L’actualité de la crise : LE BAL DES VAMPIRES, par François Leclerc

Billet invité.

Les dirigeants allemands et français effectuent un premier tour de chauffe. Ils explorent les termes du compromis politique qui devrait être finalisé dans les semaines à venir, au plus tard fin juin à l’occasion du sommet européen. Dans l’état, selon le peu que l’on en pressent, celui-ci ne règle ni la crise grecque, ni l’espagnole. Pendant ce temps, dans le fond d’un décor mal éclairé, d’autres événements interviennent. L’instrument basique de la mesure du risque financier se révèle totalement défaillant et les transferts financiers opérés en faveur du privé et au détriment du public se poursuivent.

Comme la démonstration vient d’en être faite avec brio et en grandeur réelle par JP Morgan Chase, la Value at Risk (VaR) est un instrument de l’évaluation du risque qui, bien que systématiquement utilisé, est totalement trompeur. À l’origine employée dans le secteur de l’assurance, la VaR a été introduite fin des années 80 dans les banques américaines, JP Morgan Chase créant en 1994 son service gratuit intitulé RiskMetrics destiné à la promouvoir, ce qui en a alors fait le spécialiste. Le Comité de Bâle institua en 1996 un modèle standard de calcul de la VaR, les banques utilisant jusqu’alors des modèles propriétaires soumis à l’approbation du régulateur.

Avec un tel pedigree et après un tel nouvel échec retentissant, la VaR est un des symboles les plus accomplis des errements de l’activité financière. Elle est née alors que cette dernière était en plein essor et que ses artisans étaient persuadés savoir mesurer le risque, et d’être même capables de le faire quasiment disparaître en le faisant prendre à d’autres pour le diluer… Vu le bouillon que JP Morgan Chase vient de prendre, cela ne manque pas d’ironie rétrospectivement. D’un montant annoncé de deux milliards de dollars, ce gadin pourrait atteindre jusqu’à 100 milliards de dollars dans le pire des cas. D’après The Independent de Londres, on en serait déjà à 7 milliards de dollars. 100 milliards est le volume des actifs structurés que la banque a acquis, asséchant ainsi le marché de certains produits structurés ; trouvant en conséquence difficilement des contreparties pour déboucler son énorme position. Pour se financer, la banque s’était auparavant délestée de bons du Trésor américain, au rendement trop faible. Puis, en raison des risques pris, elle a voulu se couvrir et s’est magistralement prise toute seule les pieds dans le tapis en engageant des paris si complexes qu’elle ne les a pas maitrisés. C’est tout du moins l’explication que laisse supposer JP Morgan, dont des analystes doutent. L’affaire est loin d’être finie.

Il y a deux moralités à cette histoire très amorale. La première est que la gestion du risque financier reste un pari comme un autre, qui peut donc être perdu ; la seconde est qu’il ne fait pas bon avoir une telle taille de bilan et de disposer des moyens de se lancer dans des spéculations de cette ampleur !

JP Morgan Chase a cherché à bloquer l’entrée en vigueur de la réglementation Volcker, qui était prévue en juillet. À en croire les propos tenus par les régulateurs américains, cette affaire pourrait au contraire aboutir à sa réécriture, car si le texte de loi interdit aux banques de spéculer sur les marchés pour leur propre compte, elle autorise les opérations de couverture de leurs risques. Or c’est précisément ce que JP Morgan semble avoir fait…

Dans l’immédiat, la mesure de la VaR devrait être reléguée dans un placard ! Ce qui poserait le problème de son remplacement. Car le risque de marché de JP Morgan Chase était selon son estimation très limité au premier trimestre 2012, après avoir été, pour 2011, en moyenne inférieur à moins de la moitié de celui des autres mégabanques américaines. Remarque en passant, ces autres banques ne doivent pas être en si bonne forme, vu leur VaR…

Une nouvelle venue de Milan vient nous rassurer en nous montrant la marche à suivre. L’action de Banco Popolare s’est envolée lundi à la bourse milanaise dans un marché à la baisse. La raison en est le feu vert donné par la Banque d’Italie à l’utilisation par la banque commerciale de ses propres modèles de mesure de risque de crédit et de marché. Les dirigeants de cette dernière ont fait valoir qu’un « pas fondamental dans le processus de renforcement des fonds propres » avait été ainsi accompli, la banque atteignant presque désormais le niveau de fonds propres réclamé par l’EBA, l’autorité de régulation bancaire européenne…

Parlant du risque et de ses aléas, il n’est pas inopportun d’élargir le sujet à celui que prennent actuellement les États européens, en tant qu’actionnaires des banques centrales. On sait désormais que l’Eurosystème (la BCE et les Banques centrales nationales) a accumulé des quantités d’actifs d’une qualité qui n’est même plus douteuse, qu’une décote leur ait été appliquée ne changeant rien à leur qualité intrinsèque. Cela signifie tout simplement que le risque que les établissements bancaires supportaient a été transféré sans crier gare vers les banques centrales nationales, qui sont par défaut devenues avec la BCE les bad banks que l’on n’a pas voulu créer.

Ces établissements n’ont pas encore fini de se délester, car comme le montre actuellement la crise du système bancaire espagnol, la purge est loin d’être finie en Europe ; elle pourra donc se poursuivre à l’occasion d’une nouvelle injection massive de liquidités de la BCE. On a pu d’abord penser qu’une réédition de cette opération attendrait l’échéance du remboursement des deux déjà effectuées, pour mille milliards de dollars, leur remboursement étant loin d’être garanti… Mais, à la réflexion, il existe une autre bonne (ou mauvaise) raison de ne pas attendre si longtemps, c’est d’assurer la bonne fin du transfert de risque. Car il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin.

Alors qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni ainsi qu’au sein de la zone euro, un débat rampant et assez académique se poursuit à propos des risques inflationnistes de la création monétaire (ou quasi-création, dans le cas de la BCE), c’est une autre partie qui est en train de se jouer. En application de la seule stratégie dont les dirigeants européens disposent, avec comme objectif non avoué de soulager le système financier. Quitte à endosser comme un vulgaire chèque en bois le risque que celui-ci a engrangé et dont il ne sait plus que faire. L’aléa moral – l’incitation à fauter – sur lequel on a beaucoup discouru, à propos duquel on discute encore gravement avec l’intention de le supprimer, se concrétise là où on ne le cherche pas, bien en évidence comme la fameuse lettre volée d’Edgar Allan Poe.

Une des difficultés que cette stratégie rencontre chemin faisant est qu’elle aboutit à concentrer le risque sur les États qui restent dans la course, les plus solvables. Ce qui revient à réduire sa base d’appui au fur et à mesure qu’elle produit ses effets, comme on le constate actuellement. Cela ne va pas sans susciter, notamment en Allemagne, un fort refus de partager l’effort. Mais on se trompe de cible en visant la Grèce et en absolvant ses propres banques.

Ce n’est pas le cas de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, qui vient de rappeler aux dirigeants européens, à propos du financement des banques grecques et la situation du pays, qu’il leur revient « de décider si les contribuables européens doivent encourir des risques complémentaires »… Sans doute parce qu’il croit que le coût du sauvetage sera supérieur à celui de l’abandon, ce qui reste à démontrer. Après avoir déjà rué dans les brancards à propos de l’accumulation à son bilan de créances sur les autres banques centrales nationales, via Target 2, puis avoir obtenu de la BCE le droit de déterminer elle-même la liste des collatéraux qu’elle accepte, la Buba (surnom de la Bundesbank) pose désormais le doigt sur une grosse contradiction. Cherchant à minorer les engagements financiers de l’État d’une main, le gouvernement allemand ne peut éluder de l’autre la logique de construction de la zone euro, car il n’a pas intérêt à son éclatement. Une logique va au-delà de la seule question grecque.

Enfin, et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes, cette stratégie exige de résorber toutes affaires cessantes la dette publique au même moment où les garanties que les États doivent accorder via leurs banques centrales s’accroissent… Si l’on cherche un moteur au rebondissement à grande échelle de la crise, il ne faut pas chercher plus loin.

Certes, l’avantage de cette approche est que son coût spécifique est dans l’immédiat masqué. L’opération est aussi opaque que ne le sont les activités financières dont un nouveau dérapage vient d’être illustré par JP Morgan Chase. Pour la suite, les banquiers centraux font régulièrement valoir qu’ils disposent des instruments pour retirer du marché, le moment venu, les liquidités qu’ils y ont déversées. Et faire ainsi disparaître le problème, tout rentrant dans l’ordre. Le problème est que ce moment ne vient pas ! La raison n’est pas uniquement qu’ils débrancheraient les tuyaux qui maintiennent sous assistance le système financier, mais aussi parce qu’ils restitueraient au passage aux banques leurs actifs pris en pension, dont la qualité ne s’est pas améliorée, contrairement aux attentes initiales.

Les banques centrales sont désormais scotchées ! Les pertes doivent être quelque part et ne peuvent pas indéfiniment être masquées, c’est pourquoi les banquiers centraux n’ont pas d’autre alternative que de les garder au frigo. Quand ils vendent certains de ces actifs – la Fed a procédé à quelques opérations limitées à grand spectacle, un simulacre – ce n’est qu’après en avoir sélectionné la crème.

Qui va payer la crise est une question encore largement en suspens. L’austérité qui résulte de la réduction des déficits publics n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait encore survenir, vu les pertes accumulées dans l’Eurosystème. Un retour à l’envoyeur s’impose, mais les capitaux ne sont jamais là où ils devraient être, en l’occurrence pour éponger les pertes. Par inadvertance, sans doute. Mais plus ce renvoi sera tardif et improvisé, plus grands seront les dégâts qu’il suscitera.

Les méchants financiers seraient-ils non seulement des mauvais joueurs mais aussi des tricheurs ? Bien placés pour savoir ce que vaut réellement leur propre mesure du risque, ils transfèrent aux États les risques correspondants à des profits qu’ils ont déjà tirés. Selon le même processus, somme toute, que ces nationalisations des pertes qui interviennent quand les bénéfices se sont taris. En plus grand et plus masqué, c’est la répétition du sauvetage des banques dans l’affolement du début de la crise qui est en cours. Mais il y a décidément quelque chose qui cloche, car il ne se déroule pas comme envisagé.

Le dysfonctionnement qui enfle se manifeste dans l’immédiat par d’importants retraits bancaires enregistrés dans plusieurs pays, dont la Grèce et l’Espagne, qui font craindre la poursuite et l’amplification du phénomène sous forme larvée et l’érosion progressive des dépôts des banques, conduisant au bout du compte celles qui le subissent à l’effondrement, vu leur fragilité. La libre circulation des capitaux est l’un des fondements de l’Union européenne et les déposants disposent de ce moyen pour protéger leurs économies des dépréciations qui résulteraient d’une sortie de leur pays de l’euro.

Un tel phénomène – prophétie auto-réalisatrice typique – ne peut être techniquement enrayé que par des restrictions et limitations aux retraits et des interdictions de transfert. Ainsi que par la création d’un fonds de garantie européen des dépôts, qui limiterait les dégâts, comme proposé par Mario Monti au G8.

Venant amplifier des transferts déjà enregistrés au sein de l’Eurosystème – des pays les plus faibles vers les plus forts – il se traduit en dernière instance par le gonflement des créances dont la Buba dispose sur les autres banques centrales nationales. Porteur de l’éclatement de la zone euro, ce déséquilibre financier doit être impérativement stoppé. Les dirigeants européens vont devoir s’y consacrer entre autres tâches urgentes.

Il n’est par contre pas prévu d’enrayer le mécanisme global de transfert de la dette privée vers les structures publiques, mais plutôt de le renforcer. Cela serait entre autre le cas si le Fonds de stabilité financière, ou son successeur, prenait le relais de la BCE pour soulager les banques espagnoles (pour commencer). Le pacte budgétaire est déjà la réussite que l’on sait ; ce transfert procède de la même désastreuse inspiration stratégique.

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113 réponses à “L’actualité de la crise : LE BAL DES VAMPIRES, par François Leclerc”

  1. Avatar de johannes finckh
    johannes finckh

    cela devient quand même complexe!
    Ce que je retiens, c’est que les risques pris se réalisent nécessairement et que les dépôts sont menacés.
    Dans ce contexte, on comprend les retraits massifs par les particuliers, et la nécessité que les banques centrales doivent à nouveau injecter des sommes toujours plus gigantesques.
    Le risque d’hyperinflation est limité, car le phénomène est désormais mondial, et les sommes retirées et thésaurisées ne vont certainement pas réapparaître de si tôt, faute de placements non risqués.
    En clair, sans recours au SMT, il est tout à fait impossible que ces sommes servent à l’économie.

  2. Avatar de Paul Willems

    Quand je pense que les Grecs ont déjà perdu une première fois leur indépendance parce que les riches seuls refusaient de sacrifier leur fortune pour les défendre. Bon, il s’agissait d’Athènes pas de la Grèce.. C’étaient les Perses qui finançaient le parti de Démosthène qui essayait de mobiliser les Athéniens, d’obtenir des riches qu’ils financent la défense contre Philippe.

  3. Avatar de Cadavre exquis
    Cadavre exquis

    Billet passionnant.

    « Qui va payer la crise est une question encore largement en suspens » … Touf touf …. On a une vague idée, non ?

  4. Avatar de JEFF
    JEFF

    – Merci pour cet article – Clair et si saisissant.

  5. Avatar de zébu
    zébu

    Hey, les chums !!

    rien, rien, juste que ça fait plaisir de vous voir toujours aussi velus …

  6. Avatar de Hououji Fuu

    Les méchants financiers seraient-ils non seulement des mauvais joueurs mais aussi des tricheurs ?

    Outre le fait que la réponse me semble être dans la question 😉 je ne résiste pas à la tentation de partager ici un article du New York Times (il date un peu : 12 mai 2012) – la traduction est de mon cru :

    Le 12 mai 2012

    Les Capitalistes et Autres Psychopathes
    Par WILLIAM DERESIEWICZ

    Ce pays [les USA, NDT] est le théâtre d’un débat au sujet des riches : qui sont-ils, quel peut bien être leur rôle social, sont-ils bons ou mauvais. Hé bien, jetez un œil sur ceci : une étude récente a montré que 10 % des gens qui travaillent à Wall Street sont des « psychopathes cliniques » – ils font montre d’un manque d’intérêt et d’empathie envers les autres, et d’une « capacité sans précédent au mensonge, à l’invention et à la manipulation. » (la proportion [de psychopathes cliniques] dans la population globale est de 1 %). Une autre étude a, elle, conclu que les riches étaient plus enclins à mentir, tricher et contrevenir à la loi.

    La seule chose qui m’intrigue à propos de ces études, c’est qu’il y ait des gens qui trouvent leurs résultats surprenants. Wall Street, c’est le capitalisme dans sa forme la plus pure, et le capitalisme repose sur les mauvais comportements. Ceci ne devrait pas faire la une. L’écrivain anglais Bernard Mandeville en disait autant il y a presque trois cents ans dans un traité philosophico-satirico-poétique connu sous le nom de « La Fable des Abeilles. »

    « Vices Privés, Bénéfices Publics », c’est le sous-titre du livre. Machiavel du royaume de l’économie – homme qui nous montrait tels que nous sommes, et non tels que nous aimons à penser que nous sommes – Mandeville arguait que la société de commerce crée de la prospérité en prenant le contrôle de nos pulsions naturelles : fraude, luxure et fierté. Par « fierté », Mandeville entendait « vanité », par « luxure », il entendait le désir de se laisser aller à la sensualité. Ces éléments créent la demande, comme le sait chaque professionnel de la publicité. Du côté de l’offre, il y a la fraude, comme on dit : « Toutes les places d’échange connaissaient la tricherie, Aucune Criée ne se faisait sans tromperie. »

    En d’autres termes : Enron, BP, Goldman, Philip Morris, G.E., Merck, etc., etc.

    En d’autres termes : fraude fiscale, évasion fiscale, violations de la sécurité des produits, dépôts clandestins de produits toxiques, paris truqués, surfacturations, parjures. Le scandale de corruption chez Walmart, le scandale des écoutes de News Corp. – il vous suffit d’ouvrir les pages économiques de votre journal n’importe quel jour. Arnaquer vos salariés, blesser vos clients, détruire la terre. Laisser le peuple payer l’addition. Ce ne sont pas des anomalies : c’est comme ça que fonctionne le système : on se tire de toutes les situations possibles, et on se faufile pour s’échapper quand on se fait prendre.

    J’ai toujours trouvé le concept d’école de commerce amusant. Quels sont les cours au menu ? Comment Voler Veuves et Orphelins ? Comment Ecraser Encore un peu Plus les Pauvres ? Comment Avoir le Beurre et l’Argent du Beurre ? Comment Se Gaver de Deniers Publics ? Il y a quelques années, un documentaire appelé « La Firme » a été projeté. Ce documentaire était construit sur l’hypothèse que les entreprises sont des personnes, et se posait ensuite la question de savoir quelles sortes de personnes elles étaient. La réponse était, très précisément : des psychopathes, indifférents à autrui, incapables d’éprouver de la culpabilité, exclusivement focalisés sur leurs propres intérêts.

    Il existe des entreprises éthiques et des hommes d’affaires éthiques, bien sûr, mais, pour ce qui est du capitalisme, l’éthique est purement et simplement optionnelle, purement extérieure à ce dernier. Attendre des marchés qu’ils fonctionnent de manière morale, c’est commettre une erreur sémantique. Les valeurs capitalistes sont l’antithèse des valeurs chrétiennes.
    (Comment les chrétiens les plus bruyants dans notre vie publique peuvent en même temps être les supporters les plus belliqueux de marchés totalement libres est une question à poser à leurs consciences.) Les valeurs capitalistes sont aussi l’antithèse des valeurs démocratiques. Tout comme l’éthique chrétienne, les principes d’un gouvernement républicain nous enjoignent de tenir compte des intérêts d’autrui. Le capitalisme, qui suppose la recherche obsessionnelle du profit, voudrait nous faire croire que c’est chacun pour soi.

    Récemment, on a beaucoup parlé de « créateurs d’emploi », une expression que nous devons à Frank Luntz, le gourou de la propagande de droite, à propos du fantôme d’Ayn Rand (*). En d’autres termes, les riches méritent toute notre gratitude, ainsi que tout ce qu’ils possèdent, et toute autre considération n’est que la traduction de l’envie qui nous mine.

    Primo, si les entrepreneurs sont des créateurs d’emplois, alors les travailleurs sont des créateurs de richesse. Par leur travail, les travailleurs créent de la richesse pour les entrepreneurs – la productivité excédentaire, qui dépasse les salaires et autres compensations, qui va aux profits des entreprises. Aucune des parties en présence n’a pour objectif d’être bénéfique à l’autre, mais néanmoins c’est ce qui se produit.

    Il faut également être conscient que les entrepreneurs et les riches sont deux catégories différentes avec un recouvrement qui n’est que partiel. La plupart des riches ne sont pas des entrepreneurs ; ils sont les dirigeants de grandes entreprises, des gestionnaires institutionnels d’autres sortes, les avocats et médecins les plus riches, les professionnels du spectacle et les athlètes les plus célèbres, des gens qui ont simplement hérité de leur fortune ou, oui, des gens qui travaillent à Wall Street.

    Le PLUS important, c’est que ni les entrepreneurs, ni les riches n’ont le monopole de l’intelligence, du dur labeur ou de la prise de risque. Il y a les scientifiques – et les artistes, et les sages – qui sont tout aussi malins que n’importe quel entrepreneur, sauf qu’ils sont intéressés par d’autres types de récompense. Une mère célibataire qui a un job et s’astreint à suivre des études universitaires travaille tout aussi dur qu’un gestionnaire de hedge fund. Une personne qui s’engage dans un prêt hypothécaire – ou dans un prêt étudiant, ou qui décide d’avoir un enfant – sur la base d’un emploi qu’elle sait pouvoir perdre à tout moment (peut-être grâce à l’un de ces créateurs d’emploi dont nous parlions) prend autant de risques que quelqu’un qui lance sa propre affaire.

    La mise en place de politiques essentielles dépend de ces perceptions : que va-t-on taxer, comment et à quelle hauteur, qu’allons-nous dépenser, et pour qui. Mais, si « créateurs d’emploi » est peut-être une expression relativement récente, la vénération qu’elle sous-entend – et le mépris qu’elle signale si clairement – ne le sont pas. « Les américains pauvres sont encouragés à se haïr, » écrit Kurt Vonnegut dans « Abattoir N° Cinq ». Et, de la sorte, « ils se moquent d’eux-mêmes et glorifient les classes supérieures. » Notre mensonge le plus destructeur, ajoute-t-il, « est qu’il est très aisé pour n’importe quel américain de faire fortune. » Le mensonge se perpétue encore aujourd’hui. Les pauvres sont des paresseux, ils sont stupides, et mauvais. Les riches sont brillants, courageux et bons. Ils répandent leur bonté sur le reste d’entre nous.

    Mandeville pensait que la recherche individuelle de son propre intérêt pouvait rebondir dans le domaine du bien commun, mais contrairement à Adam Smith, il ne pensait pas que cela se passerait « tout seul ». La « main » de Smith était « invisible »– résultat automatique du fonctionnement des marchés. Mandeville y mêlait « la gestion adroite d’un politicien talentueux » – en termes d’aujourd’hui, la législation, la régulation et la taxation. Ou, comme il l’exprimait en vers : « Vice devient Bénéfice / Quand contraint par Justice. »

    WILLIAM DERESIEWICZ est essayiste, critique et auteur de « L’éducation de Jane Austen. »

    (*) pour info : Ayn Rand est considérée comme la théoricienne d’un capitalisme individualiste ainsi que d’un libertarianisme refusant toute forme de coercition et prônant les valeurs de la raison, du travail et de l’« égoïsme rationnel », son concept central. Figure de l’anti-communisme radical, Ayn Rand prône également l’indépendance et le « laissez-faire » face à toute forme de collectivisme ou de religion établis. […] Elle avait trouvé dans Ludwig von Mises, lui aussi émigré aux États-Unis, le grand théoricien contemporain du laissez-faire qui complétait sa compréhension de l’économie.

  7. Avatar de Biohazard
    Biohazard

    à Hououji Fuu

    « Arnaquer vos salariés, blesser vos clients, détruire la terre. Laisser le peuple payer l’addition. Ce ne sont pas des anomalies : c’est comme ça que fonctionne le système : on se tire de toutes les situations possibles, et on se faufile pour s’échapper quand on se fait prendre. »

    C’est de la sociologie moderne.

    « J’ai toujours trouvé le concept d’école de commerce amusant. Quels sont les cours au menu ? Comment Voler Veuves et Orphelins ? Comment Ecraser Encore un peu Plus les Pauvres ? Comment Avoir le Beurre et l’Argent du Beurre ? Comment Se Gaver de Deniers Publics ? »

    Faut aussi faire payer les étudiants pour beaucoup de futurs stagiaires gratuits avant d’apprendre ça. C’est peut-être le meilleur moyen de formation.

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