Billet invité.
En 1977, Louis Dumont publiait Homo aequalis. La première partie du livre était consacrée à la pensée économique au XVIIIe siècle ; dans la seconde partie, l’auteur défendait une thèse paradoxale : que l’approche de Marx est « individualiste » (fondée sur la personne) plutôt que « holiste » (fondée sur le groupe social). Thèse paradoxale puisqu’elle s‘applique à quelqu’un qui a écrit (avec Engels) : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est celle de la lutte des classes ». Une thèse paradoxale doit être prouvée magistralement, ce qui selon moi n’est pas le cas. Dumont reconnaît que Marx fait de la classe sociale le principal acteur de l’histoire, là où Hegel mettait lui la nation, mais le fait que Marx vise la disparition de l’État ne prouve pas à mon sens que son approche relève d’un « individualisme méthodologique ».
C’est à juste titre que Marx est considéré de nos jours comme l’un des pères de la sociologie : l’élément constitutif d’une société humaine est toujours pour lui un groupe, dont la nature a pu varier bien entendu : ce fut d’abord la famille, puis la « gens » (il reprend à son compte les vues de l’anthropologue américain Lewis H. Morgan), c’est ensuite la classe. Quiconque écrit : « Le bénéficiaire du majorat, le fils premier-né, appartient à la terre. Elle en hérite » (Manuscrits de 1844), ne peut être à mon sens un tenant de l’individualisme méthodologique. Dumont s’était assigné une tâche impossible : prouver que l’approche marxiste n’est pas holiste, et son échec était prévisible.
Dans son « billet invité », Alain Adriaens, préfère défendre la thèse de Dumont. Il prend également à son compte la thèse complémentaire d’une origine économique de l’individualisme, je prends là aussi le contrepied de Dumont puisque j’en ai offert dans Comment la vérité et la réalité furent inventées, une explication fondée sur une évolution des représentations liée à des changements démographiques et au développement scientifique – et antérieure de plus d’un siècle (2009 : La naissance du sujet, pp. 262-268).
Et bien non, je ne vais pas vous parler de Paul Jorion mais d’un autre anthropologue : Louis Dumont. Lui aussi s’est penché sur l’économie en partant de l’expérience acquise dans ses travaux d’anthropologue. Ce qu’il a écrit, il y a plus de 30 ans, était très en avance sur son temps et, ma foi, fort intéressant. Louis Dumont (1911-1998) a réalisé des travaux anthropologiques portant principalement sur les sociétés de l’Inde. Elève de Marcel Mauss au sein de l’Institut d’Ethnologie, il travailla ensuite au Musée national des arts et des traditions populaires où il mena ses activités de recherche. En 1948, il part pour l’Inde du sud. Il rédigera en 1957 sa thèse d’État « Une sous-caste de l’Inde du Sud ». Il enseigne ensuite à Oxford et devient directeur d’étude à l’École pratique des hautes études où il crée le Centre d’études indiennes et fonde la revue Contribution to Indian sociology tout en faisant de nombreux séjours en Inde. S’appuyant sur ses études des systèmes de castes, il soutient que la relation hiérarchique forte des sociétés indiennes est la manifestation d’une transcendance au cœur de la vie sociale, mettant en évidence le caractère extérieur de ce qui fonde une société.
Partant de son expérience des sociétés hiérarchiques, Dumont porte aussi son regard sur la société occidentale, symbole pour lui de l’égalitarisme. Par la confrontation théorique et anthropologique de deux civilisations radicalement différentes, il met en évidence les valeurs propres aux sociétés modernes d’Occident où il trouve une idéologie égalitaire et individualiste. C’est en 1977 que Dumont publie « Homo aequalis : genèse et épanouissement de l’idéologie économique ». En étudiant les textes des philosophes qui ont pensé l’économie politique, il recherche les fondements qui ont amené l’émergence des sociétés de type individualiste. Dans l’Occident moderne, le besoin des individus prime sur celui de la société alors qu’en Inde tout ce qui est marginal est fortement réprimé et l’ordre, la hiérarchie sociale et la conformité sont les maîtres mots. Selon Dumont, les sociétés où la valeur suprême est l’égalité entre les individus sont très rare et on ne le trouverait qu’en Occident où elle se sont formées petit-à-petit depuis le XVIIIème siècle.
Plus précisément encore, l’anthropologue affirme que c’est l’évolution de l’économie qui a permis l’individualisme caractéristique de notre société. Au départ, l’économie et la politique sont étroitement imbriquées dans la religion : monarchie de droit divin, interdiction d’accumuler de l’argent, de jouer à des jeux d’argent ou de créer des banques. Dumont montre que, progressivement, l’économie va devenir indépendante à la fois de la morale et de la politique. A mesure que l’on s’approche du XXème siècle, les auteurs ont une vision où l’économie devient une branche de plus en plus indépendante et de plus en plus forte. Louis Dumont montre que le passage d’un type de société holiste à individualiste va de pair avec la transformation de l’économie. Au Moyen Âge, la richesse est immobilière car ce sont les terres que les seigneurs possèdent qui déterminent la production. Ceux qui les détiennent ont le pouvoir. Le système est hiérarchisé et il y a une forte interdépendance entre les êtres humains : le seigneur a besoin du paysan pour la nourriture et, réciproquement, le paysan a besoin du seigneur pour la terre et la protection. Il en résulte une forte cohésion sociale et donc un grand conformisme. Lorsqu’on passe à un système de richesse mobilière, c’est-à-dire un système d’échange dont le mode de transaction est l’argent, il est possible de monter dans la hiérarchie sociale car tout le monde est placé sur un pied d’égalité. Le rapport aux autres n’est plus nécessaire et c’est le rapport aux objets qui prime. Il en résulte une indépendance des individus menant à la disparition du conformisme contre plus d’égalité, de liberté, d’autonomie. Le revers de la médaille est que se développe une société anomique où le désordre est la conséquence de l’absence d’interdits.
L’anthropologue étudie les textes de plusieurs tenants de la philosophie économique pour mesurer l’évolution de la société occidentale. Les mercantilistes, Quesnay, Locke sont des étapes dans l’évolution vers l’individualisme et l’économisme (est-ce un hasard si les auteurs analysés sont les mêmes que ceux que Christian Laval critique dans son ouvrage de 2007 « L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme » ?). Dumont reprend évidemment Bernard Mandeville qui, dans « La Fable des abeilles », veut prouver que les vices privés font la prospérité générale. Dès ce stade, une économie qui tourne bien est «le bien suprême» et a donc sa propre morale. Mandeville dit même que si on tente de lui imposer des normes morales venues d’ailleurs, elle laisse place à la pauvreté. Adam Smith relaiera moins radicalement cette façon de voir.
Tout ceci a été dit et redit ces dernières décennies mais c’est dans l’analyse de certaines ouvrages de Marx que Dumont se montre le plus original. Il est évidemment en phase avec ceux qui pensent qu’avec Marx, on atteindrait l’apothéose de l’économie car son oeuvre montre que, non seulement l’économie est indépendante de la morale et de la politique mais que c’est elle qui les domine (de même que l’histoire et la sociologie) : l’infrastructure détermine la superstructure.
Mais Dumont est bien plus original : trois forts chapitres de «Homo aequalis» abordent l’oeuvre du philosophe/sociologue/historien allemand sous les angles des questions de l’individualisme et du rôle de l’économie. Il illustre avec brio la position que Marx n’est pas holiste (la société est plus importante que l’individu) mais, qu’au contraire, ce qu’il souhaite est le bien des individus et non pas celui de la société prise dans son ensemble.
Dumont, est parfois considéré comme un partisan du libéralisme économique car il croit que le libre commerce permet la moins mauvaise une harmonie «naturelle» des intérêts et que la liberté des individus, l’égalité entre eux, sont des valeurs essentielles des sociétés modernes et qu’en remettant en cause le libéralisme on menacerait de revenir à des sociétés inégalitaires de type holiste. Mais c’est un connaisseur exceptionnel de l’œuvre de Marx et il a suivi, avec minutie et objectivité, les inflexions de la pensée du grand Karl quant aux notions d’individu et de place de l’économie dans la société.
Impossible de détailler ici les fines analyses de notre exégète. Il a manifestement lu Marx en allemand et tire la plupart des exemples dans ses œuvres de jeunesse (« Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel », « Manuscrits de 1844 », « Thèses sur Feuerbach » et « L’Idéologie allemande »). Après 1850, excepté dans quelques extraits des « Grundrisse », Dumont semble considérer que Marx n’est plus le philosophe idéaliste de ses débuts mais qu’il est devenu un homme politique qui essaie d’élaborer une stratégie pour éliminer la société bourgeoise (et comme l’économie domine tout, il tente d’élaborer économie alternative – et temporaire – pour arriver à ses fins). Mais selon Dumont, l’objectif du jeune Marx était bien l’émancipation des individus, leur épanouissement personnel. Il considère que l’asservissement du peuple subi dans les sociétés féodales et religieuses a été remplacé par un autre asservissement (via le salariat et la perte de capacités productives propres) dans la société bourgeoise. De nombreuses citations recensées par Dumont se résument donc à celle où Marx dit qu’« il n’y pas de fins collectives en dehors des fins des individus». Dumont tire des écrits du jeune (et naïf ?) Marx que celui-ci espérait que les ouvriers révolutionnaires, après la phase communiste, deviendraient à la fois totalement autonomes mais conscients que leur liberté ne venait que de l’insertion dans une société du travail et donc totalement solidaires avec tous les membres de celle-ci. Dumont recense par la suite des contradictions dans la pensée foisonnante de Marx et l’on pourrait dire a posteriori qu’il hésite parfois entre l’individualisme méthodologique et le holisme méthodologique. Même si tous ces termes n’existaient pas à l’époque, il rejoint Philippe Corcuff qui, dans un chapitre de « Le capitalisme contre les individus », range Marx dans le relationnisme méthodologique puisque ce dernier a écrit un jour « L’essence humaine n’est point chose abstraite, inhérente à l’individu isolé, elle est dans sa réalité, l’ensemble des relations humaines. »
Dumont, pseudo libéral et adepte de la philosophie économique termine son livre par une phrase que ne peut résonner que comme un hommage : « Dès que nous cessons de privilégier notre propre idéologie, les différents types de société nous apparaissent comme discontinus et hétérogènes. Reconnaître cette discontinuité et cette hétérogénéité, et la maîtriser ensuite par la comparaison, est la tâche scientifique que Marx nous a laissée, si éloignée soit-elle de ce qui constituait sa préoccupation majeure. »
32 réponses à “QUAND UN ANTHROPOLOGUE S’INTERESSE A LA PENSEE ECONOMIQUE, par Alain Adriaens”
La Fable des abeilles, « The Fable of the Bees : or, Private Vices, Publick Benefits » en anglais, est une fable politique de Bernard Mandeville, parue en 1714. Il en a fait un second tome en 1729.
La Fable des abeilles développe avec un talent satirique la thèse de l’utilité sociale de l’égoïsme. Il avance que toutes les lois sociales résultent de la volonté égoïste des faibles de se soutenir mutuellement en se protégeant des plus forts.
Sa thèse principale est que les actions des hommes ne peuvent pas être séparées en actions nobles et en actions viles, et que les vices privés contribuent au bien public, tandis que des actions altruistes peuvent en réalité lui nuire.
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Fable_des_abeilles#Liens_externes
1714.
Ce livre a été publié en 1714.
Ce livre a eu une influence gigantesque.
Aujourd’hui encore, nos dirigeants politiques sont (consciemment ou inconsciemment) des héritiers en ligne directe de Bernard Mandeville.
@ BA
En plus du côté provocateur de sa fable, Mandeville fait un renversement épistémologique tout à fait novateur : au lieu d’expliquer le comportement des individus par des influences extérieures, il explique l’extérieur (la société) à partir des comportements individuels. Du comportement individuels des abeilles, il résulte une ruche ordonnée. L’ordre qu’il décrit ne vient pas d’en haut mais d’en bas. C’est, en ce sens, un des pères de l’individualisme méthodologique cher aux économistes et à Max Weber entre autres.
Cf. A. Laurent L’individualisme méthodologique (PUF)
http://ifile.it/kheuzl8
Cdt,
GSF
Il existe une contrainte de lecture qui est la plus profitable, à s’intéresser de très près à un auteur, qui consiste à ne rien rejeter du premier mot au dernier mot. Mais aussi de tenter de cerner la problématique en deçà d’un parcours d’ensemble, d’une période. Soit de cerner à quelle(s) question(s) le travail fourni tente de répondre (et ce n’est pas explicitement déclaré, puisqu’il arrive qu’un auteur soit travaillé à son insu, auquel cas c’est après coup que ça se révèle). À vouloir trop saucissonner de façon ajustée une œuvre on tombe très vite dans le souci de la boîte de conserve avec la date de péremption : tel usage de terme tel jour était-il périmé ou enceint déjà de la version sémantique à venir, incidence de corrélations avec d’autres concepts articulés explicitement ou implicitement etc. alors que le mouvement des impasses et d’apports externes au quotidien offre une lecture dynamique et instable. À quoi bon produire des lectures achevées, qui achèvent de façon mortifère le vivant d’un travail nécessairement inachevé par la mort réelle.
Jusqu’où est-ce possible de se dépêtrer des réseaux de significations « naturelles » dont une époque donnée hérite, qu’ensuite elle reproduit, enseigne et transmet. C’est possible puisqu’il y a de l’instabilité sensible à l’échelle d’une vie et c’est récent au regard des siècles, mais sauf quelques visionnaires (qui n’ont pas de visions pour autant et puis on oublie les visionnaires égarés) chacun prend plutôt le risque de rencontrer ses propres projections désirantes peu confirmées à l’échelle d’un quart ou demi siècle. Bien sûr le passage à l’acte de Marx dans l’engagement de l’Internationale pourrait se lire comme la mise en scène d’une voyante qui ayant annoncé un avenir un peu formalisé à son client va s’engager pour en créer les coordonnées basiques à effets d’après-coup potentiellement réalisateurs. Ça pourrait faire un film comique. Jusqu’à présent le scénario a eu ses cotés tragiques, mais l’écriture n’est pas achevée, même si quelques vendeurs de la fin des idéologies avaient enterré Marx il y a une quinzaine d’années. Freud n’a compté que 3 blessures narcissiques, Copernic, Darwin et sa pomme. À mon sens il aurait du écrire 4, avec Marx. Et si ça semble concerner l’individu, cette affaire de blessure, c’est pourtant dans le sens de l’appartenance représentative de l’espèce, du groupe.
Ce billet tombe à point nommé !
Marx n’a jamais existé. Toutes ses oeuvres ont été écrites par un inconnu qui portait le même nom que lui.
C’est la conscience de tous, comme chemin et non comme but, qui constitue la transformation du capitalisme en une organisation viable.
Edgar MORIN, « Ethique » La Méthode, T.VI 2005, p 115
Nous sommes entrés en société en refusant d’affronter nos « sources d’angoisse existantes », en refusant « l’aventure inconnue », en refusant d’ »assumer le fait d’être là sans savoir pourquoi ». Ça ne marche pas : à force de piétiner on a fini par découvrir ces angoisses. Allons-nous une nouvelle fois chercher à tout prix et dans l’urgence une manière de les refouler !? Il nous faut oser les affronter, et s’y chacun le fait alors la seule attitude possible, viable, sera de répondre au « besoin d’amitié, amour et fraternité ».
« jeune (et naïf ?) Marx » : pfff..! Bien sûr que c’est après que ça se gâte. Il en va de même avec l’anthropologie, qui à force d’observer finit par (se) convaincre que les changements ne peuvent que s’observer. Allons allons !
Le but c’est le chemin.
Bonne journée
Note de Gonod qui cite Gauchet dans un texte (intéressant) de 2005, « Le rejet du traité est une faillite sur le triple plan de la prospective de l’anthropologie et de la politique », texte repris par GEAB 2020…
« … Notre civilisation sépare plus qu’elle ne relie. » Extrait de tirade de Fab…C’est amusant j’ai toujours pensé le contraire…Il y a plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous désunissent…Enfin…Il faut de tout pour faire un monde…J’espère que sur ce point nous sommes d’accord…
vigneron,
A propose de lutte des classes : http://www.pauljorion.com/blog/?p=19668#comment-137292
idle,
Merci de vos commentaires chaleureux et pour vos cadeaux.
Bon bout d’an !
@idle
Ça reste à voir, de très prés… Et, avec Marcuse, je serais plutôt enclin à penser le contraire…
Billet intéressant et bonne intro de P. J.
Pourtant , encore une fois ces analyses oublient deux facteurs importants :
1/ la durée de l’ évolution de ces système . Les phases « Famille » « Gens » , puis « classes » et meme civilisations , sont considérées comme équivalentes en terme de durée alors que les 2 premieres occupent 99,9% de cette durée.
La rigidité qui découle de ce constat devrait etre pris en compte , me semble t il . Il parait- assez évident que l’etre humain en tant qu’entité n’existe plus depuis la socialisation de l’animal humain , et que la cellule irréductible sociétale , est l’ individu ET son groupe . Et pas n’importe quel groupe ! le groupe restreint on l’affect peut exister ds les interactions .
2/L’aspect structurel qui découle de (1/) , c’est a dire qu’une population ne devrait etre qu’un groupe de groupe (système fractal en usage dans toute la « création ») et non pas un méga -groupe a gestion centralisée .
nota :
-le méga groupe impose de revenir a l’individu en brisant son « groupe » , ce qui est traumatisant puisque isolé , l’individu est « incomplet » qd il est extrait de son groupe .
-Les classes comme les castes peuvent etre perçus comme des tentatives structurantes d’un méga groupe incapable de gérer ces mega structures .
– Je tiens pour mathématiquement infaisable la gestion d’un méga-groupe centralisé.
L’émergence de castes dans certains modèles et de classes dans d’autres peuvent etre perçus comme une tentative
Merci. Texte très intéressant.
Juste quelques remarques au passage, à propos de quatre phrases:
Vu la tournure de la phrase on pourrait croire que c’est parce qu’il possède la terre qu’ils ont le pouvoir. Bien entendu, c’est historiquement le contraire. Au haut moyen âge, c’est parce qu’ils avaient le pouvoir, celui offert par les armes, qu’ils ont obtenu en retour la jouissance de terres; jouissance accordée par les suzerains à leurs vassaux. Vous remarquerez que j’ai employé le terme de « jouissance » et non celui de propriété qui sous-entend un cadre légal qui sera certes mis en place mais beaucoup plus tard (après la chute de l’Ancien Régime pour la France donc très tardivement). Pendant longtemps le vassal n’aura pas la pleine propriété de « ses » terres. Le suzerain pourra les lui reprendre quand bon lui semble. La plupart des conflits de suzeraineté / vassalité du moyen-âge et de la renaissance y trouveront leur origine. De ce point de vue (et uniquement de celui-ci), le moyen-âge n’est pas une rupture avec l’Antiquité romaine mais un prolongement direct des politiques de clientélisme et de récompense des soldats menées dans l’empire romain.
Attention, c’est oublier le statut des serfs! Ces derniers ne sont nullement dans une relation d’interdépendance avec leur seigneur. Ils appartiennent à la terre sur lesquels ils naissent. Dans les faits, le seigneur qui jouit de ces terres est leur propriétaire. Leur statut est très proche de celui d’un esclave. Pour être plus précis, leur statut s’approche de celui des lètes de l’empire romain. Car contrairement à un esclave, un serf ne peut être vendu. Il n’a donc aucune valeur marchande. C’est ce qui explique, aussi bien dans l’empire romain qu’au moyen-âge que le droit de vie et de mort sur eux sera si souvent exercé sans discernement alors que la plupart du temps on vendait un esclave dont on n’était pas satisfait des services.
Pour ma part, j’airais plutôt dit qu’il en résulte une forte nécessité à accepter la structure sociale de l’époque telle qu’elle était. On ne peut parler de cohésion sociale sous la contrainte.
La culture occidentale est entièrement tournée vers elle-même. Elle est nombriliste. De telles théories ont déjà été avancées bien avant Mandeville. Par exemple, le célèbre historien arabe Ibn Khaldoun au XIVème siècle avançait que « si c’est par la vertu des armes que se contruisent les empires, c’est par l’appât du gain des commerçants qu’ils se développent. »
Le concept de « vertu des armes » est très contestable, mais il faut se rappeler qu’Ibn Khaldoun devait savoir plaire à ses maîtres en l ‘occurrence les califes.
Enfin, Ibn Khaldoun n’en fait pas mystère, là plupart de ces idées ayant trait à l’économie sont issues d’auteurs perses encore plus anciens. Ainsi il a reprit à son compte le proverbe perse suivant:
A titre personnel, je rajouterais: certes mais tout est affaire de dosage car si on met trop de fumier: le rosier crève…
@Olivier K
Vous nous dites: » On ne peut parler de cohésion sociale sous la contrainte ». Ne serait-ce , paradoxalement, pas là une vision occidentalo-centrée ? Les sociétés traditionnelles d’Inde étaient cohérentes mais c’était sous la contrainte d’un système sociétal pesant.
Certes, en Occident, les gens qui ont le cœur (symbolique) à gauche souhaitent une cohésion voulue par les individus eux-mêmes. Mais c’est parce que l’individualisme a gagné tous les cœurs et tous les esprits, même ceux des résistants à l’individualisme égoïste et cynique qui nous est proposé par le système …
Cela nous ramène au jeune Marx : son souhait (celui de son cœur, toujours) n’était-il pas de libérer les individus, de leur permettre liberté et autonomie alors qu’ils étaient alors contraints par un capitalisme alors particulièrement déchainé? Mais comme le dit justement Paul, son raisonnement intellectuel le conduisait à penser que « la classe sociale est le principal acteur de l’histoire ». N’aurait-il dès lors pas opté pour le renversement des classes sociales et l’établissement de la dictature du prolétariat pour permettre enfin à la majorité des individus (et pas seulement à quelques rares privilégiés) de s’engager sur les voies de l’épanouissement personnel ?
Je me fait ici l’avocat de Dumont, même si je ne partage pas toutes ses analyses. Le procureur PJ est là pour faire entendre un autre son de cloche…
Finalement, quand on aborde l’individualisme généralisé à l’occidentale, n’en arrive-t-on pas très vite à la question du déterminisme et du libre arbitre? La caractéristique de notre époque n’est-elle pas d’avoir un système qui nous fait croire que nous sommes libres et autonomes alors que nous sommes manipulés et orientés vers un égoïsme et une anomie que l’on veut nous faire prendre pour de la liberté. Marx ne nous dit-il pas qu’il faudra que les individus se libèrent de la contrainte économique (de la rareté jadis et ailleurs subie mais aujourd’hui et ici construite) avant de pouvoir se libérer (de l’imaginaire capitaliste notamment) ? N’est-ce pas aussi cette libération de chacun de l’avidité névrotique envers les choses que tentent d’éviter ceux qui parlent de sobriété heureuse, de frugalité choisie, d’objection au dogme de la croissance matérielle ?
@Alain A
Je crois avoir compris ce que vous voulez dire. Pour vous répondre, personnellement, je ne pense pas qu’on puisse opposer tant que cela le point de vue occidental et celui asiatique.
Tout d’abord, cohésion sous-entend que l’édifice sociale est stable par lui-même, intrinsèquement en quelque sorte. Je ne pense pas que l’on puisse arriver à un tel résultat par la contrainte. Ce qui sous-entedrait que les gens par la contrainte finira par accepter leur sort ce qui supprimerait la nécessité de la contrainte.
Ce point de vue n’a rien d’occidental ou d’oriental. Toute l’histoire de la Chine montre d’ailleurs que l’acceptation du modèle chinois né pourtant il y a plus de deux mille ans n’a jamais été réalisée. Les chinois opposent souvent la pensée asiatique (et principalement chinoise) à la pensée occidentale. Le groupe d’un bord, l’individu de l’autre.
Cela sur le fond n’a aucun sens car ses deux visions n’ont tout simplement pas le même but.
La vision chinoise a servi et sert encore à assurer (regarder par exemple les films chinois) le maintient en l’état des choses. Dans le cas de la Chine pour éviter son éclatement. Il ne s’agit pas de cohésion mais de congélation. Les choses sont comme elles sont et elles ne doivent pas changer et ceci pour l’intérêt général. Et si ceux qui vous dirigent venaient à décider qu’elles changent, votre rôle est d’obéir sagement et docilement. L’église romaine qui n’a rien de chinois n’avait pas d’autre discours. Idem pour l’église orthodoxe de Constantinople ou même celle de Russie. Donc dans cette vision qui n’a strictement rien de typiquement chinoise ou asiatique, cette « philosophie » a un but politique.
La philosophie, la vraie, met le bonheur de l’individu au centre. Avec ce point de vue, vous pouvez développez des philosophies très variées:
– celles des philosophes grecs (assurément le socle de la philosophie occidentale),
– celles des philosophes perses (rien d’occidental dans leur philosophie)
– celles des philosophes arabes (là par contre on retrouve les influences grecques et romaines mais aussi perses)
– celles des philosophes turcs (là encore beaucoup d’originalité, tout particulièrement chez les philosophes soufistes)
– et même celles de certains philosophes indiens.
@ Paul Jorion
Ce point de vue est également très occidental. Toujours le même auteur, à savoir Ibn Khaldoun, s’intéressait à la sociologie dès le XIV siècle et en posant des postulats fondateur très proches de ceux qui seront posés en occident au XX siècle.
La culture occidentale est décidément trop renfermée sur elle-même. Elle a trop tendance à ce croire le commencement et la fin de tout. Avant moi rien, après moi le déluge…
@ Olivier Kaeppelin
« La culture occidentale est décidément trop renfermée sur elle-même. Elle a trop tendance à ce croire le commencement et la fin de tout. Avant moi rien, après moi le déluge ».
Totalement d’accord avec vous. Surtout en France.
Pour ceux qui s’intéressent à la philo,à lire d’urgence, de Roger-Pol Droit:
« L’oubli de l’Inde : Une amnésie philosophique »
« Philosophies d’ailleurs.Tome 1, Les pensées indiennes, chinoises et tibétaines »
« Philosophies d’ailleurs.Tome 2, Les pensées hébraïques, arabes, persanes et égyptiennes »
Merci pour ces références que je ne connaissais pas.
Apparemment rien sur les soufistes. Dommage, on y trouve une pensée originale qui permet d’alimenter plein de discutions.
@ O.Kaeppelin
Le soufisme est plus une mystique qu’une pensée. Une mystique qui a donné des immenses poètes: Rumi, Attar, Saadi, Hafez, Hallaj, etc.
« Le soufi est un jour qui n’a pas besoin de soleil, une nuit qui n’a besoin ni de la lune ni des étoiles, c’est un inexister qui se passe d’existence. »
(Kharaqânî. Paroles d’un soufi)
« Je suis allé au bord de l’océan de l’invisible, une pelle à la main. D’un seul coup de pelle, j’ai déblayé tout ce qui existe du ciel à la terre, et il n’est plus rien resté pour un deuxième coup. Et ce n’est là que le degré le plus bas du renoncement. Je veux dire que tout ce qui, au départ, avait une forme n’a plus d’existence à mes yeux. »
(id)
Dans la vie, il y a la mort, dans la contemplation, il y a la mort, dans la pureté, il y a la mort, dans l’inexister et le surexister, il y a la mort. Mais quand le Vrai se montre, à part le Vrai, plus rien n’existe.
(id)
J’en eus assez de moi-même. Je me jetai à l’eau, mais ne parvins pas à me noyer. Je me jetai dans le feu, mais ne parvins pas à me brûler. Pendant quatre mois et deux jours, je me privai de la nourriture que prennent les hommes, sans plus de résultat. Je me prosternai alors sur le seuil de l’impuissance, la porte des secrets s’ouvrit devant moi et m’introduisit dans un monde ineffable. J’ouvris les yeux et vis les créatures du ciel et de la terre. Leurs oeuvres m’apparurent sans réalité car je voyais qu’elles lui appartenaient.
(id)
Kharaqânî (Iran, 963-1033) était analphabète.
@ pablo
Roger-Pol Droit….
Tu crois vraiment que c’est bien utile d’en rajouter dans la promo inopportune pour un mec qui prend à peu près autant de place dans les journaux bien comme il faut, au CNRS, sur France-Q et partout dans les médias quant il sort ses bouquins formatés pour le commerce (soit souvent), comme dans les commissions nationales ou les institutions de tous ordres ?
Pas un peu superfétatoire, pour le moins, cette promo pour ce mec qui n’a pas besoin de toi pour fourguer sa philo de gare à la pelle Poclain ?
@Pablo75
Bien entendu, vous avez raison le soufisme est une mystique.
Cependant lorsque j’emploie l’expression « philosophes soufistes » il faut comprendre philosophes puisant leur inspirant dans le soufisme. De la même manière, en entrant cette fois pleinement dans le domaine religieux, on peut parler de philosophe chrétiens, de philosophes musulmans, de philosophes bouddhistes, de philosophes juifs, etc.
Religion et philosophie sont souvent en interdépendance. Regardez par exemple l’histoire du christianisme: ses premiers siècles ne sont que la lutte entre le clan de ceux souhaitant établir une religion pleine et entière avec un clergé, un rite et tout se qui va avec contre ceux souhaitant essentiellement propager le message de Jésus de Nazareth et de ses apôtres et qui y voyaient plutôt une philosophie qu’une religion. On sait qui gagnera le combat.
@ Vigneron
Si tu as de meilleures références que R.P.Droit, je suis preneur…
On n’attend pas d’un journaliste comme lui des analyses poussées, mais de l’information, de la bibliographie, pour après aller voir les auteurs de près. À chacun son métier.
@ O.Kaeppelin
D’accord avec vous. Et cela d’autant plus que le plus important philosophe soufi était espagnol: Ibn Arabi (très étudié en Espagne, surtout par Asín Palacios, qui a découvert la grande influence que le soufisme a eu sur Dante). Difficile de comprendre la singularité (pour ne pas dire l’étrangeté) spirituelle de l’Espagne sans connaître l’influence que les penseurs et mystiques soufis ont eu là-bas pendant quelques siècles.
À une époque j’ai lu aussi Sohrawardi, Rûzbehân et Al-Ghazali qui sont très bien traduits en français et édités en poche.
Si les philosophes soufis vous intéressent il faut lire H. Corbin, qui a beaucoup écrit (et traduit) sur le thème, et bien sûr R. Guenon.
Il y a aussi la très intéressante « Anthologie du soufisme » (en poche, coll. Spiritualités vivantes) de l’excellente traductrice Eva de Vitray-Meyerovitch (grande spécialiste de Rumi).
L’apologie du libéralisme économique a pris toute sorte de justifications et trouvé tout type de porte paroles ces dernières années, puisque c’était la fin de l’histoire. La liberté des individus, la soit disant tendance à l’égalité entre eux étaient les valeurs essentielles et bien sûr, ces valeurs étaient liées à notre mode économique qu’est le libéralisme.
Dans les années 80, en plein « triomphe » néolibéral, Newsweek pouvait titrer, triomphalement : « Marx est mort. »
Mais les spectres ont la peau dure. Aujourd’hui, Marx est de retour.
La crise financière n’aboutit pas seulement à la crise des obligations souveraines, mais aussi à une crise des idées. Le désarroi des faiseurs d’idées, qu’ils se classent à droite ou à gauche est palpable.
Ainsi, la côte des idoles, des gourous et des dieux est à la hausse. Le sacré revient en force.
Alors, le comble du snobisme pour l’idéologue libéral, « néo », « crypto » ou » post-moderne » c’est de ressortir Marx.
Mais on l’aime, universitarisé, disséqué, exégétisé, fossilisé, sanctifié, donc désarmé …
Un marxisme actuel, intempestif, critique, qui ne se contente pas de commenter le monde mais qui fournit les armes de la critique pour le changer (pour éviter la critique des armes), un marxisme modeste, qui impose de mettre ses idées à l’épreuve d’une pratique politique collective, car on ne pense jamais que dans l’échange organisé avec d’autres l’histoire humaine et ses conflits, qui pense en agissant, car on apprend en marchant, en rendant des comptes, un marxisme qui pense le présent dans le passé et le présent dans l’avenir. Bref, un marxisme, vivant, ouvert, boîte à outils utile !
Si nous n’étions pas ainsi, individualités isolées devant notre écran, commentant dans un « entre-nous » d’un type nouveau, les évènements, au fur et à mesure de leurs funestes déroulements, si nous étions réunis dans un vrai forum, une agora, voire une assemblée générale, (oh horreur !) avec des vrais gens, nul doute que s’élèverait une forte voix pour dire :
C’est bien beau tout ça, on va pas y passer la nuit, qu’est-ce que tu proposes ?
Sans doute un marxiste vulgaire, un populiste !
Pour rire avec Marx :
Marx mode d’emploi : de Daniel Bensaïd, avec les dessins de Charb Coll. Zones, éd. La Découverte, 2009
Un « digest » audio : http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1690
@Vigneron
« Il faut de tout pour faire un monde…J’espère que sur ce point nous sommes d’accord… »
Ça reste à voir, de très prés… Et, avec Marcuse, je serais plutôt enclin à penser le contraire…
Pardonnez-moi…Je voulais dire : Sommes nous d’accord sur ce point?…C’était une question optimiser par son caractère affirmatif dans sa première version…On peut toujours essayer un terrain d’entente avant de tirer.
–>>l’élément constitutif d’une société humaine:
est la capacité de chaque homme a instituer de l’autre. En termes communs, la capacité a faire du social. Les causes vues par dumont sont des effets.
–>> en Inde tout ce qui est marginal est fortement réprimé et l’ordre, la hiérarchie sociale et la conformité sont les maîtres mots.
Du lamentable ethnocentrisme, du colonialisme quoi ….
–>>C’est l’évolution de l’économie qui a permis l’individualisme caractéristique de notre société.
Ben non, le developpement de l’éco moderne est due a la destruction de l’église catholique en europe par protestants et bourgeois, ceux qui ont perverti la révolution de 1789. Et qui ont voulu ce qui arrive.
–>> Le revers de la médaille est que se développe une société anomique où le désordre est la conséquence de l’absence d’interdits.
Une belle anerie, l’abscence de loi ferait le désordre ? C’est pour cela que la production de lois n’a jamais été aussi énorme.
On arrete la, et on oublie rapidement les aneries de dumont.
Marx a certainement découvert la » société » mais c’est la société civile de Hegel -celle de l’immédiateté des désirs et du déchaînement du particulier – dont Marx placera comme l’infrastructure des sociétés; Marx est un individualiste dans ce sens où il affirme la domination du tout social par l’homme des besoins « individuel » et donc opposable aux besoins « individuels » des autres hommes dont il ne voit de solution que par un renforcement de l’Etat et par la supposition que la nature de celui-ci change s’il représente le prolétariat.
Dumont est à ce propos en accord avec Polanyi qui dans son éloge de robert Owen le fait le premier découvreur de la société …l’état dit-il ne peut l’organiser…. Et parce ‘il rend le christianisme responsable de cet individuation. C’est moralement que l’homme doit changer pour pouvoir contrôler les nouveaux pouvoirs qu’il a découvert
Superbe ! Une saillie typiquement post-moderniste, suivie d’une autre déjà passée au stade ultime de la réaction pseudo néo-cons… Et tout ça à propos d’un texte reprenant la thèse incongrue de l’individualisme méthodologique de Marx prônée par un anthropologue français, Dumont, qui ne voulait que prouver, jusqu’à travers Marx, sa théorie de l’universalité, de la quasi exclusivité de l’idéologie individualiste en Occident.. On tourne en rond.
Devriez allez voir et écouter ce que Godelier raconte des dégâts (mortels pour lui) du post-modernisme franco-am sur les sciences sociales et l’anthropologie en particulier, et lire ou relire Strauss, pour pas dire (trop) de clichetons néo-cons de bazar.
Merci ! conférence passionnante …et formidable portail sur le monde !
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Vincent descombes
Quant on ejecte le social il revient par la fenêtre
Marx est bien individualiste parce qu’il fait d’une théorie qui présente les hommes comme en proie à leurs besoins individuels un objet réel – qui agit …- et que personne ne peut voir dans la vie réelle sinon dans les journaux . Marx connaissait bien l’existence la « société » – il appréciait Owen – la science de cette société reste à construire
« la vie sociale nous met dans une plus grande dépendance » : embêtante, cette phrase, car ce n’est pas la dimension sociale de la vie qui nous place dans une plus grande dépendance, mais son organisation technique et économique qui ne produit aucun lien social. Elle divise au contraire, on le constate à chaque grève dans les transports en commun.
@Kaboulis :
Durkheim se trompait complètement . Il idealisait (antropomorphisme de la structure sociale), au point d’assimiler la société à la divinité recherchée .
Il se trompe dans l’usage du terme « Complexité » qui est un terme mathématique qui indique que le modèle utilise des equa differentielles complexes (irrationneles) pour la gestion du relationnel (économie) de ses individus.
Sous cet éclairage le groupe archaique utlise un outil « complexe »de gestion …..pas l’homme moderne …Puisque l’affect est un intrant majeur ds l’equation et que cet affect necessite la connaissance des autres individus .
Durkheim disait d’ailleurs que le productivisme serait traumatisant pour l’individu …mais qu’on le soignerait !
Durkheim se trompait complètement, comme vous y allez! son anthropomorphisme est pourtant bien intéressant, votre mathématisation est par contre – pour moi – assez obscure. Que le productivisme mette en danger les hommes et les rende malades, n’est ce pas ce que l’on peut observer aujourd’hui.
Plus précisément toutefois, ce qui rend les gens actuellement malades n’est pas le productivisme mais l’absence de social qui a migré dans l’argent. Les hommes ne sont pas en société pour manger plus comme le suggère les théories économiques, mais pour vivre plus et pour que l’abondance devienne celle d’activités sociales. C’est le sujet théorique actuel , Marx était-il un incorrigible individualiste. Marx lui-même ne faisait-il pas l’apologie du libéralisme et donc de son individualisme en le montrant comme une étape indispensable du développement humain . On peut lui reprocher et chercher ses repères dans l’impasse du passe mais c’est un point de vue passionnant reprit par Dumont semble-t-il.
@Kabouli
Si l’on, accepte l’affirmation de Paul que Marx est un des « pères» de la sociologie occidentale, on remarque dans les divers commentaires que ses écrits sont d’une telle richesse que l’on en retient des idées parfois très différentes, si pas contradictoire. Si Rosebud nous suggère de ne rien rejeter d’une œuvre, il faut quand même bien choisir ce que l’on considère comme le plus pertinent après décantation et passage du temps.
Le passage à la limite est sans doute une opération mathématique parfois utile mais pour ce qui est des sciences humaines cela me paraît moins éclairant. Ainsi, quand Paul affirme que Marx ne s’inscrit pas dans l’individualisme méthodologique, je crois que personne ne peut contester cette analyse. Mais de là à le qualifier de holiste (« Dumont s’était assigné une tâche impossible : prouver que l’approche marxiste n’est pas holiste, et son échec était prévisible. »), il y a une marge très riche qu’il laisse inexplorée.
Si on considère que l’individualisme est la volonté des individus de voir se réaliser une part significative de leurs désirs personnels, on peut lui trouver deux faces, une positive et une autre très sombre.
Depuis cinq siècles l’évolution des sociétés occidentales a permis l’émancipation des individus des contraintes religieuses imposées, des contraintes féodales y liées via la royauté de droit divin, des contraintes familiales grâce à l’autonomie économique progressive des serfs et, plus tard (et pas encore terminé), des femmes. Mais ces contraintes fortes ont été remplacées par le salariat et l’imaginaire existentiel capitaliste, contraintes peut-être moins visibles et moins dures mais bien réelles. Et là, je persiste à croire (comme Louis Dumont même si celui-ci n’est pas un homme de gauche) que Marx nous a dit à ce sujet des choses bien intéressantes. Et quand La Taupe rouge nous propose «un marxisme qui pense le présent dans le passé et le présent dans l’avenir. Bref, un marxisme, vivant, ouvert, boîte à outils utile», je crois que les passages des œuvres de jeunesse de Marx relevés par Dumont sont des outils utiles à mettre dans la dite boîte.
Entre l’individualisme méthodologique et le holisme méthodologique, il y a les mille versions du relationisme méthodologique et Marx (et dans une moindre mesure Dumont) sont des guides ou des repères utiles. Ne pas vouloir se rassurer à tout prix, oser le doute méthodologique 😉 sont des principes que je crois utiles dans la réflexion sur l’amélioration de nos sociétés. Et c’est pourquoi je continue à penser que la lecture de Louis Dumont n’est pas inutile. De là à en faire un gourou, il y a un pas à ne pas franchir…
L’on peut considérer que l’individualisme a une face sombre exacerbée par la capitalisme et l’esprit bourgeois mais qu’il a aussi une face lumineuse que l’on peut résumer dans les termes d’émancipation ou d’épanouissement. Dans ce cas, il ne faut donc pas abandonner l’individuation aux penseurs de droite. A cet égard, je recommande la lecture du live publié par les Editions textuel et Attac: Le capitalisme contre les individus. Repères altermondialistes. On y trouve plutôt une défense de l’individualisme bien compris, c’est à dire très différents de celui induit pas la concurrence de tous contre tous. La domination, l’égoïsme cynique et rationnel ou le « chacun pour soi » sont les variétés de l’individualisme néo-libéral mais il est d’autres manière d’envisager l’autonomie et le libre choix.
Le matraquage de Roger-Pol Droit me parait méchant. Cet agrégé de philosophie rapporte, exprime et commente clairement la pensée des auteurs présentés. Son livre La Compagnie des philosophes paru chez Odile Jacob, 1998 reste une introduction vivante à sa discipline. Par ailleurs, son souci de faire connaitre les philosophies non occidentales nous rend service à tous.
On peut être bardé de titres et lié à la nomenklature tout en étant honnête, intelligent et bon enseignant..
Marx s’en prend férocement à l’individualisme des droits de l’homme dans La question juive (1843) : « Le droit de l’homme, la liberté ne repose pas sur les relations de l’homme avec l’homme mais plutôt sur la séparation de l’homme d’avec l’homme. C’est le droit de cette séparation, le droit de l’individu limité à lui-même ( … ) Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer à son gré sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c’est le droit de l’égoïsme ( … ) Aucun des prétendus droits de l’homme ne dépasse donc l’homme égoïste, l’homme en tant que membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. » Une aussi violente condamnation de l’individualisme bourgeois (qui n’a pas empéché plus tard Marx d’en appeler à l’« épanouissement original et libre des individus»).
Extrait de Histoire de l’individualisme (A. Laurent, 1993)
http://ifile.it/d0wy21q
J. Elster explique que « par l’individualisme méthodologique, j’entends la doctrine suivant laquelle tous les phénomènes sociaux – leur structure et leur changement – sont en principe explicables de manières qui impliquent les seuls individus avec leurs qualités, leurs croyances, leurs objectifs et leurs actions » (Karl Marx, une interprétation analytique, p. 19).
Marx analyse nombre de phénomènes sociaux (le développement des manufactures ou du prolétariat, la baisse tendancielle du taux de profit) comme autant de conséquences non recherchées, générées par l’interférence et l’agrégation des actions
Marx lui-même déclare que « L’humanité n’est rien d’autre que l’activité d’hommes poursuivant leurs fins » (La sainte famille), que « la société ne consiste pas en individus, mais en la somme des liens et relations dans lesquels les individus sont insérés» (Grundisse) ou demande « Qu’est-ce que la société, quelle que soit sa forme? Le produit de l’action réciproque des hommes» (Lettre à Paul Annenkov) – propositions anti-holistes que ne renierait pas un Hayek.
Extrait de L’individualisme méthodologique (A. Laurent, 1994)
http://ifile.it/kheuzl8