Billet invité.
Nous sommes donc entrés dans l’acte II. Dette publique et dette privées, ces deux facettes du même phénomène, sont en compétition pour chercher leur financement sur les marchés. Les Etats, les banques et institutions financières, ainsi que les grandes entreprises, sont entrés en concurrence, devant faire face à des besoins grandissants, l’ensemble menant inexorablement à une hausse du coût de l’argent, comme on l’observe déjà pour certains. Tel un goulot d’étranglement, le chemin de la délivrance se rétrécit au fur et à mesure que les emprunteurs s’avancent, obturant celui de la sortie de crise qu’ils s’attendent à y trouver.
Les piliers du système lui-même, sa monnaie de référence le dollar et la dette souveraine en général, s’effritent par conséquent et ne remplissent plus qu’imparfaitement leur rôle. L’implosion se poursuit, sous la forme d’un affaissement prévisible.
Les investisseurs, dont on était accoutumé à ce qu’ils réalisent des aller-retour rapides entre marchés des actions et des obligations, arbitrant moindres risques et meilleurs rendements, ne trouvent plus leur pitance ni sur l’un, ni sur l’autre et se dirigent ailleurs. Les produits financiers permettant de spéculer sur les marchés monétaires ou des matières premières, ainsi qu’en jouant dans les nombreuses salles du casino toujours grandes ouvertes, via des intermédiaires ayant pignon sur rue ou appartenant au shadow banking, sont bien plus attractifs.
L’absence persistante de toute sérieuse réglementation autorise à profiter sans retenue des bienfaits de la grande saga mondialisée de la finance. Un instant enrayée, l’activité financière s’est vite redéployée, alimentée par les généreuses liquidités des banques centrales, exportant au passage ses dérèglements vers les pays émergents, son nouveau terrain de jeu privilégié où elle s’engouffre sans retenue.
L’avenir y est tout tracé : la guerre des monnaies est loin d’être terminée, l’inflation des actifs et les bulles qu’elle suscite sont toujours aussi menaçantes, la spéculation sur les matières premières continue d’avoir de beaux jours devant elle.
La Chine, deuxième puissance mondiale, fait de manière spectaculaire l’apprentissage accéléré du capitalisme financier. « Un pays, deux systèmes » avait décrété Den Xiaoping dès 1997. Les Chinois sont engagés dans une lente et incertaine dynamisation de leur marché intérieur, ne pouvant lâcher la proie pour l’ombre et lever le pied de leur activité exportatrice, car l’emploi en est tributaire. Afin de se prémunir des effets de la crise mondiale, ils ont multiplié les gigantesques plans de relance et doivent maintenant faire face à une inflation atteignant les prix à la consommation, une énorme bulle immobilière, ainsi qu’un non moins gigantesque endettement des banques ainsi que des collectivités à qui elles ont prêté sans compter (estimé à 1.150 milliards d’euros pour ces dernières).
L’économie occidentale est quant à elle en panne de croissance, sa fuite en avant reposant sur l’endettement des particuliers pour suppléer à la distribution inégale de la richesse désormais stoppée, brutalement confrontée à la réalité économique d’un monde ayant basculé sur son axe dans le cadre d’une mondialisation conçue par les financiers. Prise dans un double piège la condamnant à une récession larvée, si ce n’est à la stagflation. L’acte II de la crise, qui vient de commencer, montre combien les méfaits de la crise financière sont loin d’être terminés.
Le système a quant à lui beau parader, il n’est toujours pas tiré d’affaire et va devoir continuer à être soutenu. Aux Etats-Unis, les banques régionales en profitent déjà grâce à un programme fédéral, la Fed, Fannie Mae et Freddie Mac supportant l’essentiel du formidable poids financier que représente un crédit hypothécaire sinistré. En Europe, loin de révéler l’ampleur du mal, les stress tests des banques vont néanmoins mettre en évidence, à la mi-juillet, la nécessité de soutenir à nouveau certaines. Partout, les banques centrales poursuivent des programmes d’assistance sans lesquels l’ensemble du système risquerait toujours de basculer. La BCE a ses pauvres, les banques irlandaises, grecques et portugaises.
De nouvelles normes prudentielles vont être prudemment appliquées, sous la forme de renforcements des fonds propres des banques et des compagnies d’assurance, dans le cadre de Bâle III et de Solvency II. Application d’une stratégie qui s’apparente à la construction de ces digues édifiées au Japon pour arrêter les tsunami, sans que l’on puisse par avance en déterminer la hauteur indispensable. Sans que l’on sache non plus prévenir et combattre le risque systémique, ce mystérieux et irrésistible déchaînement, ce revers de la médaille d’une finance opaque et fière de l’être.
Les banques tentent de préserver le plus possible leurs rendements à deux chiffres, en raison de l’addiction de leurs financiers. Pris en tenaille, elles adoptent comme valeur d’ajustement la limitation de leurs opérations de crédit à l’économie et aux collectivités pour ne pas devoir augmenter leurs fonds propres ou diminuer leur voilure sur les marchés financiers. Elles se préparent ainsi à contribuer, tout comme les coupes budgétaires opérées par les Etats, à anémier l’économie. Enclenchant une spirale descendante aux sévères conséquences pour le financement de la couverture sociale dans tous les domaines, ainsi que pour l’emploi.
En Europe, une compétition inédite est engagée pour savoir qui, de l’Italie ou de l’Espagne, pénétrera prochainement en premier dans la zone des tempêtes afin d’y rejoindre ceux qui s’y trouvent déjà sans espoir d’en sortir. Les marchés grondent, les vents se lèvent et les taux se tendent, annonçant une nouvelle fois l’orage imminent. Tous leurs pays ont leurs petites ou grandes faiblesses et les investisseurs sont impitoyables, ayant comme objectif de sortir du marché obligataire les moutons noirs, afin qu’ils soient pris en charge par les Etats et la BCE, plaçant ces derniers dans une situation de plus en plus inconfortable au fur et à mesure que le poids financier de l’opération s’accroît.
L’Italie découvre qu’elle porte à bout de bras un gigantesque déficit et doit s’engager dans un second programme d’austérité de 40 milliards d’euros d’ici 2014, tandis que l’Espagne continue ses tripatouillages destinés à contenir sa bulle immobilière, masquer le trou de son système bancaire et planquer sa dette régionale. Où tout cela les mènera-t-il ? La charge financière que ces deux pays représentent potentiellement est trop lourde pour les instruments européens de stabilisation financière disponibles ou en préparation. A reculons, comme d’habitude, les gouvernements devront en convenir et se résoudre à s’engager sur une autre voie, mais laquelle ?
Les bricolages ont une fin, la mise au point du second plan de sauvetage de la Grèce en est la démonstration. Il est désormais question, entre autres hypothèses, de faire racheter sa dette par la Grèce elle-même (bailout), afin de la diminuer en profitant de sa valeur moins élevée, son taux ayant augmenté. Ce qui ne fait que déplacer la lancinante question : qui financera cette opération, les Etats européens ? la BCE ?
Le temps passe, mais la patate est de plus en plus brûlante.
Il est frappant de constater parallèlement dans toute l’ Europe la montée en puissance d’une crise politique multifome. Dans certains cas, les sortants se préparent à ne pas être reconduits, dans d’autres, les coalitions au pouvoir se révèlent fragiles et pourraient connaître le même sort, dans un autre enfin aucun gouvernement ne peut être constitué. Mais les alternances, quand elles interviennent, n’offrent pour autant pas d’alternative. Dans les deux pays les plus touchés par la crise économique et l’austérité, l’Espagne et la Grèce, un mouvement impétueux d’indignés vient bousculer la donne et en offrir une à la résignation, en attendant mieux.
Aux Etats-Unis, où la corde est également très tendue, le match électoral sans merci engagé à propos du déficit fédéral et du déplafonnement de la dette se poursuit. Barack Obama a choisi de placer tant qu’à faire haut la barre, cherchant à obtenir à l’arraché du Congrès des coupes claires et des augmentations des impôts et taxes permettant de dépasser le cap des prochaines élections présidentielles de 2012 sans avoir à y revenir. L’augmentation de l’encours des cartes de crédit (qui financent la consommation) permet aujourd’hui d’amortir très relativement le choc, mais de nouvelles restrictions budgétaires affectant inévitablement les programmes sociaux et de santé vont continuer de faire plonger le pays dans une crise sociale dont l’ampleur ne nous apparaît pas dans toute son étendue en Europe. La première puissance financière et militaire mondiale connaît un développement sans précédent de la pauvreté et de la précarité, image saisissante de ce dont le capitalisme financier est porteur.
Sur le marché de la dette américaine, les investisseurs affectent une grande sérénité, en dépit des échéances qui se rapprochent. Le 22 juillet prochain est pourtant la date retenue par l’administration comme fixant la limite permettant de mettre en musique le relèvement du plafond de la dette et éviter un défaut. Les investisseurs semblent ainsi manifester leur certitude qu’un accord de dernière minute interviendra entre républicains et démocrates, dont les points de vue restent pourtant diamétralement opposés. Foi aveugle du charbonnier ou conviction calculée que Barack Obama va avec leur soutien l’emporter, poursuivant son recentrage politique ?
A suivre…
76 réponses à “L’actualité de la crise : UN AVENIR TOUT TRACÉ, par François Leclerc”
Les européens sont des gamins quoi , ils se laissent noter comme des élèves ?
La 1° des choses à faire quand on veut être maitre chez soi , c’est de faire le ménage……et de ne dépendre de personne , surtout pas d’un tiers qui donne son avis ……………..qu’est ce que c’est que ce bordel ??????
Aux Etats-Unis, l’état fédéral est en faillite. En plus, des dizaines d’Etats sont en faillite eux-aussi.
Au Japon, l’Etat est en faillite.
En Europe, plusieurs Etats sont en faillite. Les taux de l’Italie sont en train d’exploser !
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR2:IND
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR3:IND
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR10:IND
Cher François Leclerc, depuis que je vous lis, ainsi que, bien sur, Paul Jorion, j’ai l’impression d’être un peu moins bête…..passons;
voici ma question, un peu hors sujet,forcément naïve, mais bon…
c’est au sujet du prix des carburants et des propos tenus, la moustache frémissante par le patron de Total, invité à baisser les prix à la pompe, et qui, au contraire annonce une hausse du fait du prix du baril à la bourse des matières premières…et le répercutant illico presto…
Si j’ai bien tout compris, Total a des puits de pétrole qu’il exploite, transporte ensuite le brut dans ses raffineries, puis distribue le fameux carburant dans ses stations services; donc Total, dans ses conditions, n’achète pas de pétrole sur le marché, mais extrait, valorise et vend son produit raffiné, donc coût de production plus coût de raffinage et de distribution plus au final marges diverses et enfin taxes multiples; donc rien à voir avec le prix du marché spéculatif, à moins que….. Total soit assez bête pour aller vendre sa production à disons, une obscure boite de traders en matière première basée dans un paradis fiscal, puis forcée de le racheter au prix fort à cette même boite ou à une de ses filiales pour alimenter ses raffineries, ce qui fait que tout le bénef se trouve dans une boite noire au Liechtenstein ou aux îles Caïman….ça s’appelle un center profit, si je ne m’abuse
question: la moustache en question ne serait -elle pas en train de nous prendre pour des truffes? en bref, nous parler du prix sur le marché alors qu’en ce qui les concerne, ils vont le chercher dans les entrailles de la terre ?
ce n’est quand même pas tout à fait la même chose, non ?
En lisant tout cela je me dis qu’il y a du boulot pour éclaircir tout cela .
Oui nous nous focalisons sur l écume (finance , politique, média ) .
oui aux ménagements des ressources , non à la démographie débridée . Le Non au Capital (Capital productif de valeur au sens de K Marx s’entend) est superflu (et l’on veut des emplois !), il est mort avant K Marx ce qu’on vise par là n’est qu’une parodie , un fantome pour se faire peur .
Une image pour illustrer tout çà : il est convenu de se représenter l’ Irlande du XIX e au moment de la famine due à la pomme de terre comme une ile surpeuplée , dominée par le capital agricole . La réalité est à l’opposé , les 3/4 de l’ile étaient en friche ,il n-y avait de grandes propriétés et encore formellement que des friches, le gouvernement anglais deversait des subventions en pure perte pour introduire du capital dans les terres en friche et des entreprises agricoles de taille . Certes les Anglais ont abusé de violence , face à l’absurdité Irlandaise , çà n’a servi à rien . Mais en quoi consiste donc le probléme Irlandais ? Et si c’était
le notre ?