Billet invité.
Paul, permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour votre passage sur France culture et subséquemment de vous remercier d’avoir enfin expliqué à M. Couturier qu’il utilisait des « concepts zombies », pour employer l’expression du sociologue allemand Ulrich Beck (« La société du risque » 1986), concepts qui ne peuvent plus rendre compte de la réalité et qui relèvent donc davantage de l’idéologie et de la mystification que d’une description précise et détaillée de la réalité.
Je poursuis ma réflexion sur la théorie hayékienne en vous soumettant mes récentes recherches qui portent sur la forte influence exercée par le sociologue wébérien Alfred Schütz et sur le concept de « discipline » ayant pour synonyme celui de « coordination ».
Hayek appartient à l’école du « subjectivisme » en économie. Il faut entendre par subjectivisme, « la forme pure de la subjectivité », une subjectivité purement formelle dénuée de toute substance individuelle. Autrement dit, cette subjectivité correspond et coïncide avec le concept d’« aliénation » comme aboutissement d’un processus de déshumanisation ou prolétarisation de l’individu qui aboutit à la forme pure du sujet réduit désormais à l’état d’objet-marchandise ou aliéné.
Le subjectivisme hayékien ressemble fortement donc à la description que Marx opère lorsque qu’il parle d’aliénation (de réification ou de marchandisation).
Ainsi, le concept hayékien d’égoïsme qui est issu du self-love d’Adam Smith (l’amour de soi, par opposition à l’amour-propre chez Rousseau) est moins l’affirmation de notre individualité que l’expression de la forme pure du sujet.
L’égoïsme est défini comme la réponse apportée aux besoins d’autrui, l’égoïsme du boulanger renvoie à son souci de répondre à la demande du consommateur, l’offre de travail du salarié doit répondre à la demande de travail de l’entreprise.
Cet égoïsme se définit comme « la forme pure du sujet », flexible malléable, manipulable et discipliné. Le sujet égoïste désigne donc l’individu aliéné ou discipliné que Marx définit comme réifié, réduit à l’état d’objet ou de marchandise.
La discipline pour un individu se définit comme « la forme pure du sujet », malléable, flexible. C’est la raison pour laquelle la « flexibilisation » du marché du travail ne vise en réalité qu’à une aliénation du travailleur, c’est-à-dire à sa réduction pure et simple à l’état de marchandise .
De la même manière, la question de la discipline ou de ce qu’il convient d’appeler « la coordination des politiques économiques » s’assimile à l’aliénation des États.
La discipline ou la coordination exige que les États soient aliénés, c’est-à-dire se transforment en États sans substance démocratique et sans substance économique.
La discipline implique donc au préalable un processus de prolétarisation des États c’est-à-dire des États à qui l’on retire toute substance démocratique (par la dépolitisation des choix économiques) et toute quintessence économique (en menant des politiques de rigueur budgétaire : le pacte de stabilité européen).
Nous assistons donc à un double mouvement : une prolétarisation des États et de la démocratie.
La démocratie prolétarisée dont le stade ultime est la démocratie aliénée, est ce que l’on appelle aussi la démocratie formelle, la démocratie procédurale ou la démocratie de marché : une démocratie sans substance, une démocratie sans peuple et une démocratie sans démos. (Nous pourrions évoquer ou définir dans les mêmes termes ce que revêtent véritablement les concepts d’« égalité formelle » ou de « liberté formelle » : nous somme forcés ou disciplinés de vivre comme si nous étions libres et égaux).
Cette discipline constitue, comme je l’ai signalé, la phase ultime d’un long processus de prolétarisation, de dé-substantialisation, qui n’est que le résultat de la mise en œuvre de l’utopie néolibérale.
L’utopie néolibérale ou la conception néolibérale de l’utopie à été théorisée par Alfred Schütz dans son article « Sur les réalités multiples » (1945). Article majeur puisqu’il influença Friedrich Hayek et Karl Popper (« Conjectures et réfutations »1953 ; « La connaissance objective » 1972).
La conception néolibérale de l’utopie est très loin de la définition traditionnelle de l’utopie où l’on convoque les figures de Platon ou de Thomas More. La définition de l’utopie néolibérale correspond davantage à ce que Ricœur appelait : « processus d’exploration, de subversion, aboutissant à une rupture avec la réalité ».
En d’autres termes, ou en termes poppériens et hayékiens (l’utopie néolibérale est théorisée par Hayek dans « Economics and Knowledge » 1937), l’utopie néolibérale est « ce processus ou cette logique de la découverte » qui consiste à saper le système existant jusqu’à en provoquer l’effondrement de manière à proposer un modèle alternatif.
C’est ce que Jean-Claude Michéa appelle « l’empire du moindre mal » ou ce que Naomi Klein appelle « la stratégie du choc » (la notion de choc étant définie par Schutz comme une rupture avec la vision du monde existante, nous pouvons donc envisager de relire le concept de choc monétaire à l’aune de Schutz), à savoir saper le système existant, provoquer son effondrement et proposer une solution alternative en la présentant comme « le moindre des maux » (voilà pourquoi Popper définit toute « théorie », ce qu’il appelle « solution », comme négative).
Au fond, l’utopie néolibérale, dans sa quintessence, réside toute entière dans cette formule de Thatcher : « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternative »).
La rupture avec le néolibéralisme exige aussi une rupture avec son épistémologie poppérienne des sciences sociales : nous sommes en effet là dans la pure idéologie, l’œuvre de Popper se présente comme une épistémologie des sciences sociales, alors qu’il ne s’agit en réalité avec elle que de l’élaboration de « la théorie néolibérale de l’utopie ».
145 réponses à “LA PROLÉTARISATION DES ÉTATS, CONDITION SINE QUA NON DE LA COORDINATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES AU SEIN DE LA ZONE EURO, par Nadj Popi”
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Wouaaaw !!!
Ben vraiment vous faites fort hein tous !…
Ca alors !…
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Bien des fois, lors de mes nombreuses lectures dans ce blog (tant des articles que des innombrables commentaires qui les suivent) je passe de l’amusement au délassement, du divertissement au rire, de celui-ci jusqu’au fou-rire, de l’emportement à l’agacement, des fois aussi, et quelquefois même de la tristesse aux larmes … Tout y est !…
Un véritable microcosme polyvalent hyper-inter-actif …
🙂
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Bien souvent aussi j’ai envie de répondre car bien sûr, comme on dit d’par d’chez nous :
– « Y’a d’l’à dire… »
Mais je m’abstiens, souvent par manque de temps mais aussi parce que je n’ai pas d’arguments ‘techniques’ à apporter comme nombre d’entre vous le font si bien.
Je ne puis ici qu’apprendre, lire, consulter les liens, les transmettre…
Souvent aussi je m’abstiens parce que je ne sais trop bien par où commencer car à tous, chacun selon vos idées, manières, façons, avis, apports et réactions je pourrais laisser un mot, demander un complément d’explications, apporter un avis, laisser un message de remerciements pour ce que j’ai appris…
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Tout à l’heure, me servant un café après avoir lu quelques pages ici même sous l’article de Nadj Popi je me disais qu’en fait il n’y a qu’ici, dans ce blog, que cette maudite « débâcle économique » et tout ce qu’elle entraîne avec elle comme sentiments d’insécurité, de malaise, d’interrogations angoissantes et de préliminaires inquiétants oui, il n’y a qu’ici qu’elle apporte du divertissement et de la bonne humeur…
Non que l’on en rie ni la nie, du tout et bien au contraire, mais que l’on s’en informe, interroge et inquiète tant et tant que pour finir, d’analyse en analyse et de jour en jour, elle se fait vivante là au milieu de vous tous à la manière d’un ‘organisme’ tenu à bout de bras et que les menaces qu’elle contient, pourtant bien réelles, du fait de cette ‘matérialisation’ par le débat et ses rebondissements, deviennent elles-mêmes dérisoires…
Le temps de l’énoncer… De l’énoncé…
Avant de s’en retourner après peut-être ou sans nul doute aux lancinantes inquiétudes qu’elle provoque en chacun de vous, de nous car aussi de moi…
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Vous êtes tous à votre façon des humoristes, le savez-vous bien seulement ?…
A la manière, par exemple, de @Liszt qui :
– « … n’apprécie pas trop ce texte non plus… après un rapide survol… »
Ou de @Xian qui s’inquiète si :
– « En cas d’héritage la famille (…) fait partie des meubles ?
Ou encore de @Jean-Luce Morlie qui réagit comme un boxeur aux propos de @DidierF
– « Concrètement, allez-y sans gant, droit au but, visez au foie, au plexus, qu’est-ce qui vous chagrine dans ce que je raconte ? »
Oh je ne pourrais pas tous vous citer…
Ni la célérité ni la subtilité de tous vos rebondissements…
Pour ceux qui n’ont pas tout capté, relisez…
C’est :
– « Genial ! »
Comme l’a ‘lancé’ @AntoineY à la manière d’une pierre dans l’eau…
Trop fort vous êtes…
A entrelacer la lourdeur de cette terrible réalité qu’est la nôtre, celle du monde entier ce faisant, de ces temps alarmants, à entrelacer de vos perles rares, de vos stridences ironiques, de vos exclamations amusées, de vos interjections blasées par endroits mais jamais désarmées les véritables enjeux qui pèsent sur nos demains et sur nos ‘à venir’…
Jusqu’à @Julien Alexandre qui répond, laconique et imperturbable @bertgil remerciant Mr. Jorion par un :
– « Bravo Mr Paul Jorion pour la clarté de votre article. »
– « L’article est de Nadj Popi. »
J’ai éclaté de rire bien sûr vu le nombre de commentaires précédents qui ne faisaient que d’argumenter, pour ou contre ou en phase avec la prose de Nadj Popi, ce que @bertgil n’avait pas remarqué ou pas lu ou pas suivi…
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Si si vous êtes des humoristes, même dans vos moments les plus sérieux, les plus théoriciens, les plus ésotériques des fois (non non non ne le niez pas vous êtes ésotériques des fois) l’ensemble des commentaires, quand on veut bien les lire les uns à la suite des autres après avoir pris soin de lire l’article auquel ils se rapportent font naître sur les lèvres, petit à petit, un sourire oserais-je le dire angélique ?…
Oui, j’ose !…
Et de soulagement…
Oufff… On peut respirer encore, demain existe, aujourd’hui aussi, et la crise n’aura ni notre rire, ni notre humour ni notre peau humaine !…
Même si comme l’interjette finalement @xian
– « Il n’ y a rien d’humain là dedans. Il faut en prendre conscience… »
C’est humain !
Non pas cette « crise » non certes…
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Mais le rire, l’humour, la dérision, le comique qui fait la nique au tragique…
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C’est un peu comme d’assister à un match de volley-ball…
La balle virevolte va et vient et rebondit, sort des limites, est relancée, rattrapée, monte en l’air, se retrouve par terre, passe le filet, passe de main en main sur la pointe des doigts, tourne, ‘ricochete’ (j’invente hein moi… 🙂 de l’un à l’autre pour finir par conclure :
– « Il n’ y a rien d’humain là dedans. »
Puis recommence encore la balle son ballet ce n’est pas fini non non on continue on passe aux « champs de coton », grecs, puis « au chanvre » qui « dure plus longtemps » soit …
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J’aime vous lire tous c’est drôle vous êtes drôles à commencer par Mr. Jorion lui-même qui porte son petit sourire dans ses yeux et sa malice amusée aux commissures des lèvres … Malgré les grandes inquiétudes qui doivent être les siennes eu égard à la clairvoyance et le sérieux qui le caractérisent.
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Parce que, justement, tout cela est sérieux, très sérieux, terriblement sérieux et que le sérieux, dit avec une pointe de drôlerie enjouée, se comprend et se conçoit tellement mieux, tellement plus aisément…
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Souvent je dis, décidée et motivée :
– « Je vais faire des meetings humoristiques !
Il faut parler aux gens en les faisant rire et en cultivant l’autodérision…
Il faut parler aux gens non pas avec des mots simples mais avec des mots vrais…
Ceux qui sortent non de la bouche mais du coeur, des tripes, du vécu…
Et de l’expérience, et du terroir… »
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C’est à peu de choses près ce qui se passe ici…
Ce sont des sketches, des chassé-croisés toujours amicaux, rarement agressifs, souvent bien informés, quelquefois très savants, presque jamais ampoulés…
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Et si vivants !
Et si vrais !
Et si humains !
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Et j’y viens et j’y reviens avec plaisir…
Et j’en reviens avec le bonheur des enseignements et du rire…
Votre blog, Mr. Jorion, est un des rares endroits du ‘Net’ où j’ai le goût « d’ETRE » !
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A vous, pour l’avoir conçu et y apporter de vous-même le meilleur…
Et à tous, pour y participer et y contribuer du meilleur de vous-mêmes…
Merci !…
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R_B
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Laconique et imperturbable, je note que la touche étoile de votre clavier est bloquée…
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C’est pour aérer mon texte et ajouter un peu de « brillance » à mes propos Mr. Julien !… J’aime bien… Et j’trouve ça joli aussi…
Mais si vous estimez que c’est dérangeant je peux m’en abstenir à l’avenir…
Bien à vous 🙂
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R_B
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ça fait au moins une personne qui ne se plaint pas du modérateur , qui à défaut de priver RED BKKARA de son divertissement quotidien , devra quand même utilement veiller à limiter les débordements et brillances qui étirent abusivement les textes de commentaires . Mais sur le sujet Jérémie reste le meilleur .
Merci, j’ai bien ri aussi en vous lisant. 🙂
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Ravie de l’apprendre…
Vous m’en voyez fort aise !… 🙂
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Ps: Deux étwales ce n’est pas d’trop M’sieur Julien ?
Baccara,
Une rose, la plus belle fleur du monde. Elle a des piquants et elle séduit. C’est aussi ce que vous faites ici. Etonnant !
Je trouve ce texte remarquable ! Pas accessible au plus grand nombre ; peut-être ! Mais tout n’a pas à être rédigé d’après les critères d’accessibilité directe pour le plus grand nombre ! De touie façon, je pense que pour saisir ce dont il retourne ici, il faut avoir accompli une démarche préalable qui présuppose une certaine curiosité qui prédispose à faire l’effort nécessaire à la compréhension de ce texte. Il nourrit indiscutablement la réflexion et la fait progresser.
Le temps que cela soit digéré, intégré puis restituer sous une autre forme, dans un raisonnement qui ira un cran plus loin. Soit dans la direction d’un travail théorétique encore plus approfondi ; soit dans le sens de propositions d’action accessibles au plus grand nombre qui résulteront en partie de la prise de conscience que tente de formaliser ce texte.
Pour ma part ce texte de Nadj Popi cadre parfaitement avec mon approche du système : comprendre la généalogie de des logiques qui le traversent et le meuvent … Sachant qu’il y a plus sieurs voies de s’approcher de ce but… Y compris la poésie, la littérature, le cinéma … Raison et intuition marchant main dans la main ! La première auxiliaire de la seconde.
je suis doctorant à aix en provence je travaille sur hayek
nadj popi n’est qu’un pseudonyme
Nadj Popi,
Je retiens de votre texte la notion de « subjectivisme » hayékien. Dans mes termes, ce concept est une description des humains vus sous l’angle exclusif d’un modèle de société. Ce modèle est une création d’un esprit ou d’un groupe d’esprits très proches les uns des autres. Tout le reste de l’humanité doit s’aligner sur cette idée. Vous explicitez ici un phénomène qui m’a surpris.
J’ai été étonné (et ne suis pas le seul) de voir le modèle néolibéral se poser en réalisme, capable de prendre les hommes comme ils sont, et imposer aux humains de s’adapter à ses exigences. Ses lois se veulent descriptives et sont normatives en pratique.
Le résultat est une « mise en boîte », une « chosification », une réification, un « subjectivisme » transformant les humains en choses et en niant chez nous, les humains, tout ce qui n’entre pas dans le modèle. Ce déni est ce que je comprends sous le terme d’aliénation.
Vous donnez de la vision hayékienne de l’homme son idée d’égoïsme. Il est la réponse apportée aux besoins d’autrui. Cette réponse ne contient rien, vraiment rien, de la personne qui répond. Elle est totalement intéressée, calculée pour obtenir du client du boulanger ou de l’entreprise contactée une réponse souhaitée. C’est de la manipulation à l’état pur si vous êtes en position de force et de la soumission à l’état pur si vous êtes en position de faiblesse. Ce que je comprends des relations sado-masochistes ressemble énormément à cette vision hayékienne des relations humaines.
Le maso y est un objet de plaisir pour le sado. Dans cette relation, le maso trouve une façon de dominer le sado en le forçant à s’occuper de lui. À ce titre, le sado est un objet de plaisir du maso. Une bonne description du phénomène est donnée dans « Histoire d’O », un roman pour adultes. Une analyse plus explicite est donnée par Sibony dans son livre sur les perversions.
Une relations stable s’établit entre deux humains. Si une théorie « scientifique » intervient pour décrire les relations humaines (genre économie monétariste), elle fournit ce qui sert de chaînes, de cordes, de carcans aux individus pris dans une relation sado-maso. Il y aura ceux qui se soumettent à la théorie scientifique (les masos) et ceux qui l’utilisent et l’appliquent (les sados). Une relation maître-esclave parfaitement perverse devient possible dans ce cadre. Le phénomène des « lois naturelles de l’économie » servant à normer le comportement des individus en société prend un sens dans ce cadre. Les sados se retrouvent dans le rôle des élites, des oligarques, des aristocrates. Les masos sont tous ceux qui sont soumis à ces lois. Ce sont le prolétaires selon votre typonymie. Une relation stable dans la société prend forme ici.
En plus, ce type de relation totalement rationnelle jouit d’une cohérence allant de l’intérieur de l’individu adapté à toute la société dans laquelle il vit. Je ne peux pas surestimer la force donnée à la pensée hayékienne quand je la considère dans ce cadre.
Dans ce cadre, la société doit s’aligner sur une idée rationaliste du monde. Cette idée dépasse largement les frontières politiques. Ces dernières relèvent d’opinions, d’idées, d’une histoire hors du modèle de société hayékien. Elles ne sont donc pas pertinentes. La démocratie au sens, un homme – une voix, n’a aucun sens dans ce cadre. Ces objets peuvent donc être clairement combattus, sapés et détruits pour proposer aux survivants de ces ruines le modèle hayékien de société. Une « autre réalité » peut être imposée. Un « homme nouveau » peut être créé à partir de ces ruines.
Je vous retrouve ici pour penser à Michea et son idée que le modernisme le plus pur impose un homme nouveau, une révolution des moeurs, la destruction de tout contre pouvoir à leurs idées. Je vous retrouve ici pour penser à la stratégie de choc de Naomi Klein. Je suis surpris que Schultz avait déjà théorisé le choc. Je suis surpris que Popper ne voyait de solutions, que négatives. Je comprends un peu mieux le TINA de Thatcher. Elle et ses coreligionnaires détruiront sans hésiter toute alternative à leur vision du monde.
Ils ont pour eux une très forte cohérence interne. Ils ont pour eux la très grande simplicité de leur théorie. Ils ont pour eux une rationalité sans failles. Ils ont pour eux une amoralité totale. Ils ont pour eux une capacité de déni de tout ce qui sort de leur vision du monde absolument extraordinaire. Ils ont pour eux ce que je vois comme un mensonge mais vérité dans leur cadre (par exemple : les hommes sont des objets, des marchandises). Ils ont pour eux l’idée d’une réalité alternative possible, atteignable, rationnelle et correspondant à quelque chose de très profond chez les humains.
Je ne connais pas ou très mal Popper. Mais la vision de ce monsieur me devient très négative sous votre plume. Je pense qu’elle tient la route car Popper est très rationnel, très cohérent, incapable de fournir une preuve positive de la vérité d’une idée et encore moins de la possibilité de relations humaines harmonieuses (cf les idées de Soros sur le sujet). Je pense que votre idée tient la route. Popper est un allié très sûr de Hayek and Co.
Nous avons contre nous la vérité. Elle est lente, difficile à découvrir et encore plus à mettre en oeuvre. Dans un conflit, c’est un très gros désavantage. Le mensonge est rapide, souple, réactif, multiforme. Selon la théorie de Boyd des conflits (cycle OODA), c’est la défaite assurée.
Nous avons contre nous l’humanisme. L’homme étant la mesure de toute chose, nous somme imparfaits, incohérents, contradictoires, irrationnels, sentimentaux, hésitants, limités, pauvres en esprit et j’en oublie. La théorie hayékienne est totale. Elle domine et dépasse toutes ces limites.
Nous avons contre nous la réalité. Ne la connaissant que sous forme contradictoire, incohérente, imparfaite, irrationnelle, de façon partielle et partiale voire fausse, nous ne pouvons pas nous en servir pour nous opposer à Hayek.
Nous avons contre nous les relations humaines. Quand je connais quelqu’un, je suis lié à cette personne en actes, paroles et pensées. Etant indépendante de moi et dans le cas que je juge idéal, elle me soutient les yeux grands ouverts. Dans un affrontement, elle va m’empêcher de faire n’importe quoi, elle va me forcer à préciser mes idées, ma position pour me battre, elle va me ralentir, elle va m’empêcher d’entrer dans un cadre totalement rationnel (le terrain des jeux de pouvoir hayékiens). Elle va me garder de cette folie.
Nous avons pour nous les relations humaines. Avec elles, mes actes ont un sens. Avec elles, je reçois mon identité, mon autonomie. Avec elles , je reçois une société, ma société. Avec elles, je reçois une volonté de faire le bien (par exemple : donner, recevoir, rendre).
Nous avons pour nous la réalité. Elle est un appui fiable, au-delà des mots, au-delà des concepts, au-delà des idées. Si jamais vous la goûtez une seule fois, vous voudrez y revenir. Son goût ne peut pas être décrit et ce goût me dit si je suis dans la vérité ou dans le mensonge.
Nous avons pour nous l’humanisme. La personne en face de moi me donne aussi sa réalité. Elle me fait aussi voir le monde par ses yeux. Si l’amour intervient (totalement anti-hayek si je comprends ses idées), je peux évoluer positivement par une relation avec cette personne. Elle me donne une chose, je la reçois et la lui rend avec ce que j’ajoute de moi. Nous échangeons nos réalités. Cela se fait morceau par morceau, expérience par expérience. Un tel acte réussi modifie deux personnes.
Nous avons pour nous la vérité. Une fois reçue, elle est utilisable à l’infini. Une fois perçue, elle permet de revoir sa position quand un élément nouveau intervient. Une fois reconnue, elle rend nos relations saines. Nous pouvons être deux personnes indépendantes, deux humains dans toute leur dignité, et nous apprécier mutuellement.
Hayek gagne par la vitesse de ses actions, par l’énormité et la complexité des problèmes qu’il suscite, par le plaisir fourni à tous dans les relations humaines, par le sentiment de liberté fourni aux individus isolés (ils peuvent tout faire), par sa capacité à détruire dans des chocs toute société imaginable, par son amoralité, par ses adeptes adorateurs du pouvoir infini qu’il leur offre, par sa rationalité totale.
Il perd par notre mort, notre isolement, notre désintégration intérieure, notre abrutissement. Nous sommes en cours d’effondrement par épuisement. Notre planète est en train de mourir de pollution, de changement climatique, d’épuisement de ses ressources. Elle est en cours d’effondrement par épuisement. C’est une défaite par capitulation des victimes.
Je juge cette défaite de Hayek insatisfaisante. Même si j’en ai marre, si je suis épuisé, je suis sans idées pour sortir de cette situation, si je me sens impuissant et dépassé, je crois qu’une autre solution est possible.
Elle devra inclure les humains avec toutes leurs limites, leur cadre de vie, la vérité et la réalité. Elle devra inclure les relations d’humain à humain, une idée de bien pour tous et même l’amour du prochain comme de soi-même. Mais là, j’en demande peut-être trop.