Billet invité
Au marathon des négociations qui se poursuivaient depuis des semaines à propos de la restructuration de la dette grecque a succédé un sérieux bras de fer. Après avoir faussement “suspendu” les discussions la semaine précédente, Charles Dallara – le négociateur en chef côté créanciers – a pris samedi l’avion depuis Athènes pour venir négocier à Paris auprès d’interlocuteurs non identifiés. Arguant qu’il était arrivé au bout des concessions et en était à “la proposition maximale qui peut se faire dans le cadre d’un plan d’échange dit volontaire”. Un chantage au défaut sur la dette grecque, pour le dire directement.
Si cette position intransigeante devait être maintenue, il ne resterait plus aux dirigeants européens et au FMI qu’à soit mettre davantage au pot, soit exiger de nouvelles coupes et réformes du gouvernement grec pour compenser la partie des 100 milliards d’euros de diminution de la dette grecque que les banques n’effaceront pas. Toutes les parties au sein de la négociation évitent cependant soigneusement de formuler aussi clairement l’enjeu.
Un ballet de rendez-vous et de réunions s’en est donc suivi. En premier lieu à Berlin, où tout le monde se presse désormais. Angela Merkel a successivement reçu Christine Lagarde, José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy, en ouverture de la première réunion de l’année des ministres des finances de la zone euro, ce lundi en fin d’après-midi. Elio di Rupo, le premier ministre belge, s’est entretenu aujourd’hui avec la responsable allemande et Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, devrait suivre dans 3 jours… Il reste une semaine avant la tenue du prochain sommet européen censé boucler le dossier grec, afin que l’échéance du 20 mars puisse être passée.
Le contexte dans lequel vont se poursuivre les négociations est lui-même en train d’évoluer. Petit à petit, un front anti-Merkel se renforce, avec pour principal objectif d’obtenir – à l’occasion d’un sommet prévu en mars prochain – un renforcement des “pare-feux” financiers. En espérant que cela aura un effet dissuasif sur les marchés ou en craignant qu’il soit nécessaire de les actionner, justifiant qu’ils soient correctement dimensionnés.
Christine Lagarde a prononcé ce lundi matin à Berlin un discours dans lequel elle a estimé nécessaire la création “d’obligations conjointes” (pour ne pas dire euro-obligations) et le renforcement “substantiel” des ressources permettant des prêts aux pays en difficultés. À cet égard, elle a manifesté la crainte que l’Italie et l’Espagne n’entrent dans une “crise de solvabilité”, si ces deux pays ne sont pas soutenus financièrement.
Avec des nuances secondaires, Mario Draghi et Mario Monti se sont clairement exprimés à ce même propos ; les Espagnols, les Français et les Portugais étant globalement sur la même ligne. Certains préconisent d’accroitre la taille du FESF (fonds européen de stabilité financière), en la doublant pour arriver à 1.000 milliards d’euros, d’autres d’additionner les forces de frappe financières du FESF et du futur MES, d’autres encore d’accroître celle du MES (mécanisme européen de stabilité) à sa création, qui sera au départ doté, dans l’état cruel des choses, de 80 milliards d’euros et d’une capacité d’emprunt de 500 milliards d’euros. Chacun vient avec ses petits soucis et ses gros remèdes.
La BCE voudrait pouvoir stopper ses achats obligataires sur le marché secondaire et qu’un relais solide soit trouvé ; les Italiens savent combien il va être périlleux d’assurer la poursuite du refinancement de leur dette et voudraient avec les Espagnols disposer d’un filet de sécurité, en espérant que sa simple existence fera baisser les taux du marché.
Angela Merkel maintient pour l’instant sa ferme opposition à ce que soit dépassé un montant maximum de 500 milliards d’euros d’engagements européens, ce qui serait notoirement insuffisant s’il fallait décider d’aider, comme ils le souhaitent, les Italiens et les Espagnols à sortir du piège dans lequel ils se trouvent déjà en se finançant vaille que vaille aux taux actuels du marché.
Les Italiens vont devoir refinancer 90 milliards d’euros de dette d’ici avril prochain. Comme l’Espagne, l’Italie semble finalement avoir bénéficié pour ses premières émissions de l’année des achats de ses banques nationales, qui ont été de loin les plus grandes bénéficiaires de la facilité de prêt à trois ans de la banque centrale européenne (116 milliards d’euros ont été prêtés aux banques italiennes, soit près de 25 % du total). Ce mécanisme peut-il continuer à fonctionner ainsi, reposant exclusivement sur des investisseurs italiens qui posséderaient désormais 60 % de la dette du pays ? Ceux-ci privilégiant l’achat de la dette à court terme, que va-t-il en être pour les émissions à longue maturité, dont les taux ont très peu baissé ? La tentation est grande, du côté du Trésor italien, de minorer ces émissions pour privilégier celles de titres à maturité courte. Mais Standard&Poor’s a déjà signifié que cela diminuerait la qualité de la signature italienne… Un vrai dilemme !
José Manuel Garcia-Margallo, le ministre espagnol des affaires étrangères, a de son côté annoncé la couleur en réclamant de plus amples efforts de l’Union européenne en faveur de la croissance, afin de ne pas uniquement se concentrer sur les mesures d’austérité. Il a évoqué l’intervention de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et les crédits non utilisés du budget de la Commission européenne, en faisant référence au Plan Marshall américain du lendemain de la seconde guerre mondiale. La Banque d’Espagne vient d’annoncer un retour à la récession avec des prévisions de réduction de 1,5 % du PIB en 2012, s’attendant à une “contraction significative” de la consommation en raison de l’impact des mesures d’austérité et du niveau de l’emploi. Le taux de chômage officiel est de 21,5 %, ce qui représente 5,4 millions de chômeurs. Cristóbal Montoro, le ministre du budget préconise de son côté de revoir l’objectif de réduction de la dette. Fixé pour 2012 à 4,4 % du PIB, il est fondé sur des prévisions de croissance totalement dépassées.
Les problèmes rencontrés par l’Italie et l’Espagne résument bien l’impasse de la stratégie imposée par le gouvernement allemand et la BCE.
La tenue ce lundi matin du Conseil économique et financier franco-allemand, sans que soit publié un communiqué final, a donné lieu à un étrange épisode. Le Financial Times avait fait état d’une demande d’assouplissement de Bâle III dans les tuyaux, qui a été démentie en conférence de presse par Wolfgang Schäuble devant un François Baroin peu locace sur le sujet. Selon le quotidien, qui n’était pas avare de détails, la publication des ratios d’endettement des banques pourrait être repoussée de 2015 à 2018, afin d’éviter les effets négatifs sur la croissance – c’est à dire la diminution du crédit, pour être clair – ainsi qu’un traitement spécial en faveur des banques détentrices de compagnies d’assurance (c’est notamment le cas de la Société Générale et du Crédit Agricole en France).
Ce qui est certain, même si les débats à ce sujet ne sont d’évidence pas destinés à être tenus en public, c’est que les dirigeants européens sont entrés dans une phase intense de discussion à propos de l’application en Europe de la règlementation Bâle III. Dans le contexte de banques allemandes et françaises notoirement considérées comme sous-capitalisées, l’opposition est forte avec les positions britanniques, qui sont par contre à l’offensive sur le dossier de la révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF en français, MiFiD en anglais). À chacun son petit souci, décidément.
La bataille fait rage. Michel Barnier, le commissaire européen en charge du commerce intérieur, s’est opposé à la demande britannique que la réforme du MIF fasse l’objet d’une adoption à l’unanimité, ce qui aurait donné de facto un droit de véto outre-Manche. Arguant que cela déclencherait une dynamique pouvant aboutir à la fin du marché unique, si les services financiers faisaient l’objet de procédures particulières, les prenant ainsi à contre-pied. À propos de ce train de réformes, George Osborne, chancelier de l’Échiquier, a récemment considéré que ces projets “étaient une balle destinée à atteindre la City en plein cœur”, ce qui montre qu’il ne s’agir pas d’une petite affaire.
Une grande confusion règne à propos de la taxe sur les transactions financières, qui sert d’étendard à ceux qui veulent montrer qu’avec eux les banques ne l’emporteront pas au paradis. Confusion non seulement sur le calendrier de son instauration et son champ d’application – les Britanniques y étant farouchement opposés – mais également sur son assiette. Des rumeurs – démenties par les Français – faisaient état de l’hypothèse de réduire dans un premier temps la taxe aux seules opérations boursières. Qui pour le coup existe au Royaume-Uni, et qui avait été supprimée par Nicolas Sarkozy en France ! Les Allemands sont à la recherche d’une “solution européenne”, cherchant prioritairement à passer un accord avec les Britanniques à propos de la révision du Traité de Lisbonne et l’adoption du pacte budgétaire.
Enfin, la parution du “livre vert” à propos de la convergence fiscale a été reportée, pour des raisons qui n’ont pas été données. On voudrait bien savoir pourquoi les dossiers de la réglementation financière bénéficieraient d’une plus grande clarté que le reste !
142 réponses à “L’actualité de la crise : AU COEUR DES CONTRADICTIONS, par François Leclerc”
Il faut faire payer les enfants!
http://www.youtube.com/watch?v=DsBjUDZ2xsI&feature=player_embedded
Un jour par pure souci d’économie on en finira bien par une meilleure solution finale,
Il faudrait faire payer et accuser davantage les pauvres gens de leur malheur,
Quel grand décrochage du monde à toute vitesse,
Hommage à André Green sur ce blog ?
Je me souviendrai toujours de sa conférence à St Anne, il y longtemps… il nous avait parlé d’une patiente qu’il avait depuis 18 ans, et qui n’aimait pas le riz, les grains de riz. Il nous avait dit de ne pas rire, parce qu’il s’agissait de l’image du corps de cette patiente… qu’elle voyait en morceaux, comme les grains de riz indépendants. Il nous avait parlé surtout des cas limites, et de ces disparitions, ou interruptions du désir contrairement à ce qui se passe en névrose où il est refoulé, bref… c’était il y a 20 ans. Seulement.
Au coeur des contradictions, ou au coeur des ténèbres ?
Où en est la réflexion sur un défaut organisé des dettes des États qui ont renfloué les banques ? Est-ce une idée idiote ou à explorer ? Est-ce que cela reviendrait à mettre les dites banques en faillite et donc à les nationaliser ? Même question : idée idiote ou… Enfin, l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix devrait-elle intervenir en même temps, après ou avant ces faillites ? Merci de m’éclairer !
Hi
Portugal Reenters Bailout Radar As Traders Realize Greek « Rescue » Model Is Not Feasible Here
Extraits :
« Unlike Greece, where the bulk, or over 90%, of the bonds are under Local Law, … »
« Looks like the Greek Modus Operandi of dealing with its uber-leverage problems will be quite hindered (read impossible) when its comes to Portugal, where a substantial portion of its sovereign debt actually does have significant creditor protections. »
La totalité de l’article :
http://www.zerohedge.com/news/portugal-reenters-bailout-radar-traders-realize-greek-bailout-model-not-feasible-here
Sans intérêt l’article de zerohedge et de savoir quelle cour de justice statuerait sur un défaut portugais. On sait depuis un moment déjà que la « solution » grecque était one shot tout comme on sait que les problèmes ne seront pas traités juridiquement mais politiquement, dans le sens hard du terme, dans le conflit et l’affrontement, sans dentelles quoi.
Tous le monde à l’air de trouver « normal » aujourd’hui, qu’un jeune tunisien s’immole pas le feu… dans l’enthousiasme du succès de la révolution, on l’a oublié ; il s’est aspergé d’essence, et il a mis le feu, et il n’est pas le seul à s’être tué, ne pouvant plus supporter la vie que le système impose aux vivants. Voilà où l’on en est aujourd’hui, j’ajoute que lorsqu’on se met à empoissonner les seins des femmes, avec du gel industriel, il n’y a plus rien à sauver :
http://textes.libres.free.fr/francais/william-shakespeare_macbeth.htm
« Venez dans mes mamelles changer mon lait en fiel, ministres du meurtre, quelque part que vous soyez, substances invisibles, prêtes à nuire au genre humain. »
Y’a pas que les jeunes tunisiens qui brûlent… Dans la banlieue bordelaise c’est les septuagénaires de genre féminin, deux en trois mois..
Une à Talence en octobre…
http://www.sudouest.fr/2011/10/17/une-septuagenaire-s-immole-par-le-feu-528377-7.php
et une de 70 ans chez Mamère, à Bèèègles, la semaine dernière. Pas trouvé de lien sur le net, mais j’ai sous les yeux l’entrefilet dans la page fait divers de Sud-Ouest Dimanche du 22 janvier 2012…
Mais bon, en 2010 « Bordeaux même » avait eu aussi son lycéen. Mais ça avait beaucoup plus ému, des vieilles qui se font cramer discrètement, ça fait moins de buzz… Pourtant…
Sur ce site il doit y avoir des économiste qui pourront me répondre
Pourquoi ne pas geler le remboursement du capital des dettes et en faire une dette « éternelle » dont on ne rembourse JAMAIS le capital et qui serait cotée , le cours serait fonction du niveau de l’intérêt donné par rapport aux intérêts donnés par le matché . Cette technique à déjà été utilisée à la sortie de WW1 et les dettes de « reconstruction » sont actuellement toujours cotées , Ainsi le capital existerait toujours dans les comptes des banques . Une ‘action d’entreprise est une forme de dette éternelle dont le capital ne sera jamais remboursé mais qui change de main en bourse en fonction des opportunités pourquoi pas faire de même pour une partie des dettes d’état
C’est peut-être une idée très bête d’un néophyte
Bonne question, merci.
Une rente éternelle quoi. La rente d’ancien régime. C’est bien gentil et peut-être que ça résout le problème des renouvellements à l’échéance, mais quid de la soutenabilité de la charge des intérêts – devenus éternels – et du sort des nouvelles émissions obligataires en cas de déficit ??? Et quid du prêteur qui compte fermement sur le remboursement du capital à l’échéance initiale ???
Pendant ce temps-là en Italie, Monti s’en donne à cœur-joie !! C’est la grande braderie qui se rapproche de la France les amis !!! Nulle ne doute que ses amis Goldman-Sachs/Trilatérale/Bilderberg vont continuer le boulot dans les autres pays… Il faut à tout prix arrêter le massacre !!!
http://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2012/01/23/mario-monti-se-donne-un-mois-pour-reformer-le-marche-du-travail-italien_1633166_1581613.html
Ça, mon cher… stratégie du choc, hein…
Pour ce qui est de la Belgique, la ministre de l’emploi vient de se déclarer en charge de la prochaine et plus grande réforme du droit du travail. Elle se dit ouverte, bien sûr, au dialogue avec les « partenaires sociaux » – pas adversaires, hein, partenaires – qui doivent cependant bien comprendre que la concertation aura une fin, et qu’un jour il faudra « trancher ».
Sa philosophie, c’est « prendre les gens par le collier » pour les « activer » (http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/714994/monica-de-coninck-contrats-flexibles-pour-chomeurs-de-longue-duree.html )
En Belgique, on a des plans d’ « activation » des chômeurs. Glissement sémantique du mot « inactif » du champ économique vers le psychologique, et recours à un mécanisme qui appartient au domaine des choses et des mécaniques, ou des logiciels, l’ « activation ».
Traduction: votre problème économique est personnel, et on traitera votre personne comme une chose.
Ah oui!
Cette ministre est socialiste.
Allez voter après ça… 🙂
@ HP
Merci pour les liens, en particulier les deux derniers.
S&P frappe encore et encore dans le mile. Signatures de Crédit Agricole, Société Générale, Caisse d’Épargne/Banque Populaire dégradées. Z’ont combien de dizaines de milliards d’euros en obligations à refinancer cette année rien que ces trois là ? Vivement le 28 février !
Griotte sur le pudding : la Caisse des Dépôts perd son Triple A…
What an annus horribilis mon petit Nicolas…
Des dégradations !!! Tu te BA-ise, Vigneron 😉 !!! Sauf que quand c’est toi qui le dis, je sais pas pourquoi, mais ça me fait vachement plus flipper…
Gaffe ! Même en anglais, ça peut valoir le trou.
Mince, la Populaire aussi… Caramba, j’aurai du suivre le conseil de ce chacal de Tropical Bear (tout et tous à la Poste).
Et sinon, quoi le 28 février (les bilans, ce genre de truc?)?
Non, deuxième round de big QE de la BCE.
Les banques françaises vont essayer de se gaver de prêts trois ans. Mais ça suffira pas, faudra aller au marché, derrière leur stand et par grand froid, pour vendre leurs obligations simples ou leurs obligations convertibles (co-cos) tout aussi pourries. Et S&P qui leur pourrit un peu plus l’étalage aux banques françaises, tssss…
Faut savoir que c’est pas tellement leur actif qui pose problème pour les banques françaises, pas plus qu’aux autres en tous cas, mais la structure de leur passif. Sur deux critères majeurs de solvabilité, elles sont à la ramasse.
http://www.cadtm.org/Les-banques-europeennes#haut
Regardez le graphique 11 (Bloomberg/FMI) de cette étude sur le système bancaire du CADTM que je mets en lien. Le but du jeu est de s’y trouver le plus haut et le plus à gauche possible. Où se trouve le système bancaire français ? Le plus bas et le plus à gauche de tous les systèmes bancaires représentés. Plus fort taux de leveraging (avec l’Irlandais et l’allemand) et plus fort taux d’endettement à court terme…
J’ose espérer que notre bon Werrebrouck entend par là des balances extérieures, commerciales comme des paiements, strictement maintenues autour de l’équilibre…