Billet invité
À l’heure où beaucoup d’analystes rappellent, faute de solutions à proposer, que la Grèce naquit dans la dette et qu’il est fatal qu’elle y périsse, oubliant que le pays dut faire face en 1922 à l’afflux de 1.500.000 réfugiés en provenance d’Asie Mineure (c’est la « Grande Catastrophe » consécutive à la reconquête kémaliste), il serait bon, pour rafraîchir l’analyse, de rétro-pédaler de quelques siècles, d’aller fouiller ces époques obscures qui précèdent l’épiphanie du libre-échange, ce bon vieux Moyen Âge, plus précisément le Moyen Âge byzantin. Qu’avons-nous à faire de Byzance, diront certains, quand les économies nationales ont subi de telles mutations depuis le XVIIIe siècle ?
Les montages financiers actuels, véritables rubicubes pour cervelles échauffées, abaissent au niveau du boulier le capitalisme pré-industriel. Certes, et alors ? Paul Jorion, François Leclerc et d’autres sur ce blog ont montré que bien peu de cervelles, en réalité, comprennent quoi que ce soit à des formules empruntées à l’univers mathématique et appliquées à la diable, et que c’est précisément parce qu’on n’y comprend rien que celles-ci possèdent une aura de scientificité. Les voies du Veau d’Or sont aussi impénétrables que celles de Dieu. Le mystère est souvent le paravent d’un vide intellectuel, spirituel et moral, sinon l’excuse du crime de foi. La complexité ne garantit pas toujours le gain de civilisation. Il fallut mettre en branle à travers toute l’Europe une machinerie ferroviaire très complexe pour réaliser la solution finale, une machinerie si complexe qu’elle empêcha les machinistes d’avoir une pensée pour les foules qu’ils convoyaient vers les abattoirs de la terreur politique industrielle (voir le procès Eichmann). L’entreprise nazie d’extermination de masse était à la fois très technique et complètement irrationnelle, puisqu’elle gênait l’approvisionnement des troupes engagées à l’Est et ralentissait l’acheminement des renforts.
Le capitalisme libre-échangiste est affecté du même vice germinal : la croyance dans l’accroissement indéfini et concomitant des richesses et du bonheur par le moyen de relations commerciales sophistiquées, affranchies de toute contrainte éthique et livrées à l’irrationnel spéculatif. Nous parlons bien de croyance, donc de religion. Cette religion-là est un peu spéciale, car elle se subvertit elle-même. En effet, une religion pose un cadre interprétatif sur le monde. C’est une école de la limitation, de l’inhibition et de la coercition en certains cas. Le capitalisme libre-échangiste s’impose pour seule limite de n’en avoir aucune. Ah, les vertus apaisantes du doux commerce ! Merci Montesquieu. En fait de doux commerce, le français classique ne reconnaissait que celui de l’amitié et de l’amour, commerce non tarifé hors des réseaux de prostitution, commerce véritablement équitable, car plus préoccupé de plaire à l’autre que d’en retirer un avantage. Il est intéressant de noter que notre époque a résolu cette ambivalence sémantique, qui remonte au commercium latin. Allez dire à votre voisin que sa femme est d’un « doux commerce ». Il vous recevra d’une drôle de façon. Exeunt l’amitié et l’amour. Reste le négoce, qui vit et s’accroît des déséquilibres économiques. Le manque est la condition du négoce. Quand le manque manque, il en crée. C’est ici que se loge son immoralité, si d’aucuns la cherchent encore.
Venons-en à Rome, donc, car Constantinople était, au Moyen Âge, la Nouvelle Rome, et les Grecs d’alors se rassemblaient eux-mêmes sous l’étiquette de Romains (Romaioi). La Rome byzantine est dans une large mesure héritière de la Rome latine, pour ce qui est des pratiques économiques et des lois qui les encadrent. Car, ceci est une leçon pour le présent, le commerce (activités bancaires comprises) s’est développé, à Rome, sous le contrôle rapproché de l’État. Cela a-t-il nui aux affaires ? Nullement. Les marges des commerçants étaient à peine rognées. Du reste, ils connaissaient certains expédients pour fausser le jeu de la concurrence et maximiser leurs profits. On a vu ainsi un viticulteur romain de la Narbonnaise débaucher un potier espagnol afin de lui faire faire des amphores au cachet d’un grand cru espagnol et de vendre sa piquette sous ce cachet sur le marché tout proche de Millau (Condatomagus), où les vins hispaniques avaient la cote. Cela ne vous rappelle rien ? L’État lui-même était capable, sous la pression du lobby viticole italien, de faire arracher en Gaule même tous les ceps de vigne pour que seule la production italienne fût écoulée (mesure prise par l’empereur Domitien en 92 apr. J.-C.). Quoi de plus efficace, pour écraser la concurrence, que de la supprimer ? Ce dernier exemple explique pourquoi il a semblé nécessaire aux magistrats romains de légiférer sur les activités commerciales. La rente considérable dégagée par la spéculation sur les prix permettait aux rentiers d’acheter le suffrage populaire et d’élargir leur clientèle. L’équilibre des forces politiques au sein de la Res publica s’en trouvait menacé. Nihil novi sub sole nostro.
Le Romain antique était plutôt conservateur et terrien. Il se défiait des parvenus. Le suffrage populaire lui paraissait devoir aller à un magistrat méritant et modeste, dont Cincinnatus fournit le type, plutôt qu’à un Pompée sorti de rien. Un millionnaire en sesterces pouvait contrôler les sénateurs de tout bord en devenant leur principal créancier. Ainsi du triumvir Crassus, le vainqueur de Spartacus, dont la mort frappa certains contemporains comme étant le juste châtiment d’une ascension suspecte : en 53 av. J.-C., ayant été fait prisonnier par les Parthes peu après le désastre de Carrhae, il fut supplicié, d’après Dion Cassius, d’une façon appropriée à son avidité légendaire (que les agioteurs détournent ici les yeux) : le général parthe Suréna lui aurait fait avaler de l’or fondu (Dion Cassius, Histoire romaine, XL, 27). L’inquiétude face à l’enrichissement exponentiel était une préoccupation ancienne. En 218 av. J.-C., pour mettre un frein à la corruption, le peuple romain avait adopté par plébiscite la lex Claudia. Celle-ci interdisait aux sénateurs, dont la plupart étaient propriétaires terriens, ainsi qu’à leurs fils, de posséder des navires de commerce pouvant embarquer plus de trois cents amphores de produits non issus de leurs propres domaines. Parmi les sénateurs, seul le plébéien Flaminius Nepos avait voté en faveur du texte. La suite de l’histoire montre d’une part que cette mesure n’a bridé en rien le commerce en Méditerranée et d’autre part que la corruption a pu s’exercer par d’autres voies. Toutefois, l’idée était bonne et si le peuple romain avait maintenu sa vigilance, il eût peut-être sauvé la République des démagogues.
Le contrôle par l’État de l’économie se renforça dans la Nouvelle Rome. Constantinople, jusqu’à sa conquête par les croisés franco-vénitiens en 1204, était l’emporium du monde médiéval, le principal entrepôt des produits de luxe et de prestige, d’un excellent rapport, soieries teintes à la pourpre (monopole d’État), pierres précieuses, épices et reliques, dont on faisait grand cas et grand trafic (voir Baudolino, d’Umberto Eco, 2000, 2002 pour l’édition française). Il était normal que ce secteur fût étroitement surveillé et réglementé. Cela se manifestait entre autres par une limitation des marges dans nombre d’activités marchandes, comme l’atteste un codex du XIVe siècle, découvert en 1892 à la bibliothèque de Genève, le Livre du Préfet (Eparchikon biblion). Le Préfet en question, ou Éparque, était le gouverneur de Constantinople. Le Livre du Préfet fut conçu sous le règne de l’empereur Léon VI (886-911). Il s’agit d’une ordonnance sur l’organisation des professions commerciales. On y apprend que la marge bénéficiaire des boulangers était de 4 % (chap. XVIII), celle des marchands de marée de 8,3 % (chap. XVII), celle des épiciers de 16,66 % (chap. XIII). Toutes ces professions étaient hermétiques les unes aux autres et le recrutement de leurs membres passait par plusieurs filtres et cautions draconiens. Inutile de dire que les contrevenants aux règles édictées risquaient gros : exclusion de la corporation, flagellation publique et tonsure, le tout assorti d’une confiscation des biens. Ces dispositions n’ont pas indisposé outre mesure les acteurs économiques grecs. Sans doute n’ont-ils pas pu constituer des fortunes aussi insolentes que celles de leurs homologues latins, l’État se mêlant de tout, y compris de la fixation des salaires des ouvriers. Mais que leur importait, au fond ? L’argent n’est d’aucune utilité au paradis. C’est même un motif sérieux d’exclusion. Jésus est clair là-dessus : pas de place pour les riches au Ciel. Le titre généralement donné à la parabole du riche (Luc, 16, 19-31), « parabole du mauvais riche », est une extrapolation qui ne repose sur rien. Le riche en question, qui vit dans la pourpre et fait ripaille, n’est ni meilleur ni pire qu’un autre. Il est riche et cela suffit à lui assurer une place au chaud dans l’Hadès. On ne peut servir Dieu et l’Argent, est-il écrit ailleurs, dans le même évangile. Un publicain comme Matthieu devait se sentir visé par cette intransigeance. Passons. Les marchands byzantins eurent surtout à pâtir des exemptions de taxes accordées par des empereurs affaiblis aux marchands italiens, qui se trouvèrent avantagés par rapport aux Grecs eux-mêmes, toujours astreints à payer le kommerkion, le droit d’entrée, de sortie et de circulation des marchandises sur le territoire impérial (10 % de la valeur des marchandises). L’aristocratie foncière, à laquelle il était défendu de trafiquer, ce qui ne l’empêchait pas de tirer de substantiels revenus de la location des boutiques et des ateliers, écarta durablement les marchands de la course aux offices et si la porte du Sénat leur fut un temps ouverte par l’empereur Constantin IX Monomaque (1042-1055), elle fut rapidement refermée par Alexis Ier Comnène (1081-1118).
Cela étant, le commerce n’était pas la principale ressource de l’Empire. Sa vraie richesse était agricole (à bien y regarder, l’agriculteur est le plus riche des hommes) : le terroir était fertile et la paysannerie très diversifiée (la très grande exploitation côtoyait la communauté villageoise et les petites et moyennes exploitations). Il n’y avait pas de propriétaires à proprement parler, puisque le sol appartenait à l’État et qu’il en disposait à sa guise, prenant à l’un, donnant à l’autre, fût-il grand ou misérable, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. L’Empire byzantin était le seul état méditerranéen du haut Moyen Âge à avoir un système de recouvrement de l’impôt efficace (parfois trop), car il était le seul à avoir une administration digne de ce nom. Sa monnaie, le nomisma d’or, rebaptisé hyperpère par la suite, chez nous appelé besant (cf. Byzantium), était la monnaie de référence, le dollar de l’époque. Avoir un besant, c’était tenir un peu du rêve de Byzance entre ses doigts. Cette monnaie était indexée sur une prospérité réelle et son aloi demeura à peu près stable jusqu’au XIe siècle. Byzance avait la plupart des caractéristiques d’un état moderne, l’impôt n’étant pas la moins importante. Ce n’était pas une République, mais un Empire. Néanmoins, l’argent, dans un Empire chrétien, n’a pas bonne presse, pour la raison susdite. Il ne l’avait pas davantage à Constantinople qu’à Venise ou à Paris.
Les activités bancaires, dans l’Occident médiéval, sont assez bien connues. Réapparues dans le sillage des croisades, après une éclipse de plusieurs siècles, elles furent longtemps stigmatisées par l’Église, au moins jusqu’à la conversion de François d’Assise, fils de banquiers, au début du XIIIe siècle. Avant cette date, on s’excusait presque d’être banquier et d’ailleurs, on acceptait le risque de banqueroute comme mise à l’épreuve divine. Un banquier – beaucoup de marchands l’étaient à l’occasion – pouvait faire plusieurs fois banqueroute dans sa vie. Se sentant en délicatesse avec Dieu et peut-être plus encore avec les commères du voisinage, il cachait ses livres de comptes. Bien peu nous sont parvenus et ceux dont nous disposons sont parfois incomplets (il manque par endroits la colonne recettes ou l’indication du taux de l’intérêt), non parce que le manuscrit aurait été endommagé, mais parce qu’on éprouvait quelque gêne à pratiquer le prêt. Il valait mieux paraître dépenser son argent que donner à entendre qu’on en recevait pour en avoir prêté.
Que sait-on des activités bancaires dans l’Orient byzantin ? Que leurs principes de fonctionnement différaient peu de ceux qui se mettaient en place en Occident. L’historien byzantin Nicétas Choniatès évoque à la fin du XIIe siècle le cas du richissime banquier-changeur de monnaies Kalomodios (« beau boisseau », « belle mesure » en grec, cela ne s’invente pas) qui avait sa pratique probablement sur le Forum de Constantin, la place du change de la capitale. Ce Kalomodios conjuguait activités bancaires et activités commerciales, n’hésitant pas à financer des expéditions lointaines, lesquelles étaient alors plus hasardeuses que bien de nos entreprises modernes, mais aussi lucratives en cas de succès. Les nombreux perfectionnements apportés au système par les Italiens n’eurent pas grand mal à séduire les banquiers byzantins, qui étaient en contact et en rivalité permanents avec eux. Dans les dernières années de l’Empire, les différences étaient gommées tout à fait et des dynasties bancaires grecques virent le jour (il fallait bien pallier la raréfaction des terres due à la conquête ottomane), qui étaient presque à même de rivaliser avec les Médicis ou les Fugger. En revanche, sur le plan de l’encadrement institutionnel, l’écart est notable. Le Code Justinien (Corpus juris civilis, 527-534), qui est à la fois compilation du droit romain antique et source de la nouvelle législation byzantine, traite des corporations et notamment de celle des argentarii, des banquiers. Il fixe le taux d’intérêt maximal annuel à 8 % (les taux d’intérêt, dans l’Occident médiéval oscillaient en moyenne entre 7 % et 12 %). Une reconnaissance de dette sur papyrus, datée du règne de Justinien et découverte à Aphrodito, en Égypte, montre toutefois que ce taux n’était pas toujours respecté, puisque le prêteur, un certain Flavius Anastasius, n’hésite pas à faire payer aux emprunteurs un intérêt de 8 % sur deux mois de remboursement, ce qui revient à pratiquer un taux annuel abusif de 48 %. Le Code Justinien se méfie, non sans raison, des banquiers et défend à ceux de la province d’occuper des postes, même subalternes, dans les milices locales. Néanmoins, comme on l’a vu pour le taux d’intérêt, ces prescriptions n’étaient pas toujours suivies d’effet. L’exemple de l’influent banquier Petros Barsymès, devenu Préfet du Prétoire sous Justinien, est assez parlant. Le Livre du Préfet de Léon VI désigne les banquiers sous les noms de trapezditai et de katallaktai. Il énumère les obligations du banquier-changeur, celle, par exemple, de ne pas abandonner son comptoir, sous quelque motif que ce soit, celle encore de dénoncer les faux-monnayeurs et les changeurs de monnaie illégaux. Tout manquement grave ou délit commis sciemment est puni de l’amputation d’une main, un châtiment hérité du droit romain antique (Suétone rapporte que l’empereur Galba fit couper les deux mains d’un banquier espagnol malhonnête et les fit clouer sur son comptoir). Les négligences sont sanctionnées sévèrement : flagellation, tonsure et confiscation des biens. Le recueil législatif des Basiliques, contemporain du Livre du Préfet, comporte une scholie qui demande à l’Éparque de veiller en particulier à ce que les banquiers-changeurs (appelés ici arguropratai) fassent leurs affaires « en toute équité ».
La permanence, tout au long de l’histoire juridique romaine, de la surveillance des banquiers est la preuve que le moindre relâchement du politique était exploité par eux pour élargir leur sphère d’influence. L’Empire byzantin s’effondra avant que pût émerger une aristocratie financière aussi ambitieuse que celle des grandes villes italiennes. Nul doute, cependant, qu’elle eût triomphé pareillement, car le politique, ici comme ailleurs, avait fini par s’identifier à l’argent, confondant la polis grecque avec le poli du métal précieux. La virtus, cette modestie héroïque des Anciens, ne pouvait résister très longtemps à l’appel du « toujours plus », du semper ultra. La découverte des Amériques en 1492 allait décupler les convoitises. On notera, pour conclure tout à fait, que le consul Bonaparte, qui savait par cœur des passages entiers du Code Justinien, s’arrangea pour neutraliser le plus possible les activités susceptibles de déstabiliser l’économie nationale, à peine remise des errements du Directoire. Il pensait, bien sûr, aux activités spéculatives. L’interdiction qui pesait sur celles-ci, Paul Jorion l’a rappelé utilement, fut levée en 1885 par un président du Conseil de la IIIe République, un dénommé Jules Ferry.
61 réponses à “C’EST BYZANCE !, par Bertrand Rouziès-Léonardi”
Tout est dit
Et le crime de foi consiste à interdire l’intelligence de l’échange humain par le vide intellectuel, spirituel et moral de la spéculation sur le prix de son propre néant. Tout est dit effectivement sur la plénitude de notre civilisation moderne.
Très joli billet.
MERCI
alcb
Oui, tout ce qui manque aujourd’hui, ce sont des sanctions sévères. Le contrôle du champ politiques par les peuples émancipés est nécessaire. Il faut d’abord investir ce cadre politique mafieux actuel afin de le changer. Comme les tenants ne se laissent jamais faire, je propose pour commencer la grève générale.
Papillon
Patience. On y viendra, et européenne !
En attendant:
La Grèce doit rompre avec la Troïka et suspendre le paiement de la dette
‎Eric Toussaint
«
http://www.cadtm.org/La-Grece-doit-rompre-avec-la
Oh que j’aime ce texte !!!
Parfois l’impression de me relire moi-même (avec plus de détails et d’informations pertinentes).
Ceci étant dit (et sans état d’âme) :
me permettez-vous de citer cette phrase admirable, même si entretemps j’en ai oublié l’auteur initial ?
Je parle ici en tant que matheux adhérent complètement audit énoncé !
Cher Léoned,
Pillez-moi autant que vous le souhaitez. Je ne suis pas un lingot. On peut – j’ose l’espérer – m’assimiler sans peine.
Merci à vous !
Cordialement.
Le même constat peut être fait avec le droit. Les nuances y sont parfois assez ésotériques, suffisamment pour dissuader le non initié. Dans nombre de domaines, l’argot utilisé fait barrière.
Ah ben alors, d’où qu’il le sort, celui-là, le Paul Jorion ?!
Erudit, incisif, pertinent. Majestueux.
Aux origines du commerce et de ses invariants.
J’en reste comme deux ronds de flan, comme dirait le Vigneron… peut-être.
Delphin
Vous savez combien d’argent paye-t-on en moyenne par tête ou famille en Grèce en terme de « supplément » ou « majoration » (bakchich) pour contenter un médecin, fonctionnaire ou autre? Un haut fonctionnaire grec me l’a dit: environ 1.600 euros par an.
Ce mal semble ancien et bie ancré en Grèce, j’ignore s’il remonte à l’époque byzantine. En tout cas cela témoigne que l’état est extrêmenent faible, le « sur-moi » du grec moyen aussi. Mais cela ne sera facile, car la famille, les proches jouent un rôle prépondérant en Grèce, l’état vient loin après, pour certains il est quasiment inexistant.
On le savait avant d’admettre la Grèce dans la zone euro.
Cher Germanicus,
L’État n’existe que parce que ses citoyens croient en lui. L’Empire romain d’Occident ne s’est pas effondré par la faute des invasions barbares, mais parce que ses citoyens ne croyaient plus en sa viabilité. La barbarisation de l’armée et des cadres en était le signe manifeste. S’il se trouve des Grecs pour croire encore en la Grèce, alors le pays est sauvé. Sur la pratique du bakchich à Byzance, j’avoue ma complète ignorance. Les lois commerciales étaient plutôt strictes mais les peines apparemment pas assez dissuasives (!), puisque la corruption était chose ordinaire et d’ailleurs nullement réservée aux seuls marchands. Le relâchement de la surveillance du préfet et la tolérance des citoyens ont sans doute aidé à son développement.
Pour mettre du baume au cœur des Grecs modernes, je ne résiste pas à l’envie de citer un illustre compatriote du XVe siècle, le philosophe Gémiste Pléthon. Constantinople était près d’être conquise par les Turcs et les dernières poches de résistance tombaient les unes après les autres, dans l’indifférence générale. Pléthon, actant la faillite du régime impérial, imagina l’instauration d’un socialisme d’État :
« Je voudrais suggérer que le sol tout entier soit la propriété commune de l’ensemble des habitants, comme il l’est par sa nature, et que personne ne puisse en réclamer une part comme sa propriété privée. Quiconque le désire pourrait semer où il le voudrait, bâtir une maison, labourer autant de terre qu’il le voudrait, étant entendu qu’il conserverait celle-ci à condition de ne pas la négliger […]. Toute la terre serait ainsi cultivée, aucun lot ne resterait en friche, si tous ceux qui le désirent pouvaient labourer où ils le veulent. » Le philosophe va plus loin. Il envisage un impôt unique en nature strictement proportionnel à la production réelle, la constitution d’une armée nationale dont les soldats seraient exemptés de charges publiques, un protectionnisme économique orchestré par un État tout-puissant, mais « recitoyennisé », l’usage parcimonieux de la monnaie, la fin des châtiments inhumains et des mutilations pour les condamnés. Le clergé orthodoxe, pas moins rapace alors que maintenant, a droit à une avoinée : Pléthon témoigne tout son mépris à cette caste qui, « sous le prétexte d’une vie contemplative, prétend jouir d’une grande part des biens communs ». Inutile de préciser que l’ouvrage où ces thèses étaient développées finit sur le bûcher. Le patriarche Gennadios Scholarios lança l’autodafé et ordonna à ses ouailles d’en faire autant avec toutes les copies qui circulaient.
Aux Grecs modernes, je conseille la lecture des Adresses (au despote Théodore Paléologue et à Manuel Paléologue) de Gémiste Pléthon, en faisant le tri du bon grain de l’ivraie, car on y trouve aussi quelques horreurs (de notre point de vue, car, à l’époque, cela ne devait pas choquer outre mesure la morale commune).
Je me permets d’approuver.
Et de remarquer qu’il n’a pas fallu attendre Rousseau et la fin du XVIIIe pour dire certaines choses.
(Et en plus, je n’aime pas Rousseau ! Ce qui n’empêche …)
Bertrand R.-L.
Merci pour ce beau et instructif panorama. Notamment vos propos concernant le clergé se confondent avec ma vision des choses.
Je pense qu’il faut d’urgence trouver un modus vivendi à l’européenne, une antithèse face à la « froideur des salons », pour citer JJ Rousseau, ce qui correspond aujourd’hui au capitalisme far-west du style anglo-saxon où l’argent décide et gouverne tout.
J’ai connu la famille Paléologue à travers certains de ses lointains descendants, certains furent banquiers ..tout ce qu’il me reste c’est de l’empire romain d’orient c’est quelques sceaux et une cuillère en vermeille aux initiales.
Bonjour à tous
Beau billet !
Le premier pas vers le crime contre l’humanité est l’abaissement de l’homme, par les mots, par les actes : chosifié par la société industrielle comme l’a montré Chaplin dans les Temps modernes qui précèdent nécessairement le Dictateur, ou médit en « untermensch » (la loi Mosaïque connaissait bien ce mécanisme puisqu’elle punissait plus fortement la médisance, la calomnie que certains actes, mêmes graves et violents) il devient alors possible de le considérer comme rouage défectueux du système et donc de l’envoyer au recyclage – camp, goulag, laogaï, stalag …..
Dernière nouvelle de Byzance: les créanciers privés de la Grèce – banques insolvables, assureurs, institutionnels ont maintenant, par l’accord adopté mécaniquement par le parlement grec, c’est à dire sans vote, le droit de saisir les réserves d ‘or de la Grèce! ( environ 100 tonnes d’après zero hedge)
Redite de la terrible mise à sac de Byzance par les croisés européens lors des croisades!
Après tout quel malheurs n’ont t’-ils pas mérité ces gens là pour avoir osé inventer la philosophie et la démocratie !
La Chine ancienne aussi avait bien cerné les méfaits potentiels des gens d’argent et reconnaissait la nécessité de les tenir sous un contrôle strict et sévère !
Cordialement.
Cher Steve,
Je pense qu’en cherchant bien, on verrait que les activités bancaires ont souvent suscité une grande méfiance par le passé, quel que soit le régime politique d’ailleurs, et pas nécessairement pour des raisons morales (compétition entre aristocratie et ploutocratie pour le contrôle politique). Je ne crois pas que l’opprobre pesant sur la profession soit moins marqué de nos jours. Toutefois, dans la mesure où nous sommes tenus par le système, dans la mesure également où la puissance publique qui nous représente a renoncé à en contenir effectivement les excès, nous sommes condamnés, à moins de renverser les comptoirs et de traîner les banquiers dans la fange – d’où l’or est extrait, comme chacun sait, belle métaphore -, à proférer de loin nos malédictions. La comparaison entre 1204 et 2012 est audacieuse et très vraie sur un point en particulier : le pillage de 1204 profita essentiellement aux chefs de la croisade (cf. la chronique de Robert de Clari, simple chevalier, bien plus intéressante que celle de Villehardouin), les gens de pied se contentant des rogatons arrachés à des habitants parfois plus misérables qu’eux. Plus exactement, il profita aux Vénitiens (représentés par le doge Dandolo), dont les croisés étaient les débiteurs jusque-là insolvables. En somme, les croisés ont pillé une ville-monde et le profit monstre qu’ils comptaient en retirer était, dès le départ, lourdement obéré par ce qu’ils devaient rembourser aux Vénitiens. En 2011-2012, ce sont aussi les puissants qui se servent en premier et accaparent même l’essentiel du gâteau, mais il n’est pas certain que l’Europe, en première ligne du pillage, bouc émissaire idéal (et d’ailleurs volontaire), en retire pour elle-même un grand profit. Je vous laisse deviner qui sont les Vénitiens actuels.
Cordialement.
BRL
Il y eut aussi une histoire de pouvoir au sein même de l’Eglise entre celle d’occident qui voulut la tête de celle d’orient.
« Je vous laisse deviner qui sont les Vénitiens actuels. »
http://www.jutier.net/contenu/gallaghe.htm
« On pourrait dire que Florence tenait un rôle similaire à celui de New York aujourd’hui, avec Wall Street et ses grandes banques, tandis que Venise, c’était Londres; elle manipulait banquiers, souverains, papes et empereurs au moyen d’un réseau financier très subtil et de sa domination totale du marché de la monnaie et du crédit. »
La métaphore Venise -Londres vs Florence – NY a néanmoins ses limites parce que la puissance militaire était détenue par Venise et non par Florence.
Excellent texte. Se déguste comme un verre de bon vin.
Je me faisais une remarque similaire.
Merci à Bertrand pour cet excellent article.
Le capitalisme affecté d’un vice, écrivez-vous ! Comment serait-ce possible ? J’en connais un qui va mal dormir cette nuit. 😉
_un solidus romain_, _solidus de constantinople_, _un hyperpère_, _florin de venise_ (ici d’arles)
Des agences de notation sur le mode de la participation… Wikirating!
http://www.ictjournal.ch/fr-CH/News/2012/02/23/Wikiranking-le-futur-des-agences-de-notation.aspx
Merci Bertrand Rouziès-Léonardi d’éclairer opportunément nos querelles Byzantines.
Superbe billet. J’en veux encore…
Rafraichissant.
» Le Riche est toujours mauvais, promis à l’enfer »
quelle dureté dans ces temps bibliques !
L’ennui d’un tel texte, c’est qu’il instille que la rigueur de la Loi et la défiance envers la finance sont le fait de régimes non-démocratiques ou aristocratiques et autoritaires.
L’inverse, « finance libérée de toute entrave » égal démocratie, est faux, mais le pas est vite sauté.
Aussi, on gardera à l’esprit que l’abaissement de l’ Etat signifie la liberté d’opprimer les faibles.
Le renouveau passe par un Etat à compétences élargies.
Dès lors qu’une activité à une influence sociale et économique elle peut, ou doit, être réglementée, contrôlée et surveillée.
Le taux du rendement d’un investissement pourrait très bien être limité à un maximum, par exemple. Favoriser les investissements dans l’ Industrie dont les rendements sont notoirement plus faibles n’a rien de scandaleux.
L’objectif raisonnable reste un rétrécissement de l’ activité financière, parasite ou destructrice.
La crise à Athènes montre que la « complexité » de la finance n’est qu’un brouillard
pour camoufler le chemin qui va des fonds public aux poches privées des plus riches.
Pour eux, c’est Byzance. Rien de nouveau sous le Soleil, en effet.
Cher Daniel,
Loin de moi l’idée d’ériger le régime impérial romain en panacée, mais je crois que vous l’aviez compris. Je trouve simplement édifiant que certains régimes autoritaires aient eu à cœur d’exercer un contrôle sur les activités bancaires et commerciales. Si ceux-là l’ont réalisé, quitte à prendre à rebrousse-poil des élites traditionnelles fortement tentées de s’enrichir par ce biais, plus excitant en apparence, que dire de nos démocraties qui, ayant la possibilité de fédérer un fort ressentiment populaire contre les accapareurs de tout acabit, ont laissé le mal prospérer, comme si s’attaquer au négoce revenait à s’attaquer à la démocratie elle-même ? Si l’argent n’a pas de sentiment, n’en ayons pas vis-à-vis de l’argent. Il est assez facile de retourner l’argument de l’amoralité du capitalisme pour l’éjecter hors du cadre démocratique : la démocratie se fonde sur une morale civique partagée, définie par un corpus de lois accepté par tous. L’immoral, dans ce système, est hors la loi, l’amoral est hors sujet. Vive la démocratie, donc, pourvu qu’elle se connaisse elle-même !
Cordialement.
« que dire de nos démocraties qui, ayant la possibilité de fédérer un fort ressentiment populaire contre les accapareurs de tout acabit, ont laissé le mal prospérer, comme si s’attaquer au négoce revenait à s’attaquer à la démocratie elle-même ? »
Ben oui, vu que ce sont des ploutocraties et non des démocraties (sauf de nom). Et donc oui, s’attaquer aux capitalistes, c’est s’attaquer à ce que l’on appelle sous nos contrées « démocratie ».
Je suppose qu’un soviétique d’autrefois voyait aussi dans les attaques contre le régime bolchévique une grave atteinte à la « démocratie » (RDA = Deutsche Demokratische Republik).
Nous sommes bien d’accord.
Et vous le dites bien mieux.
Excellent !!
Excellent billet.
Hier justement je regardai sur wikipédia l’origine et le destin du mot finance.
Curieusement, le terme a désigné un domaine d’étude, « une science », que depuis une période très récente. Comme le souligne votre billet, si la complexité, le danger social qu’elle implique, ont été réprouvés et réprimés pendant des siècles c’est qu’il y avait de bonnes raisons à cela.
Triste époque que la nôtre où l’enseignement et la pratique de la finance sont les voies incontournables de la réussite sociale, où son a-moralité érigée en principe justifie et conduit aux agissements les plus immoraux. Notre société assise sur cette base amorale ne pouvait aller que droit dans le mur.
« On date généralement le début de la finance moderne, en tant que domaine d’étude et de recherche à 1958. C’est à partir de cette époque que cette discipline est devenue une sous-discipline de l’économie, en lui empruntant ses raisonnements formalisés et ses mécanismes d’optimisation. Auparavant, la gestion financière consistait essentiellement en un recueil de pratiques…. » wikipédia
Merci encore Olivier.
Quel beau travail pour préparer le soulèvement de l’Europe.
Nous sommes tous grecs!
Silence: la Grèce se meurt
http://www.les-crises.fr/silence-la-grece-se-meurt/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+les-crises-fr+%28Les-Crises.fr%29
Mais puisqu’on vous dit que la PAC c’est fait pour sauver le petit paysan
La « Grande Catastrophe » dont vous parlez, ma belle famille l’a vécue dans sa chair. Mais la diaspora grecque en avait vu d’autres, et en verra d’autres.
Jules Ferry ? Quelle nouvelle !
Avait -il fait un voyage à Londres aussi pour faire allégeance à la City ?
Remarquable travail que ce texte de Bertrand Rouziès-Léonardi – Merci.
Il faut venir sur ce blog pour lire des choses aussi profondes. Permettez, monsieur, qu’on vous salue très bas. Paul Jorion et François Leclerc nous ont depuis longtemps familiarisés avec l’excellence mais là on a le souffle coupé.
Votre texte, prodigieusement exhaustif et documenté, s’éloigne agréablement de la pompeuse vulgate politico-économique dont nous abreuvent les médias! C’est un régal pour l’esprit!
Je suis impressionné. Les qualificatifs les flatteurs vous échoient de droit.
Merci!
Cher René,
Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, mais l’université française qui forme des chercheurs et les lâche dans la nature parce qu’elle n’a pas de postes à leur proposer. Ces sauvageons se vengent en débagoulant gratuitement tout ce qu’ils savent et tout ce qu’ils ont le temps de découvrir dans les disciplines limitrophes, libérés qu’ils sont du souci de courtiser tel ou tel cador pour parvenir (à quoi ? on se le demande). Ici, au moins, la pensée est de soufre et se frotte sur le grattoir comme une allumette. On la juge à son piquant et pas à son éclat. On m’excusera volontiers de n’être ni économiste ni historien, et on me pardonnera d’être autre chose. L’essentiel est d’avancer ensemble, sur les bancs de l’université ou ailleurs. Au vrai, il faut surtout louer le redoutable effet d’entraînement de ce blog sur les intelligences, entraînement qui peut aller jusqu’au vertige, vertige qui peut aller jusqu’à la paralysie, tant il y a à prendre à droite et à gauche. De là à mourir d’indécision, comme l’âne de Buridan…
Cordialement.
Cher Bertrand,
Vous me mettez à la torture tant j’ai envie d’abonder dans votre sens, notamment en ce qui concerne l’effroyable gaspillage de talents que commettent nos élites en galvaudant des ressources vitales pour la nation, l’esprit et la créativité.
Quand à m’estimer en position de vous excuser de quoi que ce soit, c’est à dire ni plus ni moins de vous juger, il faudrait que je dispose pour cela d’au moins une partie appréciable de votre talent.
J’ai observé comme vous l’effet tonifiant de ce blog sur les esprits. Je reste optimiste sur sa capacité à serrer de près le réel tout en gardant sa mobilité par rapport à un environnement devenu méta stable. J’y vois un effet de l’esprit démocratique qui souffle en ce lieu.
Très cordialement…et très respectueusement
@Bertrand R.-L.
Tel un (3+1)-ième évangéliste, vous êtes tout droit sorti d’un polar de Fred Vargas, avouez!
: )
(et votre « vrai » prénom est donc … Jean!)
Grand merci pour ce magnifique article.
En fait en Europe occidentale byzantin est toujours mal compris et finalement assez dénigré. La Grèce c’est aussi ce Moyen-Âge riche et passionnant sur près de mille ans.
Quand jeune j’avais découvert ce pays et en étais tombé amoureux (j’avais appris le grec ancien au lycée : une merveilleuse matière car totalement inutile ) je me souviens de mon émotion devant le mot ROMIOSSINI. Il signifie grécité car les Grecs se désignaient eux-mêmes comme des Romains et cette incroyable continuité historique au de là de l’oppression ottomane explique la force de ce peuple qui est exaltée par Ritsos et Theodorakis – dans ce grand poème « Romiossini » de Ritsos mis en musique par Theodorakis… à découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas encore !
Cher Tolosolainen,
La « romanitude » présentait un tel attrait au Moyen Âge, en dépit de l’effondrement de l’Empire byzantin, que les Ottomans eux-mêmes, issus d’une petite tribu turque établie un peu à l’Est de la Troade (tout un symbole) n’eurent pas l’impression, après la prise de Constantinople en 1453 et de Trébizonde en 1461, d’entrer dans l’histoire comme fossoyeurs de Rome, bien au contraire. Mehmet II se voyait comme le successeur des basileis et, de fait, l’Empire ottoman étendit ses possessions au sud et à l’ouest sur l’ancienne aire de l’Empire romain d’Orient à son apogée. Bien sûr, par la suite, le menu peuple grec (la majorité), sous occupation turque, put craindre de voir cet héritage péricliter. Beaucoup de grandes familles byzantines, cependant, se rallièrent aux Ottomans, plutôt accommodants, et s’emparèrent des postes-clés dans la nouvelle administration impériale. L’intérêt, peut-être plus encore que le sentiment patriotique, leur commanda de composer avec l’ennemi d’hier. Nous savons que ce n’est pas à ce niveau-là que la « grécité » s’est maintenue dans toute sa fraîcheur et dans toute sa franchise (je ne dis pas pureté, car le brassage des peuples est une réalité tangible en Grèce même), mais dans le menu peuple, précisément, aidé dans cette tâche par l’Église orthodoxe, qui n’a pas tous les torts. Les démocrates médiatiques seraient bien avisés de faire davantage confiance au demos (pas au Papademos) s’ils veulent rénover la démocratie et rasseoir sur des bases saines la chose publique.
Cordialement.
Merci pour cette mise en perspective, instructive et limpide.
Il est bien temps que l’on reprenne la main sur notre argent que la clique bancaire s’accapare.
Des grèves, des manifestations, des assemblées citoyennes des blogs pour que tout le monde comprennent la gravité du moment…
encore, encore ! quelle merveille ! les temps longs de l’Histoire, voilà ce dont nous avons terriblement besoin …
merci !
À proprement parler, à la lettre donc, l’État peut être, en qualité de personne morale de droit public, le propriétaire des sols. J’ignore si le code de Justinien donc si Byzance possédait une notion voisine de « personne morale » plus tardive dans son invention, mais ce devait être le cas. Avez-vous un savoir là dessus ? Et merci pour l’excursion.
Cher Rosebud,
La « personne morale » apparaît tardivement dans sa formulation moderne de fiction juridique, mais elle fermentait déjà dans la Rome antique. Rappelons simplement que personna , en latin, désignait le masque de théâtre. Un masque de théâtre n’est pas l’outil d’une imposture. Il est véridique au sens où il permet d’incarner un type (le soldat fanfaron, le vieillard lubrique, le jeune premier, etc.) bien codifié et identifiable immédiatement en contexte théâtral. La notion classique de vraisemblance éclaire cet aspect des choses : une fiction n’est pas vraie, mais vraisemblable. L’auteur, déguisé en narrateur, les personnes, déguisées en personnages, construisent par un jeu de masques une réalité parallèle (image réfléchie dans un miroir) à la réalité, véridique dans l’instant de la performance théâtrale ou de l’acte de lecture. La personne morale est le masque d’un collectif de personnes qui est véridique dans l’instant du contrat. C’est une fiction vraie dans laquelle les deux termes sont d’égale importance. Les juristes romains, dont le Code Justinien recueille la tradition, étaient des praticiens et pas des théoriciens. On peut dire qu’ils firent peu à peu place à une réalité de plus en plus prégnante : pour que les droits individuels au sein d’une même entité – et il y avait beaucoup d’entités à Rome, associations de marchands, troupes de musiciens, collèges de prêtres, équipes de gladiateurs, etc. – ne se contrarient pas les uns les autres, ils inventèrent le concept d’universitas. L’universitas a une existence juridique bien à elle, distincte de celle de ses membres (voir Ulpien, juriste le plus cité dans le Code). C’est évidemment en s’appuyant sur ce concept d’universitas que l’Église va reconnaître au Moyen Âge le syndicat des professeurs comme personnalité morale autonome (bulle Parens scientarum Universitas du 13 avril 1231). Mais revenons à l’Antiquité. Les grandes villes antiques, surtout celles qui venaient d’être conquises par Rome et que leur prestige ancien autorisait à conserver une certaine autonomie, entrèrent progressivement dans le droit privé et finirent, au début de l’ère chrétienne, par occuper la même place qu’un particulier : droit d’ester en justice, de passer des contrats, de posséder un patrimoine. Une novelle du Code Justinien s’intéresse au mécanisme de la dedicatio, qui veut qu’un moine, à son entrée au monastère, lègue à l’institution tous ses biens et ceux dont il pourra hériter. Pour que ce legs soit reconnu, il faut que l’intérêt collectif du monastère soit mis en avant. Pour répondre à votre question, le Code Justinien, à ma connaissance, n’a pas systématisé la fiction de la personne morale, mais il a préparé son avènement.
Cordialement.
@Bertrand Rouziès-Léonardi 24 février 2012 à 10:30
La première partie de votre réponse m’indique que le Léviathan vous guide.
La seconde aussi, là où votre parlez d’entités, et d’autres de corporations ou d’ensembles à n unités voire à une seule classe d’élément.
La troisième partie m’intrigue, notamment l’universitas romaine où vous inférez via sa reprise au moyen âge une source de la personne morale contemporaine. L’intrigue vient aussi de votre remarque « L’universitas a une existence juridique bien à elle, distincte de celle de ses membres ». Non latiniste, j’entends bien le Gaffiot et son ensemble du genre humain, ou avec rerum des choses, mais alors que peut-il en être d’une existence juridique distincte de celle des éléments de l’ensemble ?
Vous serez sans doute d’accord pour confirmer que l’universel du genre, n’avait rien à voir avec le saut qualitatif de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui n’est pas la Déclaration des droits universels de l’homme, encore moins la Déclaration des droits de l’homme universel.
L’intérêt collectif d’un monastère rentre dans la catégorie de l’intérêt corporatif mais votre précision m’amène à préciser aussi les dessous de ma question initiale. À imaginer que cesse l’hubris de la propriété privée, au moins des moyens de productions et d’une échelle à préciser, se pose alors la question du statut juridique. C’est votre « à proprement parler » qui me montrait votre embarras qui a motivé mon intervention. Car le « toutétanou » des manifs où s’entend le « tout est à nous » comme le « tout État nous » se heurte au manque d’imagination du Leviathan qui fabrique une personne et un État et un lien fondateur entre eux nommé représentation dans un dispositif de fiction comme vous l’écrivez où une propriété non privée ne peut qu’être publique, voire bâtarde. La res communis ne me semble pas répondre au problème. Et si elle est publique on tombe alors sous les critiques du fameux capitalisme d’État. C’était mon souhait de vous entendre en dire plus sur ce « à proprement parler » version Byzance ou Rome.
Cordialement
@Rosebud1871,
Notre droit moderne étant en grande partie enté sur le droit romain (redécouvert justement au Moyen Âge), il ne faut pas lui demander d’avoir de l’imagination au-delà de ce que le pragmatisme peut suggérer à des juristes qui accompagnent, le nez dans le guidon, des phénomènes sociaux en constante redéfinition. L’État Léviathan a surtout pour objectif de ne pas se laisser dépasser. Il ne fait pas confiance à l’homme pour tenir toutes les promesses d’une métamorphose raisonnée. Si des singuli se regroupent sous une bannière commune, il partira du principe que ce regroupement peut se muer en parti factieux hostile à l’ordre établi et que, l’homme étant ce qu’il est, savoir un loup pour lui-même et ses semblables, il peut aussi bien se fractionner à l’infini, se « fractaliser » en groupuscules rivaux qui s’anathématiseront et se disputeront la caisse. Le droit, qui a pour principale préoccupation d’encadrer et de circonscrire les conflits de bornage (dans tout domaine), est, par définition, un outil de contrôle. Il n’ira au fond des choses que sous la poussée des baïonnettes ou de l’obsolescence, à son corps défendant. S’il évolue, c’est pas à pas, et la notion d’universitas est déjà en soi, replacée dans son contexte, un saut qualitatif considérable (l’histoire de l’université médiévale en apporte la preuve, qui est celle d’une résistance acharnée à la double oppression politique et religieuse). L’historique de l’usus et de l’abusus montre, du reste, qu’il peut y avoir des avancées ici et des reculs là. Maintenant, j’en conviens avec vous, qu’elle soit individuelle ou collective, la propriété n’en reste pas moins l’expression d’un coup de force sur les êtres et les choses, dont le meurtre d’Abel (« la buée », en hébreu) par Caïn (« je possède », en hébreu) instaure le règne, dans la chronique biblique. Et même en concédant que nous n’aurions que l’usufruit de la nature (l’Hébreu, c’est l’homme de passage, nous dit l’étymologie, et la Terre Promise peut lui être enlevée à tout instant), nous continuerions d’employer un vocabulaire juridique. Ainsi, Dieu ou la Nature serait le véritable propriétaire ? Mais l’infini se possède-t-il lui-même ? L’infini s’en moque, bien sûr, puisque posséder, c’est borner et se borner. Il est permis de rêver à et même de vivre d’autres formes de sociabilités, mais le droit n’y apportera pas naturellement sa caution, si tant est qu’il l’apporte jamais. Ne demandez pas au droit de ménager une place à la courbe, il la redresserait. N’oubliez pas que le droit est fils du ciel. Jupiter est son père (juris pater). Le tribunal est son temple et le glaive son sceptre. La révérence est de mise. Cette symbolique écrasante, hélas, n’a jamais perdu de sa vigueur, sous quelque régime que ce soit. Si vous voulez sortir de la polarisation public/privé, il faut, me semble-t-il, redéfinir le droit lui-même. Avis aux jurisconsultes !
Cordialement et merci pour ce rebond.
Merci pour ce billet .
Votre analyse semble rejoindre la thèse de ce que les civilisations /empires se forment par la ruralité-guerriere et s ‘effondrent par l’ urbanité économique .
La dévaluation des qualités et structures dynamiques « ouvertes » (sur un espace illimité) par les héritiers gestionnaires qui ne peuvent revendiquer la meme morale pour conserver pouvoir et prérogatives .
Cher Kercoz,
Jacques Heers, dans Le Moyen Âge, une imposture (Perrin, 1992), a écrit de très belles pages sur la prétendue arriération des campagnes et le prétendu dynamisme des villes (c’est dans les villes du sud de la France que le droit romain, patriarcal et conservateur, fut redécouvert). Le cas byzantin est un peu particulier, car, tant qu’il y avait assez de terres pour tout le monde, les grandes cités de l’Empire et leurs hinterlands respectifs formaient un tout presque harmonieux. J’exclus de l’analyse Constantinople qui, avec ses 500000 habitants au début du XIIIe siècle, dépendait, notamment pour l’approvisionnement en blé, de fournisseurs plus lointains. Les conquêtes musulmanes et le démembrement de l’Empire par les croisés ont mis à mal ce lien d’interdépendance villes-campagnes et condamné l’aristocratie terrienne à se rabattre sur les activités marchandes, qu’elle tenait jusque-là pour viles (du moins en apparence). En somme, si les Ottomans n’avaient pas conquis Constantinople, capitale dépeuplée d’un Empire réduit à quelques villes et territoires minuscules (despotat de Morée autour de Mistra, dans le Péloponnèse, vallées côtières autour de Trébizonde, sur les bords de la Mer Noire), peut-être toute l’activité économique byzantine se serait-elle réorientée vers le commerce, comme dans la cité-état de Venise, dans les premiers siècles de son expansion. L’ironie de l’affaire est que, dans le temps même où Constantinople, cernée de toutes parts, ses campagnes ruinées ou occupées, commençait à ressembler à une petite Venise en gestation, Venise se donnait une respiration territoriale afin de moins dépendre de la production agricole de ses voisins, ravissant au passage à l’Empire des régions fertiles comme la Crète ou l’ouest de la Morée. Nos villes, en s’accroissant, ont appris à se passer des campagnes alentour et, la production nationale ne suffisant plus, à vampiriser les productions exotiques. Dans la rubrique « Utopie réaliste » de ce blog, j’évoque un autre schéma de développement, un partenariat ville-campagne dont le Moyen Âge nous a légué la formule : la bastide. Peut-être cela vous intéressera-t-il ?
Cordialement.
Merci de votre réponse . Une émission de f. cult. sur une civilisation indienne des mésa … qui a durée bien plus longtemps que ne pourra durer la notre s’interrogeait aussi sur le mystère de son effondrement et avançait ce « basculement » vers un mépris du système agraire- colonisateur initial .
Il est peut ètre un peu rapide d’incriminer une bourgeoisie héréditaire , certe réelle, comme cause de l’effondrement ……..Il y a aussi , me semble t il un problème de taille « limite » . La th. du Chaos , montre que les systèmes vivants adoptent tous , a l’encontre de la taille de leur territoire une procédure de scissiparité …qui n’étant pas , chez « sapiens » réalisée , serait la cause systémique de l’effondrement des civilisations(ds le sens d’empire) .
Pour les « bastides » j’habite une région (sud -Ouest) ou on constate les différents aboutissements de ces tentatives : des réussites , des « status-quo » et des échecs ( les « ville neuves » du médoc qui n’ont pas survécu ) … Mais il me semble que , pour revenir au modèle « chaos » et ses collatéraux « stabilité/attracteur » et fractal , F. Braudel a bien décrit le modèle (villages +bourg) x (n) +ville …etc ..
Personnellement je persigne a croire que la « Vie » ne peut réellement naitre que de ces antagonismes , de l’ ALTERITE , et que celle ci ne s’use que qd on s’en sert ..trop.
C’est un problème d’entropie …seul le modèle morcelé originel permet d ‘ utiliser l’ altérité (en tant que source de vie-énergie) sans l’ épuiser .
Très intéressant.
Byzance c’est un peu l’Atlantide dans la culture populaire (auquel je ne me distingue dans le cas présent), elle ne porte pas spécialement la mythologie qui nous reste par bride (les serpents de Mercure à nos pharmacie, etc..), ni cinématographique (péplums basé sur Rome, ou le retour de croisades), elles ne nous observent pas sur des milliers d’années, Napoléon en faisant la campagne.
C’est la porte de l’Orient, mais l’exotisme préfère les lointains Mayas ou Tibétains.
C’est dommage, en écologie, les milieux les plus riches sont à la croisée de deux écosystèmes différents (les lisières de forêts sont l’exemple type).
N’empêche, ça en ferait des greffes de mains 🙂
Pour la richesse des agriculteurs, l’utopie est plutôt celle-ci:
http://www.youtube.com/watch?v=GWlLNpJE1zI
Mais, il manque cette richesse au agriculteur, l’humour (et c’est vrai que j’ai à peine sourit la première fois):
http://www.kaamelott.info/livre-3/50-la-revolte-ii.html
(bon y a de la pub avant)
Très intéressant Bravo pour l’historique et le travail.
Olivier
C’est Bysance votre texte!
Je viens de le lire tardivement.
J’ai sous les yeux, par delà ma fenêtre, un château du XII où passa Pierre de Courtenay, empereur de Constantinople. Pour moi donc, le Moyen-Age ne peut donc pas se faire oublier. Impossible.
Merci à vous pour ce survol précis et documenté sur un temps si long et un sujet si court (apparemment).
De ma fenêtre.
Faux. La moitié seulement devait être et fut arrachée. Et, en plus de limiter la concurrence pour les vins italiques, il s’agissait aussi de conserver en Gaule une part suffisante des terres réservée aux céréales. La première campagne de restructuration du vignoble européen quoi…
Merci aux romains pour avoir amené le vin puis la vigne dans ce pays de buveurs de bière et merci aux négociants anglais, hollandais, juifs pour avoir « inventé » et vendu les Bordeaux et tant d’autres vins around the world.
Cicéron en 70 avant J.C – avant Jules César aussi :
«La Gaule est rempie de commerçants romains. Pas un gaulois ne traite d’affaire sans passer par un citoyen romain. Pas une pièce d’argent ne se déplace en Gaule sans être portée sur les livres de citoyens romains.»
La zone euro-denier quoi…
Faux.
La culture de la vigne a été introduite en Gaule par les Grecs de Phocée tandis que le vin a été introduit par les marchands venus des cités étrusques à la fin du septième siècle avant notre ère. Max Rives, chargé de mission à l’INRA, l’a vérifié sur place à Massalia, le premier comptoir phocéen édifié six siècle avant notre ère
C’est lors de la création de Massalia (Marseille) aux environs de -600, que les Phocéens implantent la vigne dans la Gaule celtique. Ce qui a été confirmé par la découverte des premiers vignobles hellénistiques à Saint-Jean de Garguier, dans les Bouches-du-Rhône
Les Gallo-romains, pas les anglais, en développant la culture viticole, améliorent les procédés de vinification par la technique du vieillissement en fûts de chêne.
À la fin de sa vie Domitien fait plaquer les parois de son palais de miroirs lui permettant de voir tout ce qui se passe autour et derrière lui pour parer à un éventuel attentat.
à ce sujet Vigneron, vous suivez çà? : http://www.viti-net.com/actualite/international/article/page-speciale-reforme-ocm-vin-12-40910.html
« Info Aquitaine – VITICULTURE suppression des droits de plantation : Cet outil de maîtrise de la production disparaîtra fin 2015. Les producteurs du Bergeracois y sont opposés.
Plus de plantations, plus de production au détriment de la qualité et du respect du terroir, c’est ce que craignent les viticulteurs. A partir de 2016, l’Union européenne prévoit de supprimer les droits de plantation, au travers de l’Organisation Commune du Marché du vin (Règlement (CE) N°479/2008 – page 31 pour les droits de plantation, ndlr). » http://aquitaine.france3.fr/info/non-a-la-suppression-des-droits-de-plantation-68896897.html
« Droits de plantation Les élus de la vigne se mobilisent contre leur libéralisation
L’Association nationale des élus de la vigne (Anev) invite tous les élus à signer une déclaration en faveur du maintien des droits de plantation. Elle était l’invitée du salon des Vignerons indépendants, acquis à cette cause, car la disparition des droits menace toute la filière vin et principalement les AOC. » http://www.lavigne-mag.fr/actualites/droits-de-plantation-les-elus-de-la-vigne-se-mobilisent-contre-leur-liberalisation-50587.html le sénateur Trillard http://andre-trillard.over-blog.com/article-contre-la-suppression-des-droits-de-plantation-98735374.html
« Après l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Hongrie, l’Autriche, la Roumanie, le Luxembourg, Chypre, la République Tchèque, la République Slovaque, la Grèce, voici que la Slovénie s’est prononcé officiellement contre la suppression du système des « droits de plantation » au sein de l’Union Européenne en 2016. » http://www.yves-damecourt.com/blog/index.php?post/2012/02/11/Contre-la-suppression-des-droits-de-plantation-%3A-la-Slov%C3%A9nie-rejoint-le-mouvement-!
Tu m’étonnes… la grande Ligue interprofessionnelle et interrégionale de défense des intérêts bien compris des corporatismes, lobbys monopolistiques et propriétaires fonciers… de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, un seul mot d’ordre : pas touche au gâteau !
Si tu savais comme il les régulent les surfaces plantées nos représentants viticoles, en famille, bien au chaud…
Et nb : ça ne touche en rien les zones autorisées en IGP ou AOC, toujours régies par l’INAO et les syndicats viticoles (ODG) via les décrets.
Ce monde là est intouchable. Do not disturb…
Cher Vigneron,
Pour être moins abrupt que vous, je dirai que nous péchons tous deux par imprécision. Il faut revenir aux sources. J’ai trop fait confiance, pour ma part, à une source de énième main (un archéologue, en l’occurrence), qui omettait d’entrer dans le détail, et je prie les internautes de m’en excuser. Mea culpa, donc. Ne jamais lâcher les sources d’une semelle. L’article Wikipédia sur la vigne qui mentionne l’édit de Domitien est incomplet. Voici ce que dit Suétone (Vies des douze Césars, Domitien, 7) : « Dans une année où le vin fut d’une extrême abondance, tandis qu’il y avait disette de pain, persuadé que la passion des vignes faisait négliger les champs, il défendit d’en planter de nouvelles en Italie, et ordonna qu’on ne laissât subsister dans les provinces que la moitié au plus des anciens plants. Cet édit n’eut pas de suite. » L’édit en question est évoqué par Stace dans Sylves, IV, 3, 11, par Eusèbe dans sa Chronologie, année 2108, et dans la Chronique pascale (I, à l’année 90). En fait, en Gaule même, l’édit n’eut pas d’effet puisque, au-delà des Alpes, il était déjà interdit de planter des vignes (ce qui n’interdisait pas de cultiver les vignes existantes). Je vous renvoie, si vous lisez l’allemand, à Marquardt, Das Privatleben der Römen, 2e édition, p. 446. De fait, avant même l’édit de Domitien, le lobby viticole italien avait pris l’ascendant sur la concurrence. Domitien n’a pas agi, comme je l’ai un peu vite affirmé, pour complaire à ce lobby, mais pour remédier à une pénurie frumentaire (d’après Suétone). Toutefois, si cet édit avait été appliqué dans la proportion indiquée, nul doute qu’il eût favorisé les producteurs italiens, puisque l’Italie en avait fait sa spécialité. Suétone laisse entendre ailleurs que l’empereur renonça à appliquer l’édit par superstition (Domitien, 14). Il est plus probable que les récriminations des principales provinces concernées (les provinces asiatiques) l’y auront contraint. Ces précisions apportées, il n’en demeure pas moins que l’Antiquité connaissait la distorsion de concurrence à grande échelle.
Cordialement.
Patrick Maguer de l’INRAP l’archéologue ?
D’après lui en tous cas la croissance du vignoble gaulois avait pris de sacrées proportions au long du premier siècle après J.C, parallèlement avec l’augmentation des arrivages de vins provenant des nouveaux vignobles de la péninsule ibérique et de Méditerranée orientale. Et un blocage des plantations ce n’est pas tout à fait la même chose qu’un arrachage…
Au fait, on appelle pas ça « distorsion de concurrence » mais « organisation de marché ». 😉