de l’un à l’autre, éclairant ou assombrissant tout le jardin. Le tableau était vivant.
Et dans ses tableaux, le visage de sa femme.
Déplacer son regard sur l’autre comme sur un paysage familier, voilà qui peut nous faire l’aimer davantage, et parce qu’il nous est familier, que nous y sommes attachés parce qu’il nous est familier, et parce que nous nous laissons surprendre par lui.
Dans l’ombre et la lumière. Parts d’ombre, parts de lumière.
Bien sûr, il y a dans ce tableau tout l’art de Bonnard.
Pour en revenir au sujet du billet…
Sans réfléchir… l’aveugle voit.
merci Muche .
Ceci me fait repenser à l’Amour , en tant que substance , ou force , ou courant d’énergie, capable de transformer nos regards et même le monde .
pour sûr , nous sommes d’abord comme des jouets dans le monde , face à tout ce qui existe , puis, on se fraye un chemin , pour peu que l’on persévère , on ne peut y trouver que du vivant . et de la liberté, non pas ces mensonges du libéralisme qui rendent esclaves, ni cette liberté au fronton des mairies, mais autre chose . autre chose aussi que ce néant StirneRien … ( qui par ailleurs a pu contribuer à évacuer pas mal de ces mensonges sans redonner ce qu’il faudrait pour éviter les naufrages ) .
l’art, oui, dans une certaine mesure , permet un débroussaillage de nos esprits , mais surtout celui que l’on pratique , parce qu’on s’y forme, c’est là qu’on met ses sens en éveils . mieux que par l’étude des œuvres ( l’un n’empêche pas l’autre 🙂 .
ce qui est étonnant , c’est le fait qu’une vie soit assez peu suffisante pour toutes ces transformations intérieures . ce jeu n’est pas gratuit .
le temps élime les tissus et les rends plus doux
rien ne vaut un vieux pyjama coté doudoux
quand on sent que l’ennui pourrait nous gagner
vouloir voir la beauté,
ouvrir une fenêtre http://www.youtube.com/watch?v=lVeCx0bM7Xg
un album photo
sinon créer de la beauté
faire un bouquet
tailler une plante
regarder la lumière changer le spectacle
parce que le soleil tourne
Etre de quelque-part c’est surtout regarder ailleurs, c’est un premier point de vue sur le monde. Les jeunes se désinteressent du hic et nunc, ils se projettent dans le futur, dans l’horizon…
Des racines et des ailes…
le hic et le nunc
çà fait rêver personne
Rassurez-vous, c’est un classique !! Moi, je (re)découvre ma région natale quand des amis viennent m’y voir et me demandent de leur faire visiter des endroits jusqu’alors inconnus de moi… Pourquoi les gens sont ils aveugles (en majorité) sur la tournure que prend le monde et plus particulièrement l’Europe sous le rouleau compresseur du capitalisme néolibéral ? Pour les mêmes raisons ? Bon séjour Bruxellois ! (si vous avez faim, un petit restau bruxellois typique)
Ça j’adore, le blog transformé en guide gastronomique.J’imagine que l’un d’entre vous fait également chambres d’hôtes.
Oui. Paul si vous avez sommeil, un petit hôtel bruxellois topique…
(Est ce que la fée clochette pourrait rendre cela plus… présentable? ;))
L’humour de Piotr me laisse sur ma faim.
@ Garorock
Ça fait loin de Bruxelles votre gîte d’étape !… il est à Strasbourg plus précisément !
Parce que « cela va de soi », comme dirait l’économiste et sociologue Alfred Schütz.
vous avez son bonjour
@ Julien
Merci. 😉
( Je vais tâcher de m’entrainer afin d’ y arriver tout seul…)
@maxfriend
Strasbourg, Bruxelles…
Fallait rien dire! Personne avait remarqué…
A part Nicks peut être qui à l’air de bien connaître les couloirs d’une de ces deux batisses mais qui ne veut pas nous dire, à part endoctriner les journalistes de Libé, ce qu’il y fait véritablement… 😉
Trés intéressante réflexion. En tant que photographe, il m’arrive régulièrement de procéder comme suit. Si je dois photographier une chose (c’est moins évident dans le cas d’un portrait), ou bien un paysage, je me conditionne à le regarder vraiment, c’est à dire en faisant l’effort intellectuel de le considérer avec des yeux neufs. Ce n’est pas forcément évident, mais si l’on s’oblige à regarder suffisamment longtemps l’objet, on le déconstruit en quelque sorte, et il apparaît soudain sous un autre angle. Cela marche par exemple très bien avec un auto, ou une chaise, ou tout autre objet de la vie quotidienne. En fait, je crois que notre esprit procède par catalogage, pour éviter de consommer de la mémoire (vive ou morte) Ainsi, une chaise sera automatiquement reconnue, car déjà scannée et répertoriée par notre cerveau. Si, par la force même de la volonté on oblige le cerveau à procéder à un nouveau scan, il obéit, écrasant l’ancien et tout ce qui y était attaché (c’est provisoire, les connexions anciennes reprennent vite leurs droits) Pour en revenir à la photographie, j’utilise ce « procédé » depuis des années et cela me permet de « redécouvrir » certains objets ou lieux déjà arpentés, et de les photographier donc avec des yeux neufs.
VM
@ vmigeat
La solitude est aussi un très bon moyen de regarder les choses , les gens , le monde .Je me suis aventuré quelquefois dans le monde de la peinture , celle-ci apprend aussi à regarder , à détacher son regarde de l’horizontalité .J’ai aussi fait l’expérience d’un gros cailloux sur lequel j’aimais aller m’asseoir lorsque j’étais enfant , lorsque j’y suis retourné adulte ,celui-ci était bien petit ,l’age nous donne une vision différente de toutes choses .
Hors sujet encore que :
en mars 2003 cacarente 2570 : bof et alors !!!!!!
en mars 2009 cacarente 2534 : fin du monde !!!!!
A contrario,en tant qu’amateur il m’arrive de faire quelques photos acceptables(de mon point de vue) et d’y découvrir toutes sortes de choses que mon pauvre cerveau n’avait pas enregistré.
Vous prenez un petit cailloux et vous le mettez à côté d’un gros cailloux. Puis vous dites au gros cailloux: « occupes-toi du petit ! » Eh bien, ce con, il ne le fait pas ! (in Pivot/Nora « Apostrophe »)
Oui, bon, c’est bête, je quitte.
Énigmatique cette histoire de caillou.
Je poursuis.
Vous mettez un caillou à côté d’un plus gros puis un autre et puis un autre.
Deux personnes passent.
L’une se tient sur le côté, remarquant que le gros caillou ne s’occupe pas du plus petit. Qu’aucun caillou d’ailleurs ne s’occupe de l’autre. Et se lamente.
L’autre voit que les cailloux forment le dessin d’un chemin et le suit, comprenant alors que le gros caillou servait à franchir le lit d’un torrent quand les petits indiquaient dans quelle direction poursuivre.
^^
partez pas sans les x
j’adore les histoires de cailloux
encore!
plus sérieusement
la langue cailloux comprend une grammaire assez peu habituelle pour des linguistes spécialistes des langues indoeuropéennes
grammaire fondée sur l’équilibre masse forme point de support ligne
et contenu conceptuel lié à la granulométrie de la matière et
la capacité temporelle d’enregistrement des échange d’énergie thermique réception restitution
l’univers des cailloux se situe dans un espace temps d’une autre échelle comme si on entendait des mots ou des notes prononcés très lentement sur des fréquences basses
en cas de tremblement de terre ce sont les harmoniques de ces fréquences basses qu’on peut entendre un peu avant.
idem peu de temps avant que la foudre tombe.
Dans l’organisme humain la croisée des sens avec le monde minéral s’opère au niveau de la tête ou du genou du gros orteil par l’extérieur
on est rarement blessé ailleurs gravement par un ( seul) caillou
par l’intérieur vésicule rein et vessie
les maux de cailloux se dénouent par l’estomac: la fameuse soupe aux cailloux
la lecture des pierres passe par le centre de la paume des mains ou des pieds et l’annulaire (principalement)
marcher ou s’allonger sur la plage
http://www.youtube.com/watch?v=XPXhRUV7TWM&feature=related
le long de la rivière
mettez du caillou dans votre vie
Merci Paul de nous rappeler que vous êtes bien belge alors que la majorité des blogueurs pensent que vous êtes français. Vous n’êtes pas sorti de la cuisine de Jules Pieters et pourtant vous avez votre page sur Wikipedia. On voit bien que vous ne craignez pas l’épée de madame Occlès. Comme on dit chez nous.
Allez, assez zwanzé.
Je vous apprends que la majorité des dentelles à touristes proposées à Bruxelles sont hélas faites à la machine en Chine. Avis de mon épouse spécialiste en dentelles qui a également regretté de ne pouvoir écouter « le français Paul Jorion » aux conférences « connaissance et vie » à Waterloo. Vous étiez hélas souffrant à l’époque.
Bien à vous
J.W.
Je crois que nous fonctionnons malheureusement tous de la même façon :
Dans mon métier j’ai toujours innové , et plus mes connaissances sur celui-ci ont augmentées , plus l’invention de nouveau projet me parait difficile .
Un jeune enfant qui ne marche pas trouvera milles façon de monter les escaliers , et malgré quelques chutes il persistera.
La connaissance peut être une barrière pour sortir du cadre .
Énorme différence entre Voir et Regarder
Dans quel sens opérez-vous la nuance ?
J’associe Regarder à ce qu’on accomplit en permanence sans y penser, et Voir plutôt à l’intuition de ce qu’il y a à côté, derrière, caché dans ce qu’on Regarde. Juste une question de point de vue ! Je suppose que comme le fil a débuté, vous pensez plutôt à Regarder comme étant la démarche que j’appelle Voir, avec la volonté de scruter, décortiquer. Ah quelle chouette langue que la nôtre !
@ Youbati
Regarder et le début pour essayer de comprendre , voir c’est savoir que cela existe, pas plus , pas mieux 🙂
on écoute mais on n’entend pas
Bonjour
C’est bien l’unique endroit à BXL ou rien n’a pratiquement changé. Tu devrais te rendre à Molenbeek, St Gilles et autres communes de la petite ceinture et te rendre compte qu’une peite piqure de rappel est necessaire. Un mélange de bulle immobiliere et d’afflux massif. Vraiment une situation économique etrange dans la capitale de l’europe. Je ne pense pas que tu sois aveugle puisque tu ouvre les yeux à pas mal de monde.
http://www.devoir-de-philosophie.com/commentaire-jean-jacques-rousseau-progres-technique-cause-decadence-morale-2086.html
« car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et l’esprit, ces commodités ayant par habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder. »
Bon ça ne recoupe pas exactement…
Cendrillon habituée à son carrosse, se trouve fort dépourvue lors de la rétrogradation d’y celui, en citrouille, et c’est un peu ce que nous vivons (enfin à titre personnel). Cendrillon vivait au dessus de ses moyens (P. Lamy)
Bonjour Lisztfr,
association d’idée:
Et riche de dépossession, n’avoir que sa vérité, posséder toutes les richesses ! Barbara
http://www.youtube.com/watch?v=tYX2KRCr37g
Voir ma ville, celle où je vis, pas celle où je suis né, comme si c’était la première fois, ça ne m’arrive pas.
Mais me promener dans ma ville avec des amis qui la découvrent, ça me donne à tous les coups un autre regard, et c’est un grand plaisir.
Il y a autre chose aussi dans la déambulation urbaine, chez soi, c’est que si on n’est pas un professionnel de l’architecture, de l’urbanisme ou des projets urbains, on en arrive très vite à ne plus rien voir, en rue, au-dessus de deux mètres cinquante… Prendre l’habitude de regarder en hauteur aussi, c’est un vrai exercice d’hygiène mentale.
Ah oui: et pour voir, il faut soit marcher, soit être à vélo. 😉
C’est le chanteur de Radiohead je crois, qui a écrit un livre sur sa passion du vélo dans les villes du monde ? Si quelqu’un peut retrouver la référence…
on en arrive très vite à ne plus rien voir, en rue, au-dessus de deux mètres cinquante…
Vous avez complètement raison;en ballade en Normandie ,dame jolie attire mon attention sur les épis de faîtage,je les avais ignoré;l’arthrose cervicale, sans nul doute.
Il faut voyager et vivre ailleur que chez soi pour vraiment rencontrer sa culture, son pays natal, sa langue…. Lorsque je commente la culture des autres,je ne parle jamais que de la mienne. Mais ce n’est certes pas à un anthropologue aussi averti que vous sembler l’être que j’apprendrai cela
Il faut lire le Suisse Nicolas Bouvier (L’usage du monde, par exemple), écrivain du voyage.
Je cite de mémoire:
« On ne rencontre que soi-même en voyage, encore faut-il partir pour l’éprouver. »
Est-ce Dieu ou Le Diable qui est dans le détail ?
Depuis que j’ai lu « La transmission des savoirs », j’ai découvert la grille de lecture anthropologique que vous utilisez de manière systématique et approfondie, qui évoque notre apprentissage conscient et inconscient d’une culture occidentale qui se prétend souvent cartésienne.
Je respire mieux l’air du temps mais je n’en suis pas vraiment rassuré pour autant! Car elle n’est pas encore enseignée à l’ENA et je crains le pire de toutes les grilles de lecture dites topologiques – façon René Thom si je ne m’abuse ?- qui prétendent réguler notre quotidien sans accorder suffisamment d’attention précisément à ce qui a construit notre environnement et ce qui le rendra vivable ou pas ! A Bruxelles aussi, le Diable est dans le détail ; donnez-nous SVP, les détails diaboliques que vous avez démasqués ?
L’habitude. Ce qu’on voit tous les jours finit par perdre son intérêt. Mais n’est-ce pas une chance fabuleuse de pouvoir re-découvrir sa ville d’enfance avec des yeux tous neufs?
@Zef. Oui Bruxelles change, comme toutes les villes, en mieux ou en pire, ça dépend de quoi on parle. Vous citez Saint-Gilles sous-entendant un lieu dangereux et misérable. J’y vis depuis toujours. je l’ai vu changer, parfois en mieux – les arbres, les parcs, les aménagements pour enfants, les quartiers lépreux rénovés -, parfois en pire – les bandes, les émeutes, la délinquance. Mais ces phénomènes sont mondiaux (immigration, misère et délinquance), pas spécifiques à Bruxelles. Et ce qui ne change pas dans ma commune, c’est qu’elle reste un village, avec une vie animée, un marché quotidien, des commerces, des bistrots, des petits restos de quartier, des parcs et des squares, où les voisins se parlent, se connaissent et se saluent dans la rue, peu importe leur nationalité.
Ce qui est vraiment étrange, c’est la cohabitation entre le siège du parlement européen, avec ses fonctionnaires riches et hautains, et une population autochtone (j’y inclus les immigrés de toutes génération) plutôt modeste voire pauvre. Deux mondes qui se côtoient en s’ignorant mutuellement. Autant l’épicier marocain et le plombier polonais ne me dérangent pas le moins du monde, autant j’ai la sensation qu’une drôle de tumeur est née au rond-point Schumann et essaime des métastases dans toute ma ville.
Je ne sous entend rien, je constate et j’y suis né et j’y vis également sans aucun préjugé. Bruxelles est ma ville et j’aime cette ville. Je veux juste aborder le sujet du point de vue réaliste.
D’un point de vue comme tu le dis plutot modeste voire pauvre. Et de cefait, je pense qu’une piqure de rappel, peut etre envisageable et jem’en excuse auprès des « Proustiens ».
Bruxellois d’adoption, je suis extrêmement sensible à la beauté de la grand-place à chaque fois que j’y vais…Récemment mon beau père m’a montré la fontaine du cracheur juste derrière l’hôtel de ville… passant régulièrement par là, je ne l’avais jamais remarquée et j’ignorais même son existence ! Ceci pour illustrer à quel point vous avez raison !
C’est sans doute la raison pour laquelle Cézanne a peint toute sa vie les mêmes choses et dans les mêmes endroits et que pourtant il a su renouveler son art, et l’art de son temps, avec les résultats que l’on sait.
Je crois que c’est même lui qui a dit, pour peindre, il faut regarder les choses longtemps.
Mon explication, qui rejoint me semble-t-il celle de Paul est il qu’il faut comprendre « regarder les choses longtemps » non pas comme regarder les choses une à une dans dans leur individualité propre et selon les types de représentation qu’on en a formés mais en suspendant préalablement notre jugement, notre pouvoir d’analyse discriminant, ceci en laissant dans un premier temps les choses simplement se présenter à nous à rebours du processus habituel selon lequel nous allons à elles avec une intention, le plus souvent fruit de l’habitude.
Ou plus précisément, s’il y a une intention, c’est celle de ne point en avoir s’agissant de réfléchir les choses. Si l’on y réfléchit bien un miroir ne réfléchit pas , c’est dans sa pure passivité de surface plane et réflective qu’il accomplit ce pour quoi il est fait. En amont de toute réflexion humaine il en va de même, c’est la pure passivité de nos sentiments qui met en branle le processus cognitif qui nous donne une représentation des choses. Dans le cas du peintre qui se laisse pénétrer d’une atmosphère, d’un paysage avant de le recomposer la démarche est délibérée. D’une certaine manière il « sait » que sa création consiste toujours à aborder son sujet, son motif pour la première fois. Dans d’autres cas, la démarche est moins intentionnelle, plus fortuite. Une anomalie, un détail, parce qu’un évènement de notre vie psychique a perturbé notre esprit, nous a dévié du circuit habituel des traces ménisques concernant les choses que nous connaissons habituellement, se révèle à nous et nous dévie du chemin que notre œil emprunte dans notre lecture du paysage naturel ou urbain environnant lorsque nous revenons sur les lieux qui nous sont familiers.
En sorte qu’on ne voit pas les mêmes choses avec un œil neuf mais qu’on voit des choses qu’on avait jamais vues auparavant, effectivement comme si on les voyait pour la première fois.
Je ne suis pas né à Paris, mais y ai vécu assez longtemps pour que de temps à autre je découvre certains pans du décor parisien que j’occultais systématiquement dans mon champ de vision lorsque je passais à leur proximité. Tout juste avant hier en passant sur le Pont Saint Michel je me suis arrêté quelques instants au milieu du gué mon regard attiré par quelques personnes assises sur le rebord, les jambes pendues au dessus du vide, c’est à dire au dessus de la Seine clapotante et puissante à cet endroit. J’ai alors vu en contrebas toute une frange du décor, dans l’ombre et qui faisait l’arrière plan de ces personnages, que je décrirais comme une succession de niches grises qui me sont apparues comme autant de sortes de fenêtres murées. J’ai véritablement vu comme tel pour la première fois ce pan du bord de Seine. Et pourtant combien de fois suis-je passé devant sans y prêter vraiment attention. Réflexion faite je crois bien que ce sont les personnages assis sur le rebord qui ont guidé mon œil jusqu’à élargir mon champ de vision à toute une bande horizontale du décor que j’avais toujours négligée en tant que telle jusqu’à lors. Évidemment le coté inquiétant de ce pan paysage que j’avais jusqu’ici occulté dans mon esprit et que j’ai ainsi vu pour la première fois il m’a été donné de le voir parce que la vision de la non moins inquiétante posture des personnes assises sur le rebord les jambes au dessus du vide m’y a conduit, opérant une déviation dans le circuit des traces mnésiques associées à ces choses que j’avais sans doute déjà vues sans les voir. A l’origine il y a donc toujours, un sentiment, une émotion. L’amorce de toutes nos nouvelles représentations en découle.
Paul dit « regardé ». Il aurait pu dire « observé ». C’est là toute la différence entre deux types de rapport au réel à l’instar du rapport qu’entretient le psychanalyste au réel quand qui accueille dans un premier temps la parole de son patient sans chercher à lui coller une signification prédéterminée.
Les lettrés chinois dans leurs propos sur la création artistique notent eux que pour « créer » il faut regarder les choses par les choses et non plus regarder les choses avec le « je ». (« yi wu guan wu » vs « yi wo guan wu » )
Eh oui Pierre-Yves, d’ailleurs en le regardant très fort le S de Sézanne redevient un C comme par réenchantement.
Eh, l’a pas peint que la Sainte Victoire kamême oh. Ni Monet que des nénuphars.
Une fée clochette bien intentionnée s’est penchée sur le cas Csézanne 😉
L’ intention influence le jugement.
Suspendre le jugement, pour avoir le temps de …. suspendre l’ intention et voir les choses telles qu’ elles se présentent à nous.
Ce matin de rentree scolaire, Mon petit Paul à voulu faire le grand et partager une tartine avec sa sœur. Le voilà qui s’ avance avec son petit couteau à bout rond , mal affûté, arc bouté au dessus de son bol de chocolat, son petit corps se tend pour atteindre l assiette ou attend la tartine. Celle ci résiste à la lame, et il appuie dangereusement sur celle ci car elle coupe mal.
J’ arrête tout, et je lui explique que la lame va glisser et qu’ il va se blesser.
Je lui dis de s asseoir et de regarder.
Je lui montre tout ce qui le sépare de ce qu’ il veut faire pas seulement les choses (bol, récipients, etc…), mais aussi et les gestes nécessaires pour agir sur ces choses afin d’ aboutir a la situation de « pouvoir faire ce qu’ il veut faire (assiette proche de lui, angle favorable pour couper sans risques…) ».
Au total « couper cette tartine » est une proposition qui méritait une suspension du jugement et de l intention, afin de prendre le temps de mieux regarder.
Ok Môman, j’ai compris. La prochaine fois tu lui coupes sa tartine à la frangine, ok ? et si jamais elle veut l’faire toute seule ben j’lui montrerai, moi, qu’elle s’y prend vraiment comme un pied.
Tiens, au fait, file moi ton bistouri, môman, j’ai un truc à couper là…
C’est l’enfance de l’art!
Qui a été enfant (ah non, pas moi!), qui a des enfants, qui en connait bien, en sait quelques petites choses; mais pour autant il n’embrassera pas tout le monde, ou seulement son fils, sa fille, ou sa nièce,…
Observer c’est bien, embrasser c’est plus chouette. L’un n’excluant pas l’autre et réciproquement.
Oui, j’avais du faire pour des raisons techniques des travaux sur des images de facades lambdas de paris en chambre noire, a regarder différentes formes de révélation photo (du temps de l’argentique, oui oui…, papier Ilford etc).
Eh bien après quelques paquets d’heures à fixer ces images, quand je suis repassé devant lesdites façades dans la rue, mon regard était littéralement magnétisé par elles. Le cerveau faisait un travail énorme en fond, mais je ne saurais dire lequel.
Une autre fois, je regardais des photos au microscope de formes ressemblant en gros à des mansardes. Même topo, obligation de regarder longtemps pour des raisons techniques, pauses longues où il ne se passe presque rien dans une ambiance obscure. Et là, c’est quand j’ai revu les murs pignons des immeubles parisiens hausmanniens, avec leur formes à « double pente », la pente raide des logements sous les toits, la pente douce du haut du toit, que mon oeil a été surexcité.
C’est peut être l’effet symétrique de celui dont parle PJ : l’excès qui fait trop voir quelque chose alors qu’il parle de voir ce qu’on avait pas vu. Mais pour moi, c’est symétrique
Pour compléter cette vague de témoignages, j’en ai un encore plus épatant. La première fois que j’ai pu contempler, sur photo, l’Eglise d’Auvers de Van Gogh, je n’avais d’yeux que pour la profondeur étonnante du bleu du ciel. J’ai longuement admiré tout le bleu sur lequel se dessinait le clocher lorsque, tout à coup, je me suis rendu compte qu’en fait le ciel était… noir !!! (Sur une bonne partie de sa surface : exemple.) Je n’y avais vu que du bleu ! Vraiment très fort ce Van Gogh !
voir et non regarder
laisser ses yeux voir
la plupart de nos représentation du monde sont carrées
ou rectangulaire
le chiffre d’or par la magie du cadre parfait réintègre partout l’harmonie
nos yeux sont cependant ronds
le mental se formule par les angles
la perception par la pensée courbe
voir de manière organique.
Et maintenant Paul fait dans la dentelle
la dentelle laisse passer l’air la lumière recouvre sans cacher tout
l’art de la forme dans la transparence
un art féminin très abstrait
pour faire de la dentelle il faut pouvoir intégrer la vision dans l’espace
autrefois beaucoup d’aveugles faisaient de la dentelle au fuseau
pour faire de la dentelle ce sont les mains qui voient .
on peut dans la dentelle entrevoir comment les femmes ont longtemps dissimulé et occupé les possibilités de leurs neurones
C »est ce qu’on appelle reviser et sans accent sur le « e ». C’est revenir voir, sur soi, réfléchir !
Tel le miroir, il réfléchit ! Nous avons à nous regarder chacun personnellement ! Nous avons à revenir sur soi, le Soi de l’ETRE ! et l’Avoir nous sera donné de surcroît ! C’est faire un retour, pour mieux se réapprovisionner en forces nouvelles.
Mais encore faut-il, abandonner aux forces universelles donc à la Vie ce qu’on croyait savoir et qui ne fonctionne déjà plus !
Lâcher-prise, c’est avoir confiance qu’ il y aura nécessairement une réponse à nos interrogations mais pas celle qu’on attendait dans nos …. statistiques et prévisions
Si le verre n’est pas vide, impossible de le remplir ! … vidons complètement nos poumons de l’air vicié de doctrines économiques bornées pour accepter de recevoir un vent nouveau.
C’est ainsi que nous pourrons recevoir la Bonne Nouvelle !
Demeurons des apprenants, des étudiants (du latin studium = ardeur à l’ouvrage) ! et donc, à l’écoute de notre Coeur, surtout quand nous aurons perdu complètement la Raison, à force qu’ils aient toujours voulu avoir raison sur tout envers et contre tous soit 99 % de la population mondiale !
Merci Mrs JORION et LECLERC pour vos contributions, votre ouvrage et à bien d’autres !
Pourquoi est-on aveugle, pourquoi n’a-t-on jamais rien vu dans sa ville natale
J’ai une formule qui vaut ce qu’elle vaut:
L’homme a un territoire, la femme a un territoire affectif.
Or, revenir dans sa ville natale, relève de l’affectif. Donc, ce que vous voyez, en fait, vous le voyez pour la première fois.
On va avoir le MLF et autres chiennes de garde sur le dos.
Je viens de croiser le chemin du caricaturiste turc Tayfun Akgul, qui est aussi scientifique de son état (là). Il confiait à l’audience qui l’écoutait qu’il lui était beaucoup plus facile de faire ses « montages-portraits-caricatures » d’hommes que de femme.
La façon dont nous pratiquons l’empathie est différente, et sans doute traçable physiologiquement (ocytocine, que sais-je,…). D’une certaine façon, un caricaturiste qui travaille sur un jeu de correspondances très subtil, doit bien s’en rendre compte. Je me garde bien d’essentialiser le résultat, mais quelques paramètres dans le grand tout sont différents, ce qui ne ferme aucune porte à personne, ni en terme d’empathie, d’éducation, etc., y’a qu’à voir l’infinité diversité qu’apporte l’anthropologie, ou l’étude des systèmes familiaux façon E Todd par exemple…
Je vais aussi me faire taper dessus , Piotr ?
(Comme le dit un comédien dans le film ‘la déchirure’), Todd, le meilleur.
Ou peut-être qu’y être en touriste, de passage, change le regard.
Oui, voilà un sujet qui tracasse tous les peintres en particulier et bien d’autres en général.
Voir et décrire, c’est aussi un exercice pour les poétes et les écrivains, lire en simultané Proust et Walser à ce propos.
De fait, dans le langage courant on entend souvent comme constat pour exprimer une juste équivalence à ce que l’on voit qu’il s’agisse d’un paysage ou d’un type de beauté, « c’est un Pissaro », « c’est un Corot » etc ou « c’est un Cranach », « c’est un Renoir » etc, autant de noms passés à la postérité pour avoir donné ou fait d’un lieu ou d’un être une réalité saisissante et particulière.
Mais l’effet de surprise que vous évoquez dans ce billet relève d’une autre alchimie qui fait intervenir le facteur temps. Le temps qui se joue de notre mémoire et de nos certitudes ou croyances en soi, souvenirs tels que en soi, et le décalage entre ce qui fut et ce que l’on voit a de quoi mettre en branle toutes sortes de perceptions nouvelles qui surgissent agréablement un peu comme ce faux pas sur ce bout de trottoir chez Proust si je me souviens bien. Mais vous ne prenez pas son chemin, vous rebroussez chemin même, en vous interrogeant ou vous culpabilisant sur une défaillance du premier regard.
Pourquoi cette autocritique?
Quand j’étais petit, je ne savais pas nouer mes lacets. J’étais dans la cour de l’école, tranquillement occupé à nouer, tandis qu’une grande fille passe, me demandant si j’avais besoin d’aide. Sympa, mais à l’époque je ne répondais que par la négative : Niet, Madame, non merci… J’avais une vague idée qu’il fallait faire une boule avec les lacets, en les tortillant.. en fait je ne soupçonnais pas qu’il y avait une astuce. Il m’a fallu très longtemps pour comprendre, et depuis ça ne s’arrange pas vraiment.
Vive la Verboden Vrucht ! (Bière belge)
Borges bien sûr.
Il y a comme une naïveté dans ce ‘billet’, étonnante pour qui veut être anthropologue.
J’ai quitté Bruxelles à 18 ans (Louvain, puis Charleroi, puis la France et la 2e résidence ‘touristique’ à Charleroi…
Mais quel Bruxelles était le mien à cet âge ? Collégien bourgeois, défilant du cortège ‘royal’ de la fête nationale, que savais-je et ne savais-je pas de cette ville, qui n’est pas qu’un objet pour touriste (le regard de l’anthropologue n’est justement pas ce regard sur l’humain comme objet d’un instant) mais le lieu de conflits de classes, de peuples (le comité pour la défense de la place Flagey faisait remarquer il y a dix années : il y a 134 nationalités dans notre quartier…).
Mes repères étaient les collèges, pas les athénées ni l’Université; les parcs et les cinémas, pas les zonings, ni ces Michelin et VW qui se sont signalés à nous en 1968/69. Mon voisin (et nos parents se fréquentaient) est devenu romancier célèbre à Paris…
On n’est pas aveugle dans sa ville natale, mais manipulé, conditionné, avec des œillères. Le touriste est celui qui ne voit rien. Et m’occupant de patrimoine, je sais que mon discours ne lui dit rien de la ville d’aujourd’hui. Charleroi, ville si souffrante, n’a presque rien perdu de ses qualités humaines (à travers mille transformations sociales), mais qui oserait le proclamer ?
A chaque âge, une nouvelle vérité de notre ville natale peut nous apparaître, et c’est tout un travail d’y arriver. Est-ce ‘réfléchir à quelque chose’ (PJ) ? Il me semble que la prémisse ‘savoir déjà tout par coeur’ est erronée, source d’égarement.
je vis a paris. la dernière fois que je suis rentré en Bretagne, j’ai tellement été attiré par la nature que… j’ai du demander a un agriculteur de tirer ma voiture embourbée…
@Paul qui écrit :
Ah ! Enfin ! Heureux de voir que vous êtes enfin de mon avis ! 🙂
Je suis à cheval sur deux cultures, quelle façon de parler ! Mais c’est mon cas : ma langue maternelle n’est pas la langue française. J’ai appris le français très jeune, étant né ici (en France et non sur internet !). Depuis quelque temps, je me replonge dans ma langue maternelle. Il me semble que j’arrive à m’exprimer plus directement dans cette langue qui fut la seule que je parlais jusqu’à mes 4 ans. En particulier il y a quelque chose dans les accents, une harmonie, un équilibre qui me semble plus naturel dans cette langue. Il y a aussi par voie de conséquence, me semble-t-il, une plus grande facilité à raisonner car on ne se pose aucune question sur l’outil du raisonnement. Peut être en est-il de même dans un univers familier, fût-il fait de dentelles ?
Habiter, c’est ronronner en fermant les yeux. Seul l’objet d’un questionnement peut être regardé. Un environnement familier pose rarement question: sans question, pas d’attention, et sans attention, pas de réflexion. D’où le danger de l’érosion de l’intérêt des gens et des choses. D’où également ce concept opérationnel central de l’anthropologie: la mise à distance.
« Capteur de Rêves… et autre dentelle »
– C’est comme si la Mémoire…de mémoire en mémoire,
était, autant faite de fils reliés, brodés de souvenirs que
de motifs réinventés venant se perler sur un ciel de nuit.
Mémoire vive faite de profonde matière renommée, que
notre cerveau manierait, comme on manierait un sablier
couché et oscillant dans des mouvements de va-&-vient.
Qu’elle y chavire bousculée trop brutalement, d’un côté ou
d’un autre, nous voilà glisser vers de nouveaux précipices.
De débordement en gros grains, jusqu’au fracas des mers
poussée en eau trouble, dans des irrationalités infécondes
que notre raison même ne peut plus repêcher en pensées.
Des paludiers cherchant à cristalliser des souvenirs en fleur,
nous en rencontrons entre les dunes et les marais ensablés.
Qu’ils attendent en nature les passages du marchand de sel
puis du sable tombé sur les yeux, en rêves les plus profonds
surgiront les vents des terres visitant les vasières d’la veille.
Pour qu’au réveil, la maison balayée, non des vents marins,
nous soyons disposés à recueillir dans de nouveaux oeillets
les dépôts d’une nouvelle mémorable journée pleine de mer.
Des océans d’la terre aux mulons blancs des marais salants,
que d’méandres pour revoir les vraies dentelles de Bruxelles.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Capteur_de_rêves