L’actualité de la crise : UN HÉRITAGE À REFUSER, par François Leclerc

Billet invité

Par petites touches successives, ce qui était impensable devient admis du bout des lèvres. Devant une évidence fort tardivement reconnue – la réduction du déficit est tout simplement impossible sans croissance, et celle-ci ne peut pas redémarrer si l’austérité imposée y fait obstacle – une réduction de la peine des Grecs commence à être ouvertement envisagée sous forme d’une restructuration de leur dette (estimée à globalement 340 milliards d’euros). Ces premiers craquements au sein d’un univers bétonné de certitudes en annoncent d’autres.

Wolfgang Schaüble, le ministre des finances allemand, avait tiré le premier en suggérant la possibilité d’envisager « de nouvelles mesures », lançant un ballon d’essai. Klaus Regling, président du Fonds de stabilité financière européen, faisait ensuite un pas de plus en estimant qu’une restructuration pouvait être envisagée « en dernier recours ». Nout Welling, président de la Banque centrale des Pays-Bas et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, a depuis admis l’éventualité d’un rallongement de la maturité des obligations grecques, tout en excluant une décote.

Enfin, dans une interview accordée au quotidien grec To Vima, Lars Feld, l’un des conseillers économiques d’Angela Merkel, déclarait que « la BCE pourrait intervenir comme médiateur entre l’État grec et ses créanciers pour obtenir un allongement du remboursement de la dette », mentionnant également l’éventualité du rachat d’obligations grecques par le Fonds de stabilité européen.

Ces déclarations très politiques n’ont toutefois qu’un poids limité comparées avec la réaction des marchés, les taux grecs atteignant 16 % à 10 ans et, plus significatif encore, 25 % à deux ans. De l’insoutenable excluant le retour dans les délais prévus de la Grèce sur les marchés.

Pimco, le fonds géant américain qui fait la pluie et le beau temps sur les places financières – et ne mâche pas ces derniers temps ses mots à propos du marché obligataire, dont il est le premier acteur mondial privé – s’en est mêlé publiquement, pour considérer indispensable une restructuration.

Par la voix de leur gouvernement, les Grecs continuent à demander que leur soit consenti une diminution du taux de leurs emprunts à l’Union européenne (à son Fonds de stabilité financière) et au FMI. Mais cela pose problème à ces derniers, car cela conduirait les Grecs à bénéficier d’un taux inférieur à celui que les Espagnols doivent actuellement payer sur le marché, depuis qu’il a grimpé. Inconcevable, puisqu’il faut éviter tout aléa moral, les plans de sauvetage devant renforcer l’obligation de faire des efforts et non pas la diminuer…

Dans ces conditions, une seule issue reste disponible : restructurer d’une manière ou d’une autre la dette. C’est désormais la question qui agite le Landerneau. Les uns voudraient que celle-ci se limite à un simple rallongement des délais de payement, sans décote, les autres estiment que cela ne réglera rien et que ce sera reculer pour mieux sauter.

Mohammed El-Erian, le Pdg de Pimco, est dubitatif : « Auparavant, un allongement du délai de remboursement aurait pu avoir des résultats. Maintenant, il est moins probable que cela marche (…) à ce stade, un certain type de coupe apparaît inévitable ».

Plus sophistiqué, Patrick Artus, chef économiste de Natixis, propose une restructuration sélective, qui épargnerait les créanciers grecs – banques et caisses de retraite, très exposées – évitant ainsi d’avoir à les renflouer à leur tour. Car l’État grec n’en ayant pas les moyen, cela renverrait la patate chaude à la BCE et à l’Union européenne, qui n’ont pas du tout l’intention de s’y brûler en la recueillant ! Réfugié dans l’anonymat mais clairvoyant (ceci expliquant peut-être cela), un « haut responsable européen » cité par l’AFP explique : « Si les banques du pays s’effondrent, l’État doit renflouer le système bancaire. C’est comme quand on creuse un trou pour en boucher un autre ! ». Une image qui ne concerne pas uniquement l’État et les banques grecques, mais n’allons pas trop vite pour notre haut responsable…

Une autre crainte traverse tous les esprits. En agitant le spectre d’un nouveau Lehman Brothers – si une restructuration de dette était décidée – la BCE a tout à la fois utilisé un épouvantail destiné à jouer les repoussoirs et exprimé la crainte d’un irrésistible effet systémique au sein du système financier européen, face auquel elle serait aux premières loges.

Certes, juge et partie, elle ne voudrait pas avoir à assumer la décote des quelques 50 milliards d’euros d’obligations grecques qu’elle est estimée avoir acheté. Elle tient par ailleurs à ne pas dévier de ce qu’elle considère depuis le début de la crise comme sa mission essentielle : préserver les banques et le système financier à tout prix et faire par conséquent supporter le poids de la crise aux États.

Mais la BCE n’est pas la seule a exprimer ses inquiétudes devant une telle perspective. La résurgence probable d’une crise de liquidité aiguë affectant les banques – qui ne se feraient à nouveau plus confiance entre elles – est largement évoquée. Prenant la question sous un autre angle, il est par contre analysé que l’onde de choc qui résulterait d’une restructuration pourrait être contenue et serait un moindre mal par rapport à un éclatement de la zone euro, consécutive à une sortie de la Grèce, dont c’est l’option de dernier ressort si tout le reste lui est refusé.

Abonné aux combats d’arrière garde, le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn, a été une nouvelle fois des plus catégoriques à propos des spéculations sur la restructuration : « Je répète, ça ne fait pas partie de notre stratégie et ça n’en fera pas partie ». Il a repris à son compte l’argumentaire déjà entendu à propos des « implications potentiellement dévastatrices pour le pays lui-même et pour la zone euro dans son ensemble ». Précisant : « Le but de notre stratégie a été d’abord d’empêcher que se répète un arrêt cardiaque sur les marchés, comme celui qui s’est produit après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 ».

Tout à la défense et illustration de cette brillante stratégie – qui a le mérite pour une fois de la clarté, mais dont l’exposé est suspect lorsqu’il est mis au service de la poursuite d’une politique qui a failli – Olli Rehn s’est ensuite à nouveau embarqué dans des prédictions, qui ne lui réussissent pas en règle générale : « Nous avons réussi – a-t-il affirmé – à largement contenir la détresse sur les marchés de la dette souveraine aux trois pays les plus vulnérables : la Grèce, l’Irlande et le Portugal ». On appréciera le largement.

Il effleure ainsi un dernier problème, que tout le monde se garde bien d’évoquer ouvertement. Le risque d’une nouvelle crise aiguë du système financier européen peut être diversement apprécié. Il est aussi possible de penser que son éventualité est finalement un moindre mal et qu’il faut le prendre. Mais quid du précédent que créerait cette restructuration de la dette grecque, auquel les Irlandais, et demain les Portugais, pourraient se référer ?

Le système financier va devoir d’une manière ou d’une autre prendre un relais qu’il a tenté d’esquiver. Des montages typiques de banquier ne vont pas tarder à apparaître, afin de lisser les pertes à supporter, si l’étape illusoire d’un rallongement des délais de remboursement est sautée. Les pertes que va devoir dans ce cas supporter la BCE impliqueront un renforcement de ses fonds propres, vu la faiblesse de son capital. Les États devant alors répondre à un appel de fonds. C’est à en avoir le tournis.

L’équilibre financier européen va continuer à être miné par une dette qui ne peut être que partagée – une nouveauté – et résorbée très lentement, au prix de l’application de plans d’austérité plus ou moins sévères et durables suivant les pays. Car cet itinéraire ne sera pas modifié.

Voilà l’héritage qui est proposé, qu’il est toujours possible de refuser. En attendant, les paris à propos de la restructuration de la dette grecque sont fermés !

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114 réponses à “L’actualité de la crise : UN HÉRITAGE À REFUSER, par François Leclerc”

  1. Avatar de marx prénom groucho
    marx prénom groucho

    Vu une dépèche sur LCI en ligne datée de 18.01h.: « la Grèce envisagerait de sortir de la zone euro, réunion de crise à l’UE »
    Hé hé….

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