Billet invité
Ça a commencé comme ça. Une poignée de collègues issus de disciplines différentes, l’envie de travailler ensemble, un financement de cinq ans, des séminaires réguliers où le plaisir d’échanger se mêlait à un sentiment grisant de progression et, au final, des objets d’étude, des rencontres et des résultats qui dépassaient de loin nos attentes initiales.1 Une belle histoire de recherche, en somme, pour une petite communauté regroupant des académiques, des doctorants et des étudiants.
Le groupe n’avait pas en commun que des objectifs scientifiques. Il partageait aussi une conception de la recherche et des relations entre chercheurs centrée sur la convivialité, l’intelligibilité, l’échange et la volonté de bien faire son travail. Rien de révolutionnaire à première vue. Mais le décalage avec les politiques de recherche développées par nos institutions nationales et internationales était pourtant flagrant. Il y avait loin, en effet, entre ces valeurs et les injonctions de productivité, de rentabilité et d’immédiateté inlassablement ressassées par nos managers académiques.
Frappés par ce décalage et convaincus que notre façon de procéder était humainement et scientifiquement plus satisfaisante, nous avons esquissé l’idée d’un mouvement Slow Science – sorte de doigt d’honneur académique à ce Nouvel Ordre de la recherche. La filiation avec Slow Food était d’autant plus évidente que deux des valeurs qui nous tenaient à cœur étaient le plaisir et la créativité. Ici encore, rien de révolutionnaire. Retirez ça de la recherche : que reste-t-il ?
Le hasard a fait que nous avons été soumis quelques temps plus tard à une évaluation de laboratoire. L’outil destiné à mesurer nos performances était un formulaire standard, sorte de canif suisse du coaching en entreprise, avec son inévitable analyse SWOT2. C’était déconcertant de naïveté et presque embarrassant à remplir. Mais à une question au moins, portant sur notre conception de la recherche, nous avions apporté une réponse sincère : plaisir et créativité. Ce fut le point de rupture pour les duettistes en costume sombre qui pilotaient le groupe d’évaluation. De tels termes, nous affirmaient-ils, étaient tout simplement inacceptables. Indignes de figurer sur un formulaire d’évaluation et preuves évidentes de notre manque de sérieux.
Émergence d’une communauté
Les évaluateurs et leur rapport sont sortis de notre vie aussi rapidement qu’ils y étaient entrés. L’histoire serait donc sans conséquence, si elle ne soulignait l’énorme décalage qui s’est installé entre une conception bureaucratique de la recherche, fondée sur les préceptes de l’économétrie et de la communication d’entreprise, et sa pratique concrète, fondée sur l’engagement mutuel de chercheurs qui s’efforcent avant tout de faire honnêtement leur travail. Elle conduit également à s’interroger sur ce qu’apporte cette « excellence » dont on nous rebat inlassablement les oreilles en termes de satisfaction et de réalisation personnelles.
Nous sommes manifestement nombreux à nous poser la question. Une petite recherche sur le Net confirme d’ailleurs que les bonnes idées naissent rarement seules : la notion de « Slow Science » est dans l’air depuis vingt ans au moins. Apparue très paradoxalement sous la plume d’Eugene Garfield3, le père de la bibliométrie et de « l’impact factor »4, elle a ensuite été sporadiquement mentionnée par des chimistes et physiciens américains ou australiens, avant de faire son apparition en Europe dans l’univers des sciences humaines. Ce passage des sciences de la Nature aux sciences de l’Homme et du monde anglo-saxon à l’Europe (à l’exception notoire de l’Angleterre) correspond grosso-modo à la trajectoire historique des politiques de recherche centrées sur la compétitivité et la productivité. Les occurrences du concept de Slow Science se lisent ainsi comme les symptômes d’un malaise qui n’a cessé de s’étendre durant les dernières décennies. Toutes apparaissent d’ailleurs indépendamment les unes des autres, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène de mode, mais d’un mouvement de fond, né de la prise de conscience d’un problème par les acteurs eux mêmes, et d’une tentative de réponse remarquablement convergente.
Un aspect fondamental de cette convergence est qu’elle nous prémunit de toute tentative de confiscation du concept. Inutile de sombrer nous aussi dans la compétition et l’enfermement. Si Slow Science peut devenir un mouvement permettant à la fois de nous transformer nous mêmes et de transformer notre univers de travail, c’est probablement à la façon d’un logiciel libre5. L’approche classique – centralisée et experte – devrait en effet céder la place à une construction collective, plus apte à faire émerger une forme stable et cohérente de résistance. Au lieu de mouvement, on parlera alors de communauté.
Symptômes et solutions
Pour mieux cerner les termes de la réflexion à entreprendre, examinons brièvement le contenu des quelques appels en faveur d’une approche Slow Science. Le plus simple est de procéder chronologiquement, en commençant par Eugene Garfield. Ce dernier fustige l’image populaire d’un progrès scientifique essentiellement lié à une succession d’éclairs de génie et de découvertes fortuites. Les percées importantes, écrit-il, sont plus souvent issues de décennies de travail. Elles proviennent d’individus « qui labourent opiniâtrement un champ mûr pour une découverte, et qui sont préparés intellectuellement à reconnaître et exploiter des résultats inattendus ». En matière de recherche, la lenteur et la constance l’emportent donc sur la vitesse et la versatilité. Le danger vient de la pression exercée par l’opinion publique sur les chercheurs – via les politiques de financement – dont on attend qu’ils obtiennent des résultats immédiats, dans des domaines qui changent sans cesse au gré de l’actualité. Ce que déplore Garfield, en définitive, c’est le déséquilibre actuel entre les recherches de type « curiosity driven » et « objective driven ».
Dans un courrier adressé à Nature6, Lisa Alleva (biochimiste) recentre la critique sur le comportement des scientifiques et particulièrement celui de ses jeunes collègues, engagés dans une course effrénée pour obtenir des financements, une direction de laboratoire ou une titularisation. Cette frénésie finit par les écarter des fondements mêmes de la recherche. « En me détachant des ambitions de mes pairs », écrit-elle, « j’ai découvert un secret : la science, la slow science, est peut-être le passe-temps le plus enrichissant et le plus agréable que l’on puisse avoir. »7 L’origine de cette découverte ? Un petit laboratoire dans lequel les chercheurs ont toute liberté de « lire la littérature, de formuler des idées et de préparer soigneusement [leurs] expériences », mettant en œuvre des « stratégies réfléchies. »8
Des idées du même ordre sont défendues par Dave Beacon, un physicien spécialisé en informatique quantique.9 Séduit par les appels au ralentissement dans de multiples domaines et soucieux de trouver un rythme de vie plus équilibré, il s’interroge : « Quels changements faudrait-il pour faire advenir une “science plus lente” ? Et que nous apporterait concrètement ce ralentissement ? » En ligne de mire : la course folle qui conduit à sacrifier la réflexion sur l’autel de délais toujours plus courts – appels à projet, demandes de financement, publications, communications – ou l’inquiétude qui nous saisit lorsque nous voyons s’élever la pile des nouvelles publications sur le bureau d’un collègue. Refuser cette course ne revient pas à réduire sa quantité de travail, mais à transformer son rapport au travail. Et cela en s’offrant notamment le « luxe » de s’absorber tout entier dans un problème ou de folâtrer, courir ou bricoler pour nourrir sa réflexion. En se donnant le droit de savourer et partager les contributions qui nous émerveillent, plutôt que de se sentir obligé de les critiquer ou d’en produire une version légèrement altérée. En trouvant le temps, au final, de s’interroger sur ce que l’on recherche vraiment dans la recherche. Le problème est qu’il est très difficile d’atteindre des conditions propices à un tel recentrage lorsque les financements de projet privilégient systématiquement le court terme. Des programmes qui ne dépassent pas un horizon de quelques années10 ont pourtant peu de chances d’engendrer des résultats satisfaisants, pour la simple raison qu’une recherche sérieuse impose souvent l’exploration méticuleuse d’innombrables culs-de-sac.
Notons que cet impératif du temps long est particulièrement cruel pour les programmes interdisciplinaires qui s’efforcent de dépasser la simple juxtaposition de domaines de recherche. Comme le constatent nos collègues F. Joulian, S. de Cheveigné et J. Le Marec, « [l]es équipes-projet qui font le pari de l’interdisciplinarité se trouvent […] dans la nécessité de gérer les contradictions entre les exigences de résultats et retombées rapides de la recherche par projet, et le besoin de durée longue et de marges d’essais et d’erreurs, pour construire véritablement les conditions de l’interdisciplinarité. »11 Il en résulte une baisse marquée de la spéculation intellectuelle et de la créativité. Le formatage des projets commence d’ailleurs au niveau doctoral : pour espérer un financement, nos jeunes collègues se trouvent maintenant obligés de proposer des recherches balisées, qui sortent aussi peu que possible des sentiers battus. Annonçant pratiquement leurs résultats à l’avance, ils tentent ainsi de garantir le retour sur investissement. S’il fallait évaluer les projets de la génération précédente sur de telles bases, la plupart seraient tout simplement refusés. Quelle ironie, quand on pense que ses représentants occupent aujourd’hui les postes d’évaluateurs.
Toute recherche comporte donc sa part d’incertitude et demande un temps considérable pour obtenir des résultats significatifs. C’est le leitmotiv des initiateurs de la « Slow Science Academy », qui a vu le jour à Berlin en 2010.12 Dans leur manifeste13, les auteurs se présentent comme des scientifiques qui ne remettent pas en question le fonctionnement actuel de la science (auquel ils prennent tous part), mais refusent qu’on la réduise à ces seules caractéristiques.14 La science, martèlent-ils, requiert du temps. Pour lire, pour se tromper, pour découvrir la difficulté de se comprendre – surtout entre sciences humaines et sciences de la nature –, pour digérer les informations et pour progresser. Afin de préserver ces bases, sur lesquelles s’est fondée la pratique scientifique durant des siècles, nos collègues allemands proposent la création d’un lieu inspiré des anciennes Académies, où se développait naguère le dialogue en face-à-face entre les scientifiques. Leur « Slow Science Academy » aura ainsi pour mission d’offrir une possibilité de retraite aux chercheurs, leur fournissant « de l’espace, du temps et par la suite des moyens, pour qu’ils puissent mener leur job principal : discuter, s’émerveiller, penser. »15
Le dernier plaidoyer en date est un « Appel à un mouvement Slow Science »16 lancé par un anthropologue français, Joël Candau. Ses griefs ont une teneur familière : le temps nécessaire à la recherche manque de plus en plus dans le contexte actuel d’immédiateté, d’urgence, de flux tendus ; le fonctionnement des laboratoires impose la mise sur pied continue de projets que nous n’avons jamais le temps de mener correctement ; le mode d’évaluation des CV a entraîné une obsession de la quantité et la production de « milliers d’articles dupliqués, saucissonnés, reformatés, quand ils ne sont pas plus ou moins “empruntés” » ; les injonctions « d’innovation » et de « performance » poussent à sauter sans cesse d’un domaine à l’autre pour rester dans l’air du temps (et dans la compétition académique : c’est ce que l’Académie des Sciences française nomme « la chasse aux domaines à fort taux de citations et de publication »17). Quant à la dérive bureaucratique et la réunionite, elles « font que plus personne n’a de temps pour rien » : il faut se « prononcer sur des dossiers reçus le jour même pour une mise en œuvre le lendemain ». La façon de combattre cette dérive ? Donner « la priorité à des valeurs et principes fondamentaux ». Mais les propositions de Candau sont surtout d’ordre logistique et administratif : rééquilibrage des activités de recherche et d’enseignement, octroi de périodes strictement consacrées à la recherche, abandon de la bibliométrie dans les évaluations, réduction drastique du temps consacré aux tâches administratives, recentrage sur les questions de fond dans les activités de gestion.
Des VRP à la peine
Outre la frénésie, l’urgence et la compétition qui régissent aujourd’hui l’agenda scientifique, il semble qu’une cause majeure de la détresse du chercheur soit sa transformation en VRP. Inlassablement contraint de vendre ses compétences, ses idées, ses projets, son CV ou son équipe, c’est sa dignité qu’il finit par perdre peu à peu. Or, que rapportent ces transactions ? Des crédits de plus en plus incertains et quelques galons académiques, qui permettent sans doute de se rapprocher des lieux de pouvoir, mais au prix d’un éloignement des lieux de savoir. Du côté institutionnel, le gain ne concerne pas la qualité du travail accompli mais l’image de marque. Derrière les incantations magiques glorifiant l’excellence et la performance se cachent en effet des enjeux très prosaïques : accroître son stock d’étudiants et gagner quelques places dans le Classement annuel des universités du monde18. Objectif dérisoire, ce dernier ferait sourire s’il n’était pas arbitré, depuis Shanghai, par les représentants d’un État dont l’idéologie remet fondamentalement en cause un apport majeur de l’éducation : l’émancipation. Comme disent les anglo-saxons, on ajoute ici l’insulte à la blessure.
Dans cette perspective, refuser l’excellence c’est refuser une politique scientifique qui nous condamne à l’égoïsme, au calcul et à la médiocrité. Qui nous oblige à être acteurs de notre propre destruction. Car ne nous y trompons pas : la bureaucratisation et la dérive managériale du monde académique ne sont pas le fait d’acteurs externes. Comme le rappelle Yves Gingras, « [c]e sont […] les scientifiques eux-mêmes qui succombent souvent aux usages anarchiques de la bibliométrie individuelle et qui, siégeant parfois sur différents comités et conseils d’administration d’organes décisionnels de la recherche, suggèrent d’en généraliser l’usage. Cela confirme que dans le champ scientifique, “l’ennemi” est souvent moins le “bureaucrate” que le collègue… ».19
Comment en sortir ? Deux types de réponses sont apportées par les défenseurs de la Slow Science. Il y a d’abord des propositions d’améliorations ponctuelles, plus ou moins à la marge du système. L’une d’elles serait de repenser – ou à tout le moins professionnaliser – l’évaluation de la recherche. C’est ce que préconisent également de nombreux autres collègues qui, il faut le souligner, ne remettent pas en cause le principe même des évaluations de carrière20. Autre proposition : mieux informer le public des réalités de la recherche, afin d’éviter la versatilité des politiques de financement. Ces financements devraient par ailleurs favoriser des projets à long terme, pour assurer des résultats solides. Enfin, on pourrait transformer le contexte même de l’activité scientifique en créant des « poches » de recherche sur d’autres bases temporelles. Le lancement d’une « Slow Science Academy » va tout à fait dans ce sens, puisque celle-ci offre aux scientifiques une possibilité de repli temporaire dans une sorte de « tour d’ivoire » (pour reprendre les termes de nos collègues allemands).
À côté de ces réponses pratiques, il y a des propositions plus diffuses, mais peut-être plus en accord avec l’idée d’une Slow Science inspirée du mouvement Slow Food. Ainsi, la finalité de ce dernier n’est pas d’améliorer la qualité du menu des fast food – en y imposant par exemple un quota d’aliments bio ou AOC –, mais de promouvoir un rapport à la nourriture centré sur le plaisir, le goût et la convivialité. Il s’agit, en d’autres termes, de transformer les valeurs sur lesquelles se fonde notre consommation alimentaire. Transposée à l’univers académique, cette question de valeur semble surtout liée à l’attitude adoptée dans le travail. Or celle-ci retentit sur les résultats et les récompenses qui en découlent, mais dans des termes pratiquement opposés à ceux qu’envisagent nos managers universitaires. Lisa Alleva et Dave Beacon vont clairement dans ce sens lorsqu’ils invitent à se détacher des ambitions de ses pairs, à s’absorber tout entier dans une activité de recherche ou à savourer – plutôt que jalouser – la qualité d’un travail bien fait. Une telle attitude ne favorise évidemment pas la course au ranking ou à la carrière académique. Mais elle apporte une récompense bien plus essentielle : la possibilité de tirer plaisir et fierté de son travail.
Figures d’artisans
À ce titre, adopter une démarche Slow Science consiste moins à développer un univers parallèle ou à bricoler dans les marges du système, qu’à transformer nos pratiques scientifiques en y (ré)insufflant les valeurs qui font de notre vie une vie de qualité. Deux ouvrages récents, remarquablement convergents, offrent à cet égard une figure de référence : celle de l’artisan. Le premier est le fait d’un universitaire américain, Matthew Crawford21, titulaire d’un doctorat en philosophie. Après avoir fait l’expérience de la dérive actuelle du monde académique, il l’a abandonné pour ouvrir un atelier de réparation de motos, dans lequel il mène une vie bien plus satisfaisante sur le plan intellectuel et moral. Le second ouvrage est du sociologue Richard Sennett22, qui poursuit une réflexion historique sur l’univers du travail. Tous deux partent d’un constat devenu banal : la dévalorisation du travail manuel en milieu scolaire et professionnel est concomitante au développement d’une « économie du savoir » caractérisée par un flux de connaissances de plus en plus superficielles et désincarnées. Comme bien d’autres, ils soulignent le caractère idéologique de cette séparation entre la tête et les mains. « Faire » c’est « penser » et réciproquement. Les aptitudes élémentaires sur lesquelles se fonde le travail artisanal – localiser, questionner, ouvrir23 – sont d’ailleurs identiques à celles du travail de recherche. La première implique en effet « de donner à une chose un caractère concret ; la deuxième, de réfléchir à ses qualités ; la troisième, d’en étendre le sens. »24
Les préoccupations de Crawford et Sennett rejoignent directement les nôtres lorsqu’ils décrivent les conditions nécessaires à la conduite d’une activité manuelle qui engendre à la fois de la qualité et de la satisfaction. De façon générale, l’impératif est de se soumettre aux exigences du métier, c’est-à-dire aux limitations imposées par la matière travaillée et la tâche effectuée. Ce sont en effet « les objectifs propres [de la tâche], en tant que biens en soi, qui font que je désire accomplir mon travail correctement », rappelle Crawford25. « Ils régissent de façon très stricte la “qualité” d’un produit, dimension quasi métaphysique qui échappe largement à ceux qui se contentent de calculer leurs bénéfices mais qui reste une préoccupation centrale tant pour l’usager que pour le producteur de l’objet lui-même. »26 Accepter les exigences du métier implique évidemment de refuser les solutions de facilité ou les voies de contournement. Mais également de comprendre l’importance des erreurs et de la répétition, trop souvent envisagées comme la marque d’une absence de réflexion et de créativité27. « [L]a véritable créativité est le sous-produit d’un type de maîtrise qui ne s’obtient qu’au terme de longues années de pratique. […] L’identification entre créativité et liberté est typique du nouveau capitalisme ; dans cette culture, l’impératif de flexibilité exclut qu’on s’attarde sur une tâche spécifique suffisamment longtemps pour y acquérir une réelle compétence. Or, ce type de compétence est la condition non seulement de la créativité authentique, mais de l’indépendance dont jouit l’homme de métier. »28 C’est aussi la source de son autorité car, celle-ci ne revient pas à « occuper une place d’honneur dans un réseau social. »29
Qualité, créativité, indépendance, autorité : voilà ce qu’apporte, en plus des gains matériels, la poursuite honnête d’un artisanat. À ces bénéfices s’ajoute la fierté engendrée par « l’exécution intégrale d’une tâche susceptible d’être anticipée intellectuellement dans son ensemble et contemplée comme un tout une fois achevée. »30 Comme le conclut Sennett – dans des termes qui pourraient figurer sur un manifeste Slow Science – « les artisans sont surtout fiers du savoir-faire qui mûrit. C’est bien pourquoi la simple imitation ne procure pas une satisfaction durable ; la compétence doit évoluer. La lenteur même du temps professionnel est une source de satisfaction ; la pratique s’enracine et permet de s’approprier un savoir-faire. La même lenteur permet aussi le travail de réflexion et d’imagination – au contraire de la course aux résultats rapides. »31
Des arbres et des herbes
Les réflexions de Crawford et Sennett nous rappellent un fait essentiel : les vraies compétences, celles qui sont sources de progrès, ont une dimension pratique et éthique (un terme malheureusement galvaudé à l’heure actuelle). Elles s’incarnent et mûrissent dans des activités orientées vers la production de résultats tangibles, qui habilitent au plan aussi bien professionnel qu’individuel. Il est bon de le garder à l’esprit, au moment où nos universités se lancent dans une nouvelle réflexion sur les « référentiels de compétences ». Crawford et Sennett nous rappellent également que l’élitisme intellectuel sur lequel se fonde le monde universitaire a entraîné une extraordinaire confusion des valeurs et affaibli notre capacité de résistance à la dérive managériale actuelle. Sur quels critères évaluer la qualité d’une recherche ? Au nom de qui et à quelles fins cette évaluation doit-elle se faire ? Qui fait figure d’autorité ? À ces questions viennent s’ajouter d’autres interrogations : sur la responsabilité professionnelle, l’équilibre entre passion et obsession, le rapport à établir avec les pairs ou l’engagement vis-à-vis de ceux que l’on forme. L’exemple de l’artisanat ne nous offre pas seulement des pistes pour sortir de cette confusion ; il nous invite aussi à une plus grande humilité par rapport à d’autres formes d’expérience.
Comme je l’ai signalé plus haut, la recherche d’une forme stable et cohérente de résistance devrait se concevoir dans la perspective d’un logiciel libre, nourri et amélioré par ceux qui s’en servent concrètement. Si j’ai résumé et proposé ici quelques pistes de réflexion, le travail à accomplir reste phénoménal. Mais quelles que soient les solutions apportées, la meilleure attitude est sans doute de plonger profondément nos racines dans les interstices du système universitaire et de les cultiver, pour qu’elles finissent par faire sauter la chape idéologique qui le recouvre. On se souviendra à cet égard que les arbres à croissance lente altèrent plus durablement leur environnement que les herbes folles. L’éclat de ces dernières ne dure en effet qu’un temps, celui d’une saison…
1 Voir Gosselain, O.P., R. Zeebroek et J.-M. Decroly (eds), 2008. Des choses, des gestes, des mots. Repenser les dynamiques culturelles. Paris : Editions de la MSH (Techniques et Culture 51).
2« Strenghts, Weaknesses, Opportunities, Threats ». C’est sur cette base que s’élaborent les plans stratégiques dans les milieux d’affaire et, depuis quelques années, dans les universités.
3Garfield, E., 1990. Fast Science vs. Slow Science, Or Slow and Steady Win the Race. The Scientist 4(18) :14.
4 Outils statistiques servant de balises actuelles à la gestion des carrières scientifiques. Pour l’Europe et dans le domaine des sciences humaines, le classement des revues (European Reference Index for the Humanities) a été initié par la European Science Foundation au début des années 2000 et concrétisé en 2007. Cet outil, qui n’a fait qu’accroître la pression sur les chercheurs (particulièrement les plus jeunes) et renforcé la position hégémonique de certaines universités, est présenté comme une progression favorable, émancipatrice et garante de la diversité des cultures scientifiques européennes. Les formules qui égrènent le texte de présentation laissent en tout cas peu de doute sur la culture dans laquelle baignent ceux qui pilotent l’initiative : « …how the community of European humanities researchers can best benchmark its outputs… » ; « … systematic turnover of panel membership was also implemented… » ; « … impact and… appropriate evaluation mechanisms for humanities research…» ; « … to raise the threshold of editorial standards… » ; « …to meet stringent benchmark standards… » (voir ce lien , consulté le 17 juin 2011).
5 Du moins ceux qui se fondent, comme Linux, sur un style de développement de type « bazar », pour reprendre la terminologie d’Eric Raymond (voir ce lien, consulté le 15 juin 2011).
6 Alleva, L., 2006. Taking time to savour the rewards of slow science. Nature 443, 21 September: 271.
7 Ibid.
8 Lisa Alleva est aujourd’hui à la tête de son propre (petit) laboratoire, poursuivant des travaux sur le traitement de certaines maladies virales (voir ce lien, consulté le 17 juin 2011).
9 Voir ce lien (consulté le 15 juin 2011).
sup>/sup>10 Dave Beacon fait référence aux programmes financés par la National Science Foundation (NSF).
11Joulian, F., S. de Cheveigné et J. Le Marec, 2005. Évaluer les pratiques interdisciplinaires. Nature, Sciences, Sociétés 13 : 284-290 ; p. 286.
12 Slow-science.org (consulté le 21 décembre 2010). Dommage que l’anonymat et le mode de présentation du site confèrent à cette « Académie » une totale opacité.
13 Slow science manifesto (consulté le 21 décembre 2010).
14 Evaluation par les pairs et classement des publications en fonction de leur impact, importance accordée aux médias et aux relations publiques, accroissement de la spécialisation et de la diversification dans toutes les disciplines, applications des recherches en vue d’accroître le bien-être et la prospérité (ibid.).
15 Ibid.
16 Daté d’octobre 2010, le document m’a été transmis par Agnès Jeanjean, avec laquelle j’ai souvent discuté des problèmes évoqués ici.
17 Du bon usage de la bibliométrie pour l’évaluation individuelle des chercheurs, Rapport de l’Académie des Sciences remis le 17 janvier 2011 à Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Voir « Recommandation n°3, p. 6 » (voir ce lien, consulté le 14 juin 2011).
18 Pour un portrait réaliste de ce classement, voir : Gingras, Y., 2008. La fièvre de l’évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs. Montréal : Centre Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie (voir ce lien).
19 Ibid., p. 11.
20 Voir, par exemple : Gingras 2008, op. cit. ; Servais, P. (Ed.), 2011. L’évaluation de la recherche en sciences humaines et sociales : Regards de chercheurs. Louvain-la-Neuve : Editions Bruylant-Académia.
21 Crawford, M.B., 2010. Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail. Paris : Editions La Découverte.
22Sennett, R., 2010. Ce que sait la main. La culture de l’artisanat. Paris : Albin Michel.
23 Ibid., p. 372.
24 Ibid.
25 Crawford, op. cit., p. 158.
26 Ibid.
27 « Le développement à long terme des techniques manuelles montre [que la] faculté de se concentrer durablement vient d’abord ; c’est ensuite seulement qu’une personne pourra s’impliquer émotionnellement ou intellectuellement. La concentration physique suit ses règles propres, fondées sur la manière dont les gens apprennent à pratiquer, à répéter ce qu’ils font et à tirer les leçons de la répétition. » (Sennett, op.cit., p. 236).
28 Crawford, op. cit., p. 63.
29 Sennett, op. cit., p. 87.
30 Crawford, op. cit. p. 179.
31 Sennett, op. cit., p. 395.
* Université libre de Bruxelles – GAES, University of the Witwatersrand
142 réponses à “SLOW SCIENCE – LA DÉSEXCELLENCE, par Olivier P. Gosselain*”
Ce texte m’évoque »
» Il y a dans l’histoire de l’humanité des époques où les chemins de la pensée ont été tracés Si fort qu’aucun changement n’était possible et que rien de neuf n’arrivait jamais. Le « mieux » était alors affaire de dogme.
ROBERT M. PIRSIG « Traité du Zen
et de l’Entretien des Motocyclettes »
Beau billet qui illustre la distinction qu’il convient toujours d’opérer entre un métier et un emploi.
En même temps, il est navrant de constater qu’il semble s’agir d’une opinion minoritaire au sein de la tranche de la population que l’on imagine facilement la plus éduquée…
Oui, probablement parce que la réussite matérielle imbécile passe par les compromissions pour escalader les hiérarchies.
Quel est le différentiel salarial entre un prof d’uni et une nurse de garderie ? Lequel des deux aura le plus d’impact sur nos mômes?
Tout ceci est fort intéressant. Relire aussi A. Jacquard sur les méfaits de la compétitivité. A l’heure ou la techno science devrait nous permettre, avec un refus de l’obsolescence programmée ( et autre « pousses a la consol »), la simple notion d’efficacité et a revoir totalement… Voire a supprimer! Bien a vous.
Merci pour ce papier bourré d’informations et de réflexions. Etant anthropologue, j’ai reçu l’appel de Joel Candau en juillet. Comme Gosselain, je l’ai trouvé un peu court, mais je l’ai signé quand même.
Il y a plusieurs mois, j’ai envoyé un papier au Journal des Anthropologues, « Le jour d’après », qui abordait ces thèmes (il paraîtra dans le prochain numéro). Il m’a semblé qu’on devait critiquer la speed science actuellement imposée aux chercheurs en la ridiculisant dans des BD ou des fictions : je proposais qu’il s’agisse de créations numériques par des collectifs spontanés.
Merci pour votre réaction, Jeanne Favret-Saada, et pour l’annonce de votre papier à paraître. C’est en vous lisant que j’ai pris goût à l’anthropologie, du moins à cette anthropologie qui ne prétend jamais surplomber l’Autre. Il y a eu bien d’autres rencontres depuis, mais je suis ravi de vous croiser à l’occasion de ce billet.
Petite précision: le texte de Joël Candau auquel je fais référence a été mis en ligne depuis la rédaction du texte. il peut-être consulté et signé à l’adresse suivante: http://slowscience.fr/
@ Olivier Gosselain
Merci, j’ai donc rajouté le lien vers l’appel de Joël Candau directement dans le texte du billet.
la poterie kabyle, activité première de l’humanité première n’a aucun lien avec la compétitivité ou les standards pour mesurer sa performance. Sa pérennité au 21 ème siècle est en elle même une innovation, une excellence; dès lors que les objets de la poterie entrent dans un cadre utilitaire, et que les potières ne cherchent pas à intégrer le classement de Shanghaî,, la science peut être glorifiée de valeurs humaines, sûres car non destructrice.Melle SAHEB ZOHRA, enseignante, Tizi-Ouzou.
L’art, le délire et le jeu, trois grands types d’activité humaine. La bonne recherche est un mixte d’art et de jeu. Le management actuel impose le délire et conduit a la desexcellence et a l’insignifiance. Amha.
Très très beau billet qui me revigore en arrivant au boulot dans une entreprise « normale » avec son système de management actuel. J’ai lu le bouquin de Crawford l’an passé qui m’avait donné de l’air et de la force pour continuer à gagner ma croute.
Cela me rappelle aussi le l’article Donnez donc ! ou les nouveaux Maussquetaires que l’on trouve au §2 de la revue du Mauss (http://www.revuedumauss.com.fr/Pages/APROP.html) qui m’avait beaucoup marqué à sa lecture et mis des mots sur les maux que je sentais et ressentais dans le travail en entreprise à la pointe du management.
On peut aussi se reporter au Discours d’Orsay du 28 Janvier 2008, où ces thèmes sont très largement « traités »…
http://www.dailymotion.com/video/xc7q14_discours-sur-la-recherche-a-l-unive_news
La Plus que Lente.
http://www.youtube.com/watch?v=c1IKPemRRkg
Desole de faire le nitty-picky, mais
« dont on nous rabâche inlassablement les oreilles »
devrait plutot se dire
« dont on nous rabat inlassablement les oreilles »
Article fort interessant par ailleurs. Pas le temps de le lire en entier pour l’instant, je me le garde au chaud pour plus tard.
On devrait plutôt dire : « dont on nous rebat les oreilles »…
Je confirme.
C’est la version romantique de la science. Ca fait rêver.
De nos jours, avant de lancer une recherche, on pense déjà aux résultats nécessaires pour obtenir les financements pour l’année suivante.
De plus les mots « changement » et « climatique » sont quasi obligatoire.
C’est la version romantique de la science. Ca fait rêver.
De nos jours, avant de lancer une recherche, on pense déjà aux résultats nécessaires pour obtenir les financements pour l’année suivante ainsi que mettre tous les mots clefs dans le titre.
Il faudrait obliger toutes publications a fournir l’ensemble des données pour permettre de remettre les résultats en cause.
La recherche souffre avant toute chose de manque de transparence.
Manque de transparence, surtout dans des domaines techniques, concurrentiels, et financés par l’industrie la plupart du temps : je suis d’accord.
Cependant, pensez-vous réellement que cela soit le premier des vices de la recherche ? Je penche pour ma part bien plus vers l’avis de Olivier P. Gosselain.
Vous avez raison, je parle surtout du domaine de l’industrie.
Je connais peu le domaine de la recherche universitaire / fondamental.
Mr Gausselain fait un excellent constat des frustrations existantes dans la recherche.
Je me demande cependant si les causes ont bien été identifié.
Sylv.
Votre réponse est fascinante. « Créativité et plaisir » en recherche sont pour vous du romantisme. Vous n’avez donc absolument jamais exploré quoique ce soit par curiosité. Ensuite vos mots « changement » et « climatiques » obligatoires me suggèrent votre refus de l’idée d’un changement climatique en cours induit par les hommes. Cela vous situe parmi les climatosceptiques. Pour moi, un très bel exemple est donné par ces physiciens allemands qui n’arrivent pas à appliquer correctement le second principe de la thermodynamique au système soleil – terre. Après, vous m’avez l’air d’accepter sereinement qu’il faut réfléchir aux financements nécessaires. Cela vous situe parmi les gens qui considèrent que les relations économiques et les relations humaines sont la même chose. Finalement, vous demandez que la publication sorte toutes les données pour permettre de remettre les résultats en cause. Cela rejoint le climatosceptique (remise en cause), le rejet de la créativité et du plaisir (sortir les données), la confusion des relations économiques et humaines (comment utiliser des données sans explications sur leur origine) et affirme votre ignorance absolue de ce qu’est la recherche (j’ai trituré un millier d’analyses chimiques et en ai tiré plusieurs mégaoctets de diagrammes divers sans parler d’analyses de ces diagrammes. Tout sortir aurait donné un texte de plusieurs centaines de pages). Alors votre jugement définitif selon lequel ce qui manque à la recherche est la transparence (bonne à tout faire des financiers quand ils parlent des non financiers et des climatosceptiques quand ils rencontrent une étude leur déplaisant, thème applicable seulement si vous croyez que les nombres contiennent toute la vérité) vous êtes vraiment loin du compte. Vous n’avez vraiment jamais abordé un problème par curiosité. Vous sauriez que les nombres ne sont qu’un outil et que toute question abordée ainsi est toujours ouverte, jamais fermée.
Après, j’ai eu la chance de voir naître une xylogravure. Cela dura des mois. J’ai pu voir naître et évoluer une idée. Cela a pris des années. De Vinci allait très lentement pour peindre ses oeuvres. Il n’y en a aucune à jeter. Il avait une quantité énorme d’idées. Très peu étaient mûres, mais il les avait (avion, parachute, hélicoptère, surrection des montagnes, tanks et j’en oublie). Einstein a très peu produit d’articles scientifiques. À ma connaissance, Copernic n’a écrit qu’un seul traité scientifique. Le nombre d’oeuvres de van Gogh est assez faible. Picasso en a produit des milliers et je me suis laissé dire qu’il y en avait beaucoup de fausses mais que Picasso s’en moquait complètement.
Je peux voir les papiers scientifiques sortir toujours plus vite. Le niveau est en baisse. Des physiciens allemands ( http://arxiv.org/abs/0707.1161) sortent des âneries sans nom. Ils ont des adeptes. Il faut les contrer (http://rabett.blogspot.com/2009/03/second-law-and-its-criminal-misuse-as.html). Je comprends ce phénomène que des physiciens et mathématiciens se trompent là dessus par l’urgence de produire toujours plus et toujours plus vite. Prendre plus de temps pour creuser un sujet éviterait cette lamentable polémique.
Nous sommes en face de défis de très haut niveau (écologique, de société, de civilisation et j’en oublie) qui vont exiger de nous créativité et engagement. Avec votre réalisme, je sais que nous allons être balayés par ces défis. L’idée de Gosselain et autres est un élément d’espoir. Il nous faut des idées originales, pas innovantes, originales résultat d’une création d’esprits ayant eu le temps de les faire mûrir.
Aucun rapport avec le romantisme ça.
@Mr Didier F.
Mon commentaire était provocante, je le reconnais, mais je suis surpris par la ferveur de votre réponse.
Quand j’étais à l’université, tout le monde voulait faire un projet lié au changement climatique, c’était sexy et les profs les y poussaient. Je trouve cette obsession dommage. C’est un sujet important mais quand vous dites, on devrait aussi avoir le droit de faire de la recherche par curiosité au lieu d’avoir un thème fortement encouragé. Je ne me permettrai jamais de jugement sur le changement climatique, c’est un sujet bien trop complexe pour mes connaissances. Arrêté voire des « climatosceptiques» partout, il y a aussi des gens qui reconnaissent leur incompétence dans ce domaine. On a le droit de ne pas avoir une opinion sur ce qu’on ne comprend pas.
Je pensait aux publications liés à la santé et aux médicaments lorsque je parlais du manque de transparence. Il fait une étude favorable et « hop » on met un nouveau médicament sur le marché. Je travail beaucoup avec les statistiques et je SAIS que l’on peut leur faire dire n’importe quoi.
La pression financière et de résultats n’empêche en rien l’intégrité de l’auteur. Il peut toujours définir clairement les marges d’erreurs sans être malhonnête. Pourquoi le niveau baisse ?, je suis assez cynique sur la question…vous pouvez deviner.
Je reste optimiste car tant qu’il y aura des gens passionnés, la science avancera. Le reste est cosmétique.
Sylv,
Bref, vous avez été choquée par cette expérience universitaire sur le changement climatique et son caractère sexy. J’ai été choqué par l’inocmpétence des climatosceptiques qui n’est vraiment pas un obstacle pour leur permettre un avis tranché sur la question. Après, cette histoire de changement climatique pose un problème très violent. Il concerne tout le monde, les compétents et les autres et il faudra prendre position. Vu les changements que la prise en considération de ce problème exige, cela fera beaucoup de climatosceptiques. La compétence scientifique n’y jouera aucun rôle.
Je suis d’accord que la mesure des effets de nouveaux médicaments par la statistique prête le flanc à des incitations très orientées vers les bénéfices et accessoirement vers le soulagement des malades. J’ai parfois l’impression que l’analyse est faite pour démontrer un résultat positif pas un résultat.
L’origine de la baisse du niveau ne m’est pas trop évidente. Michea parle de l’enseignement de l’ignorance dans un livre du même nom. J’ai mal compris ce qu’il veut dire par là. Je suppose qu’il dénonce la pédagogie moderne qui enseigne des procédures sans jamais s’inquiéter de la maîtrise des savoirs associés. C’est la pédagogie de l’étude des cas enseignée à Harvard (je crois). C’est un peu comme si connaître l’algorithme de l’addition vous faisait croire que vous maîtrisez toutes les propriétés de cette opération. Cette pédagogie permet d’accumuler rapidement beaucoup de connaissances sans qu’elles ne puissent former un corpus ou une vision personnelle sur la question. Le critère de quantité est respecté. L’humain qui a absorbé tout cela ne l’est pas. Il va donc rejeter la plus grande partie de ces corps étrangers non assimilés ou utiliser ce qui est horriblement mal assimilé comme des vérités absolues. Je fais là une hypothèse vraisemblable sans résoudre le problème.
Pour ma ferveur, je suis toujours curieux et ai toujours un énorme plaisir à observer et découvrir un côté de la réalité que je n’avais pas observé. Il y en a toujours. Votre réaction m’a touché à cet endroit.
Le drame de la recherche pour celui qui en a vocation est celui de pouvoir en vivre, apres une phase universitaire de doctorant et de post doctorant.
Il faut donc sous la houlette universitaire d’un « prof » devenir d’une part son éleve et moissonner des théses dont l’université elle méme puisse s’ennorgueillir, l’incorporer dans ses blasons. On a pu voir en extréme orient des universités « bidonner des théses » s’arranger pour quelles soient publiés dans « xarchiv » ou autres sites au seul motif de dorer leur blasons scientifiques.
Et puis il y a la question du financement institutionnel des « labos » de recherches (type CNRS en france) tributaire d’une hiérarchie accrochée à des postes, obligée de justifier les maigres manes dont elle dispose auprés des « politiques » qui de leur coté ne demandent que des retours à courts termes, des résultats.
Devenir prof, initier ses éleves dans le droit fil de ses propres idées, devient le lot commun naturel des chercheurs en titre, si bien que la recherche a tendance à se stratifier, pour le meilleur ou le pire, dans des sortes d’écoles de pensée, de cooptation, desquelles peu d’éleves échappent.
Il m’est difficile d’apprécier la qualité du modéle des universtés nord-américaines, versus l’Europe, leur financement souvent présenté comme une panacée, mais il leur faut des chercheurs de renom pour y attirer des éleves condition qui détermine la sponsorisation du privé.
Le concept d’une recherche lente, douce, n’est t’il pas à nuancer en fonction des disciplines, science du vivant et recherches fondamentales?
Cet article met a juste titre l’accent sur le temps de la recherche et la liberté intellectuelle des chercheurs, les synergies interproféssionnelles, la condition cruciale pour y arriver passe par la question « basique » du gagne pain de ces derniers et il faut hélas l’évoquer d’un comportement humain ou jalousies et croques en jambes sont monnaies courantes.
Je peux confirmer que cette tendance à la compétition et la performance à court-terme atteint tous les domaines de la Science, Sciences Humaines, Sciences Techniques, ou Sciences Fondamentales. Cette situation, en ce qui me concerne, crée une grande frustration et finira par me faire quitter le secteur académique. Ras le bol de n’avoir de temps pour rien et particulièrement pour un travail de recherche bien fait.
Ce billet est très intéressant. Merci de m’avoir introduit le concept de Slow Science, mettant en avant des valeurs dans lesquelles je me retrouve tout à fait.
Un doctorant.
Je me pose d’autres questions. Je me demande parfois si certains lobby ne freinent pas délibérément la recherche dans le domaine de la santé par exemple, sachant qu’ils ont besoin en théorie, de malades plutôt que de bien portants, pour vendre leurs mixtures.
Par exemple il existe une lignée japonaise de souris résistantes à tout cancer. Il y a longtemps qu’une telle souche aurait du être sélectionnée et étudiée, or cela ne s’est fait que tardivement, dans les années 90 si ma mémoire est exacte. Nonobstant, personne ne s’y intéresse. En avez-vous entendu parler ? Vraisemblablement pas. Cette souris ne sort pas de son labo.
Cette maladie qui tue des millions de gens n’est déclarée cause nationale par aucun pays, on a accepté, entériné et intériorisé le fait qu’il n’y aura jamais de victoire, on n’attend même plus une percée dans ce domaine. En attendant la pharmacie peut toujours vendre ses chimiothérapies, donc en quoi cela la dérange ? En rien du tout…
Concernant les antibiotiques, on pourrait aussi sélectionner des organismes qui résistent aux nouveaux germes. La sélection marche dans les deux sens, bizarrement c’est toujours la nature qui l’emploi, jamais l’homme….
Il serait intéressant de donner des sources et liens plutôt qu’un simple
– Avez vous entendu parler … ?
– Vraisemblablement pas …
Nous sommes assez (et objectivement) manipulés (voir le texte récent de Paul Jorion sur la dualité quantique des Kadafi :)) pour nous noyer en plus dans du complotisme « ouï-dit ».
Notez que je ne nie pas votre propos pour lequel je suis incompétent. Il s’agit de rigueur intellectuelle.
@ lisztfr
Vous parlez comme si les scientifiques n’existaient pas et méprisaient, tous, les honneurs, l’argent ou le Prix Nobel.
Si on suit votre raisonnement on pourrait penser aussi que s’il y a si peu de grands compositeurs aujourd’hui c’est parce que l’industrie musicale veut continuer à nous vendre les disques des grands classiques.
Vous ne seriez pas un peu parano, par hasard?
Absolument
Le décoratif aliénant est beaucoup plus payant que le dépaysant libérateur. Votre pensée est pessimiste, passéiste… et basse de plafond
Voilà un fait qui contredit votre théorie:
http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2011/08/18/secu-des-scientifiques-travaillent-sur-un-traitement-efficace-contre-tous-les-virus/
Sans doute, c’est le genre de réflexion qu’on se fait lorsqu’un membre de la famille est atteint. On constate tout simplement qu’il n’y a aucune urgence décrétée, et l’on se souvient de passages d’ Huxley, où la science est bridée..
Souris :
http://espoirs.forumactif.com/t872-resistance-au-cancer-chez-une-souris-et-sa-descendance
Parenthèse,
Il aura fallu attendre Onfray pour jeter le doute sur la psychanalyse, même s’il exagère, notamment il ne comprend pas que l’analyste se doit occuper la position de l’idéal du moi pour que sa parole ait un effet, mais bon.. Je suis parano dans le sens où tout me parait suspecte en effet, et que je n’ai plus confiance, depuis Médiator, en grand chose… la façon dont les labos privés font de la « recherche », merci bien !
Je ne sais pas ce que fabriquent les chercheurs, ils n’ont pas l’idée d’appliquer à nouveau la sélection naturelle, qui est à l’origine des premiers antibiotiques, pour continuer à employer cette méthode de confrontation entre espèces pour trouver de nouvelles molécules, et être ainsi moins acculés;
Je ne sais pas à quoi sert ITER non plus …
Je sais que c’est très compliqué la recherche, mais enfin, il n’y a pas de grands progrès concernant le cancer. Mon beau père est décédé en 2 ans, voilà ! Et je ne suis pas content, de ces résultats de recherche. J’exige des résultats ! Je veux que l’on prenne conscience que ça ne va pas du tout, en réalité ! Et je ne ressens pas cette urgence dans la société …
Souvent on lit des résultats encourageant et puis finalement, les conséquences en sont nulles…
Le fait c’était pour Lisztfr.
@ Mike
D’abord, je ne suis pas sûr que tu as compris ma phrase, puisque tu traites de « décorative » l’oeuvre des grands classiques de la musique occidentale.
Ensuite, et si on imagine que tu réponds vraiment à ce que j’ai écrit, tu oublies une chose: que « le décoratif aliénant », comme tu dis dans ta langue si moderne, a toujours existé, et qu’à l’époque de Bach, Mozart ou Beethoven il y avait des compositeurs qui faisaient de la « daube » et qui gagnaient bien plus d’argent qu’eux.
Je te signale, puisque tu as l’air de connaître le monde de l’Art aussi mal que moi celui du Droit Canonique sous le pontificat de Sirice, que les grands artistes se fichent pas mal des modes et ne font qu’à leur tête. Donc, s’il y avait aujourd’hui des compositeurs de la trempe de Bach, Mozart ou Beethoven, ils ne feraient pas du tout du « décoratif aliénant » (ni du « dépaysant libérateur » non plus, d’ailleurs).
Quant à la vraie raison qui expliquerait pourquoi c’est plus difficile aujourd’hui de composer de la Grande Musique qu’à l’époque de Bach, je m’asbstiendrai de te l’expliquer à toi, dont le plafond de pensée a l’air si haut qu’il devient invisible.
Bonjour,
@ JB Carré (et tous les autres lecteurs), je suis également doctorant et je ressens également une immense frustration. Je ne détaillerai pas ici les divers avatars de la progression hasardeuse de ma thèse ; mon problème n’a pas tant été qu’un manque de temps (je sèche par exemple les réunions dans lesquelles j’estime que je n’ai rien à dire) qu’une direction désastreuse. On m’a lancé sur un modèle jamais utilisé au labo, je n’ai jamais pu confronter mes réflexions issues de ma bibliographie avec mon chef, qui en plus n’a lui pas fait de biblio de son côté. Et pire que tout, je suis pris dans le schéma du « je veux un résultat original pour un gros papier, donc à la fin tu dois trouver ça, démerde toi pour remplir les cases de A à Z ». Totalement anti-scientifique. J’ai même envie de dire irrécupérablement puéril. Par ailleurs, cette personne cherche à faire grossir son groupe régulièrement, darwinisme scientifique oblige (belle ironie), en phagocytant des petites équipes (bienheureuses d’ailleurs de pouvoir rejoindre un groupe plus large, question de subsides) dont les titulaires deviennent porte-plumes et faire-valoirs en congrès, etc Pas une volonté maligne de sa part, juste un comportement induit par le « système », mais embrassé sans le moindre recul apparent, et surtout avec aucune compétence manageriale…
Tout ça pour dire que moi aussi je quitterai vraisemblablement la recherche à l’issue de cette thèse, mais ces années n’ont pas été perdues, je me suis énormément enrichi par ailleurs. J’envisage de me reconvertir vers quelque de plus manuel, et plus en prise avec des questions disons d’intérêt direct. L’exemple du philosophe qui ouvre son atelier me parle complètement. Par ailleurs, un scientifique est quelqu’un d’hyper-spécialisé, qui n’a pas de temps pour acquérir d’autres compétences hors de son métier, et dont je doute de la fitness dans notre monde tel qu’il sera d’ici quelques années. Les chefs de mon labo, je les trouve un peu « hors-sol », alors que moi je suis le type qui plane selon eux. Je rejoins un commentaire précédent parlant de la navrante inaptitude à l’ouverture en général des « chercheurs » pour ceux que je connais, censément le corps de métier le plus éduqué, curieux, etc Et bien non, raté. Faux sur toute la ligne. J’avais tenté d’ouvrir les yeux d’un collègue docteur sur l’envers de la finance, l’évolution économique, il m’a répondu quasi texto qu’il préférait « rester ignorant de ces choses là et être heureux », et sur ce il est reparti étoffer son réseau sur Viadeo. C’était une des personnes que je sentais les plus ouvertes dans mon labo. Je parle pas non plus de l’attitude ultra-condescendante des « élus » de mon labo (cancéro et nutrition) envers les « fouille-merdes » d’en face (écologie, écosystèmes). Le complexe de la tour d’ivoire est aussi valable intra-science.
Sinon,
@ Litzfr, très intéressant cette histoire de souris, je ne connaissais pas, j’ai donc googlé un poil sur le sujet. J’ai peut-être une explication au fait que la recherche ne soit pas encore très active sur cette lignée. Une souris résistante a été découverte en 1999. Afin d’avoir assez de « matériel » sur lequel travailler, le trait a dû être sélectionné sur plusieurs générations, ce qui prend du temps, en dépit de la courte gestation des souris. Néanmoins quelques papiers semblent avoir déjà été publiés. Voici un lien vers un article de 2006 :
http://www.sciencedaily.com/releases/2006/05/060509094714.htm
Vous avez raison pour le biais financier (pour rester poli) concernant la recherche sur les traitements. Il existe une petite molécule, le dichloroacétate (chercher DCA + cancer) qui présente une cytotoxicité élevée et très sélective envers les cellules cancéreuses dans de nombreux type de cancers. Les études ne dépasseront pas le dernier stade clinique chez l’humain, tout simplement parce que c’est une molécule simple et tombée dans le domaine public, dont l’exploitation ne garantira pas le ROI, vu le coût des essais cliniques.
litzst,
Un malade augmente le PIB, pas une personne bien portante.
Un traitement qui éliminerait le cancer supprimerait toutes les installations de chirurgie très lourdes s’occupant du cancer et des très longs traitements associés. Financièrement très mauvais.
Votre idée a été émise pour un vaccin contre lis SIDA. Au point, il élimine tous les crédits de recherche sur cette maladie. Au point, toutes les entreprises pharmaceutiques vendant très cher des médicaments pour contenir ce virus perdent une vache à lait très précieuse. Un vaccin efficace serait une perte très sèche pour une industrie très florissante.
Actuellement, un chemin rentable pour l’entreprise aura tous les encouragements. Le critère de bien est la quantité d’argent que le truc rapporte à la boîte. Si cela baisse les rentrées financières, c’est mauvais même si cela signifiait la fin du SIDA, du cancer, des maladies cardio-vasculaires. C’est notre critère du bien et du mal et il exige toujours plus.
Il a pour lui d’être rationnel, quantifiable, comparable, de permettre de savoir si des progrès (selon lui) sont faits, de permettre des décisions rapides et multiples, de simplifier fortement le monde et de permettre d’organiser de très grands ensembles d’humains. Il a contre lui ce que j’en dis plus haut.
A titre d’exemple (venant d’ailleurs que la recherche) une conversation de dîner entre les professionnels de l’aménagement de territoire et de génie civile.
A: « C’est une folie que croire à la protection absolue par les digues contre les inondations de la plaine que vous être en train d’aménager. Tôt ou tard une crue plus importante que prévue détruira les digues. »
B: »Tu n’as rien compris. D’abord on aménage la plaine. Ensuite on construit les digues. Après la destruction des digues et devastation de la plaine on reconstruit les digues ainsi que les aménagements de la plaine. Tout cela assure le travail permanent pour les entreprises de BTP ».
Ainsi la croissance est assurée, elle aussi!
n’oubliez pas que l’objectif patent de l’Industrie pharmaceutique est de soigner, pas de guérir…
que nenni, en dehors même du bizness généré, elle est loin du patient : elle ne va pas au contact !
les soignants, à tous les échelons des équipes, quant à eux soignent …
si parfois … pourraient se prendre pour dieu, sont vite remis d’équerre par celui qui, en dépit des soins, va tout de même mourir.
Le soin, c’est un savoir appris, un savoir-faire, un savoir-être acquis avec temps, patience et humilité.
Le soin, c’est quelque chose qui se passe entre le savoir de celui-qui-sait, et le patient-qui-sait-autre-chose de lui-même, et qu’il faut essayer d’entendre, et de ne pas nier, ni étouffer .
C’est donc une relation complexe. Le patient a aussi le « droit » de mourir .
L’industrie pharmaceutique n’a rien à voir avec ce qu’est le soin.
Elle propose – dans le meilleur des cas – de nouveaux outils. Elle est aussi un puissant lobby.
Par ailleurs, une des maladies qui a le plus tué et qui tue encore, dans le monde est le paludisme ( à falciparum ), qui n’a pas trop branché l’industrie, car Pays « lointains » et « exotiques » .
Voilà aussi pourquoi il ne faut pas un monde tout-puissant, quelqu’il soit, et les autres, mais un monde multipolaire ; les uns pouvant pallier les « défaillances » des autres.
M,
Votre idée de l’éloignement de l’industrie pharmaceutique des patients est pertinente. Elle ne propose que des outils aux soignants. Ce n’est pas par charité ou par bonté d’âme qu’elle le fait. C’est uniquement pour les bénéfices qu’elle en tire. C’est comme ça que je comprends l’absence de médicaments pour soigner le paludisme. Ses malades ne sont pas solvables. Et l’industrie pharmaceutique a montré sa volonté de protéger ses bénéfices avec le SIDA. Elle a lutté pour que les malades paient les médicaments spécifiques au prix maximal. Je ne vois aucun racisme là dedans. Juste un souci « d’optimiser les bénéfices ».
Toujours selon cette idée, des pilules que le malade doit prendre toute sa vie est financièrement infiniment plus intéressant qu’un vaccin même vendu hors de prix. Ce problème n’est pas du tout typique à l’industrie pharmaceutique. L’industrie du vêtement me semble un autre exemple (un peu moins dramatique). Tous les appareils électroniques, toutes les voitures me semblent respecter la même logique. Je la résume par l’expression « Il faut optimiser ses bénéfices ».
Cette logique rend les décisions économiques très simples. Il y a un critère du bien et du mal. Il est très facile de définir si le chemin suivi est un progrès selon cette logique. La vitesse de décision est fabuleuse. On en est au point de pouvoir les donner à des ordinateurs. Ensuite, je vois toute l’économie organisée autour de cette idée. Il faut de la croissance pour que les salaires puissent augmenter et relancer la consommation qui va donner de la croissance. Pour distribuer des salaires, il faut que la productivité augmente. Quoique même là, le truc coince. Les salariés sont devenus des coûts à comprimer pour satisfaire les actionnaires. Les socialistes croient encore que si la croissance est là, les bénéfices supplémentaires seront redistribués en salaires. Ils défendent eux aussi cette logique « Il faut optimiser les bénéfices ». Tout cela est si clair et si simple que « Ne pas vivre au dessus de ses moyens » est accepté, que « Les baisses d’impôts sont bénéfiques à l’économie » est accepté, que « Les Etats ont vécu au dessus de leurs moyens » est accepté, que la BCE est devenue indépendant, que les marchés financiers sont acceptés (ils veillent à ce que les bénéfices soient optimisés pour le plus grand bien de tous).
Vous supposez qu’un monde multipolaire avec des gens pouvant rattraper les égarements d’un autre nous protègerait de cette tendance très lourde. Pour moi, cela sonne comme une apologie de la concurrence. Une concurrence parfaite devrait donner un marché efficient qui distribuerait les biens et les services d’une façon optimale. L’évolution actuelle de la finance nous montre ce qu’est un marché sans régulation. Il aurait dû devenir efficient. C’est ce que la théorie prévoyait. Si mon analogie tient la route, votre monde multipolaire ne pourra rien contre cette tendance de l’industrie pharmaceutique à augmenter ses bénéfices et pas ceux des malades et de la société où elles vendent leurs médicaments. Pour cela, il faudrait, par exemple, pouvoir aller lire les documents sur la politique commerciale de ces gens (je pense qu’ils sont secrets) et avoir des moyens de pression sur ces gens. J’en doute.
Je peux me tenir informé. Je peux me renseigner. Mais je ne peux pas aller aussi loin dans la recherche d’informations et pourquoi ces gens me donneraient ces informations ? Il faudrait que j’en fasse mon métier et que je sois soutenu par une clique aussi puissante que ces gens.
Cela me mène à une solution ironique. Cela se nommait fonctionnaires.
Elle ne marche plus. Je ne vois pas pourquoi un fonctionnaire resterait indifférent à une offre alléchante faite par ceux qu’il contrôle. En plus son expérience lui donnerait les moyens d’aider son nouvel employeur à contourner ces contrôles. Cela se nomme pantouflage.
Merci de m’avoir lancé sur cette piste de réflexion. Elle est très riche, touche une tendance très lourde de notre monde et aboutit très naturellement à une ou deux très grosses impasses.
M,
Encore une chose. Les soignants utilisent les outils qu’ils ont à disposition. Une part notable de ces outils leurs viennent de l’industrie pharmaceutique. Je crois que le terme technique correct est « marché captif ». Les pharmas savent que les soignants vont acheter ou faire acheter leurs outils. Les pharmas décident donc aussi de la nature des outils disponibles pour soigner.
Financièrement, je me répète, les pilules à vie sont meilleures que les vaccins.
La thèse défendue par ce texte est à mon sens généralisable bien au delà du petit cercle de la recherche. Toute l’économie moderne (ce qui englobe à peu près tout le champs de la production-distribution des marchandises – biens ou services – à l’exception peut-être de l’artisanat) est fondée sur le principe phare d’une rentabilité exacerbée, au nom de laquelle toute l’arborescence hiérarchique des entreprises doit se contorsionner dans des postures parfois (souvent?) grotesques.
Inutile d’être efficace quand il suffit d’en avoir l’air, attitude autorisant dès lors une facturation majorée de la prestation, finalité du professionnalisme moderne. Même la production de biens, qui semblerait a priori épargnée par ce genre de dérives, ne l’est pas, alors même qu’un résultat objectivement mesurable est attendu: Une commande de n unités d’un produit p, standardisé, doit être honorée à la date t. Les dérives observables dans ce domaine tiennent en l’occurrence beaucoup au non-respect du standard annoncé (mésusage des procédures de contrôle qualitatif, par exemple).
L’injonction de rentabilité conduit ainsi la plupart des employés à devenir des acteurs, non pas au sens littéral d’êtres agissants, mais à celui propre aux gens de théâtre, et s’ils ne le sont pas directement dans leur propre activité, ils le sont au moins indirectement en fermant les yeux sur les pratiques de leurs collègues, par soucis de cohésion.
On pourrait voir dans ceci un complément des principes de Peter et Dilbert, traitant du seuil d’incompétence: Quand bien même les agents économiques ne seraient pas eux-mêmes frappés par ce seuil, qu’ils seraient néanmoins contraints par le mode d’organisation du travail lui-même à se « brider » pour l’atteindre.
Dissonance,
Un exemple de votre idée est donné par Hermann Göring. Il aurait déclaré que son Führer ne lui demandera jamais quelle est la qualité des avions de sa Luftwaffe mais leur nombre. Il avait raison. Tant mieux pour nous.
Votre idée contient une ironie glacée incroyable. Sous les régimes communistes, il fallait acheter les casseroles avant le 15 du mois. Après, seul le nombre de casseroles produites comptait, pas leur qualité. Nous sommes en train de rattraper ces régimes.
Ils sont tombés parce qu’il y a un truc appelé humain là au milieu.
@Didier F
Oui, mais d’un autre côté, ils ont existé du seul fait d’un truc aussi appelé humain… Dans ce que j’évoque, les petites combines, la bienveillante connivence ou la politique de l’autruche qui animent ce système ne sont pas le fait de je ne sais quelle entité divine ou extra-terrestre.
Anecdote: Boulot pour une entreprise en pleines démarches de certification iso9001. L’entreprise veut se doter d’un outil d’informatique décisionnelle dans ce cadre. Embauche d’un consultant freelance à 1000 euros/jour pour 5 jours de prestation: 3 jours d’une formation qui s’avéra par la suite ne pas correspondre au travail à réaliser, puis 2 jours à la fin du projet pour préparer et effectuer la présentation de l’outil aux cadres de l’entreprise, lequel n’était alors pas du tout opérationnel et dont on maquilla habillement les résultats pour qu’ils soient conformes aux attentes. La magie du power-point fit le reste… Le consultant: Un vieux copain du chef de service en charge du projet…
Je préfère ne pas m’attarder sur le déroulement du projet lui-même, mais vous pouvez être sur d’une chose, ce fut une expérience édifiante… Et j’ai quelques autres histoire en stock du même acabit…
Dissonance,
Je suis assez vieux pour me rappeler d’avoir entendu des histoires de cet acabit pour démontrer la stupidité du système communiste. L’ironie hallucinante de la chose est que je n’avais jamais imaginé que cette incurie se retrouverai de ce côté du rideau de fer.
Pour les humains, ils ont aussi fait Hitler. Je vous le concède. Göring était humain. Mon idée est qu’avec un régime pareil, le truc humain devient automatiquement un grain de sable dans ce truc ou même un ennemi de classe, de race ou d’autre chose. Cela colle si peu avec être humain que tout individu un peu sain d’esprit devient malgré lui un ennemi du régime, un saboteur, un parasite.
Votre histoire de projet et celle que je cite en sont, pour moi, deux exemples. Des humains veulent survivre ou progresser dans la hiérarchie du moment. Leur tâche est impossible. Alors ils recourent à la solution la plus simple. Ils trichent.
Pour autant que » recherche » exprime « découverte » , déduction et/ou induction , esprit de géomètrie et/ou de finesse , je me demande si slow et speed sont bien la bonne appréciation .Je rejoins aussi d’autres intervenants pour noter que le seul terme de science ne renvoie pas à découverte , sauf à dire qu’il y a des sciences aux résultats attendus , et des sciences aux résultats inattendus , ce qui ne serait pas trop stupide d’ailleurs .
L’intuition et la créativité sont » hors du temps » .
Le slow et le speed n’y ont pas de sens ,car ils mesurent le » présent » et/ou un lointain futur dont les horloges ont toujours un maître ( collectif ou personnel)..
Quand je ne sais plus bien , je me dis avec Jacques Audiberti que » découvrir , c’est mettre à sa juste place ce qui ne fut jamais complètement caché « .
Et alors le plus crucial devient la mesure de la » juste place « .
ça n’est pas une découverte , mais ça rappelle que la créativité et la découverte , pour incomparablement riches et nécessaires qu’elles soient , n’ont de portée humaine qu’associées à nos trois autres aptitudes ( je « rebats » les oreilles : empathie , organisation , prise de risque…qui renvoient respectivement au temps passé , présent et futur , les trois seuls…temps où la mesure de la vitesse a un point d’application ).
En clair je redoute autant la bride sur le cou laissé au savant fou , que la bride sur le cou laissée aux » leaders » plus ou moins élus ( travers historique et persistant ) , aux « juges et professeurs » , ou aux » panseurs des âmes » .
La » juste place » aux mains toujours tremblantes de la démocratie qui oblige tout ce beau monde à travailler ensemble et rendre compte.
Comment travailler ensemble ? Comment être juste ? Comment se comprendre ?
@Didier F :
C’est bien tout l’enjeu de la construction démocratique , éternel chantier entre idéal et pragmatisme , entre vraie constitution et faux emplois de la constitution , entre consommateur bourgeois et citoyen , entre individu et volonté collective , entre local et mondial ….
Mais , à défaut de donner des solutions toutes faites ( il y a eu pas mal d’ esprits de très grande qualité pour en forger et proposer) , selon moi c’est une excellente rentrée en matière ( et en démocratie) que de privilégier la question du comment .
Vous n’avez pas de réponse.
Non ! heureusement !
La démocratie ça ne fait pas dans le prêt à porter .
Je n’ai ( eu) que mes petits bras , ma tête , mes échanges dans le travail , l’engagement familial , associatif ou syndical , et un petit chouïa de litterature blogale , pour partager mes idées et mes quelques talents afin de faire vivre la démocratie à laquelle j’aspire . Honnêtement , jusqu’à maintenant , ce sont les 4 premiers termes de cette liste de confrontations qui ont été les plus riches et productifs .
Curieusement votre remarque est celle d’un » homme pressé » .
La démocratie aussi c’est un slow , et parfois un tango ( un pas en avant , deux pas en arrière et Oh miracle , ça avance quand même ) .
Alors on fait comment ? Est-ce que passer du niveau de votre personne à celui d’un pays, par exemple, n’introduit pas des phénomènes qui vous dépassent totalement ?
Je pense que oui. Si j’ai raison, nous sommes totalement livrés à ces phénomènes. Goldman Sachs et son caractère de « market-marker » est l’un d’eux. La démocratie s’aplatit devant Goldman Sachs. Elle n’a rien à lui dire dans votre cadre de pensée. Le monde financier est au pouvoir. À votre niveau, vous n’y pouvez rien. Votre théorie des quatre approche n’apporte rien à ce problème. La démocratie est aux ordres. Selon Jean Pierre Raffarin, les marchés votent. Il faut les écouter. Etes-vous à l’abri de l’austérité qui vient pour satisfaire le Marché ?
Si j’ai tort, qu’est-ce que la mondialisation ? Elle ne peut pas exister.
Ma personne ne passe jamais à un autre niveau que ma propre personne .
Elle participe et s’associe à d’autres niveaux par le travail ( ça c’est un peu derrière ) , l’engagement syndical ( maintenu ) , associatif ( maintenu ) , politique ( par la prise de parti , le vote , l’aide financière ), familial (qui m’apprend encore beaucoup). Je ne connais pas d’autres moyens efficaces dans la durée , pour « sortir de moi » .
La démocratie ne s’aplatit pas plus devant Goldman Sachs que devant le clochard de mon quartier .
Elle s’aplatit quand l’ignorance , la peur de souffrir ou de mourir , l’égoïsme , la cupidité , le chacun pour soi , prennent le pas sur la vie possible .L’accès à l’information , au savoir , à la communication libre et au minimum vital au sens propre , sont ses bouées de survie .
Elle a donc de multiples occasions de s’aplatir avec ou sans GS .
C’est notre Monde-terre qui est « fini » au sens de ses ressources . Les solutions pour vivre dans ce monde , elles , sont sinon infinies , du moins multiples, et forcément fruit momentané de la nécessité de tenir aussi bien compte de l’héritage de nos histoires , de nos cultures , et d’une gestion partagée des ressources
juan nessy,
Je vous concède l’impossibilité d’être plus que moi même.
La démocratie s’est aplatie devant la finance. Les taux d’intérêt sur les obligations souveraines et les agences de notation ont forcé les gouvernements anglais, espagnol, italien, français (ils nient mais pensez aux retraites par exemple), irlandais, grec, portugais, lituanien à des mesures d’austérité parfaitement impopulaires et ces gouvernements doivent repasser les plats. Le Traité de Lisbonne n’a été que techniquement adopté de façon démocratique. Il avantage tant les marchés que les peuples ont remarqué un problème. Ils n’ont rien eu à dire.
Je vous demande d’essayer d’imaginer le niveau de connaissances nécessaire pour sortir de l’ignorance dans le domaine de la finance. Expliquez ici la copule de Gauss juste pour voir. C’est une des bases de la crise. Défaite de la démocratie sur un seul exemple.
Je vous demande d’essayer d’imaginer ce que signifie ne pas du tout savoir comment boucler les comptes à la fin du mois. L’angoisse s’accumule, se renforce. Il y a un processus de conditionnement de l’individu. Des expériences de ce type ont montré sur des animaux que tout les cerveau est bloqué. C’est un sous produit de la modération salariale. Quelqu’un conditionné par cette peur est une défaite de la démocratie. Il y en a beaucoup. Comment dites vous à une victime de ce phénomène de se ressaisir ?
La peur de mourir me semble parfaitement niée. Je la vois dans la course de plus en plus effrénée vers un nouvel habit, de nouvelles lunettes, une nouvelle voiture. Comment affrontez vous la votre ? Je considère que toute personne me disant ne pas avoir cette peur se fait des illusions. Défaite de la démocratie.
Dans une logique de survie et c’est vrai pour beaucoup de monde, la concurrence, la pauvreté, la lutte contre l’inflation, la peur de la mort, le conditionnement à la peur, la course à la dernière mode en sont des illustrations, l’égoïsme, le chacun pour soi, la cupidité deviennent des attitudes vers lesquelles je me sens poussé. Tous ces trucs dépassent ma personne et je pense la votre. Vous parlez d’une éthique à quatre points pour y faire face. Pourquoi est-ce que je la suivrais ? Pourquoi est-ce que si peu de gens la suivent ? Si vous avez raison avec votre idée d’éthique, la défaite de la démocratie est gigantesque.
Vous croyez à la démocratie. Elle s’est faite aplatir, rétamer, lessiver, nettoyer. GS n’est qu’un exemple, un cas très particulier, un détail dans cette histoire. GS n’est qu’un symptôme dont j’ai entendu parler. Je crois aussi à la démocratie.
Je crois également que quelque chose doit nous relier. Sinon, c’est voir ci-dessus. Vos engagements parfaitement admirables n’empêcheront pas du tout une répétition des pillages anglais ou la prédation du monde par les financiers. Des gens s’opposent (indignés, printemps arabe), ils savent dire ce qu’ils ne veulent plus. Ils ont de la peine à dire ce qu’ils veulent. Un processus démocratique devrait le permettre. Que leur manque – t – il ? Est-ce qu’ils ne risquent pas de donner des régimes analogues à ceux qui ont été éliminés ?
Des possibilités de solutions existent. Comment choisir ? La décision doit être prise. Avec votre éthique, le hasard est la réponse. La dérégulation est la réponse. On l’a essayée. Cela a donné GS.
Rebonjour un peu tardif .
Contrairement à ce qu’une lecture un peu rapide pourrait interpréter de votre désespoir affiché , je crois sincérement que si la démocratie a des chances de vivre c’est avec des personnes comme vous .
Quelques points en correction :
– je n’ai pas une « éthique » en quatre points . Le couteau suisse à quatre lames que j’évoque ( trop ?) souvent n’est qu’une grille de compréhension du monde qui m’entoure et des forces qui l’animent . Mon seul pari philosophique est que , pour que le mieux ait une chance de naître , prospérer et subsister , il faut que ses quatre forces là soient à l’oeuvre et se respectent .
– cette rencontre ne peut rien devoir au hasard : elle est forcément , si mon pari est justifié , le fruit de la nécessité du moment , pour donner la » moins mauvaise solution » ( esprit même de la démocratie selon le mot de Churchill) . Elle ne peut être qu’éphémère car elle ne fournit pas de vérité éternelle . Elle répond selon moi au comment et à des pourquoi mineurs , pas au Grand Pourquoi .
– vous avez raison de dire que les révoltes ( dont les motivations profondes sont toujours complexes , multiples , voire opposées ) ne produisent pas automatiquement un monde idéal . Mais quand elles produisent de la liberté d’expression , d’accès à l’information , d’émancipation des femmes et des parias , de meilleurs partages des biens et des richesses …on peut dire que , démocratie ou pas , le mieux est en marche et que le « jeu démocratique à fabriquer » est un bon moyen de le garantir et de l’accroitre. Et que les grands fondamentaux énoncés par Montesquieu ( et d’autres ) ont des possibilités de s’implanter .
– Contairement à ce que vous semblez imaginer me concernant , j’ai connu et connais encore parmi mes proches des situations de détresse matérielle ou psychique qui mobilisent toute la tribu familiale ( d’autres appèleraient ça mutualisation )
– La démocratie n’a encore jamais existé .Elle n’a donc pas vraiment eu l’occasion de s’applatir . Elle est par contre en recul et vous avez raison de dire ( comme PJ ) que cela est du à des rapports de forces( mais les forces , ça va , ça vient , et je ne connais pas grand chose qui résiste à un groupe décidé qui ne craint pas pour sa vie , si c’est la condition à la survie de sa descendance ) Elle reste pourtant le seul pari qui rende possible l’avenir et la motivation d’agir pour survivre et vivre . Elle ressemble à cette foi qu’il faut pour élever ses enfants : chantier toujours inachevé , imparfait , désespérant parfois , toujours à reprendre ..mais qui nous en apprend tellement sur nous même , la véritable nature de l’espoir . Qui nous apprend en particulier que plus que la méthode éducative , qui a bien sur son prix , le but , la fin , c’est que vos enfants se découvrent la force de vivre , agir , créer .
La démocratie , dans ce parrallèle là , serait la méthode éducative qui me parait la meilleure pour obtenir le même résultat pour l’humanité .
– votre quête réveille pour moi des échos des Frères Karamazov .
– Bonsoir et bon courage . Vous entrez tout juste en enfer . Mais le paradis est au bout .
Actuellement, non pas en recherche (milieu dont je ne fais pas partie), mais dans le domaine de l’ingénierie on assiste au développement de la démarche « lean » qui se targue d’augmenter la productivité.
Lean est le mot qui remplace taylorisme dans la pratique.
Mais ce taylorisme induit une telle infantilisation, une démarche tellement hiérarchisante (même si le mot de hiérarchie a disparu du vocabulaire) que la possibilité de création ou d’innovation est annihilée.
Ce phénomène semble se répandre largement dans les entreprises.
ça commence par une définition de valeurs (tellement évidentes qu’on ne peut pas les contester).
Puis de ces valeurs, la hiérarchie propose des méthodes (non contestables car issues des valeurs précédentes).
Et pour vérifier que ces méthodes sont appliquées, on a des indicateurs qu’il faut donc respecter.
On s’attache maintenant à respecter des indicateurs qui sont censés être le reflet de l’avancement d’un « projet ».
Le propre de la recherche et développement, c’est que le processus de recherche est fortement non linéaire (éliminer des idées fautives avant de sélectionner une bonne idée se résume souvent à : faux, faux, faux, faux, faux, faux, …, faux, vrai).
La réflexion n’est pas non plus par nature linéaire.
Or, la démarche lean, qui permet de rassurer le supérieur, demande une progression régulière des indicateurs.
Le but est avant tout de s’auto-contrôler en respectant scrupuleusement le dieu indicateur en ne tenant pas compte de la dimension humaine des interactions ni des processus de réflexion.
Le taylorisme a robotisé le travail manuel, puis a rendu possible le remplacement des hommes par les robots.
La démarche lean est en train de reproduire cette démarche au niveau de l’ingénierie.
Le taylorisme va sans doute, dans sa logique, s’attaquer aux idées ?
Oui. Allez voir le « Tea Party » avec ses idées. Essayez de lire les déclarations de Rick Perry, candidat à la présidences des USA. Lisez les discussions sur le réchauffement climatique. Allez voir ce que les ingénieurs financiers racontent.
Je vous recommande « Les Batards de Voltaire » de John Saul. Ce que vous décrivez est totalement dans l’axe de ce qu’il dénonce.
Quand toutes nos idées selon alignées sur la « raison » que dénonce John Saul notre mode sera totalement fossilisé en hurlant qu’il est dynamique, réactif, innovant et d’autres choses encore.
Je travail en ce moment sur ces projets.
Le Lean c’est d’abord des outils.
Comme tous les outils, on peut les utiliser pour des bons et des mauvais motifs. Le but est d’éliminer les gaspillages (attente, retouche, non exploitation du potentielle humain etc…))
« Le propre de la recherche et développement, c’est que le processus de recherche est fortement non linéaire » Cela n’empeche en rien le lean. Lean et Linéaire sont deux choses differentes.
La plupart des gens qui ralent, n’admettent en fait pas de rendre des comptes.
Attente, retouche, non exploitation du potentiel humain, etc… sont des événements non linéaires. Archimède a fait la découverte de son principe dans sa baignoire. La recherche signifie aller explorer tout un tas d’impasses pour les éliminer. Prendre un bain sans se concentrer sur l’activité de nettoyage ou visiter une impasse me semblent être deux formes de gaspillage dans l’image que je me fais de la théorie du lean. Selon l’image que j’ai de ces deux choses, la recherche n’empêche pas le lean. Le lean empêche la recherche en profondeur sur un sujet.
Vous demandez à quelqu’un qui se promène sur ses limites de rendre un rapport rationnel, quantifié, rigoureux et cohérent alors que lui même n’arrive pas à organiser ses idées. Vous vous étonnez ensuite qu’il prenne mal votre intervention. Vous dites aux gens que vous contrôler de ne pas aller hors des sentiers battus, de rester dans les clous de la pensée à la mode et dominante, de ne pas s’enthousiasmer pour un truc qui sort de vos outils de mesure. Il doit vous mentir ou renoncer à sa place. Je pense que vous ne faites que rendre des rapports et ne vous sentez pas responsable des conséquences de ces rapports.
@didier
Le lean est censé vous aider a visiter les rues et les impasses sans justement perdre votre temps en bureaucratie. Le lean est justement la pour reduire les distractions qui vous empeche de vous consacrer a votre recherche.
il ne dicte pas les choix des recherches. Les impasses sont parfois aussi important que les chemins.
Les problemes que vous poser sont reels. Les directeurs l’utitisent souvent pour faire exactement le contraire (augmenter la bureaucratie).
C’est un paradoxe qui existe aussi en entreprise. Le lean devient un fardeau au lieu d’une aide.
Parlant du Lean Management :
… J’avoue, cette sentence plate m’a laissée sans voix pendant une bonne minute. Puis finalement, je me suis dit « mais en fait, c’est tout à fait vrai ». Et, bonus, cela s’applique à tous les secteurs d’activité, monde académique, industrie, services, etc. Oui, absolument, les gens en ont plus que marre que des incompétents se permettent de venir leur dire comment faire leur travail. Les ouvriers, les employés, les chercheurs, les profs, ils en ont tous assez que des « penseurs » qui ne connaissent pas – et ne veulent surtout pas connaître – les réalités de terrain leur concoctent des procédures et processus à suivre, en les considérant guère plus évolués que des chiens dressés pour faire les obstacles A, B et C dans un parcours de dressage. Sans compter que l’efficacité est très souvent plus que loin d’être au rendez-vous.
Les gens en ont marre du Taylorisme, qui effectivement s’est mué en « Lean » pour faire plus moderne et surtout qu’on ne comprenne pas dès le début de quoi on parle. Oui, les gens en ont marre des certifications ISO, de la « qualité » qui ne correspond à rien qu’à de la pure forme, qui permet à des directions qualité d’assurer leur survie mutuelle côté client et côté fournisseur, l’un en clamant « s’ils ne l’ont pas, ils vont vous rouler et faire du mauvais travail », et l’autre clamant « si on ne l’a pas, on ne remportera plus les marchés parce que les clients l’exigent » – le tout au détriment complet des VRAIS clients, des gens qui vont utiliser le produit que l’on fait, qui ont besoin que cela réponde à leur besoins fonctionnels (business) réels, à ce que cela s’intègre dans leur manière de fonctionner, etc.
Le Lean, comme le matriciel(*) n’est que le résultat du dévoiement par des sociétés de consultance américaines de modèles piqués d’ailleurs. Ces consultants américains prennent des modèles, leur enlèvent tout aspect humain et relationnel, tout aspect prenant en compte les personnes, pour ne garder que ce qui leur convient, et puis transforment le tout en « nouvelle grande méthode révolutionnaire » pour…toujours la même chose, soi-disant augmenter la productivité et les profits. A pleurer de rire, ou à pleurer tout court. Lire l’excellent ouvrage de Yves Clot « Le Travail à Coeur – pour en finir avec les risques psychosociaux« , ou encore l’article consacré au Lean par Eco89 récemment : « La méthode « lean », le retour du pire du travail à la chaîne »
Un exemple de l’autisme du Lean ? La révision/rentabilisation du processus de travail d’un ouvrier sur une chaîne de montage afin de rationaliser les déplacements qu’il a à faire et les minimiser. Objectif avoué et affiché : il fera moins de déplacements, perdra moins de temps donc il fera plus de pièces, et en plus il sera moins fatigué ! Mais voilà… hélas, les déplacements effectués par l’ouvrier lui permettaient de soulager son dos en ne restant pas en station debout statique trop longtemps. Résultat de l’application de la grandeur du Lean : explosion des troubles musculo-squelettiques parmi les ouvriers et absences maladie en cascade ! Bien joué !
Les exemples de ce type abondent dans la littérature.
Le Lean – combiné souvent avec d’autres éléments, tels que les mises en places de structures organisationnelles bien précises – permet en fait la découpe des métiers, l’appauvrissement des tâches jusqu’à ce que le travail perde son sens pour les individus. L’objectif affiché c’est plus d’efficacité, mais en pratique, le résultat est souvent à l’inverse. Évidemment, les tenants du Lean vous diront que c’est parce que « les méchants travailleurs » refusent de coopérer, refusent d’être contrôlés, ce qui prouve qu’ils ont des choses à se reprocher, qu’ils font exprès de tomber malades, etc.
En fait, le contrôle, il existe depuis des lustres, je dis ça pour les « naïfs » qui viennent dire dans une phrase lapidaire que ceux qui ne veulent pas du Lean c’est parce qu’ils refusent le contrôle. Si si, c’est vrai, depuis toujours, je vous jure, il y a du contrôle; dans les industries et les entreprises, on a toujours contrôlé le travail des gens. Seulement, là où ce contrôle était exercé par des gens qui, au moins, avaient un minimum de connaissance du terrain, de plus en plus on veut dématérialiser, on veut des indicateurs, des KPIs (rah ! lovely !), on veut en fait ôter l’humanité du travail. Parce que le travail, c’est fait par un être humain, ce qui veut dire qu’il ne peut pas être effectué par une machine ou un automate et que donc la complexité qu’il contient rend, par nature et par essence, impossible le fait de cerner à 100% le périmètre et toutes les variables des tâches qu’il comprend. Bref, on ne peut pas assurer à 100% comment ça va se passer. Ben oui, bienvenue chez les êtres humains.
Les tenants du Lean et autres gentilles, très humaines méthodes de gestion et de management veulent refuser la part d’incertitude et d’humanité liée intrinsèquement au travail de l’être humain. Ils veulent donc nier l’humain. C’est un non-sens, et il nous explosera à la figure tôt ou tard. Pour ma part, j’ai le plaisir et la satisfaction d’observer à son agonie dans une entreprise et de disséquer le cadavre. Ce n’est pas très joli à voir.
(*) on ne le sait pas assez : l’organisation matricielle a été « inventée » par Mc Kinsey – vous savez, les arnaqueurs qui viennent à 2.000 euros la journée par grappe de 10 pour vous asséner des modèles pré-définis qui commencent toujours, quelle que soit la situation économique et financière de l’entreprise, par « il faut réduire vos coûts de 30%, coûts de personnel inclus » – qui s’est en fait basée sur l’organisation en vigueur dans la marine (militaire) suédoise (ou norvégienne, je ne suis plus sûre). Et, bien entendu, comme toute société américaine qui se respecte et qui s’inspire d’un modèle venant d’un pays social-démocrate, elle s’est dépêchée d’en enlever tous les aspects humains et relationnels, tous les aspects sociaux pour ne garder que les « procédures qui vont bien et sont efficaces » et en ont fait ce sublissime modèle organisationnel…
@ Hououji Fuu, si cela a son efficacité c’est de plomber l’ambiance en affects tristes (d’assujettissement consenti – reste d’auto-légitimation)
Frédéric Lordon: economic value in the light of aesthetic value
http://www.youtube.com/watch?v=7YZouR3nfy8
ou http://www.dailymotion.com/video/xf0lab_le-neo-liberalisme-et-l-angle-alpha_news
Bon, je ne réponds pas alors, d’autres contributeurs ont répondu en long, en large, en travers et en ligne par rapport à mes idées.
D’autres personnes que vous en ont marre aussi de la qualité et du lean :
http://www.789radiosociale.org/IMG/pdf/anti_guide_de_bonnes_pratiques.pdf
Quand au refus de rendre des comptes, c’est une méconnaissance évidente de la réalité des entreprises. Tous les travailleurs rendent des comptes, tous les jours, parfois toutes les heures, à leurs clients et à leurs supérieurs directs.
Ma critique principale du lean est le manque de possibilité de progression de chacun dans son propre travail.
Si vous ne mettez que le strict nécessaire sur le poste de travail de quelqu’un, il va donc obligatoirement ne pouvoir réaliser que ce qu’on lui demande.
C’est inintéressant pour lui, c’est intéressant pour le demandeur de la tâche.
Si on laisse suffisamment de place à la personne, si on lui donne des outils en plus, et qu’on lui dit qu’il n’en n’a pas besoin, il va les utiliser, tôt ou tard. ça lui permet d’apprendre, de progresser et de réaliser des tâches différentes. ça libère le supérieur de ce qu’il sait déjà faire, et permet donc au supérieur de faire d’autres choses.
Le gras (contraire de maigre / lean) permet à chacun de progresser, de lutter contre les tâches répétitives et d’accéder à l’ascension sociale.
Laisser la possibilité de progresser aux travailleurs est une nécessité.
Tout le monde est gagnant.
Le salarié parce qu’il apprend.
Son supérieur parce qu’il est déchargé, et peut donc faire autre chose de constructif.
Le patron, parce qu’il paye moins cher deux employés pour faire un travail plus complexe.
Et si ça se fait en bonne intelligence, ça permet à chacun d’être mieux à son boulot.
Le lean tue ce fonctionnement.
oui,
contrôle et camisole …ça vous nettoie même « proprement » des ingénieurs, ce genre de plaisanterie …évidemment cela peut éviter des plans soc…pardon des restructurations
@Hououji Fuu
C’est promis j’arrete les provoques.
Tout ce que vous dites est hélas bien réel. (Même si la notion de supérieures hiérarchiques incompétent est très français, car l’ancienneté prime sur les compétences).
Le gros défaut du Lean est de ne pas suffisamment prendre en compte le bien de l’employé dans beaucoup des cas.
Néanmoins, Lean peut par exemple réduire la bureaucratie, les nombres de formulaires a remplir ou encore améliorer le trafic en agglomération.
Ce que vous critiquer c’est la mise en compétition avec les pays en développement et les demandes de rentabilité souvent excessif des actionnaires.
Cela oblige les entreprises a utiliser le Lean de façon aliénante pour l’employé. Ca ne plait souvent pas à l’employeur, surtout dans les PME ou l’humain est important.
Pourquoi les travailleurs ne soutiennent pas plus les syndicats ? Leurs nombres d’adhérent est ridicule?
Sylv,
Est-ce que ce ne serait pas encore plus « lean » si les impasses étaient interdites par le « lean » ? Je peux imaginer de demander au chercheur quelle probabilité il donne à une possibilité et lui interdire d’aller regarder ce qui est en dessous de 30%. Comment le chercheur peut être sûr de son estimation ?
@Didier.F
Vous avez tout à fait raison.
C’est déjà ce qui se passe dans l’industrie, malgré l’absurdité de l’exercice.
Heureusement, les ingénieurs ont tendance a déclaré les probabilités sans se prendre trop au sérieux.
Je défend le Lean pour la forme, j’ai fait les même remarques que sur ce blog à mes professeurs qui m’ont pris pour un adolescent faisait une petite crise. Ces formateurs sont en général des pitbulls issue de l’environnent automobile, ou l’humain n’existe déjà plus. Je n’ai donc jamais eu de réponse (à part quelques tirades lamentables sur les méchants syndicats).
Le Lean n’est heureusement qu’une petite partie de mon métier et j’espère arrêter rapidement.
Je rappelle souvent à mes amis que si ton patron commence à parler Lean, c’est le moment de postuler ailleurs car ton travail va devenir de plus en plus chiant.
La Slow science n’est qu’une réponse logique contre les attaques du Lean.
Un coup de pub pour un livre bien utile à tous ceux qui restent convaincus qu’ils peuvent « penser » indépendamment de leur époque, de leur ethnocentricité, des rapports de production et de domination qui vont avec, des institutions auxquelles ils appartiennent, ne parlons pas de classes sociales et de collaboration de classe entre intellectuels « petit bourgeois » et le « capital », ça n’existe pas, ( nucléaire, médecine, économie, agronomie, … ) c’est même vulgaire d’en parler …
« Ce livre raconte l’histoire des savoirs établis par les chasseurs-cueilleurs, les petits paysans, les marins, les mineurs, les forgerons et tant d’autres gens qui devaient assurer leur subsistance au contact quotidien de la nature. La médecine trouve son origine dans la découverte par les peuples préhistoriques des propriétés thérapeutiques des plantes. Les mathématiques doivent leur existence aux topographes, aux marchands, aux comptables et aux mécaniciens.
Au XIXe siècle, l’union du Capital et de la Science rompt cette évolution lente et équilibrée. Elle marque le coup d’envoi de la civilisation de la technoscience, dominée par les experts et obsédée par la puissance, l’efficacité, la rationalisation, l’accumulation et le profit. Comprendre ce basculement nous permet de saisir la nature de la société technologique dans laquelle nous vivons aujourd’hui. »
Histoire populaire des sciences Clifford D. Conner
Editions L’échappée | mars 2011
joli
merci. Ca m’a l’air très interessant.
Puisqu’il faut un avocat du diable, et puisque je suis physicien, ne pensez-vous pas que ce genre de réaction est aussi symptomatique de la mise en évidence très récente que tous les chercheurs ne sont pas égaux ?
Rappelons que l’évaluation des laboratoires par l’AERES se fait par des pairs ?
Que les rapports sont publics ?
Que les critères sont multi-factoriels (enseignement, recherche, lien avec l’application, gestion budgétaire et humaine, pluri-disciplinarité, recrutements non-locaux, publications d’articles et livres …)
Que cela permet aux étudiants de choisir en conséquences leurs labos d’accueil pour thèses, postdoc etc sur des critères bien plus objectifs que dans le passé ?
Que les financements publics sont versés objectivement à des équipes qui (du moins semblent) être plus dynamiques, créatives ?
En conséquence, ne peut-on imaginer que des chercheurs de classe B, C ou D (selon les critères AERES) ne supportent mal cette évaluation qu’ils pensaient garder pour eux-mêmes ?
En quoi slow est-il synonyme de bien fait ? Pourquoi ne pas dire lent qui sonne tout de suite moins marketting et com’ ?
La recherche académique est bouillonnante, rapide et chaotique, et c’est tant mieux !
Ou sont les percées scientifiques du genre transistor, interféron, ordinateur, physique quantique, relativité, cosmologie. Elles datent toutes d’avant votre bouillonnement, votre rapidité et votre chaos. Il y a profusion de papiers, absence de découvertes. Je vois plus d’améliorations de la finesse d’une mesure que l’amélioration de la compréhension d’un phénomène. Je vois plus l’amélioration de simulations qui servent de compréhension à un phénomène que l’amélioration de la compréhension du phénomène et son exploration. Je reste totalement choqué par ce physicien suisse qui ne comprends pas comment marche le système soleil-terre par rapport au second principe de la thermodynamique.
Je vois l’analyse multifactiorielle comme un empilement de mesures diverses. Le tout est mis dans un espace ayant autant de dimensions que de sortes de mesures et on regarde ensuite ce qui décrit le mieux le nuage de points obtenus avec le moins de mesures possibles. C’est une forme sophistiquée de tri de boutons. Cela ne garantit pas la valeur du tri.
Il faut accepter que les découvertes les plus à portée de main sont en grande partie déjà faites.
La recherche n’est plus l’apanache des grands bourgeois des lumières et des génis du début du siècle. Il y a en France 0.07 % (de mémoire) de personnes actives en « R&D ».
Cela fait déjà beaucoup de monde, des ordres de grandeur de plus qu’il y a 50 ans seulement. Tous ne peuvent être Maxwell ou Einstein.
Il y a donc beaucuop de découvertes itératives, en effet, qui ne sont pas révolutionnaires, et qui peuvent être comparé à une forme sophistiquée de tri de boutons. Mais elles sont nécessaires ! Ce sont celles qui améliorent les rendements des moteurs de 0.1 %, qui font diminuer la quantité de produits chimiques nécessaire au rafinage du pétrole, qui améliorent la sécurité des batiments, la vitesse des connections internet …
Les découvertes extraordinaires, celles qui révolutionnent la vie, n’arrivent pas tous les jours. L’actualité est si rapide que la société semble attendre des chercheurs des découvertes extraordinaires chaque jour. Mais internet, c’était hier ! Ce n’est pas une révolution ?
La magnétoresistance géante, hier soir,
Les cellules photovoltaiques, ce matin !
Le graphène est né il y a quelques minutes seulement !
La science avance ! La petite, de tous les jours, comme la grande. Et elles sont extraordinairement corrélées.
Mais je n’accepte pas le discours des « lents » qui me semble être soit un mépris de la science de tous les jours (« moi, grand Homme, ne publierai que de Grande Découvertes »), soit une explication facile quant à la paresse de certains.
Sheol, lisez Sennett sur la culture de l’artisanat.
Le chercheur demande pas à être lent pour glander (le risque existe, plusieurs fils sont émaillées de solutions à tester contre cela), mais pour fournir un legs gratifiant pour lui et pour les futurs lecteurs.
Au moins 70% des papiers sont des « me-too », qui ne sont même pas des ajouts, ce sont des spéculations (les modèles tournent aisément, il n’y a pas pénurie de PC) d’intérêt mineur, pas loin du « not even wrong », qui finissent par polluer l’information quand on se pose des questions un peu plus génériques, liés à la curioisité et au goût pour la mise au jour des principes.
Une partie de cet état de chose est due à la culture mandarinale, il faut le reconnaitre (du style « j’ai N étudiants qui vont sortir 5N papiers pendant leurs théses, même si c’est des daubes, et j’y mettrai du mien pour réécrire dans le dos des plus mauvais »). Mais le travers est bien amplifié par ce que dénonce Gosselain et d’autres de la SlowScience.
C’est l’espace de dialogue qu’on a oublié de faire vivre, et en plus, on individualise les chercheurs sous forme de hamster, pas d’être humains. Pour ce sujet « noble », on pourrait au contraire avoir une attitude « pilote » et thélémite. (l’Abbaye de Thélème, Rabelais…)
Faire plaisir à l’AERES, ? Mais en pratique, c’est aussi bandant que de se faire plaisir en achetant une boite de céréales sur une gondole d’hypermarché,
…en croyant que les ratios fibres/protéines/graisse/glucides (lents!) étant ceux dont vous aviez envie du fond du coeur, et que les pépites magiques de chmoldu étant quand même là pour le goût, vous êtes devenu le plus fin vecteur du savoir-vivre de notre temps (j’allais dire « à la française », puis le barrer et mettre « à la Carrefour »).
Bref peu de respect, dans ces indicateurs, de ce qui est le savoir-faire et le « avoir à coeur de ». Alors une autre solution pour éviter le syndrome de la recherche atrophiée qui guette effectivement la majorité des chercheurs ?
La « probation » : admettre culturellement (*) qu’on puisse se désigner trois « rapporteurs permanents », que votre comité/section en désigne trois autres, et qu’on se maille ainsi entre chercheur. La fierté serait alors un peu plus collective : être arrivé à mettre machin sur un sujet intéressant, et plus sur le truc qu’il remachait depuis 4 ans et dont la portée semblait limitée. Cela semble contradictoire avec une forte volonté d’autonomie dont font preuve les chercheurs quand ils disent craindre la recherche dirigée. Ils ont raison si on ne met pas le paramètre social qu’est la fierté dans sa dimension altruiste.
C’est un peu comme dans la loi de l’offre et de la demande et qu’on ne met pas le rapport de statut (rapport de force) comme déterminant de la valeur : les absurdités mettent le système en crise de plus en plus fréquente.
Le vertige du « pourquoi (pour quoi) faisons nous ça ? » reste une prise de risque fondamentale de la recherche, mais il existe assez de cerveaux articulateurs de curiosité, qui peuvent, en cas de doute, renouveler les réponses à cette interrogation. Il faut apprendre à en faire les « dopants » de la communauté. Chaman un peu.
(*) Cela devrait peut-être être enseigné dès le lycée ? Je me souviens vers la 1ere de m’être dit altruistement, « mais un bon élève, n’aurait-il pas une vraie gratification s’il aidait ceux qui se sentent perdus » ? problématique délicate (voir le livre « Respect » de R. Sennett), car il faut un « milieu associé », une assurance d’avoir des outils de communication qui mettent assez à égalité, pour faire cette démarche. Sinon, celui qui comprend « intuitivement » des maths par exemple, est gros-jean comme devant pour les expliquer aux peu doués. on peut espérer (même si c’est délicat) qu’à partir d’un certain seuil, on est en régime de « milieu associé », en laissant une certaine fractalité à ce dernier, une certaine fluidité aux choix de recherche en face aussi.
L’oligarchie financière tente d’imposer sa logique dans la Recherche comme ailleurs. A nombre d’années d’études égales ou souvent plus longues et difficiles pour les chercheurs les inégalités de salaires par exemple avec des diplomés d’écoles de commerce sont souvent importantes.
D’autres problèmes apparaissent. La nomination de grands mandarins sur critères politiques et idéologiques par le gouvernement ou des fondations à fonctionnement capitaliste aux USA. Une fois nommés ils décident ensuite parfois à vie des autres nominations.
Pour les sciences sociales la question de la pertinence sociale ou humaine des recherches devrait être posée. Le prix soi-disant « Nobel » d’économie décernée à deux économètres qui ont été à l’origine de la crise et du scandale financier LTCM à la fin des années 90 indique ce qu’il ne faut pas faire. Les « erreurs » faites par certains économistes friedmaniens néo-libéraux du mainstream dans le domaine de l’économie financière depuis les années 80 ont déconsidéré la « science économique » aux yeux de beaucoup.
Pour être compréhensible de l’extérieur la « science lente » doit rimer avec la science de qualité.
René Riesel. Jaime Semprun. Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable. Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008
.
Baltasar Gracian. L’Homme de Cour.
Karl Marx. Misère de la Philosophie.
Rien ne sert de courir, encore faut-il savoir où l’on veut aller. Du point de vue de la plupart d’entre nous, nous sommes engagés dans une « rat race », une course dont nous avons oublié l’objectif. Ceux qui étaient censés montrer le chemin ont perdu leurs repères en route, mais ils font semblant de discerner encore le tracé, parce qu’ils tirent avantage de cette situation. La contemplation de ce flot dont ils se sont extraits leur procure une fascination fatale.
Toute la connaissance qui nous reste, c’est qu’il nous est impossible de nous arrêter, risquant d’être piétinés par la masse d’individus identiques à nous qui courent dans le même désarroi. Difficile dans ce mouvement de panique guidée de réussir à s’arrêter, d’essayer d’interpeller son entourage et de faire entendre ses interrogations. Pourquoi? POUR QUOI?
Cette question, certains se la sont posé. Ils ont ralenti leur course et ont pu enfin regarder au loin. Ils ont vu la falaise qui approche. Mais le mouvement de la foule continue à les pousser dans le dos. Alors il faut continuer à chercher des yeux ceux qui eux aussi ont ralenti et essayer de les rejoindre, au milieu des tourbillons faire surgir un rocher de résistance auquel d’autres pourront s’accrocher. Le courant sera-t-il le plus fort?
José,
Vous nous décrivez comme un troupeau en pleine panique. Toute cette agitation relève de la panique. Je crains très fort que vous ayez raison. Nous sommes justes paniqués et ne voulons pas le savoir alors nous courrons plus vite chaque fois qu’un doute survient. Et des doutes, il y en a.
Enormément de doutes. Naomi Klein exagère peut-être en voyant la politique actuelle uniquement comme une application de la stratégie du choc. Par contre c’est à plus petite échelle qu’on peut voir cette stratégie s’être insinuée partout. TINA au quotidien, c’est aussi le chantage à la peur. Dans la recherche d’emploi, avec l’épée de Damoclès de l’exclusion. Dans la course à la compétitivité, avec le « c’est eux ou nous » face aux pays émergents. Le chantage d’une hypothétique croissance qui devrait être reconsidérée au regard de ce qu’elle apporte encore au bien commun. Il faut courir sans se retourner vers le point désigné, alors que c’est regarder ailleurs qui nous permettrait d’appréhender d’autres dimensions humaines.
José,
Oui. Mais alors la conclusion immédiate, violente et aveuglante de cette idée est que notre monde a cessé d’être fait pour nous les humains. Dans un tel monde, les effondrements des individus sont la règle. Les individus deviennent des pièces à changer de plus en plus vite selon des critères de plus en plus pointus pour garder toute la mécanique en mouvement. Une sélection des individus adaptés et poussés par la peur de chuter permet de s’assurer d’avoir l’effort maximal pour rester dans la course. C’est une vision de notre monde. Elle est atroce. Je serais tout à fait heureux d’avoir tort.
Les annonces de fin du monde, de la fin du capitalisme, de l’agonie de l’Occident, etc… entrent dans cette vision. Beurk
Oui, moi aussi j’aimerais bien exercer mon métier dans une bulle.
Avec tout le respect que je vous dois, je trouve le ton de ce billet un rien pleurnichard.
Demander que ses conditions de travail s’améliorent, car il s’agit de cela en fait, qui ne le voudrais pas ?
Malheureusement la description que vous faites de votre métier peut s’appliquer à l’ensemble de notre société.
Mais ce fonctionnement quasi hystérique, à qui le devons nous ?
Comme vous le faites justement remarquer, » l’assassin » est parmi nous.
Il aurait été plus judicieux de votre part un billet un peu moins corporatiste et plus globalement tourné vers la société dans son ensemble.
Votre façon de présenter les faits semble indiquer que vous aimeriez ne plus avoir à subir les contraintes que vos semblables affrontent tous les jours.
Comprenez que ceux qui souffrent chaque jour au travail puissent s’offusquer de ce genre de supplique.
la slow science, comme la slow food, ne sont pas des revendications de « meilleures conditions de travail ou de meilleures manières de s’alimenter », ce sont des manières de vivre et de refuser, au quotidien, l’aliénation marchande pour retrouver le Vrai, car :
Guy Debord. La Société du Spectacle. 1967.
Ouh la le délire !… Aucun intérêt ce genre de phrase. Tout comme de dire qu’un black hole est troublant… Au moins y’en a que ca fait marrer
Meditacao,
Le vrai ne vous intéresse pas. Est-ce que vous vous intéressez à vous ? Etes vous vrai ? Etes vous drôle ?
C’est le moment de placer deux exemplaires de » comment la réalité et la vérité furent inventées « .
juan nessy,
Je l’ai déjà lu. J’avoue n’avoir rien compris.
Patrick,
Nous pleurons aussi. Vous êtes offusqué. Vous demandez à être inclus dans cette idée. Alors acceptez de l’inclure dans votre demande ou ne vous plaignez pas de son corporatisme.
Entièrement d’accord. J’ajouterais juste que même en tant que chercheur académique je suis offusqué de l’image que ce genre de texte peut donner à la société non-éclairée sur la recherche, société dans laquelle des gens se lèvent à 4h du matin pour soulever des poubelles et courir derrière un camion.
C’est un mêtier, avant tout. Peu viendraient au labo s’ils n’étaient payés. Commençons par là.
Il me parait une base minimum d’un contrat « social » que de rendre des comptes quant à l’argent et la confiance que la société met en chacun de ses chercheurs. Il doit s’agir d’un des mêtiers dans lequel l’évaluation justement est la minimum et une des plus justes (par les pairs !).
Mon propos n’est pas de monter les prolétaires contre les prolétaires, de monter les gens du privé contre les fonctionnaires, etc. Le corporatisme et le côté pleurnichar du texte me semblent simplement un peu déplacés.
La limite est ténue entre pleurnichard, et le fait qu’on voit arriver une désublimation importante de la pratique de la recherche.
En France, lorsque les soumissions ANR ont des taux de réussite de 12 à 15%, vous devenez un hamster cherchant à placer vos projets au sein de 7 à 8 textes par an, de quarante pages chacun, savemment polis, rien que pour continuer à exister. Les réponses des experts ANR sont fantasques et vous désubliment et vous désorientent un coup de plus.
L’existence des ERC vient accroitre les inégalités, exactement comme les revues Nature ce sont immiscées dans tous les domaines pour faire voir l’inégalité.
Qu’en 2011 on ne sache pas se parler autrement parmi les gens les plus diplomés et formés du pays, ça fait un peu mal non ? (Vu sous l’angle d’un rapport de force ou sous l’angle du discours de Sarko en janv 2009, on voit mieux qui pense quoi, certes).
S’il fallait sans doute arrêter des tendances peu souhaitable ici ou là, fallait-il que ce soit en mettant la majorité sous cette sorte de joug ? J’ai donné plus bas le lien du bouquin de Zuppiroli sur l’EPFL, qui semble-t-il marchait fort honorablement du temps que les crédits estoient saupoudrés, mais qui s’est senti obliger de sur-exceller : bulle ?
Intéressant et nécessaire papier.
Resterait à se mettre d’accord sur les notions d’équilibre et de sagesse, à savoir une sérendipité intelligente. C’est pas parce qu’on trouve – presque comme toujours par hasard – un machin qui paraît génial de fait, qu’il faut en faire un truc commercial dans l’année qui suit parce qu’on veut être le premier à en tirer profit.
Aaah la précipitation du modernisme… Pourquoi les judéo chrétiens se sont-ils laissés déborder par le capitalisme hardcore ? au détriment du tant de choses… Sous cet angle les musulmans ont beaucoup à nous apprendre, peut-être plus que les bouddhistes.
Et ce que dit Meditacao est frappé au coin du bon sens
Il faut bien admettre que cet article est fort bien écrit, quoiqu’un rien redondant par moment.
Il me fait remonter à l’esprit une anecdote survenue en 1994 environ.
De cette expérience personnelle, j’ai acquis la conviction que ce mode « slow scientifique » doit impérativement être évalué (ce que mentionne l’article), sans doute avec encore plus de soins que le mode « fast » qui a court aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’il peut involontairement prêter le flanc à des dérives dépensières dont il faut bien trouver les sources de financement. Or, les ressources sont encore rares, du moins pour le moment.
Voici de quoi il s’agit.
A l’époque, il s’agissait de reconfigurer l’organisation d’un établissement psychiatrique fort lointain de Paris, issu de la lignée des anciens sanatoriums. Au début du XXè siècle, en effet, on avait pour habitude « d’exiler » les fous (ou jugés comme tels) loin, très loin de la ville, en Lozère ou en Sologne par exemple. Cette habitude reposait sur la croyance plus ou moins fondée des bienfaits de la nature et de l’altitude sur le psychisme. C’est ainsi qu’on écartait de la société les fameux crétins des Alpes (dont on sut plus tard ce qu’il en était), les originaux, les marginaux. Et bien entendu les handicapés profonds et autres schizophrènes franchement malades et nécessitant des soins constants.
Pour se rendre dans ce beau vestige sanitaire, il fallait au minimum 30 km de route de montagne, soit 45 minutes depuis la grande ville (préfecture) par beau temps. En hivers, on pouvait y vivre en autarcie pendant plusieurs jours… en attendant les chasse-neige. Là, 70% de « parisiens » y soignaient calmement, très calmement leurs différents maux. Certains y séjournaient depuis 60 ans…
Au cours de ma mission, je rencontre un médecin psychiatre chef de service. Son service était réduit à la peau de chagrin : une équipe ultra-réduite, des postes vacants, des patients internes peu nombreux le disputant à des lits vides, des patients externes fantômes.
Ses collègues l’appréciaient peu, jalousant son statut de Praticien Hospitalier à leurs yeux illégitime. Outre son rôle de chef de service, dont le secteur géographique englobait forêts et pâturages sur un bon quart du département, il affichait fièrement une spécialité autoproclamée d’addictologie (alcool, tabac, stupéfiants, tic, toc, etc.). Son credo ? Trouver à terme le gène de l’alcoolisme. Et de justifier ainsi de nombreuses absences de l’établissement pour congrès (France et étranger), réunions dans différents Centres Hospitaliers Régionaux (CHR ou CHRU), au ministère de la santé, divers échanges de point de vue, débats de toute sorte.
Débutant ma carrière et souhaitant garder mon indépendance, je décidai de ne pas m’en laisser compter par les apparences. Après tout, peut-être s’agissait-il là d’un vrai chercheur en passe d’apporter une réelle contribution à l’un des maux de ce siècle. Non, décidément, je n’allai pas m’arrêter aux bruits de couloirs ni aux rumeurs. Je partis donc à la pêche aux informations et aux critères d’appréciation .
Nombre de patients alcooliques traités ? Très faible.
Nombre moyen de patients dans le service (pour tout motif) ? 26, pour une capacité de 64 lits.
Outil de recherche appliqué ? Laboratoire ? Équipement particulier dédié à la recherche ? Aucun.
Nombre de publications ? 2, mineures, en 10 ans.
Convention de coopération de recherche avec CHU ou CHRU ? 4, dans la région et les régions limitrophes.
Convention avec laboratoire génétique ? Aucune.
Convention avec laboratoire pharmaceutique ? 4. Avec les principaux vendeurs d’antidépresseurs.
Résultats notables obtenus dans la recherche en addictologie, y-compris abandon de mauvaises pistes ou sans issue ? Aucun.
Avis du directeur de l’hôpital sur l’activité de ce service ? Aucun.
Les professeurs de CHU mentionnés par mon addictologue préféré réagissaient pourtant très positivement au téléphone lorsque je les interrogeais à son sujet. Et de souligner son réel apport quant à l’avancée des travaux en cours, etc.
Cet addictologue était une vraie énigme : plutôt bien vu de l’extérieur, il n’avait quasiment rien dans son activité qui justifiât sa présence ou sa spécialité dans ce bout du monde, hormis les dépenses que lui et son service généraient.
Résultats de tout ceci ?
– Le service fusionna avec un autre service. L’addictologie fait maintenant partie de l’arsenal thérapeutique classique de tout l’hôpital, sans plus d’importance que cela.
– Il fut proposé à l’addictologue de migrer vers l’une des équipes de CHU avec lesquelles il était en contact. Ce qu’il fit quelques temps plus tard. Il y trouva certainement davantage de patients à soigner et à étudier, et davantage de moyens scientifiques à sa disposition.
– Poursuit-il ses recherches ? Je n’en sais rien mais le gène de l’alcoologie n’a toujours pas été trouvé.
Mon avis sur tout ceci est partagé. On aurait sans doute pu gagner 10 ans si on avait évalué d’entrée de jeu l’activité de ce Monsieur et ses souhaits professionnels.
Ce qui est sûr :
– c’est que ce Monsieur n’était pas au bon endroit pour exercer ses recherches génétiques et que ni lui ni personne ne s’était posé la question en ces termes
– c’est qu’il faut avoir les moyens financiers appropriés pour de telles recherches, et que durant 10 ans ce Monsieur a été financé sans que personne ne se pose de question sur la pertinence des dépenses qu’il engageait pour ses recherches
– c’est qu’il faut tout de même une certaine forme de légitimité pour se proclamer scientifique et que je ne sais toujours pas si ce Monsieur avait ou non une légitimité pour exercer ses activités « scientifiques ».
Exemple parlant des écueils que le mouvement du « slow » devra baliser et éviter. Comme quoi contrairement à l’idée répandue, son pire ennemi est le laisser-aller.
C’est la raison pour laquelle ce que dit Crawford est si fondamental. Sans effort, sans exigence vis-à-vis de soi et sans discipline, aucun résultat tangible ne peut être atteint. Et aucune satisfaction ne peut dès lors être retirée de son travail. Une démarche Slow Science est tout sauf une invitation au laisser-aller. C’est la politique d’excellence qui nous invite au laisser-aller (ou à la superficialité), car elle décourage quotidiennement le travail passionné et honnête. Bercées par une illusion « d’objectivité » et de « transparence », nos commissions d’évaluation ne font en effet que reproduire les petits arrangements du passé. Pour le meilleur et pour le pire. J’y ai suffisamment pris part pour ne plus guère me faire d’illusions à cet égard.
C’est donc d’abord en nous qu’il faut trouver la force de résister, en nous ré-appropriant le sens même de notre activité. La suite est collective et implique, comme me le rappelle un collègue anthropologue, de transformer l’indignation en subversion. Mais n’est-pas le mieux que nous puissions souhaiter? Contre-attaquer et subvertir par la qualité de notre engagement professionnel? Et par le partage plutôt que la compétition?
Difficile pour moi d’abonder sans réserve dans votre direction, M Gosselain.
Mon post montre l’ambivalence dans laquelle je me trouve face à votre article.
Vous prônez d’une certaine façon la méthode Montesori pour tous les scientifiques. Certes, nombre de scientifiques sont très autonomes, mais pas tous, très loin de là. A moins que vous n’ayez une conception restrictive du terme « scientifique ». C’est comme dans n’importe quelle catégorie, certaines personnes sont leaders, très autonomes, et d’autres pas.
L’évaluation rigoureuse de la méthode Montesori sur une longue période a démontré que la méthode ne fonctionne que pour les individus qui, de toutes les façons, sont autonomes et le seront. Elle fonctionne mal pour les individus qui ont besoin de recevoir des consignes et qui ont besoin de rencontrer un cadre structurant pour leurs activités. Pour ces derniers, la libre organisation des temps d’occupation, le fonctionnement par projet, la constitution d’équipes par affinité, etc. posent de gros problèmes de repères, de structuration et tutti quanti. On connaît même de nombreux individus qui, ayant suivi Montesori dans les petites classes, avaient atteint un grand stade d’autonomie, de créativité et de maturité. Et dont la réintégration dans le système scolaire classique fut un calvaire pour eux et pour la classe d’accueil.
En résumé, je n’ai rien contre le retour aux scolastiques, à l’organisation informelle.
Je suis évidemment d’accord avec les impératifs de temps nécessaires à la créativité.
Ce que je crains, c’est que cette vision « romantique » du scientifique pour paraphraser un autre blogueur , appliquée à tous, ne soit tout aussi nocive que le « tout résultat » qui est débile dans certains domaines.
Il faut de tout pour faire un monde.
PS: moi aussi je suis revenu des évaluations, etc. Ce pourquoi j’ai quitté le monde du conseil en organisation et restructurations.
PPS : le plus grand flop actuel semble-t-il est l’application de la LOLF qui bloque totalement la mobilité des fonctionnaires alors qu’elle visait l’inverse. Pourquoi ? Parce qu’elle n’avait pas prévu la baisse en ordre dispersé des effectifs. Et maintenant, la mobilité n’est plus nationale mais régionale. Ainsi, la fongibilité des effectifs entre corps d’État est devenue impossible. 10 ans de boulot pour rien. Pas mal, non ?
Le lien vers le collectif doit en effet avoir lieu pour qu’une forme de correction existe, mais pas forcément vers un objectif quantifiable standard.
A tous, vous pouvez lire aussi les ouvrages de
Zuppiroli ( de l’EPFL)
La bulle universitaire
Malrieu (de grenoble)
La Science Gouvernée
Dans le poing du marché
Par ailleurs, un peu étonné de voit qu’à cette heure si (86 commentaires), nul n’a reparlé de l’excellent mais inclassable Richard Sennett.
Il montre lui aussi les impasses de la culture de l’artisanat (p ex Stradivarius qui ne transmettra pas sa sienne)…
Le diagnostic est indéniable : la « Fast Science » actuelle n’est ni « fast », ni « science », elle n’est que le reflet d’une vision administrativo-excelienne de la science qui confond mesure et réalité.
Une Slow Science est donc plus que nécessaire, elle est inéluctable, tant la stupidité de la soit-disante évaluation actuelle est flagrante.
Cependant, il reste un paradoxe. La vaste majorité des chercheurs sont payés sur fonds publics (y compris, et peut-être même encore plus en raison des multiples subventions et incitations fiscales, dans les entreprises privées(*)). Dès lors, il est légitime que la société, les citoyens, par l’intermédiaire des pouvoirs publics, se préoccupent de ce que la recherche apporte en bien à la société. Sinon, pourquoi le boulanger, dont l’utilité sociale est indéniable et immédiate, accepterait de participer à l’effort consistant à financer des chercheurs ?
Il me semble que la science, et ceux qui la font, sont piégés dans cette « Fast Science » parce qu’ils ont renoncé à se poser la question de leur utilité sociale, et à mettre vraiment à la disposition de la société le fruit de leur recherche. Combien de travaux tournant en rond sur un sujet dont la probabilité qu’il y ait une retombée pour l’ensemble de la société diminue de jour en jour ? Bien sûr, nul ne sait ce qu’il peut advenir d’une idée, mais il faut aussi laisser reposer les choses et ne pas s’acharner simplement parce que le terme est à la mode. Et que dire des travaux de vulgarisation qui sont au mieux ignorés, au pire dévalorisés ?
En renonçant à s’inscrire dans la société, les chercheurs se livrent aux vautour de la finance qui n’auront toujours d’autre but que de réduire les flux financiers qui vont vers ces espaces sur lesquels ils n’ont pas de prise.
Si on veut avoir une recherche publique, il faut renouer avec le partage avec la société. C’est la condition sine qua non pour qu’il ait adhésion publique à cet effort. A moins de vouloir revenir à des situations pas si anciennes ou la recherche et la science était l’apanage des nantis qui ont une fortune personnelle. A y regarder de plus près, un nombre non négligeable d’éminences sont issus de milieux très favorisés. N’est-ce d’ailleurs pas une des raisons qui favorise cette idolâtrie de l’excellence qui exclut bien souvent recherche et originalité ?
(*) l’auteur travaille dans le département recherche d’un grand groupe industrielle.
Je ne peux que partager ce concept de slow science. Le seul petit problème, c’est que lorsqu’on l’applique concrètement contre vent et marées, convaincu que c’est là la seule manière de faire de la bonne science, on se retrouve au chômage, comme c’est mon cas… Joli concept donc pour les chercheurs … statutaires.
Sur ce, je retourne à ma recherche d’emploi, qui elle est « slow », sans équivoque.
« SLOW » DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS!
« Plaisir et créativité… »
Je me reconnais dans ces deux mots, dans un domaine un peu plus concret que la recherche. Je suis artisan des métiers de la pierre, mais cet état d’esprit dans le travail est aussi le mien depuis une quinzaine d’année. J’ai ainsi abandonné tout objectif de « productivité » pour ne me concentrer que sur la qualité, notion universellement reconnue et pour moi, « socle » de ce plaisir et de cette créativité.
« Faire c’est penser et réciproquement… »
Imaginer, concevoir, réaliser. Voilà le travail d’un artisan. Passer d’une pensée au palpable, grâce à cette tête qui guide la main, est d’une intensité qu’aucun trader ne connaîtra jamais…C’est ça se sentir « vivant », avoir dans sa main le pouvoir de créer. L’alignement des chiffres, aussi impressionnants soient-ils, n’a aucune valeur face à cela. C’est nos enfants et nos petits enfants qu’il faut convaincre.
Que nous en arrivions, nous modestes prolétaires, à en inspirer la « science » et la « recherche » dans sa démarche, est agréablement surprenant. En est–il de même pour vous, de savoir quelques « besogneux » s’égarer (…y rester, y revenir souvent avec un intérêt non dissimulé !) sur votre blog ? Merci à tous pour vos éclairages, vos analyses, vos commentaires.
Pour ma part cela fait 25 ans que je fais du slow science sans le savoir , je crois qu’il est important aussi de ne rien avoir appris sur le sujet ou produit sur lequel on veut « travailler » donc aucun apriori sur la chose. Important aussi , être en auto financement , ceci permet de ne pas être constamment pris par l’anti recherche ARGENT DÉLAI . Ne rien miser sur la réussite financière d’une telle aventure , en cas d’échec rien de grave ne se produit , la tête reste prête pour une nouvelle aventure.Pour ma part si modeste soit elle ,25ans de plaisir , une dizaine de brevets , dont trois rentables financièrement, malheureusement dans ces aventures l’on peut tomber sur des lobbys et cela devient impossible, voir très dur de réaliser son projet. Ne pas oublier aussi qu’un brevet coûte très cher et qu’une simple enveloppe SOLEAU est parfois largement suffisante pour protéger son invention ,du moins pour prouver l’antériorité de l’invention en cas de brevet déposé par quelqu’un d’autre. Si j’avais à résumer PLAISIR TEMPS ,si l’on vous propose deux chemins prenez le troisième, et l’argent n’est pas un but mais une conclusion .