Billet invité
Ce qu’il y a de très intéressant avec une Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs locaux, c’est que non seulement elle aborde les différentes questions du problème à travers différentes tables rondes (petites et grandes collectivités, TPG et préfets, OPHLM, Cours Régionales des Comptes, etc. ), qu’elle implique une grande diversité d’acteurs de tous bords politiques mais qu’elle est aussi retransmise en vidéos, lesquelles sont accessibles sur internet, que ce soit sur LCP ou sur assemblee-nationale.tv.
Sur cette dernière, on peut notamment y visionner la session du 6 juillet[1] de la table ronde concernant les « grosses » collectivités locales et où les DG (Directeur Généraux) de celles-ci décrivent par le menu leurs relations avec Dexia mais aussi avec toutes les autres concernées par ce sujet. En passant, on y apprend [2] la confirmation que si les relations des collectivités locales ayant souscrits à ces emprunts sont plus que compliquées avec Dexia, c’est, entre autres, que les marges de manœuvre de la banque sont plus que réduites pour la bonne et simple raison que celle-ci a vendu ces emprunts à d’autres banques, notamment et surtout étrangères (Goldman Sachs, UBS, etc.) !
On y entend aussi M. Jean-pierre Gorges, rapporteur (UMP, député d’Eure et Loir) de la Commission d’enquête définir un point très particulier et très intéressant, à savoir, en substance, que la variable d’ajustement évidente pour les collectivités locales concernant les emprunts est bien les impôts locaux. Mais aussi d’affirmer que les budgets de ces mêmes collectivités locales ne peuvent pas être indéterminés. Sur ces deux points, on peut faire mention d’une source incontestable et que d’ailleurs certains acteurs, comme les préfets et les TPG, n’ont pas manqué de rappeler : la Constitution française. Car si on y lit dans le premier alinéa de l’article 72-2 que « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. », ce qui permet par ailleurs à l’État de se retrancher derrière une interprétation prudente de la Constitution quant à son rôle pour ne pas avoir à trop s’en préoccuper (mais Dexia l’a forcé à le faire, in fine), on y trouve aussi deux autres alinéas. « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre. » (alinéa 3).
C’est effectivement ce qu’indique le rapporteur dans son propos : les impôts, comme les emprunts, sont les variables d’ajustement des collectivités locales. De sorte qu’une fois que vous avez contracté des emprunts dits toxiques, il ne vous reste guère que les recettes fiscales comme variable d’ajustement budgétaire. Surtout, l’alinéa 2 définit précisément les termes de cette variable : « Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine. »
On y retrouve ainsi un des principes fondamentaux de la République, à savoir que seule la loi peut déterminer l’impôt, par les citoyens directement ou par ses représentants. C’est ce qu’on appelle le consentement à l’impôt. Sans l’intervention de la loi, nous retombons alors dans l’arbitraire de l’Ancien Régime, arbitraire qui par ailleurs était limité puisque le roi devait convoquer les états généraux pour créer de nouveaux impôts. C’est ce consentement de l’impôt que la constitution décrit dans son article 34 : « La loi fixe les règles concernant : (…) l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures (…) ».
Constitutionnellement, la loi définit donc les conditions qui autorisent les collectivités locales à fixer cette assiette et ce taux d’imposition, dont on a vu combien les recettes fiscales étaient une variable d’ajustement budgétaire, a fortiori lorsque l’autre variable, celle de l’emprunt, est devenue toxique.
Or, quelles peuvent être ces « limites » quand on écoute les récits de collectivités locales qui témoignent (sous serment) devant la Commission d’enquête qu’une fois passée la phase de bonification (taux « réduits », mais parfois si peu « réduits » qu’ils ne font que faire économiser quelques milliers d’euros aux collectivités locales), elles entrent dans la phase dite de structuration (où les taux d’intérêts suivent alors les indices définis par les banques) dans laquelle elles se retrouvent parfois à devoir potentiellement ajuster la variable des impôts locaux de +35 % ? Comme le dit un intervenant, ce sera soit l’explosion des impôts locaux, insoutenable politiquement et financièrement, soit le transfert des budgets aux préfectures. Dans ce cadre là, on pourrait tout aussi bien citer la maxime de Buzz l’éclair dans le fameux dessin animé « Toy story » : « Vers l’infini (fiscal) et au-delà ! ».
Poser la question des limites définies par la loi, c’est poser la question de savoir si en l’espèce nous sommes toujours dans le cadre de la Constitution française ou dans un (très mauvais) dessin animé (de mauvaises intentions).
Surtout, il est nécessaire d’analyser le second terme de l’alinéa, à savoir que c’est la loi qui détermine ces limites. Or, par essence, ces emprunts n’ont aucune autre détermination que celle de formules mathématiques (absconses), qui ne fixent aucunes limites basses ou hautes, puisqu’elles dépendent de la fluctuation des indices définis dans ces contrats. Le principe même donc des emprunts dits toxiques est bien l’indétermination, principe qui vient impacter, puisque les impôts locaux sont la variable d’ajustement budgétaire, le principe de détermination des limites des recettes fiscales de ces collectivités locales par la loi. Ce principe est d’autant plus remis en cause que les banques même qui ont vendu ces emprunts aux collectivités les ont revendu à d’autres banques, la plupart du temps étrangères (Goldman Sachs, JPMorgan, etc.) et qu’elles ne sont donc plus en mesure elles-mêmes de déterminer quoique ce soit quant à ces emprunts !
Dès lors, la question n’est plus de savoir si ces emprunts sont léonins ou non, ou si les collectivités locales les ayant contractées avaient la capacité de les signer (compétences requises pour se faire) ou même de savoir si les banques ont bien rempli leurs obligations de conseil, par exemple. C’est d’ailleurs sur ces points juridiques que l’association « Acteurs publics contre les emprunts toxiques » se positionne : articles 1108, 1109 et 1116 du code civil. Mais si le Code civil est juridiquement celui des codes qui est hiérarchiquement placé le plus haut, il reste que ce code, pour important qu’il soit, demeure soumis à la loi fondamentale : la Constitution française.
Il nous faut donc poser la question de savoir si nous sommes toujours dans le cadre constitutionnel du consentement de l’impôt ou celui, des banques, du consentement de la dette. Pour se faire, il existe un outil très simple : la Question Prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette question, celle du consentement de l’impôt, peut être posée à n’importe quel moment d’un procès et il se trouve justement que nombre de collectivités locales le sont, en procès, contre Dexia notamment, mais pas uniquement. Les avantages de cet outil sont multiples. En premier lieu, il évite de multiplier les procédures et il évite aux collectivités locales de perdre un temps précieux, en termes financiers, puisqu’une fois entrées dans la phase structurée, les collectivités locales payent les intérêts au jour le jour : une fois la décision des hautes juridictions (Conseil d’État ou Cour de Cassation) de transférer la QPC au Conseil Constitutionnel, celui-ci doit statuer dans un délai maximum de 3 mois.
En second lieu, une QPC définit une position de principe fondamental sur un dossier qui en manque cruellement, sans compter que la moitié des emprunts dits toxiques ne l’ont pas été que par Dexia mais aussi par d’autres banques, position de principe qui s’imposera quelque soit la nationalité des banques concernées par ailleurs. En dernier lieu et surtout, l’avis constitutionnel s’impose à tous, y compris aux plus hautes juridictions de France et peut potentiellement permettre, en cas d’inconstitutionnalité reconnue, de déclarer chaque contrat signé alors par les collectivités locales comme nul et non avenu mais aussi de facto de déclarer ces contrats illégaux (non constitutionnels) et donc de les interdire dans le futur (frappant d’illégalité toute contractualisation future). Le Conseil Constitutionnel peut même laisser la latitude à l’État, dans un délai défini, pour légiférer sur une telle interdiction.
L’État, justement, devrait y réfléchir pour sa part puisqu’il apparaît que la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations), son bras armé financier, reprendra aussi la partie toxique de Dexia concernant les emprunts aux collectivités locales. Une décision du Conseil constitutionnel lui permettrait, sous couvert de son avis, de profiter d’une potentielle annulation pure et simple de ces emprunts, dont il doit assurer la garantie via la CDC. In fine, les pertes sèches pourraient alors ne pas être payées par les contribuables, qu’ils soient locaux et/ou nationaux, mais bien par les banques qui ont racheté les produits toxiques à Dexia. Et elle permettrait aussi de répondre, au souhait de M. Vincent, Maire de Saint-Etienne, en la matière : « M. Vincent préconise une structure de défaisance dont le coût serait pris en charge par les banques concernées. »
La question est donc de savoir si nous sommes toujours soumis à la loi fondamentale que les citoyens se sont donnés démocratiquement, à savoir leur Constitution, ou si nous sommes subrepticement passés à un autre ordre fondamental, celui des banques, celui du consentement de la dette.
Qui osera poser la question ?
PS : une autre session fort intéressante s’est déroulée le mercredi 12 octobre avec cette fois les organismes de logement social et les Cours Régionales des Comptes.
[1] Cliquer sur « Commissions » puis sur l’onglet de gauche « Commissions » puis « Produits financiers à risques ».
[2] On retrouve cette information dans l’avant-dernier « sous-fichier » vidéo (le séquençage est réparti par type d’intervention et par acteur, ce qui ne facilite pas forcément l’identification précise des propos, par absence de précision sur le lecteur vidéo de décompte de temps), intitulé « Réponses des auditionnés ».
105 réponses à “DEXIA OU LE CONSENTEMENT DE LA DETTE, par zébu”
Bonsoir à tous,
C’est mon premier commentaire sur ce blog que je lis depuis 2 ans maintenant, donc d’abord un message d’encouragement à Paul, François et à tous les contributeurs pour l’excellent travail effectué. Continuez à nous informer comme vous le faites.
A propos de la piste de la QPC, un ami à qui je relayais l’idée de Zébu me faisait remarquer que la procédure de la QPC vise pour celui qui la pose à faire déclarer inconstitutionnelle une disposition législative. Les contrats de prêts conclus entre les collectivités locales et les banques n’en étant pas, je me demandais donc quelle disposition législative serait l’objet de cette QPC. Car s’il s’agissait des lois par lesquelles les collectivités locales fixent l’impôt local, son assiette et sa limite en supposant qu’il s’agisse bien de dispositions législatives, l’effet de la QPC ne serait-il pas alors éventuellement d’annuler ces lois, empêchant alors les collectivités locales de lever l’impôt et les mettant dans une situation périlleuse. Par ailleurs les contrats de prêts seraient laissés intacts.