L’actualité de la crise : LA BCE SUR SES ERGOTS, par François Leclerc

Billet invité

L’heure est grave à Athènes ! N’ayant aucun espoir de s’entendre entre eux dans l’immédiat, les dirigeants européens en sont réduits à minorer l’importance de l’échéance grecque et de leurs désaccords, après les avoir montés en épingle.

Le désaccord ne porte que sur les modalités de l’aide, pas sur son principe, déclare ainsi Bernard Valero, porte-parole du ministre des affaires étrangères françaises. De son côté, Nicolas Sarkozy lance un appel pressant à « faire preuve d’esprit de responsabilité et du sens des compromis nécessaires » avant de rencontrer Angela Merkel, qui se tait. Mais l’obstacle principal a franchir est à Francfort – le siège de la BCE – et non pas à Berlin ou même à Paris.

Lorenzo Bini Smaghi vient de marteler la position sans nuance de celle-ci : « Demander, comme cela a été fait récemment, que la BCE prolonge les échéances des titres d’Etat en sa possession ou accepte des titres d’un Etat considéré en défaut comme garantie pour les opérations de refinancement du système bancaire est une violation de l’interdiction pour la banque centrale de financer les Trésors par la monnaie. » Ajoutant, à l’occasion du colloque sur l’éthique organisé dans l’enceinte du Vatican auquel il participait, « toute pression en ce sens viole les règles d’indépendance qui défendent la BCE », plaçant ainsi la barre au plus haut.

S’engageant sur un terrain peu coutumier des banquiers centraux il a également dénoncé la spéculation sur la faillite des Etats en résumant ainsi la situation: « On peut parier contre [des pays] et encaisser la prime dans le cas d’un défaut. Plus la probabilité d’encaisser la prime est importante, plus le nombre de ceux qui parient contre la tenue d’un pays est important ».

C’est Olli Rehn, commissaire aux affaires économiques, qui a dévoilé les extrémités auxquelles les européens en sont rendus. Prévoyant une « approche en deux temps » qui conduira dimanche et lundi prochain les ministres des finances à donner leur feu vert au versement attendu début juillet de la tranche de prêt déjà accordé, en attendant la prochaine réunion de l’Eurogroupe du 11 juillet, sensée tout régler du plan de sauvetage qui devra enchaîner. Ainsi, le financement de la dette grecque sera dans l’immédiat garanti jusqu’en septembre et quelques semaines auront été gagnées pour tenter de dégager une solution gagnant elle deux à trois ans.

A noter que les chefs d’Etat et de gouvernement – réunis en sommet dans une semaine – sont grâce à ce calendrier exonérés de leurs désaccords… Ce faisant, ils jouent avec une boîte d’allumettes, étant donné l’expectative dans laquelle sont les marchés, qui le font savoir sans ambages. Les CDS qui assurent contre le non remboursement de la dette grecque ont atteint un niveau faisant de la Grèce le pays le plus risqué au monde. Ils s’affichent à 2.072 points de base, ce qui implique de payer chaque année 2,07 millions de dollars pour assurer une dette de 10 millions à cinq ans, revenant à débourser à maturité plus que le montant de la dette détenue…

Les investisseurs élargissent même leurs paris à d’autre pays que la Grèce. Les CDS de l’Irlande et du Portugal ont dépassé les 800 points pour la première fois de leur histoire. Sur le marché obligataire, les taux grecs à 10 ans approchent les 18% tandis que ceux à deux ans frôlent les 30%. Enfin, l’Espagne voit le taux de son emprunt à dix ans atteindre 5,72%.

C’est à propos de ce qui semble être le sexe des anges que les Européens continuent de se déchirer. Nous en étions à la définition détaillée de ce qu’est un événement de crédit dans le monde des assureurs de la dette et des CDS, nous en sommes maintenant arrivés à tenter de percer les mystères de ce que pourrait être une adhésion volontaire à un processus de rééchelonnement, qui ne pourra être obtenue des banques que grâce à d’amicales pressions et n’en doutons pas d’aimables contre-parties. Que la frontière entre le volontaire et l’obligatoire est difficile à tracer et à quelles arguties il faut se prêter pour y parvenir !

On croit deviner que sont engagés de laborieux marchandages qui pourraient avantageusement porter sur les modalités d’application des ratios de fonds propres de Bâle III ainsi que sur les résultats des stress tests, qui ont d’ailleurs par enchantement disparus du panorama.

Les calculettes chauffent dans l’immédiat, afin de déterminer le partage du fardeau financier entre le programme de privatisation des grecs, la participation des banques et un nouveau prêt européen, afin de minorer le montant de ce dernier tout en rendant vraisemblable l’ensemble. Dans la réalité, il s’agit de savoir combien il va pouvoir être au final obtenu des banques qui vont devoir faire l’effort de reporter les échéances de leurs prêts obligataires. 25 milliards d’euros sont espérés selon les derniers pointages allemands, rendant politiquement moins délicat l’adoption de ce plan de sauvetage du plan de sauvetage. Or la BCE, principale détentrice de la dette grecque, a déjà fait savoir qu’elle ne jouera pas à ce jeu, alourdissant ce que les banques privées devront supporter, rendant leur accord plus improbable. Obtenir celui-ci à un montage qui ne fait en réalité qu’accréditer la perspective d’un défaut ultérieur demandera en tout état de cause d’importantes compensations…

Tous les espoirs reposent maintenant sur un compromis type Initiative de Vienne – sur lequel la Commission travaille activement et qui pourrait être accepté par la BCE – à l’occasion de laquelle les banques avaient en 2009 volontairement accepté un roulement (ou une reconduction) de la dette des pays de l’Est qu’elles détenaient. Mais Fitch a déjà annoncé que dans ce cas de figure, elle dégraderait la note de la dette grecque, car cela traduirait « l’imminence d’un défaut ». La corde ne pourrait être plus tendue, la BCE n’ayant alors comme ressource, pour continuer de prendre en pension les titres de la dette grecque, que de trouver au moins une agence de notation continuant à accorder à ceux-ci la note CCC, car tel est son règlement.

Il faut également se transporter de l’autre côté de l’Europe, en Irlande, pour évaluer la suite des opérations qui pourraient s’y précipiter. Michael Noonan, le nouveau ministre des finances, a probablement cru devoir profiter d’un créneau d’opportunité pour lancer un pavé dans la mare et tenter ainsi d’arracher des concessions européennes qu’il ne parvient pas à obtenir, en menaçant d’ouvrir un deuxième front. Afin de partiellement soulager les finances publiques du poids colossal du renflouement de l’Anglo Irish bank, il a évoqué la possibilité d’y faire participer par une décote les détenteurs d’obligations seniors de la banque, prenant la BCE qui s’y est déjà fermement opposée lors de l’élaboration du plan de sauvetage totalement à contre-pied.

Une hypothèse pourrait être que le ministre vise par cette menace à obtenir le maintient de la fiscalité avantageuse des entreprises que les européens voudraient voir abandonnée, en attendant une rallonge financière qui sera elle aussi inévitable. Mais cet épisode confirme que le système bancaire européen rencontre des difficultés grandissantes à éviter de mettre la main à la poche.

La crise politique grecque bat quant à elle son plein, après que la tentative de George Papandréou de bâtir un gouvernement d’union nationale avec Démocratie Nouvelle ait tourné court. Le groupe parlementaire du PASOK, qui doit voter les nouvelles mesures d’austérité négociée par le premier ministre, renâcle et a obtenu une réunion dans l’urgence, un remaniement ministériel est dans les limbes pour ce soir jeudi, des élections législatives anticipées pourront difficilement être évitées dans un climat social de plus en plus lourd. Le nouveau plan de sauvetage de la Grèce est tenu du bout des doigts par un gouvernement en sursis, alors que seules les obligations des Grecs sont définies.

Nout Wellink, le gouverneur de la banque centrale Néerlandaise, à ce titre membre du conseil des gouverneurs de la BCE, se révèle le plus visionnaire dans ce vent de folie. Remarquant que « plus on prend de risques, plus il faut être préparé à prévoir un grand filet de sécurité pour éviter la contagion », il suggère rien de moins que de doubler le montant des engagement que le fonds de stabilisation financière pourrait avoir à prendre, et de le fixer à 1.500 milliards d’euros. Les calculettes vont encore chauffer.

Aucune des demi-mesures auxquelles les dirigeants européens parviennent à chaque fois à se rallier ne permettront de contenir la crise de la dette européenne. Ils ne semblent disposer ni des moyens politiques, ni même de la capacité à en concevoir la solution, condamnés à la dérive et en fin de compte à un échec qui peut être annoncé dès maintenant.

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107 réponses à “L’actualité de la crise : LA BCE SUR SES ERGOTS, par François Leclerc”

  1. Avatar de babypouf
    babypouf

    Bonjour,

    face à  » l’Ultime  » chacun, forcé, rassemble ses talents pour accueillir l’événement. Si parfois il est préferable de reculer pour mieux sauter, il est difficile d’imaginer que ce temps passé depuis les débuts des crises de la dette des états ai servis à quelque chose… plusieurs années déjà !

    Est ce que la crise politique grecque qui devrait avoir lieu va siffler la fin de la partie et annoncer le retour définitif des joueurs banquiers et assureurs dans leurs pays pour y compter leurs billes. Il est trés compréhensible que au delà d’un certains point le créantier n’a plus aucune légitimité à réclamer un retour sur son investissement, les taux usuraires sont atteint pour ces pays depuis belle lurette sans choquer les « politiques ».

    Il est révoltant que tant d’interêts privé puissent influer sur la destiné de tout un peuple, théoriquemnt souverain.

    Franchement l’idée politique d’une Europe des peuples même restreinte est la seulle chose qui pourrait nous sortir de l’orniére.

    Le dévelloppement de la crise à venir sera à suivre avec le calendrier des élections à venir … esperons que les elections au Portugal et en Espagne furent que des contre exemples.

    cordialement

  2. Avatar de Judith
    Judith

    Vive les Grecs!

    Grèce
    La démocratie de nouveau dans la place

    La démocratie de nouveau dans la place

    Des citoyens qui débattent et dénoncent l’injustice

    Les médias grecs et étrangers ont largement couvert les affrontements entre jeunes et forces de police anti-émeute qui ont laissé un épais nuage de gaz lacrymogène flotter au-dessus de la capitale grecque après plusieurs grandes manifestations. Menées à l’instigation des partis de gauche et de plusieurs syndicats, ces manifestations ont éclipsé la vague de protestation anti-rigueur qui déferlait sur le reste de l’Europe. Le climat de peur inlassablement entretenu par les médias, les experts et les élites intellectuelles de l’establishment ont réussi à distiller un sentiment de crainte et de culpabilité au sein d’une majorité de la population, et ainsi à affaiblir la résistance.

    Il y a trois semaines, la donne a pourtant changé. Une foule hétéroclite d’hommes et de femmes en colère – tout âge, idéologie et professions confondus – a commencé à se réunir sur la place Syntagma située au cœur d’Athènes, en face du Parlement, ainsi qu’autour de la Tour blanche à Thessalonique et dans les lieux publics d’autres grandes villes. Ces rassemblements quotidiens, attirant jusqu’à plus de 100 000 participants, se sont déroulés de manière pacifique, sous l’œil des forces de police.

    Se baptisant « les indignés », ces citoyens ont entrepris de dénoncer l’injuste paupérisation des travailleurs grecs, la perte de souveraineté qui a transformé leur pays en chasse gardée des banquiers et la déliquescence de la démocratie. Ensemble, ils exigent le départ des élites politiques corrompues qui ont dirigé le pays pendant près de trente ans et l’ont conduit au bord de l’abîme. Les partis et slogans politiques ne sont pas les bienvenus parmi eux.

    Des milliers de personnes se réunissent chaque jour sur la place Syntagma pour discuter des mesures à prendre. Le parallèle avec l’antique agora athénienne – qui se situait à quelques centaines de mètres – est frappant. Les participants souhaitant prendre la parole reçoivent un numéro leur permettant d’accéder à la tribune par tirage au sort, reprenant ainsi la méthode aléatoire par laquelle bon nombre de charges étaient distribuées dans la cité antique. Les orateurs ne disposent que de deux minutes, ce afin de permettre au plus grand nombre de s’exprimer.

    Le système fonctionne de manière efficace et sans les interruptions intempestives qui caractérisent la plupart des débats publics. Les sujets de discussion sont variés et vont de questions d’organisation aux nouvelles formes de résistance en passant par la solidarité internationale et les alternatives possibles aux mesures les plus injustes. Aucun sujet n’est écarté. Chaque semaine, des économistes, des avocats et des penseurs de la vie politique sont invités à participer à des débats organisés pour présenter des solutions à la crise.
    Jamais nous n’avons été aussi proches de la démocratie

    Voilà la démocratie en action. Chômeurs et professeurs d’université ont autant de temps pour présenter des idées qui seront discutées avec autant de vigueur et soumises à un vote avant d’être adoptées. Les indignés ont repris la place Syntagma des mains des marchands pour la transformer en véritable lieu public d’échange. Les soirées habituellement passées devant la télé sont devenues le temps de se rassembler pour discuter ensemble du bien commun. Si la démocratie désigne le pouvoir du « demos », c’est-à-dire de ceux qui n’ont ni rang, ni fortune ou compétence particulière les destinant au pouvoir, alors jamais nous n’avons été aussi proches de la démocratie depuis longtemps.

    Les débats de haut niveau qui se déroulent sur la place Syntagma contredisent cette idée répandue selon laquelle les questions de politique publique sont trop techniques pour les citoyens ordinaires et doivent être laissées aux spécialistes. Athènes redécouvre un des principes fondateurs de l’agora, à savoir que le demos a plus de bon sens que n’importe quel dirigeant. Le mouvement des indignés nous montre que la démocratie parlementaire doit être complétée par une version plus directe, un rappel qui tombe à pic alors que le principe de la représentation politique est de plus en plus contesté dans toute l’Europe.

  3. Avatar de Monsieur HR
    Monsieur HR

    Les agences de notation utilisaient, jusqu’à présent, l’arme de la notation contre les dettes publiques (sauf lorsque la situation des grosses banques US l’exigeait); à présent elles disposent d’ armes supplémentaires : la menace , les effets d’annonce …
    Il convient de ne pas oublier de toujours rappeler qu’il ne s’agit pas d’institutions neutres mais qu’elles ont un comportement stratégique aux service d’intérêts particuliers.

  4. Avatar de Marx prénom Groucho
    Marx prénom Groucho

    Aux dernières nouvelles, Nicolas et Angela sont arrivés à un accord sur la question grecque: c’est la BCE, c’est à dire au final le contribuable européen qui supportera le coût de l’opération de sauvetage….les banques et autres institutions privées, du genre compagnies d’assurance, n’apportant qu’une contribution « volontaire » et marginale…
    du coup, réaction de nos banquiers: HA HA ha ha ha !!! champagne pour les fats cats
    réaction des marchés: jetez un coup d’oeil au CAC de ce jour, l’envol durant et après la conférence de presse de nos deux héros  » qui sauvent la Grèce » ( tu parles…)
    Cela dit, pas un mot vers la jeunesse sacrifiée des pays périphériques dont l’avenir est bien sombre: Grèce, Portugal, Irlande, etc etc…nos deux héros n’écoutent que les tambours de bronze des marchés!
    grand bien leur en fasse! aux prochaine échéances électorales, ils seront balayés!

    1. Avatar de pierrot123
      pierrot123

      C’est lamentable…La presse imbécile ( aux ordres, c’est idem) titre, tenez-vous bien:
      « La France et l’Allemagne font front commun »…

      Contre qui, quoi? on n’en saura pas plus…
      Il est vaguement question de « ne pas abandonner la Grèce »…
      Ah, si…à la fin, cette pauvre A.Merkel se laisse aller: « Plus vite nous aurons une solution, mieux ce sera ».
      Le marché, évidemment, applaudit à tout rompre….

      Qu’est-ce qu’ils doivent se marrer, nos dirigeants !…

  5. Avatar de Germanicus
    Germanicus

    Merkel et Sarkozy ont trouvé un commun accord susceptible de duper le public et notamment le contribuable:
    les banques concernées « pourront » participer à l’aide (versements contributifs) pour la Grèce. Cela veut dire, puisqu’on fera appel au volontariat, que pratiquement aucune banque se portera volontaire, ou seulement dans une mesure mineure, réduite à un geste. On va donc privatiser la dette en épargnant les banques.

  6. Avatar de Michel P.
    Michel P.

    Combien te tours supplmentaires de rotative pour que la « Planche à billets » nous crachent de la « monnaie de singe ».?

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