L’actualité de la crise : CE MONDE QUI TOURNE A VIDE, par François Leclerc

Billet invité

La crise européenne continue de se jouer sur deux tableaux, l’un dans la devanture qu’offrent les médias et l’autre dans l’arrière-cour. L’élargissement de la zone des tempêtes brave toutes les mesures destinées à l’empêcher, tandis que dans le monde bancaire se mène une autre partie. Impossible, comme toujours, de parler de l’un sans évoquer l’autre.

Le spread de la France avec l’Allemagne continue d’augmenter, dépassant le cap des 200 points, accréditant l’idée que la première a déjà virtuellement perdu sa note AAA, comme le taux de sa dette sur le marché obligataire en témoigne déjà. Le désaccord entre les deux gouvernements à propos de l’intervention de la BCE s’exprime publiquement, par voie de presse et depuis les tribunes, rendant dépassée la fronde européenne contre « Merkozy », le duo franco-allemand qui s’est instauré sans gêne comme directoire tout puissant et impuissant de l’Europe. La seule question qui prévaut est « la BCE va-t-elle ou non intervenir et arrêter le massacre ? », les deux partenaires s’opposant ouvertement à ce propos.

Dans l’attente de la publication lundi prochain des chiffres, les avis sont partagés à propos de l’ampleur de l’intervention de la BCE sur le marché obligataire secondaire de ces derniers jours. Les uns considèrent qu’elle n’intervient que modérément, sous la pression de la Bundesbank, les autres que la BCE ne parvient pas à contrôler le marché, après l’avoir tenté, et qu’elle laisse filer les cours, ne voulant pas dégainer son bazooka. Quoiqu’il en soit, Wolfgang Franz, le président du groupe de conseillers économiques du gouvernement allemand, vient de déclarer dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung que la poursuite des achats obligataires par la BCE serait un « pêché mortel ». L’écart devient grand.

Le vieux jeu triangulaire entre Allemands, Britanniques et Français est relancé. Les premiers ont besoin des seconds pour faire avancer leur projet de révision des Traités européens, et les seconds veulent monnayer leur accord en obtenant que La City ne soit pas atteinte par de nouvelles mesures de régulation financière. Le gouvernement britannique voudrait ainsi que l’ESRB (le Conseil européen du risque systémique), dominé par les banques centrales, obtienne comme prérogative la mise en musique des accords de Bâle III.

Tandis que les nouvelles équipes installées en Italie et en Grèce sont vivement encouragées à entrer dans le vif du sujet et que les Portugais bénéficient d’un quitus de la Troïka, en dépit du dérapage de leur déficit occasionné par celui de Madère qui avait été dissimulé, les marchés ne perdent pas le Nord, ou plutôt le Sud. Une émission obligataire espagnole à 10 ans a presque atteint le seuil de 7% de taux d’intérêt (6,975%), celui qui avait été consenti il y a moins d’un mois était de 5,433%. Mariano Rajoy, le probable prochain premier ministre suite aux élections de dimanche prochain, à annoncé sans attendre qu’il allait faire « des coupes partout », sauf dans les retraites, alors que la croissance de l’économie baisse et devrait péniblement atteindre 0,8% cette année, et que de très nombreux Espagnols au chômage arrivent en fin de droits en début d’année prochaine, les saisies immobilières étant appelées à rebondir.

Confrontées à l’obligation de renforcer leurs fonds propres et tirant déjà sur toutes les ficelles pour y parvenir sans pénaliser leurs actionnaires et dirigeants, les banques européennes ont leurs sujets d’inquiétude. Elles craignent que l’EBA, leur régulateur européen, ne modifie les modalités du calcul de leurs besoins et n’accepte plus de faire la balance entre les pertes potentielles sur leurs actifs de la dette souveraine et les plus-value potentielles qu’elles pourraient réaliser sur les seules obligations allemandes. Cela pourrait concerner au premier chef les quatre principales banques allemandes.

Unicredit, la première banque italienne, a de son côté demandé au nom des banques italiennes (afin de ne pas reconnaître ses propres soucis) un assouplissement des règles d’éligibilité des collatéraux qu’elles doivent fournir en garantie à la BCE quand elles lui empruntent ses liquidités. A l’instar de leurs collègues irlandaises, grecques et portugaises, qui bénéficient déjà de ce régime de faveur. Signe que certaines d’entre elles, n’ayant plus accès au marché interbancaire, n’auraient plus de collatéraux disponibles en application des normes de qualité en vigueur. Cela commence comme cela.

Moody’s, pour sa part, a dégradé la note de dix banques régionales allemandes (les Landesbanken), six d’entre elles la voyant abaissée de trois crans d’un coup. Ayant déjà bénéficié de plus de 20 milliards d’euros d’aide publique, principalement des Länder, elles résistent au processus de concentration qui leur permettrait de mieux faire face. Avec la bad bank de HRE, les Landesbanken représentent la face cachée de la crise du système bancaire allemand, dont la solution a été repoussée à plus tard et rejaillit à cette occasion.

Le système bancaire est en aussi piteux état que les finances publiques, on ne l’ignorait pas, mais cela va en s’approfondissant, et non le contraire. C’est cette réalité qu’il faut affronter, quelle que soit la couleur du gouvernement auquel on appartient, ou que l’on pourrait constituer prochainement. Mais cela impose des remises en question visiblement inconcevables, ce qui n’est pas à dire vrai une surprise.

Les gouvernements de coalition se maintiennent en Allemagne et au Royaume-Uni, faute de mieux. Le gouvernement d’unité nationale grec a une espérance de vie limitée et Mario Monti a du se résoudre en Italie à composer une équipe de technocrates, les partis le soutenant refusant d’y entrer. Ce monde politique tourne à vide, adossé aux murailles de la finance et des grands lobbies qui font la loi, que ce soit celui de l’électro-nucléaire, de l’agro-alimentaire ou de l’industrie pharmaceutique. Ce qui explique que ces derniers montent au front.

Apportant son éclairage à l’affaire de la disparition de la phrase sur la filière Mox dans le communiqué commun Verts-PS, Raphaël Berger, directeur des études économiques d’Areva, a ce matin affirmé lors d’une audition à l’Assemblée nationale : « Je tiens à préciser que nous n’avons pas vocation à nous substituer au politique dans le débat énergétique actuel mais que nous n’hésiterons absolument pas à contribuer à notre niveau de grand groupe industriel public ». Cela méritait d’être dit, sans pudeur excessive.

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224 réponses à “L’actualité de la crise : CE MONDE QUI TOURNE A VIDE, par François Leclerc”

  1. Avatar de Pirouli
    Pirouli

    Apportant son éclairage à l’affaire de la disparition de la phrase sur la filière Mox dans le communiqué commun Verts-PS

    Je ne vois pas pourquoi ils ont enlevé ce paragraphe étant donné que ce genre d’accord n’engage que ceux qui y croient.

    En 97 les accords Verts-PS prévoyaient déjà un arrêt de la production de MOX.

    Une fois arrivé au gouvernement. Mme Voynet cosignait discrètement un décret autorisant la Cogema à étendre l’usine Melox de Marcoule productrice de MOX.

    Le 6 août 1999, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) était autorisée à « installer et exploiter » sur le territoire de la commune de Bure (Meuse) un pseudo-« laboratoire » souterrain d’étude du stockage des déchets radioactifs, ouvrant en fait la voie à l’enfouissement définitif et irréversible : décision qui faisait figure de première mondiale, cosignée par une ministre Verte…

  2. Avatar de G.
    G.

    Une nouvelle fois on nous annonce la fin du monde, si ce n’est dans l’article alors dans les commentaires. La plupart des lecteurs de ce blog sabreraient d’ailleurs le champagne (le vin?) à la chute du « système »…

    Là où vous prévoyez la fin du monde, certains économistes ne voient qu’une correction. Correction d’un modèle, de ses dérives. Correction des échanges commerciaux internationaux. Que ce soient les USA important les produits chinois à crédit, où les grecs achetant des produits allemands, in fine il va y avoir un retour à la réalité. Les spéculations et magouilles financières ont masqué les problèmes un certain temps, mais ce système atteint ses limites.

    A ceux qui disent qu’on va tous être ruinés, sachez que:

    – 1 euro s’échange encore contre 1.35 dollar. Tant que le rapport n’est pas inversé, nous avons de la marge devant nous… Une monnaie dévaluée crée certes de l’inflation, mais permet après coup une ré-industrialisation et une promotion des produits locaux.

    – Avec de l’inflation, et de la taxation « juste » (c’est à dire des capitaux et des hauts revenus, des grands propriétaires, etc.), vos problèmes de dette sont du pipi de chat. Evidemment cela passera par la tonte de tous ceux qui ont abusé du système, mais face à une foule en colère qui vote, c’est la démocratie qui parle…

    – In fine, l’argent étant quelque chose de virtuel, ce sont les biens physiques et les infrastructures qui comptent. Vous avez vu la France, l’Europe? Nous sommes très bien équipés, nous sommes RICHES par rapport au reste du monde (dire le contraire s’est se plaindre la bouche pleine). Nous pourrions presque être auto-suffisants. Donc au pire des cas, arrêtez de raconter qu’on va retourner labourer les champs avec nos mains.

    Bref, on peut s’en sortir: taxer correctement et où il faut, se remettre au travail, arrêter d’importer des produits étrangers merdiques à crédit, acheter utile et durable, uniquement du bon sens, non?

    1. Avatar de G L
      G L

      «  Nous pourrions presque être auto-suffisants. »

      Vraiment ? le « presque » c’est les tracteurs fonctionnant avec un gazogène au lieu du pétrole?

      Il est vrai que nous importons énormément de choses pas vraiment indispensables mais je n’ai jamais vu la liste des importations réellement vitales, la question de l’énergie suffisant habituellement à clore la discution…

      1. Avatar de G.
        G.

        L’énergie importée? Cela ne peut en aucun cas « clore » la discussion.

        – Il n’y a pas que le pétrole dans la vie. Le nucléaire que certains honnissent tant produit de l’électricité. Les éoliennes, barrages, centrales à charbon aussi. Notre prétendue « dépendance » au pétrole est le fruit du moindre effort. Tant que le pétrole est abondant et pas cher, aucune raison d’aller chercher ailleurs… Si cela change, alors une production d’énergie locale redevient d’actualité.

        – Comme nos chers amis américains nous le montrent quotidiennement, le pétrole va se chercher l’arme au poing. In fine, l’Europe n’est pas la plus mal armée si vient le moment de négocier des contrats…

        Quelqu’un avait cité ici il y a quelques mois des chiffres sur les échanges inter-UE et hors UE, il me semble. C’était assez surprenant, on se rendait compte qu’une très grand part des échanges se font inter-UE, et non pas avec les pays hors UE.

      2. Avatar de argeles39
        argeles39

        Tant que le pétrole est abondant et pas cher, aucune raison d’aller chercher ailleurs… Si cela change, alors une production d’énergie locale redevient d’actualité.

        Je partage ce point de vue, mais les énergies de substitution seront moins abondantes et plus chères, ce qui induira probablement une baisse du niveau de vie et un recul démographique.
        Une petite partie de l’énergie de substitution pourrait venir des huiles végétales
        http://fr.wikipedia.org/wiki/Huile_v%C3%A9g%C3%A9tale_carburant

  3. Avatar de gege
    gege

    Finalement les Islandais furent les meilleurs indignés

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Icesave

    Une leçon à méditer

  4. Avatar de Jérémie
    Jérémie

    Demain peut-être la pingrerie fera moins disette sur terre,

    Demain peut-être la croissance reviendra avec plus d’estropiés,

    Demain peut-être celui qui passe toujours devant passera derrière,

    Demain peut-être le ciel répondra davantage aux premières attentes,

    Demain peut-être ce sera toujours paix et sécurité pour le picsou,

    Demain peut-être les faux prophètes feront mieux passer la chose,

    Demain peut-être l’enfant sera mieux secouru au bord de la route,

    Demain peut-être je vous en raconterai une autre sous naturelle,

    Demain peut-être la vie sera plus douce et légère avec rigueur,

    Demain peut-être le commerce mondial fera moins de singerie,

    Demain peut-être je pourrais davantage acheter mon salut,

    Demain peut-être je ne serais même plus là pour le voir,

    Il nous relatait déjà ce qu’il voyait la fin d’un monde,
    la fin d’une civilisation, la fin du commerce mondial,
    mais pas cela non plus dans le même temps.

    Oh tais-toi Jérémie, oh tais-toi Prophète de malheur,
    fait nous donc bien plus de signes visibles et cela
    afin que nous puissions mieux croire en toi au Ciel.

    Patience, patience, le compte y est bientôt presque,
    tout devient si coûteux, tout devient si chantage,
    tout devient si prévisible dans les conduites.

  5. Avatar de Dan Bush
    Dan Bush

    Le LEAP est un organisme européen de prévisions politiques et économiques totalement indépendant des partis et des groupes de pression, financé par une fondation hollandaise à but non lucratif.
    Ses bulletins sont des REFERENCES, et la livraison qui vient de sortir, s’avère DETONANTE :

    http://www.leap2020.eu/GEAB-N-59-est-disponible-Crise-systemique-globale-30-000-milliards-USD-d-actifs-fantomes-vont-disparaitre-d-ici-debut_a8138.html

  6. Avatar de Dan Bush
    Dan Bush

    Fin du post 63 : Ce bulletin gratuit indique, notamment, « que 2012 va voir une décote moyenne de 30% de l’ensemble des dettes publiques occidentales, auquel s’ajoutera un montant équivalent de disparition d’actifs des bilans des établissements financiers mondiaux, soit 30.000 milliards d’actifs-fantômes d’ici le début 2013″…
    et « accélération courant 2012 du processus de partition du marché financier mondial, en 3 grandes zones monétaires de plus en plus déconnectées : Dollar, Euro, Yuan. Ces deux phénomènes se nourrissent l’un l’autre. Ils vont notamment être à l’origine de la baisse de 30% de la devise US en 2012. »
    A partir de la fin NOVEMBRE « pour essayer de diluer l’information négative pour les Etats-Unis, il est fort probable qu’il y aura une tentative de relancer la crise de l’endettement public dans la zone Euro en ABAISSSANT la note AAA de la FRANCE pour affaiblir le Fonds Européen de Stabilisation Financière. »

  7. Avatar de Nicolas
    Nicolas

    @G.
    Mais la casse d’un système social risque aussi de restreindre l’accès à cette richesse à une petite part de la population active. La richesse et l’équipement dont vous parlez correspondent à la production d’un secteur secondaire qui a besoin d’un carburant (la consommation). Quand cela disparait, il reste la terre et le savoir. Quand le savoir n’est plus accessible à tous, la terre est mal cultivée et les hommes sont mal soignés.
    In fine, la seule richesse matérielle est la terre. Ce qui revient à dire que d’actuels pays de ce qu’on appelle le tiers-monde sont bien plus riches que nous si on s’en tient à cela. Tous le reste n’est qu’une construction anthropologique contingente et fragile.

    1. Avatar de G.
      G.

      Nicolas, la « casse » du système social s’arrêtera là où les gens en auront marre et iront voter. Avec les nouveaux moyens de communication, il devient infiniment plus difficile de désinformer une population.

      L’accessibilité du savoir peut se faire via la technologie (internet – ce blog par exemple!). Pas de technologie sans équipements. De même, la terre produit peu si vous ne l’exploitez pas avec des outils adaptés. Si elle produisait tant que cela sans outil, pourquoi y aurait-il la faim dans le monde, en particulier dans les pays dits « en voie de développement »? Quant aux soins, ils dépendant là aussi des progrès techniques et des des équipements et infrastructures. Un peu comme si vous compariez les arracheurs de dents d’antan, qui pratiquent encore dans certains pays pauvres, avec les équipements high-tech de votre dentiste.

      Nos paysans sont équipés, nos foyers ont accès aux bibliothèques, aux écoles et à internet, nos médecins ont des équipements et des hopitaux =>nous sommes riches, vraiment! Des milliards d’êtres humains n’ont pas cette chance.

  8. Avatar de Efarista
    Efarista

    RERS Réseaux d’Echanges Reciproques de Savoirs; voir FORESCO
    Avant les tracteurs existaient les chevaux de labour

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