LES PARADIS SOLITAIRES, par Zébu

Billet invité

J’avais indiqué dans un billet précédent ce que le financement du logement social devait à la libéralisation de la collecte de l’épargne réglementée, notamment celle du Livret A et des conséquences que cela induit pour l’ensemble de la société : précarité croissante dans les ‘ZUS’, bénéfice croissant pour les banques, bénéfices réduits pour l’Etat et le financement du logement social.

En tombant sur un article de Libération, je me suis dis que tout n’était pas pourri en ce bas monde et que la solidarité bien comprise permettrait une juste répartition des bénéfices, pour tous.

Pensez donc ! Une fédération, « Habitat et Humanisme », reconnue d’utilité publique et ayant créé une fondation sous égide de la Fondation de France, propose d’intervenir pour pallier aux difficultés de logement sociaux en France, en proposant aux propriétaires privés de conventionner pour transformer leurs logements laissés vacants en logements sociaux, partants du constat que 400 000 propriétés en France sont identifiés comme ‘vacants’ (payants la taxe sur les dits ‘logements vacants’).

Cette fédération se charge entre autres de la gestion locative, d’aider le propriétaire à conventionner, lequel pourra bénéficier de réductions d’impôts sur ses revenus fonciers locatifs, tout en permettant à des français d’enfin accéder à des logements sociaux, qui plus est décents car remis aux normes via les subventions de l’ANAH (Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat), ce qui incite entre autres les propriétaires à sauter le pas.

Bref, en même pas un mois (l’appel ayant été lancé en décembre 2010), plus de 1000 propositions de propriétaires ont émergé.

En dehors du fait que la seule existence et la pertinence de cette action privée en disent long sur l’incapacité et l’inaction de l’Etat en la matière, qui préfère ‘libéraliser’ la collecte du livret A pour ‘assurer les dépôts’ auprès des banques privées (ainsi que leurs bénéfices), il reste que cette action pose une question.

Car me suis-je dis, fantastique !, dès lors, pourquoi, pour pousser la logique plus loin, ne pas proposer un outil de financement solidaire qui serait adossé à ce type d’action, afin de véritablement sortir de la logique imposée par l’Etat de la ‘libéralisation’ de son action auprès des acteurs voraces du monde bancaire, lequel, entre autres, fuit la fiscalité via des prix de transfert ‘gonflés’, sans parler de la note, passée de la dette privée à la dette publique, puis transférée in fine aux épargnants et contribuables, via les plans de réductions drastiques de l’action publique.

En allant sur le site « d’Habitat et Humanisme », j’ai honteusement prix connaissance que la dite fédération était plus qu’active en termes d’épargne solidaire et ce depuis 20 ans.

Mais en regardant bien les types de financement, on s’aperçoit, qu’en dehors du Fond de capitalisation de la fédération (actions), tous les autres types de financements sont gérés … par les dites banques en question :

DEAM, filiale de Crédit Agricole Asset Management Group ; compagnie AVIP (groupe Allianz) ; Crédit Coopératif ; Crédit Mutuel ; réseaux CIC et Crédit Mutuel ; Société Générale, Natexis Asset Management, Société Générale Gestion (S2G), Gestépargne-OFIVALMO, AXA, BNP Paribas, Inter Expansion, FEDERIS, GENERALI, CM – CIC, HSBC (via le FCPE), etc.

Soit, le Gotha du tout bancaire (et assurantiel, n’oublions ces assurances qui oeuvrent dans l’ombre, pour notre plus grand bien) …

Loin de dénigrer l’objet et l’action « d’Habitat et Humanisme » (j’en parle pour justement diffuser leur action sur ce blog, auprès des propriétaires et locataires potentiellement concernés), on ne peut que constater que quand bien même l’épargne et les actions seraient solidaires, elles ne seront que des palliatifs, certes vitaux pour les bénéficiaires mais dont ceux qui tirent les ficelles (et les profits) recevront peu ou prou les bénéfices : l’Etat, en se désengageant de son action tutélaire de financement du logement social ; les banques en acceptant de servir de ‘support technique’ à ces actions (mais aussi et surtout supports médiatiques, qu’elles ne manqueront pas de faire valoir) pendant que dans le même temps elles captent à leur profit les mannes financières qui devaient justement servir à financer … le logement social, via le Livret A.

Car force est de constater qu’en l’occurrence, « Habitat et Humanisme » n’a guère le choix quant à ses ‘partenaires’ bancaires et qu’en dehors de créer une banque réellement solidaire et indépendante ayant obtenu l’agrément de la Banque de France (ce qui n’est évidemment pas sa mission), sur laquelle de telles actions pourront s’appuyer (mais avec quelles viabilités pour une telle banque dans un tel contexte ‘concurrentiel’ et ‘libéralisé’), on revient toujours vers les mêmes acteurs : les dites banques.

De sorte que les ‘paradis’ solidaires semblent bien ‘solitaires’ (les guillemets ont réellement leur utilité), comme porte de sortie viables et globales à la crise que nous connaissons.

Car tant que le système restera celui-ci, on se rend bien compte que ce que l’on gagne d’un côté est mille fois perdu de l’autre.

Cela ne signifie pas qu’il faille signer l’arrêt de mort de ces actions solidaires.

Cela signifie qu’il ne faut pas perdre de vue quel doit être l’objectif : combattre l’idéologie libérale, dans sa ‘philosophie’ et ses effets, afin de réformer le système bancaire et financier et redonner à l’Etat ou à la communauté politique, quelle qu’elle soit, les moyens d’une solidarité, pour tous.

Sans cela, l’action « d’Habitat et Humanisme », aussi solidaire et juste soit-elle, s’épuisera en vain face à la marée montante des besoins, générée par une ‘libéralisation’ économique et financière sans fin.

Selon moi, ‘Habitat et Humanisme’ sont pris entre deux feux : la ‘pureté’ solidaire et la nécessité de faire en sorte de sortir de la confidentialité et de s’appuyer sur les réseaux grands publics de distribution et de commercialisation … bancaire) ‘Habitat et humanisme’.

Tout ceci pour montrer qu’un acteur met en place une action nécessaire et intelligente, à laquelle on peut raisonnablement souscrire, comme objet concret de solidarité, mais que cette même action reste prisonnière du système (bancaire) dans lequel il s’inscrit, soit par absence de possibilités différentes, soit pour, aussi, faire bénéficier (dans le bon sens du terme) au plus grand nombre possible de personne cette action, auquel cas, l’action retombe dans le cadre décrit du système. On connaît ça dans l’humanitaire, aussi.

Il est donc nécessaire de s’engager, concrètement, il est vain de croire que cela pourra faire changer les choses, si le système lui-même n’est pas réformé : j’en appelle donc à une action en conscience. Beaucoup d’entre nous, moi le premier, se contentent ou pourraient se contenter de participer sans remettre en cause le système. On s’aperçoit, sur ce sujet, comme sur le sujet de la crise (‘la dette, c’est pas mon problème’, jusqu’aux restructurations de dettes publiques qui touchent les obligations et les épargnants) qu’agir différemment dans le système n’est plus suffisant.

C’est amplement suffisant pour les bénéficiaires de ces actions. Mais cela ne remet pas en cause le système, dont on voit qu’il participe, aussi à ce genre d’action, en tire même une certaine légitimité (‘on aide, nous aussi’), pendant qu’ils pillent, les mêmes, les ressources qui auraient pu servir à financer et autrement plus important le logement social (livret A).

Paradoxes ? Oui. Mais c’est le système qui les produit. Le système est un paradoxe.

Ne pas le montrer, c’est se voiler la face.

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145 réponses à “LES PARADIS SOLITAIRES, par Zébu”

  1. Avatar de Karluss
    Karluss

    les dépôts sur les livrets A financent le logement social, jusqu’à preuve du contraire.

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