Billet invité
Le lièvre de la recapitalisation des banques qui a été levé dans les terriers de Jackson Hole a été immédiatement pris en chasse. C’est dans les couloirs du FMI et au sein du conseil d’administration qu’il est maintenant poursuivi, dans l’attente de la formulation définitive et de la publication en octobre prochain du rapport global annuel sur la stabilité financière du Fonds. Avec la ferme intention d’en effacer les traces.
La méthodologie retenue par les économistes du FMI est contestée par ceux qui veulent étouffer leur évaluation inopportune. Un bien grand mot pour une réalité toute simple, car de quoi s’agit-il derrière un obscur débat technique sur la valorisation de la dette souveraine européenne dans les comptes des banques ?
La seule affaire en cause peut être facilement résumée : les titres obligataires seront-ils oui ou non remboursés à maturité dans leur intégralité ? Doit-on ou non tenir compte entre temps de leur valeur de marché par précaution ? Peut-on laisser cette décision aux banques elles-mêmes ? Si la question semble comptable, la réponse est évidemment stratégique. En d’autres termes, les pays européens les plus faibles vont-ils pouvoir éviter le défaut sur leur dette ? Les défenseurs des banques prétendent que oui, les économistes du FMI y croient moins. On se penserait revenu au temps des stress tests, quand il ne fallait pas évoquer l’exposition à la dette souveraine, puisque celle-ci ne peut pas faire défaut…
L’actualité tendrait à donner plutôt raison au FMI. Faisant suite à une avalanche de mauvais résultats – dérapages budgétaires et accentuation de la récession – la commission de contrôle du budget grecque vient en effet de déclarer que la dynamique de la dette grecque était désormais « hors de contrôle ». Evangelos Venizelos, le ministre des finances, a ensuite voulu rectifier le tir en déclarant que la commission en question « ne dispose ni des connaissances, ni de l’expérience, ni de la responsabilité » des organismes internationaux, mais le mal est fait. D’autant qu’il a lui-même reconnu que « les prochaines semaines jusqu’au 15-20 octobre seront cruciales et graves ». Pour s’en tenir à deux chiffres, le montant global de la dette grecque a atteint 350 milliards d’euros et le déficit public est déjà de 14,69 milliards d’euros à la fin du 1er semestre de cette année, alors qu’il est prévu qu’il ne dépasse pas 16,68 milliards à la fin de l’année.
L’encre du deuxième plan de sauvetage de la Grèce n’est pas sèche, car sa ratification par les 17 pays de la zone euro fait l’objet d’appels angoissés, que des rumeurs invérifiables font déjà état de l’étude engagée par la commission pour un troisième plan ! Herman van Rompuy, président de l’Union européenne, vient de déclarer, parmi d’autres, que sa mise en œuvre était « à brève échéance la priorité des priorités »… Une manière de reconnaître qu’elle n’est pas jouée.
Dans l’immédiat, les représentants de la Troïka (FMI, BCE et Commission) serrent à nouveau la vis à Athènes, prenant prétexte du déblocage de la 6ème tranche du premier prêt de 110 milliards d’euros consenti à la Grèce. Il s’agit cette fois-ci d’obtenir notamment une réduction de la masse salariale et des acquis sociaux, par la biais d’une généralisation des accords d’entreprise au détriment des accords de branche, afin de modifier en faveur du patronat le rapport de force.
Ces négociations – un mot inadapté, vu le contexte – résonnent étrangement alors que Nicolas Sarkozy propose que le prochain G20 de Cannes adopte « un plan d’action pour la croissance », expliquant que « des politiques de rigueur au niveau mondial seraient pires que mal. Elles menaceraient la reprise et risqueraient de nous replonger dans la récession. La réduction des déficits et des dettes, qui est indispensable, doit être graduelle et surtout crédible […] Pour créer des emplois, il faut de la croissance ; pour réduire les déficits et les dettes, il faut de la croissance ».
Opportunément, Michel Barnier, le commissaire européen chargé des marchés financiers, vient d’annoncer que la Commission allait proposer le lancement d’emprunts européens, des « project-bonds » et non des « euro-bonds » a-t-il finement précisé, tournés vers le financement de projets, sur le modèle du grand emprunt lancé par les Français l’an dernier. Des prêts ou des garanties pourraient être, selon lui, dispensés par la Commission ou la Banque européenne d’investissement (BEI).
Le hasard faisant bien les choses, Herman von Rompuy a de son côté jeté un nouveau pavé dans la mare, après Christine Lagarde. Il a tout simplement jugé que la « règle d’or » budgétaire dont les Allemands et les Français font un cheval de bataille dans l’opinion, et que les Espagnols vont adopter sous les applaudissements de l’OCDE, il n’y en avait tout simplement « pas besoin » ! « En fait, les gouvernements n’ont pas besoin de cette règle, ils peuvent le faire sans une disposition constitutionnelle », a-t-il déclaré benoîtement.
La cacophonie ambiante, pour ne pas dire la confusion régnante, est proprement hallucinante. De mauvais esprits ne manquant pas de relever l’évolution pour le moins radicale des propos de Christine Lagarde, selon ses fonctions d’hier de ministre et d’aujourd’hui de directrice générale du FMI. Laquelle des deux a raison, à propos de la solidité des banques ?
Rapportée à l’Italie, prochaine victime désignée avec l’Espagne, cette situation n’est pas triste. À la suite d’un conclave réunissant les composantes de sa majorité, qui s’est tenu dans la modeste villa d’Arcore de Silvio Berlusconi, le gouvernement italien a émasculé son plan de rigueur adopté le 12 août dernier, en revenant notamment sur la taxation des riches (la « contribution de solidarité ») et en diminuant le montant des économies que les collectivités locales vont devoir réaliser. La première mesure afin de satisfaire Silvio Berlusconi et la seconde Umberto Bossi (Ligue du Nord).
Afin de respecter l’objectif d’une réduction des dépenses de 45,5 milliards d’euros sur deux ans, une nouvelle mesure sur les retraites avait été annoncée lundi, sur laquelle le gouvernement est revenu mercredi devant le tollé suscité. À l’arrivée de ces cafouillages en série, il est estimé que 5 milliards d’euros vont au final manquer à l’appel.
Pour mémoire : la dette italienne est la plus élevée d’Europe et les banques nationales y sont très exposées.
C’est par un autre biais que les Espagnols rencontrent des difficultés, celui des énormes déficits et de la dette cumulée de 121 milliards d’euros des 17 régions autonomes du pays, Valence et la Catalogne étant les plus lourdement chargées. Année après année, la majorité d’entre elles ne parvient pas à atteindre les objectifs de réduction du déficit assigné par le gouvernement. Cela prend le même chemin cette année, amenant Moody’s à dégrader la note de six régions. Après des années de gestion à l’image de la gabegie immobilière ambiante et de ce qui l’a accompagné, les régions ne parviennent pas à réduire comme exigé la voilure, compromettant l’objectif gouvernemental de réduction globale du déficit.
Pour mémoire, les banques espagnoles reposent sur une gigantesque bulle immobilière qui ne donne aucun signe de résorption.
« L’incertitude reste particulièrement élevée » a estimé en début de semaine Jean-Claude Trichet, reconnaissant que « la zone euro va croître à un rythme modeste » et que la situation budgétaire de nombreux pays est « fragile ». Cela ne crée pas, d’évidence, les meilleures conditions pour la poursuite de la stratégie engagée dans les pays de la zone des tempêtes, ou pour ceux qui pourraient les y rejoindre vite.
Le double langage qui est désormais instauré – rigueur accrue d’un côté, relance économique de l’autre – va-t-il pouvoir être tenu longtemps ainsi ?
Les banques vont-elles tenir le coup, elles pour qui l’European Banking Authority (EBA) – leur régulateur européen – prévoit de proposer un plan de soutien financier afin qu’elles puissent lever des crédits à moyen et long terme sur le marché plus aisément grâce à des garanties que pourrait leur octroyer le Fonds de stabilité financière (FESF) ? Le régulateur allemand s’y oppose, ne voulant pas élargir encore les missions du Fonds, qui n’est pas censé intervenir directement auprès des banques mais via les États.
Que retenir au final si ce n’est que la stabilisation financière des États et des banques européennes reste un casse-tête non résolu pour nos édiles ?
63 réponses à “L’actualité de la crise : DU GRAND N’IMPORTE QUOI, par François Leclerc”
Pas besoin de recapitaliser les banques belges selon le directeur de la banque nationale Luc Coene: les stress tests l’ont bien démontré!
http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/682473/coene-il-faut-une-vigilance-accrue.html
[…] La suite sur le blog de Paul Jorion […]
Cette recapitalisation des banques pourrait apparaître comme la dernière étape avant leur nationalisation pure et simple, si tant est que les contribuables acceptent de la marquer !
Je répète et martèle toujours et encore la même chose : La seule issue possible est une sortie rapide et définitive du système économique financier et bancaire. C’est le défi que doit relever l’humanité pour conquérir sa liberté. Tout le reste n’est malheureusement que discussion stérile entre intellectuels, qui une fois terminée laisse sans réponse et sans solution l’état désastreux du monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui. Persister dans ce système c’est participer à l’accroissement des inégalités et a sa manifestation qui est l’esclavage des temps modernes.