Spéculation sur les matières premières : Sarkozy a-t-il raison ?
Entretien avec Laura Raim
Le président de la République a vivement critiqué une étude de Bruxelles mettant en doute l’impact de la spéculation sur la hausse des prix agricoles. Qu’en est-il vraiment ? L’avis du sociologue et anthropologue Paul Jorion.
« L’étude montrant que la spéculation ne conduit pas à l’augmentation du prix des matières premières au niveau mondial, je recommanderais une date pour la publier, le 1er avril », s’est emporté Nicolas Sarkozy lors d’une conférence de presse lundi. C’est sûr que le rapport de Bruxelles tombe mal alors que le chef d’Etat fait de la lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles l’un de ses chevaux de bataille pour sa présidence du G20. Encore faut-il s’entendre sur la définition de la spéculation et en comprendre les mécanismes. Les explications de Paul Jorion, sociologue et anthropologue.
Comment spécule-t-on sur les produits agricoles ?
La spéculation se déroule sur les marchés « futures » ou à terme, c’est-à-dire où les intervenants fixent un prix aujourd’hui pour une transaction qui interviendra dans quelques mois. A l’origine, cela devait permettre aux négociants de se couvrir contre les variations de prix. Mais aujourd’hui, entre deux tiers et 90% des transactions émanent de spéculateurs. Il faut distinguer deux approches spéculatives : les investisseurs « longs » et les traders opportunistes. Les premiers achètent en général des parts dans des « fonds longs » constitués de « paniers » de matières premières, comprenant en particulier des produits agricoles et misent sur une hausse à long terme des prix, comptant sur des facteurs structurels comme l’accroissement de la demande chinoise. Ces investisseurs peuvent notamment venir sur le marché des matières premières pour se couvrir contre une baisse du dollar. Cette stratégie de long systématique génère une tendance à la hausse des cours.
La deuxième catégorie est celle des traders opportunistes qui entrent et sortent en permanence du marché pour profiter des changements de prix. Ils alternent ainsi positions acheteuses (long) et vendeuses (short) selon que les prix montent ou baissent.
Nicolas Sarkozy a évoqué lundi un opérateur qui avait acheté 15% des stocks mondiaux de cacao…
Oui : Anthony « Chocfinger » Ward ! Là il ne s’agit pas à proprement parler de spéculation mais d’accaparement. Le « négociant », comme on appelle celui qui dispose véritablement du produit ou est capable d’en prendre livraison ne fait pas un pari en achetant ou en vendant des contrats sur le marché à terme mais intervient directement sur le marché physique. S’il y a par exemple un problème climatique qui va peser sur l’offre du cacao, le négociant a intérêt à acheter et stocker un gros volume pour réduire encore plus l’offre et faire monter les prix avant de revendre. Aujourd’hui, certains fonds d’investissements font aussi bien de l’accaparement que de la spéculation. On sait maintenant que la banque d’investissement américaine Bear Stearns par exemple faisait les deux sur le marché de l’argent en 2008.
Un rapport de Bruxelles affirme qu’il n’y pas de lien probant entre l’activité des marchés de produits dérivés et l’augmentation des prix.
En théorie les prix à terme n’ont pas d’impact sur les prix comptant, mais dans la pratique, les prix comptant ou « spot » s’alignent de facto sur les prix à terme : si la spéculation fait monter les prix à terme, cette hausse se répercute immédiatement sur le prix comptant. Ceci s’explique par une croyance dans le fait que les marchés à terme seraient rationnels, omniscients et qu’ils sauraient anticiper ce qui va se passer. Pour caricaturer : si le prix à terme est élevé, cela veut dire que le marché à terme sait qu’il y aura pénurie, et alors le prix comptant monte lui aussi pour refléter cette donne. Or on voit bien que parfois les prix ne reflètent pas du tout l’offre et la demande. Quand en 2008, le pétrole est passé en six mois de 84 à 145 dollars le baril, cela n’avait aucun rapport avec les fondamentaux puisque la récession avait fait chuter la demande.
Les défenseurs de la spéculation arguent qu’elle a le mérite de favoriser la liquidité…
C’est l’éternel argument des partisans de la dérégulation. Et c’est vrai ! Mais quel intérêt si cette liquidité existe à un prix spéculatif qui n’a rien à voir avec l’offre et la demande ? De toute façon, la liquidité accrue offerte par la présence d’un spéculateur sert surtout à un autre spéculateur. S’il y a moins d’acteurs sur le marché, cela prendra effectivement un peu plus de temps pour qu’acheteurs et vendeurs s’accordent sur un prix, et alors ?
Parmi ses pistes de régulation, Sarkozy veut accroître la transparence sur le marché physique et obliger les acheteurs à avancer une plus grosse somme.
Améliorer la transparence c’est bien mais cela n’empêchera pas la spéculation. Exiger des garanties financières plus importantes aurait le mérite de réduire le nombre de gens qui ont les moyens de participer. Les partisans de la libéralisation à outrance soutiendront que c’est antidémocratique, mais ce serait une première étape positive parce que cela découragerait de participer à ces marchés ceux qui ne sont pas d’authentiques « négociants », capables de livrer ou de prendre livraison du produit.
282 réponses à “L’EXPANSION, « Spéculation sur les matières premières : Sarkozy a-t-il raison ? », LE 25 JANVIER 2011”
Si les spéculateurs ne provoquent pas à eux seuls les fluctuation, (et non pas spéculations), au moins, ils s’en nourissent.
On est en plein delire ici ?
L’offre et de la demande ne se rencontrent pas sur une droite mais sur une parabole.
10% de demande en + ce n’est pas 10% de hausse de prix. Ce n’est pas de la speculation c’est des mathemathiques. 10% de desequilibre offre-demande peuvent creer 100% de hausse du prix. Ceci est lie a de multiples parametres (historique, volatilite, stockabilite entre autres)
Un prix qui augmente… faudrait aussi le voir plutot comme une monnaie qui baisse, surtout en ce moment.
Un prix future permet quand a lui de faire du previsionnel. Je sais bien que ce terme n’est pas trop a la mode chez les agriculteurs plutot habitues a ecouler leur marchandise a un prix encadre reglemente et subventionne. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la fille de la cremiere. Heureux l’industriel qui pourrait en faire autant: je fabrique des teles sans me soucier du marche ni de la qualite de mon produit ni de mon reseau commercial; la CEE me garantit un prix d’achat minimum. Et quand il y a des quotas je suis mecontent et je suis tellement peu fier de ce que je fais que je detruis mon produit en place publique.
Et pour finir, « speculation » n’est pas un gros mot. Chacun le fait avec ses moyens. Pour certains ca s’arrete a regarder les resultats du Loto le Samedi soir. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise speculation.
GameOver
@ GameOver
Cher Monsieur,
Il serait bon que vous alliez jouer plus loin car il est déplaisant d’avoir à lire des propos comme les vôtres ici.
Aller dire que les agriculteurs ont « le beurre et l’argent du beurre et la fille de la crémière » c’est faire preuve d’une totale méconnaissance de la situation vécue par la plupart d’entre-eux doublée d’une arogance et d’un mépris total ; pour ne pas dire d’autre chose.
Et puis d’abord ! il est où vigneron ? J’attends une réponse de sa part à propos de ses écrits à l’adresse de Peak.Oil 2008 !
@GameOver:
http://blogs.lesechos.fr/market-makers/l-agriculteur-le-speculateur-le-g20-instabilites-revoltes-a5059.html
Lis cet article, la spéculation est une marge en moins entre le producteur et le consommateur, ils n’apportent aucune valeur ajouté (alors que la pub à au moins l’intérêt de rendre un produit visible), les liquidités ne sont qu’une excuse des banques et financiers pour ne pas à avoir à s’engager sur une durée et maximiser les profits par rapport à l’emprunt.
Sinon un conseil, installe toi reprend une ferme, tu verras c’est cool y à des subventions 🙂 et tu refais un commentaire plus tard.
Un prix qui augmente… faudrait aussi le voir plutot comme une monnaie qui baisse, surtout en ce moment »Bof….en quelle monnaie les prix des matières premières n’augmentent-ils pas? ça doit etre une monnaie super forte en tout cas!
« les agriculteurs plutot habitues a ecouler leur marchandise a un prix encadre reglemente et subventionne ». Prix subventionné, encadré?vous vous trompez completement! Et vous parlez comme si vous saviez! C’est gonflé. Si nous touchons directement des subventions, (on nous le reproche assez souvent) les prix auquels nous vendons sont tout sauf subventionnés. C’était ça le deal de la PAC 1992: on laisse chuter les prix agricoles et en compensation, on verse des primes aux paysans pourqu’ils puissent continuer à bosser en attendant.
« Et quand il y a des quotas je suis mecontent et je suis tellement peu fier de ce que je fais que je detruis mon produit en place publique » Les paysans producteurs de lait n’ont pas manifesté contre les quotas ces derniers temps.!..Au contraire ils y tiennent(certes pas tous). Il ont fait la greve des livraisons pcq les industriels onttout fait pour qu’ils bradent leur lait . Je voudrais voir la tete des fabricants de télé si on les obligeait à vendre leurs produits en dessous des couts de productions .
Vous ecrivez assez n’importequoi sur l’agriculture et vous etes pour la spéculation. C’est plutot réconfortant pour ceux qui sont contre.
Ouf !c’est dur de faire de la pédagogie avec des gens comme vous tout en gardant son calme!
Voilà désolé je ne m’étais pas relu. Bon vent à vous quand meme.
@ ecodouble
« Il serait bon que vous alliez jouer plus loin car il est déplaisant d’avoir à lire des propos comme les vôtres ici ».
Non non au contraire, qu’ils écrivent. En plus c’est un plaisir de leur répondre 🙂 N’est ce pas Mr Genissel? (trés bien le petit conseil de la fin)
Bien sur des posts comme ceux de game over y’en faut pas trop, ca ferait trop de boulot
On est d’accord , d’autant que ce sont toujours les petits joueurs qui aspirent au game over .
@ juan nessy
Au plaisir!
Ok il y a des excès et il faut les combattre. Mais se renseigner c’est bien aussi. Dans le cas du trader sur le cacao, Anthony Edward, son fonds a perdu 168 millions de dollars sur l’opération d’acaparement du cacao (article du FT de décembre 2010), et ça personne n’en a parlé. La spéculation doit être limitée, c’est sûr. Mais il ne faut pas dire n’importe quoi au risque de se décrédibiliser. Vouloir faire croire aux gens que les gens qui spéculent gagnent tout le temps, c’est idiot!
Lili12, c’est votre commentaire qui est idiot. Quand un spéculateur gagne, il y a forcément quelqu’un qui perd en face, et il arrive évidemment que ce soit un spéculateur de l’autre côté. Et personne n’a jamais affirmé le contraire ici.
Maintenant, si vous souhaitez que l’on fasse preuve de compassion pour les millionnaires quand ils prennent le bouillon de façon modérée (le roi du cacao ne dort pas sous les ponts aux dernières nouvelles), faut pas déconner !
Si les spéculateurs ne gagnaient pas avec leur nuisible activité pourquoi donc spéculeraient-ils ?
Sur le total de leur activité, ils gagnent ! Et s’il ne gagnent pas directement à tous les coups, au hasard d’une crise, ils ont toujours la possibilité de faire payer les Peuples à la fin !