Ce texte est un « article presslib’ » (*)
J’ai modifié le titre de ce billet qui était initialement : « Ressusciter une aristocratie » en « L’ultralibéralisme tente de ressusciter une aristocratie ». J’ai également explicité une phrase. La raison en est que certains lecteurs semblent se contenter de lire le titre et se font à partir de là une opinion de ce dont parle le billet. Ainsi sur le blog de Jacques Attali, JPJM écrit que « Paul Jorion appelle de ses vœux une nouvelle aristocratie au sens élevé du terme ». Rien n’est plus éloigné de mes vœux, ce que j’écris ci-dessous, c’est ceci : « Si le libéralisme est le moyen qui a permis historiquement à une bourgeoisie d’abattre une aristocratie, l’ultralibéralisme est alors le moyen qu’utilise une bourgeoisie – continuant de prôner les mêmes principes une fois sa victoire achevée –, de se reconstituer elle-même en cette aristocratie qu’elle a précédemment évincée. »
Autrement dit – et pour lever toute équivoque – je dénonce les visées de l’ultralibéralisme de reconstituer un système aristocratique. Aucun rapport avec le fait d’« appeler de mes vœux une nouvelle aristocratie au sens élevé du terme ».
L’ultralibéralisme tente de ressusciter une aristocratie
Si le libéralisme est le moyen qui a permis historiquement à une bourgeoisie d’abattre une aristocratie, l’ultralibéralisme est alors le moyen qu’utilise une bourgeoisie – continuant de prôner les mêmes principes une fois sa victoire achevée –, de se reconstituer elle-même en cette aristocratie qu’elle a précédemment évincée. La manière dont ceci est possible est la suivante : réclamer un plus grand progrès de la liberté dans un cadre aristocratique fondé sur les droits acquis initialement par la force, c’est offrir à l’argent le moyen de détrôner la force dans son rôle de vecteur de la puissance. Et ceci parce que l’argent, en permettant d’acheter un service, exerce un pouvoir de « commandement » identique à celui de la force (1). Une fois la bourgeoisie en charge des affaires, continuer de réclamer un plus grand progrès de la liberté dans le cadre d’une société bourgeoise, c’est offrir au nouvel ordre qui s’est constitué, le moyen de se renforcer, autrement dit de permettre à cette bourgeoise triomphante de recréer un système semblable à l’ancien mais où ce serait elle qui assumerait cette fois le rôle d’une aristocratie. L’exercice de la liberté est en effet différentiel : ce que la liberté autorise n’est pas le même dans le cas du riche et celui du pauvre. En effet, le riche utilise comme une chose qui va de soi le pouvoir de commandement qu’autorise sa richesse. La liberté du pauvre se limite aux rêves de grandeur qu’il peut entretenir en imaginant que l’on devient riche par un simple effet de la liberté, par le simple effet de le vouloir. Cette illusion est possible parce que du point de vue auquel on a accès quand on est pauvre, l’effet de levier nécessaire pour progresser dans l’ordre bourgeois est invisible.
On oublie que si Marx affirme qu’une dictature du prolétariat sera nécessaire pour créer une société sans classe, c’est parce que la bourgeoisie arrivant au pouvoir ne partage pas elle cette ambition : le pouvoir auquel elle accède, il lui semble qu’elle l’a mérité, et les privilèges de l’aristocratie qui la révoltaient autrefois n’étaient pas répréhensibles à ses yeux pour leur qualité en soi mais seulement parce qu’ils n’étaient pas les siens.
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(1) Sur ce qu’en a dit Adam Smith, voir « L’argent, mode d’emploi » (2009) : 70 et « Le prix » (2010) : 36.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
175 réponses à “L’ULTRALIBERALISME TENTE DE RESSUSCITER UNE ARISTOCRATIE”
Le nouveau bourgeois, c’est celui qui occupe un emploi sans pour autant devoir travailler. Son emploi est un droit et non un privilège. Il ne veut pas savoir comment il est financé.
Ce nouveau bourgeois, peut ainsi consommer ce qui est produit ailleurs, par ceux qui travaillent sans être payés (ou presque).
Le nouveau bourgeois pourra aussi critiquer ceux qui exploitent les nouveaux travailleurs pauvres pour avoir la conscience tranquille, car lui seul prétend défendre la justice en ce bas monde. Il ne voudra pas accepter de voir que ce sont ceux là même qui le rémunèrent.
Le nouveau bourgeois confira à sa progéniture la dette accumulée pour payer ses loisirs et préserver son capital confort en leur faisant croire qu’il les sauvera des méchants qui voudraient les exploiter en leur proposant de travailler pour produire ce qu’il consomment.
Le nouveau bourgeois est anonyme, et vit incognito, caché dans la masse et protégé par sa moralité à toute épreuve.
@Paul: « L’esprit de chevalerie est mort dans les eaux glacées du calcul égoiste bourgeois » Marx… Actualité de ce qui est éternel: prenons une approche plus « contemporaine »: quelques mots-clés donc: argent, force, pouvoir, morale,…un grand absent constitutif de la structuration de la société: le droit… le droit généré par la force du meilleur des chevaliers qui construit l’Etat,….le droit généré par la croyance ou le rêve transcendant de la religion ou de l’idéologie et qui construit les églises, le droit généré par l’argent qui domine la multitude des non-riches, droit quelle est ta légitimité? la source du droit est très instructive sur l’origine de la structuration des sociétés: mais le droit appelle la justice et le droit, quelle qu’en soit son origine, a-t-il une fonction fondamentalement juste? La rupture vient quand l’adéquation du droit à la justice n’est plus assurée par manque de légitimité, quand le légal n’est plus légitime: ce qui renvoie à l’étude des fondements de la légitimité, praxis de l’éthique… Aujourd’hui la proposition qui énonce: « réclamer un plus grand progrès de la liberté dans un cadre aristocratique fondé sur les droits acquis initialement par la force, c’est offrir à l’argent le moyen de détrôner la force dans son rôle de vecteur de la puissance », pose ce problème à un niveau différent sinon supérieur: on passe de la libération de la force par l’argent et à la libération de l’argent par l’altruisme, inversion en réaction du calcul égoiste bourgeois, et point focal originel de la liberté, celle du don, inverse du vol, vecteur d’injustice ? L’aristocratie est d’abord une éthique qui se réalise par le don suprême: le don de soi dans un idéal extra-personnel bâti sur une règle morale: aux antipodes donc de la « morale bourgeoise ». Mais la réponse collective reste à trouver ou à reconstruire…
Votre propos me décide à mentionner « l’anthropologie dogmatique » développée par le juriste et psychanalyste Pierre Legendre : encore un auteur dont le travail semble pouvoir nourrir utilement les réflexions qui germent sur ce site… http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Legendre_(juriste) …
Bonjour,
Pas très bien compris le billet cette fois.
Que veut-on ? Revenir à l’état d’abeille qui a sa reine au foyer dans la ruche?
L’instruction a changé les choses. L’intelligence, la connaissance ne se transmettent pas par les gènes. Les dynasties, la consanguinité, on sait très bien où cela mène. L’aristocratie a créé beaucoup d’inutiles.
Dans la science fiction, on parle parfois d’une machine qui règlerait tout, qui n’aurait pas d’arrière pensée, qui serait programmée pour faire le bien de tous.
Y a-t-il un bien et un mal? C’est tellement dépendant d’un individu.
Quel serait le programmeur du programme interne?
La bourgeoisie, c’est quoi aujourd’hui? les « people ».
Les familles qui possèdent les entreprises ne sont plus ce qu’elles étaient. Elle se sont soit fait racheté par des nébuleuses, des consortiums.
A lire « L’Ultime Secret » de Werber.
@ l’enfoiré
Mauvaise pioche!
Les familles Mulliez, Hermès, Bolloré, Michelin, Peugeot, l’Oréal, Carrefour etc, etc….perdurent.
Les « people » n’ont pas grand chose à voir avec les administrateurs de société propriétaires de châteaux et manoirs, faut pas tout mélanger.
La Famille du Duc de Brissac est dans son château depuis 5 siècles, idem pour Rohan Chabot, idem pour de Castrie, PDG d’Axa , etc, etc…..
Pour votre information, je vous recommande la lecture du Bottin Mondain.
Dans le nord (59) de la France, il existe encore un livre des familles où les descendants des grands dynasties industrielles de Lille Roubaix Tourcoing peuvent se compter.
Pour avoir approché ces milieux, je peux dire que la conscience de classe — bourgeoise — y est encore très développée. Plus d’un siècle et demi d’intense exploitation capitaliste cela laisse des traces ….
@Pierre-Yves D.
Manquerait plus que ça disparaisse un patrimoine national comme ça !
Les bien nommées dynasties du Nord ou de l’Est n’ont pas disparu, loin de là. Toujours aux bonnes places. Se sont juste adaptées. Passées de l’empire textile à l’empire de la GD (famille Mulliez), du capitalisme industriel et paternaliste du comité des forges au capitalisme financier (de Wendel / baron Seillière de Laborde), voire du textile au foot-bizness en passant par le PSU et les ministères comme le croquignolet exemple du rejeton Thiriez, Frédéric de son prénom :
(Wikipédia)
Non, non, c’est pas du Prévert. C’est l’édifiante histoire de la lutte pour la survie et la Liberté d’une famille méritante !
PS : Thiriez, c’était le T sur les bobines de fil TCB (Thiriez Cartier-Bresson -oui, oui, la famille de qui vous savez…) de vos mamans ou grands-mamans…
@ Vigneron :
Les enfants terribles sont ceux dont les (grandes) familles sont les plus fières, in fine. Ils permettent au mythe de perdurer.
Tout plutôt que la fin du mythe familial.
Il manque pour moi un mot dans ce court billet : méritocratie. Le projet officiel de la bourgeoisie n’est pas de supprimer les inégalités, mais que celles ci reflètent les inégalités de mérite. L’argument de base, qui est valable, ce que si A fait plus que B et que A reçoit autant que B, alors il y a injustice. L’application cesse d’être valable quand le bourgeois ne fait pas tellement plus que le pauvre, ou en tout cas pas dans une proportion qui reflète les écarts de salaires. La méritocratie devient alors le paravent d’une nouvelle aristocratie. Comme l’ancienne, celle ci s’est auto convaincu de sa légitimité.
Au demeurant, Nicolas Sarkozy est une illustration saisissante de cette tendance. Le mérite était l’un des points centraux de la campagne sur laquelle il s’est fait élire. Aujourd’hui, il donne le spectacle du président des riches contre les pauvres… Mais plus parlant pour moi est son discours introduisant la réforme des universités, dans lequel il étale à la fois sa très grande médiocrité comparé au niveau culturel et intellectuel qu’il prend de haut avec une morgue consternante, et le fait qu’il est lui persuadé de mieux savoir non par la connaissance ou l’intellect, mais parce que pour lui dans la pyramide humaine, les réalisations dans les organigrammes de pouvoir (public ou privé) sont la plus haute réalisation. Il ne peut concevoir que les gens les plus intelligents ne sont en général pas intéressé par des positions aussi vaines.
Intellectuellement, le bouillonnement actuel n’a guère d’équivalent que dans les années précédant 1789. 2 ans de famine ont allumé la mèche.
Je ne suis pas inquiet.
Dans cet esprit (même si c’est peu intellectuel), je n’ai jamais vu un ministre se faire artiller comme cela (http://www.dailymotion.com/video/xfgh3c_gerald-dahan-pilonne-michelle-alliot-marie_news).
.
Tout est dit. Merci Paul pour cette fulgurante confidence. Effet de la liberté VS Effet de levier.
Combien du bon coté du levier dans ce pays et combien en point d’appui de ce levier, au « point de vue » obscurci, forcément obscurci ?
Et petit parallèle entre « l’effet différentiel » de la liberté dans le corps social et celui observé, et recherché, en radiothérapie…
On peut aussi augmenter les doses…
Autre exemple :
« Lorsque l’Eglise est riche, Le Gouvernement est intéressé à ses désordres : témoin ce qui est dit dans la la « Vie d’Abélard ».
Il est indifférent pour les peuples que les ecclésiastiques ou les séculiers jugent de certaines de certaines causes, et les disputes à cet égard sont, cependant, les choses dont on dispute le plus.
Il n’est pas indifférent pour le peuple que les ecclésiastiques regorgent de richesses, et personne ne s’en met en peine…Il est très surprenant que les richesses des gens d’Eglise ayent commencé par le principe de pauvreté. »
Montesquieu
Ou multiplier les séances, comme avec les ‘citoyens anonymes’.
« Bonjour, je m’appelle Zébu et c’est mon premier jour.
Bonjour Zébu !! »
« Vigneron, voulez-vous prendre la parole ? »
Sauf qu’à force, entre zébu et vigneron, je me demande si je me suis pas trompé de groupe (le mardi, c’est le groupe des agoraphobes, le mercredi …).
[…] This post was mentioned on Twitter by Pascal, Ben ILL, npa commercy, npa commercy, albert borneo and others. albert borneo said: RT @Monolecte: Blog de Paul Jorion » RESSUSCITER UNE ARISTOCRATIE http://bit.ly/9EhUDe […]
Bonjour.
On ne peut parler de l’aristocratie sans se réferer a l’admirable texte de B. de Jouvenel : » Le pouvoir , histoire de sa croissance » .
Admirable du point de vue de l’ecriture autant que sur le fond .L’auteur met en valeur l’interet de l’équilibre entre plusieurs interets : aristocratie , royautée et individus . Il montre que le déséquilibre est source de centralisme inéluctable : qq soit l’évolution et l’idéologie , le moindre « mouvement » du système occasionne une emprise supplémentaire du « système » en tant que pouvoir sur l’individu . Meme qd on est opposé a son optique , sa démo est des plus convaincante : Ce que n’a pu faire les capetiens et l’empire (impots et conscription assez faible) , la « souveraineté populaire se le permet !
La lecture de l’ouvrage doit se faire du point de vue de l’interet « structurel » et de l’évolution de la structure de la gestion du groupe.
Ceux qui liront ce livre verront qu’il reprend une thèse passionnante de L. Strauss sur l’origine de l’aristocratie et de sa « consanguinité » avec le système civilisationnel hypertrophié et ses dérives:
La déviance archaique pourrait avoir comme origine la polygamie des chefs en tant que récompense d’activité . Cette polygamie induirait ds des groupes de faible population un déséquilibre des couple jeunes et en conséquence des procédures de razzias chez les voisins .
Ces nouvelles coutumes induisent des conséquences majeures :
-Rétorsions des razziés , donc conflits latents
-colère des chefs obligés de gerer ces retorsions mais en s’appuyant sur le caractere « guerrier » des fautifs
– contacts plus lointains (langue , commerces usages …contacts)
– naissance de l’aristocratie guerriere en opposition au chef traditionnel
-le régime archique des chefs , etait matriarcat et se conserve; les « aristo-guerriers » sont obligés de passer au patriarcat (on ne refile pas l’enfant au frere de la mere qui est un ennemi)
On retrouve là l’opposition triangulaire : royauté – aristocratie _ individu
Gérard filoche décrit sur son blog les liens entre une certaine agence de notation au coeur de la crise actuelle et
un certain Marc Ladreyt de Lacharriére.
Extrait :
« Mais qui commande Fitch ratings ? C’est Fimalac qui la détient. Et qui est Fimalac ? L’agence financière de Marc Ladreyt de Lacharriére qui a touché 2,4 millions € en 2008 en tant que dirigeant. Les dernières lettres se ressemblent : Malac = Marc Ladreyt de Lacharriére. »
S’intéresser aux descendant capétiens , c’est découvrir le lien entre Fillon , de la Charrière, frédéric Mitterand etc…
Tous étonnament au centre de l’actualité politique .
http://www.capet.org/
A ma connaissance, l’usage de la force n’a jamais permit à la victime d’en acquérir, ni au bourreau d’en perdre. Il faut au moins reconnaitre ça au capitalisme.
Vous connaissez pas l’aikido?
J’attendais un peu mieux qu’une simple analogie en réponse.
Dire que l’argent, c’est comme la force parce que ça permet de commander, c’est se voiler la face (quand bien même les paysans de l’ancien régime pratiquaient l’aikido – ou pas). Contrairement à l’argent, l’usage de la force ou de la menace n’affaiblit pas son auteur ni ne renforce la victime.
Bien sûr ça fait plaisir à entendre pour tout ceux qui rejettent le capitalisme et l’extension de la sphère marchande et financière. Mais ne pas vouloir reconnaitre les bénéfices du système capitaliste et ce qui fait sa force, c’est miner toute contestation, parce que le contestataire passera inévitablement pour un complotiste de mauvaise foi auprès de tous ceux pour qui ces avantages tiennent de l’évidence, et qui peuvent le prouver par A+B (le riche crée de l’emploi, etc.), donc convaincre et faire passer les non convaincus pour quelques contestataires irrationnels (la preuve, leurs arguments ne tiennent pas).
Je ne pense pas que monsieur Jorion soit un idiot, mais je pense que la formulation employée dans cet article est plus que malheureuse si on ne va pas chercher plus loin (formulation accompagnée d’un simple renvoi à ses ouvrages, version intégrale de l’argument réservée aux initiés, donc).
Il faut donc dépasser ce genre de critiques « à deux francs » (ou bien qui le laissent penser) ou on ne fera que contester le système en vase clos, fort d’avoir réussi à convaincre les convaincus qui ne demandaient que ça.
hema dit :
1 novembre 2010 à 13:01
L’analogie est intéressante, merci pour la référence de l’ouvrage, ce sera ma prochaine lecture.
Le livre est en effet intéresant à plusieurs points de vues, certaines idées sont un peu éloignées de notre mode de pensée actuel, mais dans l’ensemble l’auteur est quand même assez en avance sur son temps. Certains passages pourraient être repris de nos jours sans grands changements… Je peux vous envoyer directement l’extrait que j’avais envoyé sur le blog, Paul Jorion l’a peut-être retiré pour éviter tout risque de problèmes de droits d’auteurs, mais je pense que ce texte est maintenant en accès libre, c’est pourquoi je l’avais envoyé… Certains paragraphes auraient pu être écrits maintenant…
Paul
« … l’extrait que j’avais envoyé sur le blog, Paul Jorion l’a peut-être retiré pour éviter tout risque de problèmes de droits d’auteurs ».
Votre manip a du échouer : il n’y avait aucun extrait.
OK Paul, j’ai probablement fait une erreur dans mon envoi…
Voici donc cet extrait des oeuvres choisies de FC Volney…
L’auteur se met à la place d’un voyageur qui entendrait au loin les rumeurs de la révolution française…
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C. F. de Volney, « Oeuvres choisies », B. Renault Librairie-Editeur, Paris 1847 CHAPITRE XV
A peine eut-il achevé ces mots, qu’un bruit immense s’éleva du côté de l’occident ; et, y tournant mes regards, j’aperçus à l’extrémité de la Méditerranée, dans le domaine de l’une des nations de l’Europe, un mouvement prodigieux ; tel qu’au sein d’une vaste cité, lorsqu’une sédition violente éclate de toutes parts, on voit un peuple innombrable s’agiter et se répandre à flots dans les rues et les places publiques. Et mon oreille, frappée de cris poussés jusqu’aux cieux, distingua par intervalle ces phrases :
«Quel est donc ce prodige nouveau? quel est ce fléau cruel et mystérieux? Nous sommes une nation nombreuse, et nous manquons de bras! nous avons un sol excellent, et nous manquons de denrées ! nous sommes actifs, laborieux, et nous vivons dans l’indigence! Nous payons des tributs énormes, et l’on nous dit qu’ils ne suffisent pas ! nous sommes en paix au dehors, et nos personnes et nos biens ne sont pas en sûreté Quel est donc l’ennemi caché qui nous dévore ?»
Et des voix parties du sein de la multitude répondirent : «Elevez un étendard distinctif autour duquel se rassemblent tous ceux qui, par d’utiles travaux entretiennent et nourrissent la société, et vous connaîtrez l’ennemi qui vous ronge. »
Et l’étendard ayant été levé, cette nation se trouva tout à coup partagée en deux corps inégaux, et d’un aspect contrastant : l’un innombrable et presque total, offrait, dans la pauvreté générale des vêtements et l’air maigre et hâlé des visages, les indices de la misère et du travail ; l’autre, petit groupe, fraction insensible, présentait, dans la richesse des habits chamarrés, et dans l’embonpoint des visages, les symptômes du loisir et de l’abondance.
Et, considérant ces hommes plus attentivement, je reconnus que le grand corps était composé de laboureurs, d’artisans, de marchands, de toutes les professions laborieuses et studieuses utiles à la société, et que, dans le petit groupe, il ne se trouvait que des ministres du culte de tout grade (moines et prêtres), que des gens de finance, d’armoiries, de livrée, des militaires et autres salariés du gouvernement.
Et ces deux corps en, présence, front à front, s’étant considérés avec étonnement, je vis, d’un côté, naître la colère et l’indignation, de l’autre, un mouvement d’effroi; et le grand corps dit au plus petit: «Pourquoi êtes-vous séparés de nous? N’êtes-vous donc pas de notre nombre?»
«Non,» répondit le groupe «vous êtes le peuple; nous autres, nous sommes un corps distinct, une classe privilégiée, qui avons nos lois, nos usages, nos droits à part.»
LE PEUPLE
Et de quel travail viviez-vous dans notre Société?
LES PRIVILEGIES
Nous ne sommes pas faits pour travailler.
LE PEUPLE
Comment avez vous acquis tant de richesses ?
LES PRIVILEGIES
En prenant le soin de vous, gouverner.
LE PEUPLE
Quoi, nous fatiguons et vous jouissez ! nous produisons et vous dissipez ! Les richesses viennent de nous, vous les absorbez, et vous appelez cela gouverner !… Classe privilégiée, corps distinct qui nous est étranger, formez votre nation à part, et voyons comment vous subsisterez.
Alors, le, petit groupe, délibérant ce cas nouveau, quelques hommes juste et généreux dirent : il faut nous rejoindre au peuple, et partager ses fardeaux; car ce sont des hommes comme nous, et nos richesses viennent d’eux. Mais d’autres dirent avec orgueil ce serait une honte de nous confondre avec la foule, elle est faite pour nous servir; ne sommes nous pas la race noble et pure des conquérants de cet empire? Rappelons à cette multitude nos droits et son origine.
LES NOBLES
Peuple! oubliez vous que nos ancêtres ont conquis ce pays, et que votre race n’a obtenu la vie qu’à la condition de nous servir? Voilà notre contrat social ; voilà le gouvernement constitué par l’usage et prescrit par le temps.
LE PEUPLE
Race pure de conquérants ! Montrez-nous vos généalogies ! nous verrons ensuite si ce qui, dans un individu est vol et rapine, devient vertu dans une nation.
Et à l’instant, des voix élevées de divers côtés commencèrent d’appeler par leur noms une foule d’individus nobles; et, citant leur origine et leur parenté, elles racontèrent comment l’aïeul, le bisaïeul, le père lui même nés marchands, artisans, après s’être enrichis par des moyens quelconques, avaient acheté, à prix d’argent, la noblesse : en sorte qu’un très petit nombre de familles étaient réellement de souche ancienne. Voyez, disaient ces voix, voyez ces recrues plébéiennes qui se croient des vétérans illustres ! Et ce fut une rumeur de risée.
Pour détourner, quelques hommes astucieux s’écrièrent : Peuple doux et fidèle, reconnaissez l’autorité légitime : le roi veut, la loi ordonne.
LE PEUPLE
Montrez nous vos pouvoirs célestes.
LES PRÈTRES.
Il faut de la foi : la raison égare.
LE PEUPLE
Gouvernez vous sans raisonner ?
LES PRÈTRES.
Dieux veut la paix : la religion l’obéissance.
LE PEUPLE
La paix suppose la justice ; l’obéissance veut la conviction d’un devoir.
LES PRÈTRES.
On est ici bas que pour souffrir.
LE PEUPLE
Montrez nous l’exemple.
LES PRÈTRES.
Vivrez-vous sans dieux et sans rois ?
LE PEUPLE
Nous voulons vivre sans oppresseurs
LES PRÈTRES.
Il vous faut des médiateurs, des intermédiaires.
LE PEUPLE
Médiateurs près de Dieu et des rois! courtisans et prêtres, vos services sont trop dispendieux ; nous traiterons désormais directement nos affaires.
Et alors le petit groupe dit : Tout est perdu, la multitude est éclairée.
Et le peuple répondit : Tout est sauvé, car si nous sommes éclairés, nous n’abuserons pas de notre force, nous ne voulons que nos droits. Nous avons des ressentiments, nous les oublions : nous étions esclaves, nous pourrions commander ; nous ne voulons qu’être libres, et la liberté n’est que la justice.
Volney
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J’ai souligné en caractères gras un paragraphe qui montre bien que l’aristocratie dès cette époque venait souvent de bourgeois enrichis… bourgeois enrichis dont Molière se moquait déjà dans « Le bourgeois Gentilhomme »… Il y critiquait déjà le côté « bling-bling » de ces personnages sans autres valeurs que l’argent qu’ils accumulaient et exposaient sans vergogne…
Notez que je ne me fais pas du tout l’avocat d’une noblesse de naissance, mais il me semble qu’une noblesse de l’âme soit plus respectable qu’une noblesse de l’argent. pour moi cette noblesse de l’âme n’a pas de caractère religieux ou spirituel, elle est simplement liée à un profond et sincère respect de tout être humain, sans aucune discrimination, au niveau individuel et au niveau collectif.
Paul
Paul
La Liberté donne-t-elle un million à chacun ? Qu’est-ce qu’un homme sans un million ? Un homme sans un million n’est pas celui qui fait ce qui lui plait mais celui dont on fait ce qui plait…
… En dehors de la Liberté, il y a l’Egalité, notamment l’égalité devant la Loi. De cette égalité devant la loi on ne peut dire qu’une seule chose. C’est que dans la forme où on l’applique actuellement tout Français peut et doit la considérer comme une injure personnelle…..
Dostoïevski – 1863 – Le bourgeois de Paris
A relire de toute urgence tant le Londres et le Paris d’alors paraissent contemporains.
« On oublie que si Marx affirme qu’une dictature du prolétariat sera nécessaire pour créer une société sans classe, c’est parce que la bourgeoisie arrivant au pouvoir ne partage pas elle cette ambition : le pouvoir auquel elle accède, il lui semble qu’elle l’a mérité, et les privilèges de l’aristocratie qui la révoltaient autrefois n’étaient pas répréhensibles à ses yeux pour leur qualité en soi mais seulement parce qu’ils n’étaient pas les siens. »
On tourne en rond ! Peut-être parce qu’on oublie un peu trop facilement de parler de « l’aristocratie intellectuelle » !? Celle-là même qui ne s’avoue pas qu’elle a plus à y gagner à « donner du poisson » au peuple plutôt qu’à lui « apprendre à pêcher ».
Vu le nombre de personnes concernées, ne serait-il pas avantageux de parler de temps à autres des dominés (avec eux !) ?
Je ne dis pas « abolissons le salariat du jour au lendemain », mais faisons de la question « le salariat est-il incontournable ? » un grand débat de société. Et peu importe l’issue : le chemin c’est le but. Mais tous ensemble en chemin.
Un exemple de lecture : « Travailler, moi ? Jamais ! »…pas de maître sans esclave…pas de fumée sans feu et pas d’idée sans être deux.
Fab,
J’habite en Hollande, ici, le mot « travail » a quasiment une connotation spirituel… « Werken », et rien d’autre, mais bon, là on repart sur le débat ouvert par Max Weber en son temps…
Je suis amusée par cette discussion récurrente concernant le travail, le travail rémunéré, le salariat, etc…. Et celles qui ont choisi de se consacrer à leur famille, elles sont quoi, elles? Des nulles, des rebuts? Il est temps que l’on remette les choses à l’endroit. J’y travaille…
A suivre…
spirituelle. Je déteste faire des fautes d’orthographe.
Anne,
« Et celles qui ont choisi de se consacrer à leur famille, elles sont quoi, elles? Des nulles, des rebuts? »
==> c’est là que Bernard Friot entre en scène …
ici par exemple ==> http://www.pauljorion.com/blog/?p=13755
Ultra-libéralisme vraiment ? Si les mots ont un sens, l’ultra-libéralisme est un libéralisme ultra, soit un libéralisme qui va au-delà, qui va plus loin que le libéralisme tout court. Ce serait encore, selon le Larousse, un libéralisme extrême. Les ultra-libéraux autrement dit sont censés être plus libéraux que les libéraux, de même que les ultras (royalistes) de la Restauration étaient plus royalistes que le roi auquel ils reprochaient d’accepter la Charte, concession aux idées constitutionnelles de la révolution. Il existe sans doute aujourd’hui des idéologues ultra-libéraux, mais les institutions de la France ou de l’Union Européenne sont très loin d’être ultra-libérales. Peut-on en effet penser sérieusement que nous vivons dans un monde plus libéral que celui d’une bonne partie du XIXe siècle où la loi Le Chapelier interdisait les coalitions, où la grève et les syndicats n’avaient aucune existence légale, où le droit du travail se limitait à quelques articles du Code civil définissant le « contrat de louage » (qui se faisait souvent « au jour la journée »), où il n’existait aucune limite légale de la journée de travail, aucune obligation d’accorder aux employés un repos hebdomadaire, aucuns congés payés, où les régimes de retraite et de protection sociale n’existaient pas, où les premières lois définissant un âge minimum pour travailler et quelques limites à la journée de travail visaient seulement les femmes et les enfants (qu’il fallait protéger respectivement comme « ventres féconds » – sic ! – et comme futurs ouvriers et soldats), où il n’existait évidemment ni SMIG ni SMIC, où l’accident du travail c’était « tant pis pour la victime », où la fiscalité était si faible que les contribuables les plus riches étaient assurés, quoi qu’il arrive, de ne jamais reverser plus de 3 ou 4% de leurs gains sous forme d’impôts (tous impôts confondus), où il n’existait d’ailleurs ni impôts sur le revenus, ni déclaration de revenus (qui aurait été jugée inquisitoriale), où les droits de succession étaient calculés de façon proportionnelle (et non progressive comme aujourd’hui), etc. etc… ?
Où préférez-vous aller Mr Jorion ?
Où préférez-vous surtout me conduire dans ma modeste condition ?
Que préférez-vous lire plutôt suivre ? Pourquoi voulez-vous tant Mr Jorion ressusciter l’esprit et le vocabulaire de Karl Marx dans l’esprit des pauvres gens ?
L’ultrasocialisme tente de ressusciter la même chose qu’hier :
Si le communisme est le moyen qui a permis historiquement à une classe d’intellectuels d’abattre tout ce qui s’oppose encore à cet même état d’esprit, les terrestres du libéralisme
y contribuent en effet beaucoup.
L’ultrasocialisme est alors le moyen qu’utilise une classe d’intellectuels – continuant de prôner les mêmes principes une fois la crise bien installé dans les esprits – de se reconstituer elle-même comme la meilleure alternative intellectuelle proposé à l’homme, ou les pauvres gens n’entendant plus d’ailleurs que ça.
La manière dont cela se reproduira est la suivante : réclamer un plus grand progrès social terrestre dans un cadre bureaucratique fondé sur les droits terrestres acquis initialement par la force de la misère, c’est offrir au social le moyen de détrôner par la force dans son rôle de vecteur d’une plus grande demande de justice sociale,
Et ceci parce que le social prend une telle omniprésence salutaire et indépassable dans l’esprit du monde, en permettant d’acheter un service, exerce une autre forme d’influence bureaucratique de « commandement ‘ identique à celui de la force.
Une fois le prolétariat en charge des affaires, continuer de réclamer un plus grand progrès du social terrestre partout sur terre, faut assurer, sécuriser partout, c’est offrir au nouvel ordre bureaucratique qui s’est constitué, davantage les moyens humains et idéologiques d’étendre davantage son désir de progrès et d’influence dans l’esprit du commun mortel, le nombre de malheureux y renforcant même davantage l’idée d’avoir raison, autrement dit de permettre de
nouveaux aux grands idéaux de Karl Marx et datant pareillement du siècle dernier de mieux faire encore une bouchée de cette funeste bourgeoisie triomphante de recréer un système pareillement un peu semblable à l’ancien mais où ce serait plus elle fort heureusement qui assumerait cette idée de mieux conduire le monde au bien, surtout pour l’humanité de plus en plus mal en point à force.
L’exercice du social est en effet différentiel : ce que le social terreste autorise n’est pas le même dans le cas d’un plus haut ou plus bas bureaucrate. En effet, le riche bureaucrate utilise souvent une plus grande misère humaine à ces seules fins, comme une chose qui va de soi le pouvoir du commandement bureaucratique qu’autorise son influence, sa position, son programme, sa finalité. Le social du pauvre se limite aux rêves de sécurité qu’il peut entretenir en imaginant que l’on devient plus heureux par un simple effet du social terreste.
Par le simple effet de le vouloir, réclamer à plusieurs. Cette autre illusion de changement est possible parce que du point de vue auquel on a accès quand on est pauvre, l’effet de levier nécessaire pour progresser dans l’échelle sociale bureaucratique de ce monde est pareillement aussi invisible.
Où préférez-vous aller Mr Jorion ? Que préférez-vous lire ? Où préférez-vous surtout me conduire dans ma modeste condition matérielle ?
@M. Jorion. Désolé, M. Jorion de ce malentendu. En fait, je ne vois pas comment l’ultralibéralisme peut engendrer une aristocratie « au sens le plus élevé du terme »: il ne peut à mon sens qu’aboutir à l’exact inverse: le concept aristocratique ne peut par nature s’appuyer sur des valeurs marchandes, mais au contraire sur des valeurs morales: l’ultralibéralisme qui généralise le mensonge par la fausse monnaie et le vol par la « madofisation » du monde ne peut qu’aboutir à une oligarchie, mais certainement pas à une aristocratie qui suppose qu’elle soit exemplaire et méritante. Dans ce sens, appeler de ses voeux des responsables méritants, compétents et intègres qui font passer l’intérêt collectif avant leur intérêt personnel, telle qu’est à l’origine l’aristocratie qui sélectionne « les meilleurs » pas uniquement comme pour un concours de l’ENA mais aussi sur le plan éthique, ne me semble pas dérangeant…
C’est d’ailleurs le sens de mon commentaire sur votre blog… Bien à vous.
@ JPJM
C’est oublier un peu vite que décadence et aristocratie ont toujours fait bon ménage, que les élégants critères du mérite et de l’exemplarité se sont assez formidablement dissous dans des alliances avec une notabilité bourgeoise aux aspirations pourtant nettement moins élevées à partir du moment où le nouveau contrat garantissait rang et privilèges aux deux parties, et qu’il faudrait être vraiment, mais alors vraiment, naïf pour vous suivre dans votre merveilleux conte et croire encore que le système de cooptation le plus opaque et le plus trouble (mon intérêt bien compris) était fondamentalement contre contre-nature à l’aristocratie.
Et au fait, qu’est-ce qu’il en disait de l’aristocratie – ici s’agissant bien plutôt de ploutocratie, voire kleptocratie – le Stagirite, Aristote le bien nommé dans sa « Politique »?
LIVRE III
DE L’ÉTAT ET DU CITOYEN.
Chapitre VII
« …§ 7. De plus, comme l’égalité et l’inégalité complètes sont injustes entre des individus qui ne sont égaux ou inégaux entre eux que sur un seul point, tous les gouvernements où l’égalité et l’inégalité sont établies sur des bases de ce genre, sont nécessairement corrompus. Nous avons dit aussi plus haut que tous les citoyens ont raison de se croire des droits, mais que tous ont tort de se croire des droits absolus : les riches, parce qu’ils possèdent une plus large part du territoire commun de la cité et qu’ils ont ordinairement plus de crédit dans les transactions commerciales ; les nobles et les hommes libres, classes fort voisines l’une de l’autre, parce que la noblesse est plus réellement citoyenne que la roture, et que la noblesse est estimée chez tous les peuples ; et de plus, parce que des descendants vertueux doivent, selon toute apparence, avoir de vertueux ancêtres ; car la noblesse n’est qu’un mérite de race. § 8. Certes, la vertu peut, selon nous, élever la voix non moins justement ; la vertu sociale, c’est la justice, et toutes les autres ne viennent nécessairement que comme des conséquences après elle. Enfin la majorité aussi a des prétentions qu’elle peut opposer à celles de la minorité ; car la majorité, prise dans son ensemble, est plus puissante, plus riche et meilleure que le petit nombre.
§ 9. Supposons donc la réunion, dans un seul État, d’individus distingués, nobles, riches d’une part ; et de l’autre, une multitude à qui l’on peut accorder des droits politiques : pourra-t-on dire sans hésitation à qui doit appartenir la souveraineté ? Ou le doute sera-t-il encore possible ? Dans chacune des constitutions que nous avons énumérées plus haut, la question de savoir qui doit commander n’en peut faire une, puisque leur différence repose précisément sur celle du souverain. Ici la souveraineté est aux riches ; là, aux citoyens distingués ; et ainsi du reste. Voyons cependant ce que l’on doit faire quand toutes ces conditions diverses se rencontrent simultanément dans la cité. § 10. En supposant que la minorité des gens de bien soit extrêmement faible, comment pourra-t-on statuer à son égard ? Regardera-t-on si, toute faible qu’elle est, elle peut suffire cependant à gouverner l’État, ou même à former par elle seule une cité complète ? Mais alors se présente une objection qui est également juste contre tous les prétendants au pouvoir politique, et qui semble renverser toutes les raisons de ceux qui réclament l’autorité comme un droit de leur fortune, aussi bien que de ceux qui la réclament comme un droit de leur naissance. En adoptant le principe qu’ils allèguent-pour eux-mêmes, la prétendue souveraineté devrait évidemment passer à l’individu qui serait à lui seul plus riche que tous les autres ensemble ; et de même, le plus noble par sa naissance l’emporterait sur tous ceux qui ne font valoir que leur liberté. § 11. Même objection toute pareille contre l’aristocratie, qui se fonde sur la vertu ; car si tel citoyen est supérieur en vertu à tous les membres du gouvernement, gens eux-mêmes fort estimables, le même principe lui conférera la souveraineté. Même objection encore contre la souveraineté de la multitude (déviation démagogique de la république)</em, fondée sur la supériorité de sa force relativement à la minorité ; car si un individu par hasard, ou quelques individus moins nombreux toutefois que la majorité, sont plus forts qu'elle, la souveraineté leur appartiendra de préférence plutôt qu'à la foule.
§ 12. Tout ceci semble démontrer clairement qu'il n'y a de complète justice dans aucune des prérogatives, au nom desquelles chacun réclame le pouvoir pour soi et l'asservissement pour les autres . Aux prétentions de ceux qui revendiquent l'autorité pour leur mérite ou pour leur fortune, la multitude pourrait opposer d'excellentes raisons. Rien n'empêche, en effet, qu'elle ne soit plus riche et plus vertueuse que la minorité, non point individuellement, mais en masse. Ceci même répond à une objection que l'on met en avant et qu'on répète souvent comme fort grave on demande si, dans le cas que nous avons supposé, le législateur qui veut établir des lois parfaitement justes doit avoir en vue l'intérêt de la multitude ou celui des citoyens distingués. La justice ici, c'est l'égalité ; et cette égalité de la justice se rapporte autant à l'intérêt général de l'État qu'à l'intérêt individuel des citoyens. Or, le citoyen en général est l'individu qui a part à l'autorité et l'obéissance publiques, la condition du citoyen étant d'ailleurs variable suivant la constitution ; et dans la république parfaite, le citoyen, c'est l'individu qui peut et qui veut obéir et gouverner tour à tour, suivant les préceptes de la vertu."
C'est clair, non ?
@JPJM
Votre conception du mérite est erronée. La même chose dite de manière synthétique.
« Dieux !
Pardonnez nos offenses
La décadanse
A bercé
Nos corps blasés
Et nos âmes égarées »
La Décadanse – Serge Gainsbourg.
@Martine Mounier
Vous avez tout à fait raison: l’aristocratie conçue comme caste est une dérive dès lors qu’elle s’est « formidablement dissoute dans des alliances avec une notabilité bourgeoise aux aspirations pourtant nettement moins élevées à partir du moment où le nouveau contrat garantissait rang et privilèges aux deux parties »… Il ne s’agit ici pas de naiveté, mais de valeur… terme polyvalent pour la morale et la finance: c’est bien la dissolution des et de la valeur qui en est à l’origine: mais peut-être la notion de valeur, – bulles et crises inflationnistes faisant leur oeuvre de dissolution-dévalorisation -, est-elle aujourd’hui caduque pour la transformer en conte, toute éthique ayant disparue…?
PS: au sujet de la théorie de la valeur, permettez-moi de faire référence aux excellents développements de Pierre Sarton du Jonchay sur ce blog.
@PJJM
Précisément ! La théorie de valeur selon Pierre Sarton du Jonchay me semble à l’opposé des valeurs courantes de l’exemplarité, de la morale ou du mérite. C’est une valeur de rapport plus qu’une valeur de qualités intrinsèques, je dirais. Et cette valeur de rapport (ou de dialogue, si vous préférez) implique une qualité à l’antithèse de la pratique des salons feutrés des belles demeures où l’on reçoit, pas toujours entre deux cigares mais toujours en aparté, untel ou untel, Ministre ou Président Directeur Général qui compte, afin de prendre comme il se doit, telle ou telle décision, dans la plus grande discrétion possible. Cette qualité inconnue de la haute aristocratie autant que de la petite bourgeoisie de province : c’est la transparence.
Ce qui est en cause, ce n’est pas le comment (la transparence) de la détermination de la valeur mais la finalité qui donne du « prix »:
cf: « Pierre Sarton du Jonchay dit :
30 septembre 2010 à 14:02
@Zébu,
Le mot « prix » n’a-t-il pas eu originellement un sens dans le champ de la morale avant d’être utilisé par le calcul économique ? »
C’est à l’aune de sa qualité que la valeur est définie, non de sa quantité, c’est sur sa qualité au regard des fins choisies que la valeur donne lieu à accord, à transaction, donc à prix…
c’est à ce niveau que:
« il y a « régression matérialiste »
et que: « La république (oeuvre) contre la démocratie »:…. La valeur n’est plus que comptée. La discussion n’a plus de sens. Le langage n’est plus une transformation universelle de la réalité. L’économie surclasse la politique. La démocratie disparaît dans la république. L’effet est une question strictement individuelle non discutable dans la société. Les finalités humaines sont devenues abstraites. Les formes se capitalisent exclusivement dans la matière. La matière est faite pour l’accumulation. Elle ne contient plus de fin décidée par des sujets responsables… La république platonicienne est plus pratique car elle dispense les élites de répondre de la réalité du bien commun. Elles font des affaires avec des régimes politiques qui ne discutent pas le bien commun. »
Ne croyez pas que la moyenne haute bourgeoisie ne soit pas touchée, car elle plus qu’une autre encore elle a cru au système et elle s’est crue arrivée, évidement elle vit encore avec des revenus bien supérieurs mais quel est son endettement ?
Sauf les radins qui amassent sur des comptes sans rien dépenser ou investir, elle aussi est surendettée par rapport à ce qu’il reste de ses revenus même si il lui en reste de quoi vivre plus que bien. Des exemples, j’en ai quelqu’un autour de moi, plantés avec de l’immobilier de luxe qui ne se vend pas et des crédits sur ce même immobilier.
Il y a tant de biens à plusieurs millions d’euros à vendre sur la côte d’azur et sur monaco qu’on se demande qui va bien pouvoir acheter car il n’y a pas que sur la côte d’azur et monaco qu’il y a des biens de luxe à vendre sans acheteur ou presque en face, en dehors de quelques russes…
En écho réponse au titre du billet :
» La démocratie aura fini de naître quand tou(te)s les citoyen(ne)s seront des aristocrates . »
( adapté librement , mais pas trop, d’ Oscar Wilde )
Mais finalement à relire le tout je m’aperçois que nous ne parlons pas de la même aristocratie :
Avec Oscar Wilde je visais la noblesse élégante et savante .
L’aristocratie évoquée en renfort de l’ultralibéralisme serait plutôt un classe privilégiée héréditaire qui faisait écrire à Balzac : « il n’y a plus de noblesse , il n’y a qu’une aristocratie » .
Quant à l’oligarchie , ce n’est pas forcément la même chose . Elle peut être plus proche du mandarinat . Encore une correspondance chinoise .
Mais heureusement , Mai 68 et Simone de Beauvoir ont fait un sort aux mandarins .
Peut être pas à l’oligarchie , ni à l’aristocratie qui n’est plus ni la Noblesse , ni la noblesse .
Le petit personnage galonné de la BD , à la séparation du mur entre le salarié et le capital , aspire sans doute au grade d’aristocrate du savoir .
Mais comme Michel Rocard , il ne restera jamais que le majordome du capital » aristocrate » ou pas .