Billet invité. Suivi d’une conclusion.
Les recettes de l’État français exprimées en pourcentage du produit intérieur brut (Cliquer sur le graphique pour l’agrandir)
La dette… toujours la dette. Partout, nous entendons le même discours transformant la dette publique en épée de Damoclès dont le fil tranchant et menaçant justifierait une nécessaire et irrémissible rigueur devant laquelle le bon peuple serait prié de s’agenouiller et de s’offrir en sacrifice sur l’autel du Dieu Marché.
Comment ne pas être dubitatif devant la généralisation d’un discours relayé jusqu’à la nausée par nos élites politiques et repris en un chœur assez peu dissonant par une majorité des médias ? Intox ou réalité ? Propagande ou vérité ?
Fort de la lecture de ce blog dont la 1ère qualité est de nous dessiller l’esprit en levant le voile sur une réalité financière nébuleuse et donc complexe, mon daimôn me soufflait à l’oreille que ce discours sur la dette publique était trop insistant pour être vrai, trop simpliste pour décrire une réalité complexe, trop accusateur pour ne pas cacher derrière son index pointé une éventuelle autre cause à nos supposés malheurs d’aujourd’hui.
Bien sûr, la dette existe, elle est réelle, mais qu’en est-il de sa cause ? Les néolibéraux vous répondront à l’unanimité et dans un chœur harmonieux que l’État dépense trop, qu’il gaspille ses recettes dans des investissements non productifs (entendu récemment dans la bouche de J.-C. Trichet), en d’autres termes que le social lui coûte ses deux bras et ses deux jambes. Par contre sur les recettes, pas un mot, rien, nada… Ils y ont bien sûr tout intérêt quand vous verrez les graphiques ci-dessous. D’autant plus d’intérêt que dans le monde doré et angélique qu’ils nous proposent – un monde capitonné d’« épanouissement au travail », de « développement personnel », de « plan de sauvegarde de l’emploi » et j’en passe -, moins-disant social rime avec moins-disant fiscal. Or, pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, l’absence faisant sens, nous avons toute légitimité à nous poser quelques questions sur cette omission, et c’est là que la propagande intervient par troncature de la réalité. Rien de bien nouveau dans tout cela… Frédéric Lordon a déjà, depuis longtemps et sous cet angle, évoqué cette question (1).
Toutefois, soumis aux interrogations obsédantes de mon daîmon, je cherchai un graphique qui puisse visuellement nous apporter une preuve que la cause de cette dette était principalement liée à une baisse des recettes. Peut-être ai-je mal fouillé, mais quoi qu’il en soit, faute d’avoir trouvé, je me mis en quête des éléments nécessaires à cette démonstration, et finalement parvins à les dénicher au cœur des statistiques de l’Insee – institut au dessus de tout soupçon.
Alors de quoi s’agit-il ? En vérité, c’est très simple, et je suis fort surpris de ne pas les avoir trouvés sur le net. J’ai simplement croisé le PIB avec le budget de l’État français et calculé le pourcentage de l’un par rapport à l’autre ce qui nous donne le graphique suivant :
Édifiant n’est-ce pas ? Il ne faut pas être grand clerc pour constater de visu que les recettes de l’État ont fait un grand plongeon depuis l’année 1978 et que les choses s’accélèrent depuis le début de la présidence Sarkozy.
À noter également que le différentiel entre l’année 1978 et l’année 2009 de 6 points, soit un manque à gagner de près de 120 milliards d’euros, correspond précisément au besoin de financement de 117,6 milliards d’euros (ou déficit budgétaire) tel que le définit l’Insee (2). Pour comble de mauvais esprit et même s’il n’est point besoin de le rappeler aux lecteurs avertis et informés de ce blog, je rappelle qu’entre 1982 et 2007, la part des dividendes dans le PIB est passé de 3,2% à 8,5% (3). Allez chercher l’erreur !
En outre, pour parer à toute critique contre l’objection des transferts de compétences aux collectivités locales et donc une augmentation des impôts locaux, j’ai réalisé le même graphique en ajoutant à celles de l’État les recettes des collectivités locales (4). Les deux graphiques ne sont pas comparables sur la durée, les chiffres donnés par l’Insee commençant en 2000. Néanmoins, même si la période est plus courte, nous pouvons constater une tendance baissière des prélèvements fiscaux.
Parmi les autres objections possibles, citons celle d’une comparaison entre recettes des administrations publiques (APU) et PIB dont la courbe montre une plus grande stabilité, comme les dépenses (en % du PIB) de ses mêmes administrations depuis 1992. Cette comptabilité des APU présente un inconvénient : celui de regrouper l’État, les Organismes Divers d’Administration Centrale (dont la CADES qui gère la dette sociale, les universités, l’Anpe, etc…), les administrations publiques locales (régions, départements, communes, régie de transport, chambre de commerce etc…) et les administrations de sécurité sociale (essentiellement les caisses de sécurité sociale, l’UNEDIC et les hôpitaux publics) en une unité comptable unique. Autant dire une usine gaz dans laquelle il est difficile de retrouver ses petits et qui tend à diluer l’impôt dans une masse de recettes polymorphes. Or, l’État reste avec les collectivités locales (taxes foncières, taxe d’habitation…) le principal bénéficiaire de l’impôt (IR, IS, ISF, TVA, TIPP, droits de succession, etc.) lequel constitue ses recettes principales et donc l’assiette de ses dépenses de fonctionnement. Dès lors, en rester au budget de l’État seul me semble suffisant pour démontrer que la cause principale de la dette réside avant tout dans un problème de recettes.
Le graphique suivant vous donnera une idée plus précise de ceux qui bénéficient de cette réduction des prélèvements fiscaux :
Cette baisse de l’impôt sur les sociétés correspond à lui seul à 70% de la diminution des recettes fiscales (42,5 milliards d’euros entre 2008 et 2009), baisse significative dont le bon peuple français est remercié par une augmentation significative des plans sociaux qui passaient, sur la même période, de 1061 à 2242 (5). Bien sûr, on vous expliquera que tout cela est de la faute de la crise, cette hydre malfaisante, source de tous nos malheurs, hydre malfaisante tombée du ciel telle la vermine sur le pauvre monde et devant laquelle une seule solution s’impose : accepter, prier et se sacrifier sur l’autel du temple des temps modernes : le Marché. Pour nous… la masse informe des salariés – impudents suceurs de dividendes – « la descente aux Enfers », mais pour une poignée d’autres… une heureuse « Résurrection ». Surtout quand nous subodorons que la Crise alias le Diable (6) sert d’alibi parfait et fumeux aux intérêts des « stratèges du choc » – les nouveaux cardinaux -, si bien mis en lumière par Naomi Klein (7), ces mêmes « stratèges du choc », avec leurs prêtres et leurs séides, qui omettent de vous préciser au passage que, suite à une décision éminemment politique, les entreprises ont bénéficié d’une exonération sur les plus values induites par la cession de leurs titres de participation dont le coût est estimé à 20 milliards d’euros (8). Crise et propagande ou les deux faces d’un heureux ménage…
À ce stade de la démonstration et au vu du 1er tableau, point n’est besoin de long discours pour en conclure que la dette publique est sciemment entretenue et élevée au rang de nouvel épouvantail à la solde d’un néolibéralisme débridé à la recherche de nouveaux territoires à conquérir, et tout cela, avec la sainte bénédiction d’une grande majorité de nos élites politiques.
La propagande bat son plein œuvrant sans cesse à la manipulation des opinions publiques et à la fabrique des consentements. Edward Bernays, neveu de Freud et 1er grand théoricien de la propagande, n’hésitait pas écrire au tout début du 1er chapitre de son livre Propaganda ou Comment manipuler l’opinion en démocratie : « la manipulation consciente, intellectuelle, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique » et de conclure dans une formule derrière laquelle perce un cynisme à peine voilé : « les esprits intelligents doivent comprendre qu’elle (la propagande) leur offre l’outil moderne dont ils doivent se saisir à des fins productives, pour créer de l’ordre à partir du chaos ». Le message étant clair et le décor bien planté, il nous appartient d’en déjouer les rouages et de proposer, dans un au-delà prospectif et constructif, à partir de toutes vos contributions, un contre-modèle syncrétique.
Face au rouleau compresseur de la propagande, j’ai la faiblesse de penser que le succès récent du petit opuscule de Stéphane Hessel Indignez-vous !, outre l’espérance qu’il suscite dans nos esprits sidérés par l’apathie de nos concitoyens, atteste d’un début de prise de conscience… enfin, espérons-le ! La résistance est en marche. Armons-l par nos commentaires et nos propositions !
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(1) http://blog.mondediplo.net/2010-05-26-La-dette-publique-ou-la-reconquista-des
(2) http://www.insee.fr/fr/themes/comptes-nationaux/souschapitre.asp?id=62 puis Dépenses et recettes de l’État (S.13111)
(3) Frédéric Lordon http://blog.mondediplo.net/2009-02-25-Le-paradoxe-de-la-part-salariale
(4) http://www.insee.fr/fr/themes/comptes-nationaux/souschapitre.asp?id=62 puis Dépenses et recettes des collectivités locales (S.13131)
(5) http://www.lesechos.fr/patrimoine/famille/300412508.htm
(6) J’utilise à dessein les symboles de la religion chrétienne. D’un point de vue sémiologique, les analogies sont frappantes. Seuls les noms changent, les mécanismes en action, eux, restent les mêmes.
(7) Naomi Klein « La stratégie du choc » Actes Sud 2008
Conclusion :
12/01/2011 à 02:22
Bonjour à tous,
je vous remercie tous pour vos commentaires… des plus encourageants aux plus critiques.
Rien n’est simple en ce bas monde, d’autant moins simple que la complexité nous environne quel que soit l’endroit où nous portions le regard. Par définition, la complexité est déjà difficile à appréhender par nos intelligences cognitivement limitées, mais encore plus quand elle est opacifiée par l’interférence des philtres idéologiques qui en biaise ou en tronque la réalité.
Ce billet sans prétention avait pour but de soulever des questions sur un problème d’actualité et tentait d’éclaircir l’horizon en proposant un antidote au philtre médiatico-politique du moment. Au delà de cela, la question essentielle qui s’apparente à une posture philosophique consiste à chercher, derrière les fausses évidences ou les apparences premières, les vérités ou réalités cachées. Démêler le grain de l’ivraie est un travail fastidieux, de chaque minute, nécessitant une vigilance constante, qu’un homme seul ne peut accomplir d’où l’impératif – aujourd’hui plus que jamais – d’un travail collectif par l’entremise d’un processus de pollinisation intellectuelle.
Chacune de vos contributions est venue éclairer, préciser ou nuancer mon propos initial, sans pour autant que soit en remis en cause, par une grande majorité d’entre vous, mon postulat de départ. Néanmoins, je reconnais une maladresse à ma présentation : celle de ne pas avoir assez nuancé mes propos sur l’IS, lesquels ont focalisé l’attention sur une problématique ponctuelle qui n’explique pas à elle-seule la tendance baissière des 30 dernières années et ont un peu occulté du débat la guerre idéologique qui la sous-tend, une guerre idéologique qui oppose deux conceptions économico-politiques du monde et que l’on pourrait ramener, dans un raccourci un peu simple et très connoté « 20ème siècle », à deux pensées et à deux hommes : Friedmann et Keynes.
Un autre problème intéressant a été soulevé, notamment par Chris06, qui mériterait lui aussi d’être approfondi :celui du paradoxe entre le budget de l’Etat et celui des APU.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie tous de votre participation active et de vos diverses contributions qui illustrent parfaitement les bienfaits d’une réflexion collective et de l’intérêt majeur d’une démarche pollinisatrice dont ce blog est la ruche.
Espérons que le miel qui en ressortira viendra à son tour vivifier et donner de l’énergie aux forces de la Résistance et que les petites abeilles que nous sommes en essaimeront quelques germes dans les consciences endormies.
331 réponses à “LA DETTE PUBLIQUE… OU LE PARTAGE DU BUTIN ?, par Jean-Luc D.”
@Ando
« C’est une donnée incontournable quand par le poids de sa dette l’ Etat se met de facto entre les mains de ses créanciers ».
N’y a-t-il pas là une tautologie?
Ce « de facto » résulte d’une décision politique.
Sous le Général De Gaulle, et jusqu’en 1973 l’ Etat fabriquait donc de la « monnaie de singe ».
Interdiction du recours à la BDF , privatisation des principales institutions financières.
N’est-ce pas depuis qu’il est au main de ces (ses) créanciers que le service de la dette vient amplifier celle-ci d’une façon irréversible sauf à détruire tout le socle social, compte tenu du dumping fiscal qui résulte lui aussi d’une « dure loi » (l’IS à 50%, ce n’est pas si loin), celle de la mondialisation.
Il est vrai que d’aucun qualifient de « barbarie » l’idée de ne pas dépendre du marché financier.
Où voyez-vous une solution dans le cadre actuel?
Aucune solution n’est possible dans le cadre actuel!
Il faudra bien évidemment passer par de la monétisation directe de la banque centrale (BCE si nous restons dans l’euro, Banque Centrales Nationales si nous le quittons), inflation importante, ou défaut partiel ou total. Comme l’écrit Sapir, pourquoi les banques centrales prêtent à 1% (taux de refinancement) aux banques commerciales qui elles vont pouvoir ainsi prêter à 3%, 4, 5 ou beaucoup plus aux Etats ?
Pour le trou d’IS de 2009, plusieurs facteurs ont été évoqués, j’en rajoute un :
Il me semble me souvenir que l’annonce des résultats des grandes entreprises en début 2009 avait donné lieu à la stratégie consistant à « grouper les pertes » :
puisque l’actionnaire n’attendrait rien de bon pour l’année de l’après faillite d’un « not big enough not to fail » (Lehman Brauzeur), autant rassembler les pertes (par des reports comptables adéquats) cette année là, pour paraitre plus fringant à l’heure des jeunes pousses …
C’est pas très différent de ce qui arrive entre pêcheurs et mareyeurs en cas de mauvaise pêche, dit-on chez le Croquant (sans avoir révisé, M’sieu Julien)
J’en profite pur redemander s’il est prévu de rassembler des erratum de « Le prix » en quelque page blogguistique d’ici ou d’autres lieux ?
[P.J. Egalement ajouté en conclusion au billet]
Bonjour à tous,
je vous remercie tous pour vos commentaires… des plus encourageants aux plus critiques.
Rien n’est simple en ce bas monde, d’autant moins simple que la complexité nous environne quel que soit l’endroit où nous portions le regard. Par définition, la complexité est déjà difficile à appréhender par nos intelligences cognitivement limitées, mais encore plus quand elle est opacifiée par l’interférence des philtres idéologiques qui en biaise ou en tronque la réalité.
Ce billet sans prétention avait pour but de soulever des questions sur un problème d’actualité et tentait d’éclaircir l’horizon en proposant un antidote au philtre médiatico-politique du moment. Au delà de cela, la question essentielle qui s’apparente à une posture philosophique consiste à chercher, derrière les fausses évidences ou les apparences premières, les vérités ou réalités cachées. Démêler le grain de l’ivraie est un travail fastidieux, de chaque minute, nécessitant une vigilance constante, qu’un homme seul ne peut accomplir d’où l’impératif – aujourd’hui plus que jamais – d’un travail collectif par l’entremise d’un processus de pollinisation intellectuelle.
Chacune de vos contributions est venue éclairer, préciser ou nuancer mon propos initial, sans pour autant que soit en remis en cause, par une grande majorité d’entre vous, mon postulat de départ. Néanmoins, je reconnais une maladresse à ma présentation : celle de ne pas avoir assez nuancé mes propos sur l’IS, lesquels ont focalisé l’attention sur une problématique ponctuelle qui n’explique pas à elle-seule la tendance baissière des 30 dernières années et ont un peu occulté du débat la guerre idéologique qui la sous-tend, une guerre idéologique qui oppose deux conceptions économico-politiques du monde et que l’on pourrait ramener, dans un raccourci un peu simple et très connoté « 20ème siècle », à deux pensées et à deux hommes : Friedmann et Keynes.
Un autre problème intéressant a été soulevé, notamment par Chris06, qui mériterait lui aussi d’être approfondi :celui du paradoxe entre le budget de l’Etat et celui des APU.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie tous de votre participation active et de vos diverses contributions qui illustrent parfaitement les bienfaits d’une réflexion collective et de l’intérêt majeur d’une démarche pollinisatrice dont ce blog est la ruche.
Espérons que le miel qui en ressortira viendra à son tour vivifier et donner de l’énergie aux forces de la Résistance et que les petites abeilles que nous sommes en essaimeront quelques germes dans les consciences endormies.
Cette dernière réflexion nous renvoie à la question de JT GIO, déjà soulevé par d’autres commentateurs :
[…] d’allègement des coûts pour les entreprises, voici un petit graphique emprunté au site de Paul Jorion, sur le trend de l’imposition des sociétés depuis l’arrivée en poste de notre […]
[…] d’allègement des coûts pour les entreprises, voici un petit graphique emprunté au site de Paul Jorion, sur le trend de l’imposition des sociétés depuis l’arrivée en poste de notre […]
[…] Un excellent article du 8 janvier 2011 par Julien Alexandre sur le blog de Paul Jorion, nous illustre le processus de mise en esclave néolibéral. La dette… toujours la dette. Partout, nous entendons le même discours transformant la dette publique en épée de Damoclès dont le fil tranchant et menaçant justifierait une nécessaire et irrémissible rigueur devant laquelle le bon peuple serait prié de s’agenouiller et de s’offrir en sacrifice sur l’autel du Dieu Marché. La suite ici : http://www.pauljorion.com/blog/?p=20098#more-20098 […]
MERCI pour tout ce que j’ai entendu ce matin, vraiment par hasard.
enfin, une personne qui sait de quoi elle parle pose clairement la situation.
grand merci pour cet espoir d’enfin vivre autrement, même si l’on ne sait pas encore comment.