Billet invité.
Les deux questions auxquelles je m’efforcerai d’apporter des éléments qui seront, je l’espère, de nature à contribuer à leur clarification, sont les suivantes :
D’abord la question relative à la lecture hégémonique de l’histoire des faits économiques : il existe une lecture keynésienne de l’histoire des faits économiques, comme il prévaut aujourd’hui une lecture ultra-libérale de l’histoire des faits économiques selon laquelle les politiques publiques qui visent à libéraliser les marchés ou à injecter massivement des fonds publics pour soutenir des banques privées afin que celles ci continuent de spéculer sont « délibérément qualifiées » de keynésienne.
Ensuite, j’évoquerai la question de la théorie de la crise défendue par Hayek qui est en tout point identique à celle de Marx avec, naturellement, une conclusion radicalement opposée au théoricien du Capital.
La question de l’interprétation hégémonique de l’histoire des faits économiques ne peut en aucune manière être réduite à une question purement épistémologique, de la même façon qu’elle ne saurait nullement être confinée à un cénacle composé d’historiens et d’économistes parce que la lecture hégémonique néo-libérale des crises antérieures détermine indubitablement les réponses qui seront apportées à la crise actuelle du capitalisme.
Mon propos vise à démontrer que le surgissement d’un événement historique modifie rétroactivement la lecture, l’interprétation et l’écriture de l’ensemble de l’Histoire si bien que l’on peut affirmer que l’événement crée rétroactivement par son irruption ses propres précédents : exemple, la crise du keynésianisme crée rétroactivement une nouvelle lecture et une nouvelle interprétation des faits économiques au point que la crise de 1929 fut réécrite et réinterprétée en termes néo-libéraux comme ayant été provoquée par un excès de réglementation des marchés financiers.
La théorie de l’interprétation et de l’écriture de l’histoire fut exposée par le sociologue autrichien Alfred Schütz (1899 – 1959) et influença fortement Hayek notamment dans son article « Histoire et Politique » (extrait des Essais de philosophie de science politique et d’économie).
Cette théorie de l’écriture de l’histoire qui fut formulée par Alfred Schutz dans son opus magnum The phenomenology of the social world (1967, posthume) s’appuie sur la conception du temps proposée par Bergson.
Bergson donne deux formes au temps : le temps subjectif intérieur appelé « la durée » et le temps objectif de la réalité des événements historiques.
Ainsi, le temps objectif modifie rétroactivement l’expérience originaire du temps : Schütz va reprendre cette analyse faite par Bergson pour constituer une théorie de l’interprétation de l’Histoire liée à une théorie de l’événement historique.
L’événement historique modifie rétroactivement le point de vue que nous avons sur l’ensemble de l’Histoire : c’est ce que l’on peut appeler la parallaxe .
La théorie hayékienne de la crise dont les grandes lignes sont exposées dans Prix et Production (1931) est inspirée par les travaux de Karl Marx, bien que l’économiste autrichien considère que la crise résulte de l’absence d’accumulation et de reproduction du capital au profit d’une reproduction du travail par la distribution de salaires.
Cet atavisme Marx-Hayek est souligné par Hayek lui-même dans Prix et Production).
La théorie du capital proposée par Hayek systématisée dans The pure theory of capital (1941) est similaire à celle de Marx dans Le Capital en ce sens que le capital n’est pas une substance mais un rapport de forces sociales .
La théorie hayékienne de la crise postule que la monnaie injectée sous forme de crédit modifie à long terme le rapport de force capital/travail (prix relatifs) en faveur du travail : ce changement de rapport de force en faveur du travail est responsable de la crise (chômage et inflation).
Pour Hayek, la Banque centrale injecte de la monnaie sous forme de crédit dans l’économie, ce qui profite d’abord aux capitalistes qui accumulent du capital au détriment des consommateurs qui sont forcés de ne pas consommer (épargne forcée).
Les revenus distribués par les capitalistes aux salariés modifient donc les prix relatifs c’est-à-dire le rapport capital / travail en faveur des salariés et au détriment du capital (non-reproduction du capital).
Outre la définition du capital comme relation sociale, Hayek rejoint Marx sur le schéma M-C-M où l’injection de monnaie affecte les prix relatifs de la structure de production ou du Capital en faveur des capitalistes à court terme puis en faveur des salariés à long terme.
Notons que le phénomène d’épargne forcée est très bien expliqué par Marx dans Le Capital (volume 1) dans un paragraphe intitulé « la théorie de l’abstinence » qui énonce l’idée que toute accumulation en capital du capitaliste provoque pour le salarié un renoncement forcé à la consommation par le mécanisme expliqué par Marx lui-même : le crédit additionnel profitant aux capitalistes qui accumulent du capital et qui oblige les salariés à renoncer à toute consommation (épargne forcée).
11 réponses à “HAYEK ET MARX (I), par Nadj Popi”
d’après vous, Paul Jorion pratique-t’il une interprétation hégémonique de l’histoire des faits économiques ? Est-ce que sa formation d’anthropologue lui donne ce recul génial, cette forme de « parallaxe » bien à lui ?
il y a des complications avec ces investisseurs possédant une grosse épargne mais empruntant pour satisfaire de nouveaux investissements, donc de l’épargne, etc. Les crédits in fine sur des projets immos, etc.
Le capital qui nous quitte pour d’autres cieux, profitera donc un jour aux salariés.
Quels salariés ? Ceux d’où vient le capital, ou ceux où il va ?
bonjour,
très intéressante première partie sur l’interprétation de l’histoire, pour moi du moins.
Cependant, quelque soit l’outil de lecture que l’on choisit pour interpréter la frise de l’histoire, il reste tout de même que,
nos politiques ont, me semble t’il, complètement ignoré, ou sous estimé, notre problème de dettes depuis longtemps. Se complaisant même avec celui ci.
Nos politiques ont aussi parfaitement ignoré le rapport de rome de 72
Hors, ces deux exemples n’ont, me semble t’il, rien à voir l’outil de lecture.
Napoléon déjà connaissait le pouvoir des dettes et je présume nos politiques férus d’histoire, donc ils connaissent certainement très bien les péripéties de bonaparte.
Medows, le concernant, à simplement tenté de prouver le flagrant. La croissance à l’infini dans un système fini est une ineptie qui réclame beaucoup d’effort ou de frivolité pour être résolue.
Au moions pourra t’on dire qu’en ce sens nous avons réussit ce tour de force.
Est ce ce que cela rejoint la phrase de Benedetto Croce qui dit que toute histoire est histoire contemporaine?
On peut trouver de nombreuses similitudes effectivement entre >Hayek et Marx .
Sur la monnaie c’est clair . Sur le travail et les salaires Marx n’aurait pas dit autre chose sur l’époque actuelle , si on réalise que la plupart des salariés sont payés par de la plus-value .
Il suffit de lire le capital où d’avoir bien compris la loi de la valeur de Marx pour saisir qu’il est libéral
contrairement à ce qu’en on fait les Marxistes . Le sens du mot loi a clairement pour sens celui de devoir-étre .
Pour ce qui est du temps , Marx a bien compris que c’est le b-a-b-a d’une démarche scientifique .
N’importe quelle équation , ne serait-ce que 3a=2b implique le temps , celui pendant lequel elle est vraie . Aristote lui-méme à fondée la logique là-dessus (principe de contradiction) .
La formule universelle pour l’intégration des équations différentielles découverte par Euler mentionne le temps comme variable générale , celui évidemment où les équations à résoudre sont simultanées . Les intuitionnistes en Maths en font leur base .Les formalistes en faisaient leur clé de voute avec le 13e probléme de Hilbert , baptisé , formalisme oblige : calcul des variations . Bien qu’en logique , comme en Mathématique , parce que sciences abstraites son emploi explicite soit exclu .
Par contre en Maths appliquées , en science donc c’est de rigueur
Hayek ne le fait pas , les ‘sciences humaines’ ont depuis longtemps renoncé à la science .
Les premiéres tentatives avec Adam Smith , Malthus et surtout Ricardo ayant été utilisées comme pain béni par les subversifs de tout poil . Il n’y a que ce qu’on appelle l’école Historique qui y a recours , et pour cause complétement passée sous silence .
Le capitalisme sert encore aujourd’hui de bouc émissaire , comme si l’appat du gain la cupidité , l’avidité , la corruption lui étaient spécifique , alors qu’il devrait étre clair qu’il appartient à un passé révolu , le capitaliste responsable par ces capitaux est une espéce en voie de disparition , malgré quelques cométes comme Bill Gates .Dans la crise que nous vivons aussi bien celle dites des subprimes aux US , que celle en Europe suite à la gabegie immobiliére , on perçoit sous tous les aspects ( de la monnaie , aux marchés publics ) l’intervention de l’état ( çà comprend les régions , villes , etc ).
Par contre là où il devrait étre (et pas seulement réglementation des banques) , pollution , santé , sécurité , carences criantes quand ce n’est pas de l’abjection comme pour certains médicaments , l’amiante , les inondations (dites naturelles) etc …Et là direct on est dans l’Histoire .
Selon Marx, les médecins, enseignants, percepteurs du FISC, sportifs, peintres,.. sont-ils des exploitants capitalistes ou bien des prolétaires exploités ?
Il répondra lui-même, mais en gros, ni l’un ni l’autre, car c’est la petite bourgeoisie.
Les précisions sur Hayek, c’est tout bon pour les discussions
entre copains devant un verre de blanc, sous les platanes,
juste avant sortir les boules et le cochonnet.
Vous voyez d’ici: » Raymond, déconne pas, j’te dis que l’hayek
y vient tout droit de Marx. T’es pas contre Marx, hein ?
C’t-en bouche un coin . Penses-y, le rapport capital/salariat
est modifié à ton détriment quand la banque centrale
injecte des capitaux dans l’économie, mais écoutes bien ça
dans un premier temps. Le Hayek est formel, après,
dans un second temps, c’est l’inverse.
Après, tu gagnes, sûr.
Vu que les banques ont injecté 4000 milliards d’Euro
dans toute l’Europe, notre tour n’devrait pas tarder.
Chais pas dans combien temps tu vas devoir
attendre pour ton augmentation.
Comme quoi, nous le salariat, on doit toujours attendre
avant d’en profiter.
Bon c’est pas tout ça, à qui le tour de pousser le cochonnet ? ».
L’auteur essaie de nous sensibiliser sur le fondement des politiques économiques libérales contemporaines. Hayek avait-il prévu que les libéraux endettent autant l’Etat par la spéculation sur les dettes souveraines? Nous avons une interprétation qui a permis aux libéraux de s’accaparer (sous forme de réconciliation relative) les philosophies keynésiennes et même marxistes. Sans opposition, il est facile de faire accepter les mesures. Les injections sont qualifiées de Keynésiennes. Par contre, ce sont les marchés qui dictent les conditions et les Etats n’ont qu’à bien se tenir. Ainsi, les partisans de la politique de rigueur et de la soi disante bonne gestion de père de famille (libéralisme historique) ont pu se libérer de la contrainte idéologique fondamentale (mise en pratique dans les années 30). Et stratégiquement, l’endettement excessif de l’Etat par la politique monétaire libérale permet un désengagement de l’Etat par la contrainte budgétaire. La lecture est keynésienne mais la finalité est libérale. Les marchés spéculatifs attaquent les budgets des Etats. Hayek a mis en lumière les fondements idéologiques de la politique libérale contemporaine : le néolibéralisme (monétaristes Fisher ou Friedman). Il a favorisé les dérives monétaristes qui s’enracinent sur une démonstration idéologique nouvelle (interprétation US de l’école classique autrichienne). Par exemple, le crédit qui était contesté est devenu un bienfait. Il montre pourtant son caractère esclavagiste, aujourd’hui. Ce qui devait être un instrument de flexibilité (le crédit) est devenu la norme à bon compte (le collatéral). C’est aussi une nouvelle lecture. Nous pouvons remettre en cause les fondements idéologiques mis en lumière par les libéraux si correctement décrits : la notion de prix relatif est consensuelle, ce qui explique son danger interprétatif. Le nominal trouve un nouvel ami : l’interprétation.
La production et sa conception vont évoluer. Comme lors de la première révolution industrielle (urbanisation), les conditions des travailleurs étaient précaires. Le monde de demain sera dicté par les progrès scientifiques récents et ils vont créer des bouleversements considérables. La redistribution de la production suivra mais dans quel sens ?
La production est une chose, la consommation une autre, et l’échange est au coeur du dispositif de redistribution…….