Billet invité. Je publie pratiquement toujours les « billets invités » sans commentaire préalable. Le lecteur du blog devine que je le trouve intéressant sans savoir pour autant dans quelle mesure exacte je souscris à son contenu. Ceci me conduit souvent à devoir répondre à ceux des lecteurs qui supposent que j’approuve à 100 % le contenu de chaque « billet invité ». Dans le cas présent du texte d’Olivier Ardoin, je tiens à préciser que ses propositions bien que positives et susceptibles de susciter un débat intéressant ne me semblent pas aller assez loin dans la voie qu’il ouvre.
Constat :
L’économie de marché, en faisant disparaître les entreprises les moins performantes, conduit naturellement à la formation d’oligopoles qui dominent les principaux marchés mondiaux. En dehors du fait que la concurrence entre eux est largement faussée en raison de leur faible nombre, les décisions prises par les dirigeants de ces groupes de taille mondiale ont un impact de plus en plus considérable. Elles concernent souvent des millions de personnes et peuvent avoir des conséquences majeures sur l’environnement. Dans certains cas même, c’est l’ensemble de la planète et de ses habitants qui pourraient subir les conséquences de leurs choix, s’ils impliquent un risque de catastrophe écologique majeure par exemple.
Dans le système économique actuels, les seuls décideurs finaux légitimes sont les représentants des actionnaires, au nom du droit de propriété de ces derniers. Ils ont certes la contrainte de se soumettre aux lois des pays concernés par leurs projets, mais les lois, même quand elles sont bien faites et respectées, ce qui est loin d’être le cas dans tous les pays, ne peuvent pas tout anticiper quand il s’agit de projets complexes conduits à l’échelle mondiale.
Les décisions prises au sein de ces groupes sont donc prises par des intérêts privés en fonction d’un critère principal, celui de la rentabilité (à court terme de préférence) des capitaux investis.
La question primordiale à régler pour aboutir à un fonctionnement sain de l’économie mondiale est donc la suivante : comment introduire des représentants de l’intérêt général dans la gouvernance des entreprises ?
Réponse en cours d’élaboration :
Les principaux travaux cherchant à répondre à cette question se basent sur la notion de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE), le terme sociétal recouvrant à la fois les responsabilités sociales (au sens large) et environnementales.
La mise en œuvre se ferait de la façon suivante :
Elaboration de normes internationales définissant les règles à respecter par les entreprises
Audits réalisés par des sociétés spécialisées conduisant à une certification RSE
Publication d’un « bilan sociétal » par les entreprises
L’idée sous jacente est que les entreprises ne souhaiteront pas prendre le risque de dégrader leur image auprès de leurs clients si elles ne respectent pas ces normes. La véritable sanction passe donc par une publicité faite par les médias auprès des clients et partenaires de l’entreprise en faute, ou plus généralement auprès de l’opinion publique.
Pour convaincre les récalcitrants, certains proposent de rendre ces normes obligatoires.
Cette démarche se heurte à trois difficultés majeures :
Elle suppose que les médias restent totalement indépendants des entreprises, et qu’ils arrivent à sensibiliser l’opinion publique sur des entreprises dont l’activité ne touche souvent pas directement le grand public.
Les normes ont nécessairement un caractère général et pourront difficilement s’appliquer à des projets complexes qui ont chacun des caractéristiques spécifiques.
Enfin et surtout les audits et les bilans sont faits à posteriori, et viennent constater les disfonctionnements quand les dégâts sont déjà faits ! (Les éventuelles indemnisations financières ne sont qu’une maigre consolation pour les victimes, et certains dégâts sont irréparables) Il serait infiniment préférable que l’intérêt général soit pris en compte au moment où la décision est prise.
Solution proposée :
Les réponses en cours d’élaboration ci-dessus sont analogues à celles utilisées par les entreprises dans leur démarche dite de « qualité totale », dont l’objectif est de mettre en place les meilleures procédures de fonctionnement de façon à « satisfaire au mieux les besoins des clients ».
Dans cette démarche, la personne qui en est responsable, et qui représente les clients au sein de l’entreprise, ne doit dépendre hiérarchiquement que du chef d’entreprise. Elle doit en effet être indépendante des autres responsables de service dont les intérêts pourraient être en conflit avec celui de certains clients. Seul le chef d’entreprise est habilité à arbitrer. Cette position dans l’organigramme est clairement exigée dans les normes internationales ISO 9000, et le responsable qualité est membre du comité de direction.
Mais les entreprises de taille mondiale n’ont pas seulement des impacts sur leurs clients, salariés et fournisseurs, elles peuvent en avoir un sur l’ensemble de la planète et de ses habitants ! Dans la démarche RSE, la personne qui en a la responsabilité est censée représenter la planète et l’ensemble des populations concernées par les décisions de l’entreprise. Elle peut donc se trouver en conflit avec les intérêts économiques de l’entreprise, dictés avant tout par des critères de retour sur investissement. Il est donc tout à fait logique qu’il ne se trouve pas sous la dépendance hiérarchique du chef d’entreprise, mais sous celle d’une structure externe indépendante qui doit pouvoir arbitrer en cas de conflit entre la rentabilité d’un projet et ses conséquences sociales et environnementales.
Cette structure, qui viendra aider le responsable RSE dans l’analyse de projets complexes, devra être composée d’experts internationaux reconnus comme on peut en trouver au GIEC, au BIT ou à l’OMS ou dans certaines ONG. Ils abandonneront leur casquette nationale pour se mettre au service des intérêts de la planète.
En cas d’impact négatif d’un projet, elle devra bien sûr disposer d’un droit de veto, de la même façon qu’un chef d’entreprise peut bloquer la décision d’un chef de service si elle lui parait contraire à la démarche qualité.
Ce positionnement du responsable RSE devra être clairement précisé dans les normes en cours d’élaboration, ainsi que sa présence au sein de l’instance décisionnaire de l’entreprise (directoire et non conseil de surveillance par exemple).
De telles dispositions viendront bien sûr empiéter sur le droit de propriété des actionnaires ; nous sortirons du système capitaliste traditionnel, défini comme propriété privée des moyens de production, pour un système plus évolué prenant en compte l’intérêt général qui sera introduit dans le process de prise de décision, en amont des projets. Déjà certain pays ont introduit la présence des salariés au sein du conseil d’administration et ces derniers ont fait la preuve qu’ils étaient parfaitement capables d’assumer cette responsabilité, alors qu’ils ont eux aussi d’une certaine façon un droit de veto avec le droit de grève.
A un échelon plus global, on ne voit pas pourquoi des experts RSE ne sauraient pas assumer cette responsabilité.
Les actionnaires garderont l’essentiel du pouvoir de décision, ils conserveront bien sûr une rémunération pour le risque financier qu’ils prennent avec l’entreprise, mais ils seront confrontés à l’intérêt général à chaque décision importante, au lieu d’être sanctionnés à posteriori en cas de non respect de lois ou de normes obligatoires.
De même que la démarche qualité oblige à prendre en considération le plus en amont possible les besoins des clients (dès la conception d’un nouveau produit ou service), la démarche RSE permettra de prendre en considération le bien être de la planète et de ses habitants, avant chaque décision importante.
S’appuyer sur la démarche RSE pour faire évoluer le fonctionnement de l’économie a l’avantage de limiter les actions à engager aux deux seules suivantes :
Constituer un réseau d’experts internationaux capable de donner un avis neutre et pertinent sur tous types de projets.
Rendre obligatoire pour les grandes entreprises une certification RSE qui impose l’indépendance du responsable RSE, son rattachement à ce réseau d’experts, et son droit de veto.
Plus facile à dire qu’à faire, mais impératif pour la survie de nos petits enfants !
82 réponses à “Comment introduire l’intérêt général dans la gouvernance d’entreprises ?, par Olivier Ardoin”
Citation extraite du livre : « The Sun Never Sets on IBM », Nancy Foy, WILLIAM MORROW & COMPANY, INC., N.Y. 1975, Chapter 10: IBM’s Future
En gras : Tom Watson, fondateur d’f IBM, lui même cité dans ce livre.
« Bien avant que l’on ne parle de « Responsabilité sociale des entreprises », Tom Watson, fondateur d’IBM, avait étendu la vision alors considérée comme normale de la stricte profitabilité d’une firme, parlait de la responsabilité d’une firme vis-à-vis de ses employés, de ses clients et des ses actionnaires. Ensuite, lors de conférences organisées par McKinsey in 1962, Tom Watson Junior a rajouté un quatrième élément – Les responsabilités de la compagnie vis-à-vis du public ou de l’intérêt national.
« La grande taille [d’une Enterprise] est en elle même un phénomène relativement nouveau dans notre société. Même si rien d’autre n’a changé, , l’énorme concentration de pouvoir dans notre société demanderait que les businessmen reconsidèrent plus largement leurs responsabilités pour the bien public. Je crois que nous allons devoir nous poser un peu plus sérieusement la question de savoir si ce que nous planifions de faire dans nos décisions de business est aussi bon pour les employées que pour les actionnaires est aussi bon pour le pays que ça ne l’est pour ces deux groupes.
Le Business n’est pas seulement soumis aux lois existantes mais à la tolérance du public. Légalement ou non, si le business fait des choses que le public voit comme mauvaises et abusives, ce public a le pouvoir de demander des lois nouvelles auxquelles le business devra se soumettrey. » Prenant l’exemple des lois anti-trust laws, il a poursuivi en donnant des raisons concrètes à l’implication du public. essentiellement, dit il plus de business échouent parce qu’il sont en retard sur leur temps que ceux qui ont été en avance. Mais le business demeurait sa préoccupation première: « Si un businessman échoue ans son business, alors, toutes ses autres préoccupations ne voudront plus rien dire, car il aura perdu tous les moyens de faire quoi que ce soit à propos des autres préoccupations » »
J’ai commencé à travailler comme stagiaire en 1971 dans le cadre d’IBM à une période où cette attitude essayant de prendre en considération les multiples intérêts des clients, des actionnaires, des employés et du public en général, même si a des niveau très différents, Cette attitude bien que non généralisée, était souvent mise en œuvre sous la forme d’un paternalisme vis-à-vis des employés et de quelques actions en faveur de causes publiques telles que l’éducation ou la participation à des organismes de politique locale ; sans conflit d’intérêt de part et d’autre.
Il me semble que comme dans bien d’autres grandes entreprises, ces principes ont volé en éclat dès que les « financiers » ont pris le pouvoir réel, éliminant le paternalisme vis-à-vis des employés par des politiques de salaires très différenciés au lieu de motivations liées à une sorte de contrat social passé entre l’entreprise et ses employés grâce à des avantages sociaux divers… Avec l’arrivée de considérations purement financières, la lutte entre les cadres pour atteindre le niveau hiérarchique donnant accès aux stocks options et les montants de ces dernières ont détruit toute tentative fût-elle minime d’une équité interne fondée sur la méritocratie. Les financiers ont aussi tout fait pour limiter les dépenses liées aux comités d’entreprise en France ou en Europe et aux « clubs sportifs et d’agrément aux USA (IBM club auparavant richement dotés) Ces même financiers ont aussi limité les possibilités de participation sociale telles que celle de pouvoir être professeur associé dans les écoles et universités voisines, en prenant des heures sur le temps de travail, tant pour la préparation des cours que pour l’enseignement de ces cours.
A propos de contrat social passé entre l’entreprise et ses employés remplacé par une relation purement financière liée à la rémunération et à des bonus pécuniaires, un livre récent de Dan Ariely, malheureusement pas traduit en français, en a montré à la fois l’inéquité et l’inefficacité en termes de motivation des employés ainsi que vis-à-vis de la loyauté envers l’entreprise : travailler pour un salaire correct, dans une bonne ambiance avec des collègues que l’on respecte est une motivation plus forte que l’attente de récompenses financières…
(Le livre de Dan Ariely, intitulé « Predictably Irrationnal » montre l’absurdité de l’hypothèse de la rationalité purement économique en général et en particulier dans la relation employeur – employé)
Il me semble que la domination des économies mondiales par des considérations purement financières en croyant que tout peut être évalué en termes monétaires conduit tout autant ces économies à l’inéquité et à une perte de la motivation sociales au niveau de la société dans son entier que les entreprises dans leurs particularités. Si le travail dans les entreprises n’a plus que le seul sens de gagner un revenu et si dans les sociétés dans leur ensemble le seul but devient de « Gagner plus » comment espérer créer du lien social ?
Paul T.
Mes excuses, la traduction du texte anglais est de moi, donc les fautes ne sont que les miennes… J’ai oublié ici et là quelques mots en anglais… Déolé.
Paul