PIB, INDICATEUR SYNTHÉTIQUE DE LA MISÈRE INTELLECTUELLE, par Bertrand Rouziès-Léonardi

Billet invité

Alors voilà. – Quoi ? – Rien. Les deux candidats du second tour de la présidentielle française ont été pugnaces. Plus pugnaces que prévu, même. Bah, il était temps. Il n’aurait plus manqué que la campagne, déjà ramollie, virât à la guerre en dentelles, dans un envol bucolique de jabots froufroutants et de faveurs parfumées, façon « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ». Les picoreurs de l’anecdotique, les mercenaires du commentaire, pressés de compter les points (et qui fournit la claque ?), retiendront tel bafouillis (paf ! dans les dents ! ça te la noue, hein ?), tel psittacisme (menteur ! menteur ! c’est çui qui l’dit qui l’est !), telle circonflexion de sourcil (l’autre ! j’y crois pas !), tel rengorgement triple-mentonné (fi donc ! pour qui me prenez-vous, môssieur !), tel faux pli en bec du col de la veste (on fait les yeux doux au populo qui souffre, mais Monsieur Vautour n’est jamais très loin), telle trémulation de l’épaule droite (attention ! je vais vous infliger un direct de l’extrême-droite). Les numérologues, eux, se repaîtront des données chiffrées « incontestables » que les duellistes se sont envoyées en pleine face (allez, mange mes 3 % – de matière grasse ?) et qu’ils n’ont eu de cesse de contester, repoussant au lendemain l’ordalie des experts. Au passage, chers candidats rassembleurs du peuple, ce n’est pas aux experts que vous vous adressez, lesquels vous ont d’ailleurs servi ces pourcentages que vous leur resservez avec l’assaisonnement d’une égale mauvaise foi, c’est aux électeurs. Enfin, il m’avait semblé… Non, c’est décidé. J’abandonne tous ces reliefs aux éditorialistes, qui s’en feront un plat délectable. Ce n’est pas cela, à mon sens, qui est le plus intéressant, le plus révélateur. Pythagore, chef de secte monomane, voyait des chiffres partout, même dans le ciel. Moi, ce sont les lettres qui me fascinent, notamment ces trois-là : P-I-B. Zut ! Elles me ramènent aux chiffres !

Eh oui. Nous avons assisté, en cette soirée mémorable dont les deux camps se flattent d’être sortis victorieux, au retour du PIB. PIB par-ci, PIB par-là. À croire que les conseillers économiques qui soufflent leurs répliques à nos challengers parlent d’outre-tombe. Ont-ils seulement craqué un neurone sur les menues améliorations apportées aux outils d’analyse économique depuis, disons, les années 1930 ? Le PIB, qu’est-ce que c’est ? L’anagramme de BIP. Un acronyme qui sonne occupé. Plus sérieusement, si je m’en tiens à ce que chacun peut en savoir, s’il fréquente ce blog et quelques autres un peu moins bien achalandés, c’est le Produit Intérieur Brut, un indicateur quantitatif qui mesure le niveau de croissance, lequel est fonction de la quantité de biens et de services produite en une année par les agents économiques d’un territoire donné. Il fut mis au point en 1934 aux États-Unis, en pleine crise, à la demande du Congrès. La paternité en revient à l’économiste et statisticien Simon Kuznets et aux jeunes esclaves-chercheurs qui l’assistaient, depuis 1932, sur un projet de système de comptabilité nationale. Le PIB est généralement décrit comme le premier indicateur synthétique de richesse. Synthétique ? L’adjectif est impropre, car il laisse entendre une appréhension globale, alors que la croissance n’est pas toute l’économie et que l’économie n’est pas toute la vie. Kuznets en était bien conscient, qui expliqua aux parlementaires américains que « [l]a mesure du revenu national peut difficilement servir à évaluer le bien-être d’une nation. » (Je souligne.) On décréta alors, l’exemple de Ford à l’appui, que le bien-être viendrait avec l’augmentation continue de la production. On promut une économie digne de l’indicateur imparfait qu’on avait élaboré si péniblement. On tordit le réel pour l’adapter à l’outil d’analyse. Les Trente Glorieuses furent les Trente Glorieuses du PIB.

Dans les années 1970, on fit mine de découvrir que l’augmentation de la production n’avait pas que des répercussions positives sur les sociétés. La fortune des uns peut faire et fait souvent l’infortune des autres, dans un même pays comme d’un pays à l’autre, suivant le degré de dépendances des entités et des êtres concernés. Le PNUD, Programme des Nations Unies pour le Développement, imagina de remplacer l’indicateur aveugle que représentait le PIB (le PIB livre une moyenne arasante) par un indicateur moins réducteur, plus profond, quantitatif ET qualitatif, qui prît en compte à la fois les aspects économiques et les aspects sociaux et culturels. En 1990, l’IDH, l’Indicateur de Développement Humain, fut mis sur pied par les économistes Amartya Sen (Inde) et Mahbub ul Haq (Pakistan). Cette alternative au PIB n’est pas la panacée, mais elle a le net avantage de mettre plus particulièrement l’accent sur la dimension sociale. Les années 1980-90 voient l’efflorescence de nouveaux indicateurs, plus ou moins aboutis et complexes, qui achèvent de périmer le PIB. Le rapport Bruntland, en 1987, lance le concept de « développement durable » (ou « soutenable »). La Banque Mondiale s’amuse depuis 1999 avec la très hétéroclite Épargne Nette Ajoutée, autrement appelée Épargne Véritable, qui ajuste l’épargne nationale brute en fonction des dépenses d’éducation, qu’elle ajoute, de la consommation de capital fixe, de la baisse des stocks de ressources exploitées et du coût des dommages environnementaux, qu’elle soustrait. L’ENA mesure ainsi la variation des capitaux économique, humain et écologique, au terme d’un cycle productif. Elle est exprimée en pourcentage du revenu national brut. Elle a un gros défaut, comme le signale une note de l’IDIES (Institut pour le Développement de l’Information Économique et Sociale) datée du 3 juillet 2009 et faisant suite à la mise en ligne d’un rapport provisoire de la Commission Stiglitz : elle met en corrélation d’équivalence trois grandeurs très différentes, comme si elles étaient interchangeables, comme si l’on pouvait compenser une gestion écologique désastreuse par la seule bonne tenue du système éducatif. Autre indicateur, concocté par des universitaires – encore eux ? la méchante engeance ! – dans les années 1990 et perfectionné à partir de 2003 par des organisations non gouvernementales telles que le WWF : le Global Footprint Network. Le GFN rappelle à l’homme qu’il consomme le monde en consommant les produits qu’il en tire. C’est la fameuse empreinte écologique, la signature que notre espèce cacographe laisse à la surface biologique du globe (terres émergées et océans). Cette surface biologique, nommée aussi biocapacité, est exprimée en hectares globaux. Depuis peu, notre empreinte écologique dépasse la biocapacité, ce qui veut dire qu’à partir de maintenant, l’humanité détruit davantage de ressources que la planète n’en constitue.

En 2010, le Conseil d’Analyse Économique a commis un riche inventaire d’indicateurs que F. Hollande eût été bien inspiré d’exploiter, au moins partiellement, en réponse au satisfecit que s’est décerné notre impayable président. Je le reproduis ici, pour que l’on mesure exactement à quelle altitude argumentative évolue le think tank du candidat socialiste. Je précise dans la foulée que cette liste n’a rien d’ésotérique et qu’elle est étudiée dans les grandes écoles de commerce, apparemment plus au fait du renouvellement de l’outillage descriptif que les birbes radoteurs de l’expertise médiatique.

Indicateurs de performance économique et de bien-être matériel

– PIB par habitant ;

– PIB par heure travaillée ;

– Taux d’emploi pour les 15-64 ans ;

– Revenu national net par habitant ;

– Consommation finale par habitant, y compris la consommation finale des administrations ;

– Rapport interquintile dans la distribution des revenus [formulation pédantesque qui veut dire, en substance à peine plus digestible : rapport entre la somme des niveaux de vie des 20 % de gens ayant les niveaux de vie les plus élevés et celle des 20 % de gens ayant les niveaux de vie les plus faibles].

Indicateurs de qualité de la vie

– Santé : années potentielles de vie perdues ;

– Éducation : étudiants âgés de 15 à 24 ans en pourcentage de la population du même groupe d’âge ;

– Activités personnelles : employés en travail posté ;

– Participation à la vie politique et à la gouvernance : « Être à l’écoute et rendre compte » ;

– Liens et rapports sociaux : fréquence du temps passé avec d’autres personnes lors d’activités sportives, culturelles et communautaires ;

– Conditions environnementales : exposition de la population urbaine à la pollution atmosphérique par particule.

Indicateurs de soutenabilité

– Investissement net du secteur privé rapporté au PIB ;

– Investissement dans la recherche et le développement rapporté au PIB ;

– Solde budgétaire corrigé des variations cycliques ;

– Ratio du crédit privé total rapporté au PIB ;

– Niveau des émissions de gaz à effet de serre ;

– Émissions nationales de gaz à effet de serre par habitant ;

– Consommation intérieure de matières premières (Domestic Material Consumption) par tête ;

– Indice d’abondance des oiseaux communs.

La liste est extensible et amendable ad libitum. Et tant mieux. Je préfère, pour ma part, la prolifération des angles d’approche à la vision unidimensionnelle. Nous n’aurions plus un chiffre sur l’immigration, à brandir comme le Montjoie des peurs ancestrales, mais des chiffres sur l’immigration et les secteurs circonvoisins de la coopération économique, du fair trade, des subventions agricoles, etc. Je gage que des rubriques additionnelles du genre Indicateurs de vie démocratique ou Indicateurs de vie journalistique feraient leur effet dans la période actuelle. Vous allez me dire : encore un éboulis de chiffres en perspective. – Certes, vous répondrai-je. Mais ceux-là sont présentés différemment, distribués dans des séries organisées qui s’éclairent l’une l’autre et ménagent un espace de discussion, en plus d’être ouvertes à d’autres apports et rapports. Aucun chiffre, pris séparément, n’est incontestable. Il commence à faire sens quand il entre en résonance avec d’autres chiffres. Il en va de même des indicateurs auxquels ces chiffres se rapportent. Dans l’inventaire du CAE, le PIB résiste toujours, mais ses colistiers neutralisent cette prééminence qu’il semble encore posséder dans l’esprit des doctrinaires qui gouvernent nos gouvernants.

Pourquoi ne pas envisager, en France et ailleurs, à l’échelon local comme à l’échelon national, la publication annuelle, sur tout support et à une date fixe, de cette liste ouverte d’indicateurs ? Une demi-heure avant le débat décisif d’une présidentielle, par exemple, elle serait donnée aux candidats et aux journalistes chargés d’arbitrer les échanges. Les projets en concurrence se détacheraient ainsi sur un fond bien plus riche et bien plus stimulant. Les élans pavloviens des spectateurs seraient sinon refrénés, du moins court-circuités. Des chiffres tombent régulièrement, venant de l’INSEE, de l’OCDE, échappés des mêmes vieux robinets étiquetés (la croissance, l’inflation, la confiance des ménages, etc.), goutte-à-goutte de données sans liaisons nécessaires qui irriguent les herbes folles de l’opportunisme politique. Une telle liste obligerait ses manipulateurs à construire une vérité, pas à l’assener.

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128 réponses à “PIB, INDICATEUR SYNTHÉTIQUE DE LA MISÈRE INTELLECTUELLE, par Bertrand Rouziès-Léonardi”

  1. Avatar de Moâ président

    PIB … Phrase d’Intello BIdonnant .

  2. Avatar de Eric L
    Eric L

    la météo à coté , c’est de la bibine . alors …
    mettons que mon lave linge tombe en panne , quel indicateur saura si je « dois »en acheter un ?
    multiplié par quelques milliards d’intentions , plus des erreurs possibles, voulues ou non de fabrication, etc. , les chiffres parlent , mais pour dire quoi ? infléchir les tendances ? rentrer dans des fourchettes de probabilités , sans doute mais à condition de formatage bien serré des masses. En vue de quoi?
    Sans doute tenir un peu mieux le travail , contrecarrer la nature oisive et la cigale ? c’est curieux ça : les hommes ne reconnaissent pas les hiérarchies éventuelles qui régissent les « cieux » mais n’hésitent pas à imposer la leur .
    comme on dit pourtant mon joug est doux …. tandis que l’autre , celui qui fait plier le monde ?
    chacun voit midi à sa porte en définitive.

    1. Avatar de Eric L
      Eric L

      Comme l’économie dépend aussi du climat et le climat de l’économie …

  3. Avatar de LE HENAFF BERNARD
    LE HENAFF BERNARD

    je donne bénévolement des cours de soutien à la fille de ma voisine le pib ne bouge pas.
    Mavoisine rémunère un étudiante pour les memes cours le pib bouge.
    Alors faites votre choix

    1. Avatar de Moâ président

      Il y a donc deux sortes de croissances , , et une mesure officielle de celle ci .
      Je recueille les graines d’une plante non stérile pour les replanter l’année suivante , le PIB ne bouge pas .
      J’achète des F1 stériles , le PIB bouge.
      http://fr.wikipedia.org/wiki/Stérilité_mâle

    2. Avatar de Mianne
      Mianne

      Mais si votre voisine n’a pas les moyens de rémunérer un étudiant et si personne ne veut travailler bénévolement dans le but de faire bouger le PIB, c’est la fille de votre voisine qui morfle

      L’éternel dilemme de l’échange de services assimilé par le Fisc à du travail au noir ( Sur une dénonciation d’un garagiste pro se plaignant du manque-à-gagner, un bricoleur a eu des ennuis pour avoir réparé bénévolement la voiture de son beau-frère).

  4. Avatar de BRL
    BRL

    Bonjour Vigneron.

    (Si votre liane revient sinuer par ici.) Je vous cite : « On veut réinventer une nouvelle «LOLF pour les nuls» ? […] Un petit tour édificateur vers le Labo Collisions Agrégats Réactivité. » Seriez-vous hostile – ma contribution mise à part – à ce que la recherche française se mêle de redéfinir et d’élargir l’angle de vue technocratique ? Cela n’empêcherait pas les détournements et les récupérations à des fins systématiques (on sait quel profit funeste le management a pu tirer des recherches behavioristes, entre autres), mais au moins on diversifierait les paramètres. Et puis, tous les chercheurs ne sont pas aux ordres, le petit doigt sur la couture de la blouse, maladivement appréhensifs à l’idée de voir s’envoler les crédits qui leur sont alloués. Une extension conceptuelle vaut mieux qu’un verrouillage conceptuel, ne pensez-vous pas ? Quant à la citoyenneté républicaine française, telle que résumée par la devise inscrite au fronton des mairies (bien plus que par le drapeau bleu-blanc-rouge, qui fut l’étendard de bien des ignominies, lesquelles seraient difficiles à commettre spécifiquement au nom de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité), je ne la trouve pas si mauvaise que cela, ni si inexportable. Les trois mots qui identifient la république française n’ont pas encore été vidés de toute leur substance, que je sache, et peuvent servir de degrés entre l’idéal démocratique et la pratique démocratique. Les citoyens, pourvu qu’ils soient encore intéressés à la chose publique, sont invités par leur devise à s’étayer sur le meilleur de l’homme pour vivre ensemble et se gouverner ensemble. Liberté, Égalité, Fraternité. N’est-ce pas un cri de ralliement un peu moins vicié que « Prenez le pouvoir ! » ?

    Cordialement.

  5. Avatar de vigneron
    vigneron

    Eh oui BRL, précisément ! Vous parlez de la devise républicaine, qui est bien plus qu’un emblème de frontispice, comme l’étaient le porc-épic de Louis XII, l’hermine d’Anne de Bretagne, la salamandre de François Ier ou le soleil de Louis XIV, mais une marque identitaire, étymologiquement « ce qui divise », ce qui délimite le champ républicain à l’intérieur duquel s’inscrivent censément et la Constitution et les Lois de la République. Le débat démocratique et les discours adverses qui le constituent, comme les Lois qui en sont issues, doivent en fait se contenter de « deviser de cette devise », tracer de nouvelles lignes de démarcation, créer de nouveaux croisements de lignes et de nouveles parcelles du champ republicain « dont on devise », des « devises de la Devise » – rejoignant le sens du mot québécois « trécarré » qui se traduit d’ailleurs par « devise » dans la Poitou…
    En quoi une batterie d’indices normatifs, aussi censément complets et tous respectueux de la Devise fussent-ils, nous éloignerait-elle de la Devise ? En ce que justement ces indices contraignent les discours et le débat démocratiques, le surdéterminent et effacent à la fois la trace de la Devise première tout en rigidifiant de façon insidieuse – i.e par normalisation et non par réglementation – la mécanique interne des mouvements de lignes, réglée par le « jeu » des « mouvances », pour laisser place aux géomètres « fabriqueurs d’index » et « certificateurs de bornes », que l’on nommera technocrates, et autres bidouilleurs de GPS, que l’on nommera « entrepreneurs politiques ».
    Au final on a quoi quand « ça » tourne mal ? Et « ça » tourne mal. Quel que soit le nombre d’indices, quel que soit le nombre de bornes. Une seule alternative : faire mine de conserver la Devise (en pointillés très espacés) et refiler le réglage du GPS au géomètre-expert (Papademos, Monti..) ou bien changer la Devise et refiler les bornes et le GPS à un entrepreneur politique mafieux (Orban, MLP, Sarkozy…).
    Et puis quoi enfin ? Qu’est-ce donc l’usage premier et la fin véritable de tout indice si ce n’est le classement ? Et qu’est-ce donc le classement si ce n’est le fondement du benchmarking politique, l’expression même de la compétition, de la Concurrence ? Bref, l’alpha et l’oméga de la gouvernementalité néolibérale.
    Non, on n’écornera pas toute-puisance de la vague normalisatrice en surajoutant des normes à la norme. C’est bien par la voie de la Devise, par la Loi, par la constitutionnalisation du champ économique et donc incidemment par la « désindicialisation » et le « réenchantement » du Politique qu’il peut encore y avoir rupture. A condition de ne pas laisser les friches (et les chiffres) et les verbes (et les brèves) aux mafieux qui s’activent à une autre rupture.
    Ps : vous savez mieux que quiconque qu’il nous manque des philosophes, des juristes et des poètes. Qu’allez-vous générer de nouveaux géomètres ?

    1. Avatar de BRL
      BRL

      Des géomaîtres, enchérirai-je. En fait, je suis d’accord avec vous, sauf sur un point : nous vivons – c’est déplorable, mais nous avons réalisé le rêve pythagoricien – dans un monde issu d’un délire d’arpenteur. La sérialisation de l’humain n’a plus rien de futuriste. Borgès est dépassé. Quand j’écris qu’il faut allonger la liste des indicateurs ad libitum, ce n’est pas dans la perspective d’aggraver la puissance coercitive de la machine à asservir les conscience – appelez-la matrice, si vous voulez – mais plutôt pour empêcher qu’on ne s’en tienne à un seul système de mesure, fût-il plus adéquat et varié, après qu’on a peiné à en trouver un. Cet appel au renouvellement que je fais entre en tension avec la nécessité de retrouver le sens perdu ou à tout le moins brouillé des mots fondateurs (comme il existe des pères fondateurs) de la devise républicaine. C’est parce qu’on a laissé péricliter ce sens, qu’on a cessé de le faire jouer en basse continue du réel que les outils d’appréciation de l’effort politique ne jouent plus leur rôle de diapason. Ces outils peuvent même appuyer un raisonnement circulaire en réfléchissant non pas une tranche de réalité, mais une projection sur la réalité qui veut passer pour telle. Je suis conscient de toutes ces difficultés et de bien d’autres encore, qui m’effraient davantage, n’étant pas matheux. Le travail doit porter simultanément sur la restitution du sens en fonction du corpus des valeurs républicaines et sur l’amélioration continue des outils d’appréciation, dont la finalité première, en démocratie, est de traquer les inégalités et les déséquilibres sociaux. Une collaboration étroite entre ONG, partenaires sociaux, chercheurs et fonctionnaires (quelques-uns ont encore le souci du service public, si, si) limiterait tout de même le dévoiement des données, lesquelles seraient rendues publiques selon les modalités que je définis dans mon billet (et que je complète dans ma réponse à Edith). Les chiffres s’intercalent entre nous quand nous perdons le sens du contact. Ces mêmes chiffres servent à mesurer les écarts qui nous séparent. Affinons la mesure selon les critère de la civilité républicaine, circonscrivons le mal. Après, libre à nous de jeter la toise (comme les Romains abandonnant une circonvallation) et de nous mesurer à la caresse.

      1. Avatar de schizosophie
        schizosophie

        @Bertrand Rouziès-Léonardi

        La Désirade twelve points ! Prochainement sur le marché de la circonvallation (bien vu ça !) un indice d’empathie comme algébrisation du care ? un moral des ménages décomplexé ? Bien oui quoi, faut bien indicer le chrome par tous les bouts. Non ?

        Voir ici : « La confiance du capitalisme envers lui-même – qui lui fait ne pas s’inquiéter des retombées productives de la valeur – prend en compte, mais en juxtaposant toutes ses formes de paris sur l’avenir, non seulement les paramètres de transformation productive de telle ou telle branche, mais des données sociales, géographiques, géopolitiques, des savoirs scientifiques » et même des indics d’affectivités.

    2. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      @ Vigneron et BRL
      Vous confondez algébriste et géomètre (géomaître). Dans vos commentaires c’est à chaque fois algébriste (ou analyste*) qu’il faut lire.

      * L’analyse est l’algèbre infinitésimale.

      Pour les matheux la topologie est à la géométrie ce que le signifié est au signifiant, le rapport géométrie/topologie s’exprimant algébriquement (ie. symboliquement).
      Un calcul, une formule algébrique n’a pas de sens en elle-même: en math elle n’a de sens que dans de cadre d’un rapport géométrie/topologie, alias signifiant/signifié (en Physique il n’y a qu’à demander aux physiciens).

      Je pense que la formule algébrique permettant le calcul du PIB n’a pas de sens en elle-même. Et que là est une grande partie du problème. Car ce qui se passe c’est bien que cette formule organise l’économie (en est même le centre organisateur) et par suite la société. Il faut trouver une formule qui ait du sens…

  6. Avatar de Cadavre exquis
    Cadavre exquis

    Ce qui est simple est faux. Ce qui est compliqué est inutilisable.

    Paul Valéry

    1. Avatar de Lisztfr

      En poésie peut-être, en réalité non.

      Le complexe est de voir la simplicité dans ce qui est confus, c’est tout. On ne pourra armer son arc et viser juste qu’à cette condition.

      La mélodie du Snowflake dance est-elle compliquée ? L’accompagnement oui.

      P= mg c’est compliqué ? Ce qui est simple est très vrai.

      En fait je suis moi-même confronté à une difficulté de cet ordre… que je croyais être motivationnelle, mais qui s’avère être intellectuelle. A savoir la tendance à abdiquer quand ça devient un peu complexe… quand quelque chose ne va pas alors qu’on est incapable de le situer, de situer la frontière de l’incertitude.

      L’auteur de Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle (1979), disait que le complexe est un empilement d’éléments simples, à propos d’une étude de Chopin. Et que le virtuose applique quelques « trucs » de haute volée. Le tout est de pouvoir se représenter les choses, de s’en approprier une partie au moins, mais cela veut dire rendre possible la vue d’une chose désagréable de sorte qu’elle soit belle… sinon, on enfouit tout sous le terme de « complexité ».

    2. Avatar de BasicRabbit
      BasicRabbit

      @ Cadavre exquis
      Je crois que la nature finit toujours par trouver une solution simple, sinon la plus simple (règle du rasoir d’Ockham).
      Entre le simpliste et le compliqué il y a un moyen terme, l’intelligible.
      Pour moi une raison d’espérer…

    3. Avatar de Cadavre exquis
      Cadavre exquis

      @ Liszt

      J’adopte pour ma part la position inverse de Hofstadter ( « le complexe est un empilement d’éléments simples » ): le monde est un immense chaos d’où peut émerger parfois une simplicité apparente, sous certaines conditions d’observation.

      @ Rabbit

      La nature se fiche bien du rasoir d’Occam ! Celui-ci ne concerne que nos cadres conceptuels.

      1. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        @ Cadavre exquis

        « La nature se fiche bien du rasoir d’Occam ! Celui-ci ne concerne que nos cadres conceptuels. »

        Le principe de moindre action de Maupertuis est équivalent au principe fondamental de la dynamique de Newton en matière inanimée. Thom a conjecturé qu’il y avait un principe du même type en matière animée, un principe de minimisation de la complexité topologique. Une règle biologique du rasoir d’Ockham…

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