Billet invité
Durant des mois et des mois – et même encore aujourd’hui – un déni généralisé a prévalu. Une attitude adoptée par tous ceux qui, dépassés par les événements ou dissimulant leur collusion, se sont ingéniés à ne pas reconnaître l’étendue et la profondeur des dégâts.
Minimisant ceux-ci et se conduisant comme s’ils étaient en mesure d’y faire face. Montant des opérations de diversion, comme l’ont été la traque des évadés fiscaux ou la lutte avortée contre les primes et les bonus des banquiers et traders. S’essayant à désigner des boucs émissaires. Usant de toutes les ficelles de la communication pour masquer l’inanité de leurs réponses à la crise. Ainsi que la légèreté avec laquelle ils abordaient la mise en place d’une régulation financière.
Tout cela n’a qu’un temps et ne va pas pouvoir être poursuivi sur le même mode. La guerre monétaire ne fait que commencer et ne va plus permettre de persévérer dans le même autisme.
Aux Etats-Unis, la Fed se prépare à attiser le feu en remettant en marche la planche à billets, accentuant la chute du dollar. En Europe, la BCE fait le grand écart avec elle en adoptant une stratégie opposée, l’Allemagne accentuant sa pression pour imposer sa stratégie de lutte prioritaire contre les déficits publics. Ces deux fuites en avant se valent l’une comme l’autre en raison des dangers qu’elles recèlent.
Le monde de la finance est dans l’attente des mesures que devrait confirmer la Fed, tout en s’interrogeant sur leurs conséquences. Convaincu de leurs effets déstabilisants renforcés sur les marchés monétaires et dubitatif quant à leur impact réel sur l’économie américaine. Comme si elles représentaient – mission ultime d’une banque centrale en mal de cartouches – une sorte de plan de dernier recours qui ne peut pas ne pas être engagé, sa principale raison d’être en définitive.
Alors, pourquoi donc s’y lancer et exporter à nouveau la crise américaine, dans le fallacieux espoir d’en faire supporter le coût par les autres ? Est-ce par la force de l’habitude, suite à l’épisode précédent et à l’inondation des banques occidentales par les actifs toxiques américains ? Ou comme une dernière tentative d’abuser du statut privilégié du dollar ? En désespoir de cause, telle une fuite en avant qui ne peut plus être stoppée ?
La vérité est que ni la Fed, ni Ben Bernanke son président, ne seront des chevaliers blancs. Les dirigeants chinois, de leur côté, n’envisagent pas de jouer le rôle d’une victime expiatoire : « Les Etats-Unis ne peuvent pas, pour des raisons intérieures, faire supporter leurs problèmes économiques et d’emploi. Le taux de change du yuan ne doit pas être le bouc émissaire des problèmes intérieurs américains », a déclaré Yao Jian, le porte-parole du ministère chinois du Commerce. En attendant, les surplus chinois et le déséquilibre de la balance commerciale américaines se poursuivent.
Les Japonais, qui avaient du plier face aux Américains lors des Accords du Plaza, n’ont plus les moyens de le faire une seconde fois. Pour ne pas les mettre directement en cause, Naoto Kan, le premier ministre, a souligné que « le G20 s’est mis d’accord sur le fait que les fluctuations excessives des taux de change n’étaient pas souhaitables. De ce point de vue, la forte hausse du yen peut être considérée comme une fluctuation excessive ».
Sans surprise, enfin, l’euro continue de monter vis à vis du dollar et les cours du pétrole et des matières premières subissent également les contre-coups de la dépréciation du dollar. La déstabilisation est générale et va s’accentuer.
Les mouvements de capitaux, notamment vers l’Asie, en sont le vecteur. Il est estimé que 8,6 milliards de dollars y ont été déversés durant les neuf premiers mois de l’année, uniquement en Inde, Indonésie, Corée du Sud et Thaïlande, ainsi qu’au Vietnam, aux Philippines et à Taiwan. Pour la même période de l’année dernière, le montant était de 94 millions de dollars ! En Chine, les sociétés étrangères ont investi 74,34 milliards de dollars en Chine durant la même période, soit 16,6% de plus que l’année dernière.
Les Américains préparent une réédition unilatérale des Accords du Plaza, en pratiquant une politique du fait accompli dont les objectifs sont identiques. Ceux-ci s’étaient soldés par une réévaluation du yen par rapport au dollar (ainsi que du Deutsche Mark), contribuant, dans les années qui suivirent leur signature en 1985, à l’essor américain et au plongeon japonais. L’histoire ne repasse certes jamais les mêmes plats, les Chinois ne sont pas les Japonais et les contextes ont changé, mais il ne sortira de cette manœuvre de la dernière chance qu’une exacerbation des contradictions d’intérêt entre puissances qui va faire obstacle la coordination des efforts. Le G20 est très mal parti !
En Europe, une autre logique continue de se dérouler implacablement, dont les échéances ne sont que provisoirement repoussées. Les relations consanguines très poussées instaurées entre dette publique et privée ne peuvent pas être dénouées si l’on continue d’occulter l’état du système bancaire. La crise de l’une renvoie à celle de l’autre, nier leur coexistence destructive pour ne combattre que la première condamne à terme la zone euro à l’éclatement.
L’accalmie enregistrée sur le front obligataire ne doit pas faire illusion. Les investisseurs sont de retour sur les marchés boursiers, qui bénéficient à nouveau de leur fervente faveur, dans l’attente de la remise en marche de la planche à billet américaine et britannique et de ses conséquences haussières prévisibles.
Leur talent s’arrête là. Les grandes transhumances des capitaux sont en effet sans surprises : ils manifestent un tropisme prononcé qui les dirigent vers les régions du monde où les taux sont les plus élevés – les pays émergents – et il passent alternativement du marché obligataire à celui des actions, faisant preuve du meilleur opportunisme, suivant la ligne de plus grande pente des rendements.
Une partie plus décisive est parallèlement en train de se jouer. Alex Weber, président de la Bundesbank et Jürgen Stark, chef économiste de la BCE, viennent d’accentuer leur pression afin que soient stoppées les mesures non conventionnelles de la BCE. Celles qui soutiennent à bout de bras les banques en difficultés, grecques, irlandaises, portugaises et espagnoles en premier lieu.
« Ces banques ou groupes de banques ne doivent pas compter sur la BCE pour couvrir leurs besoins de refinancement », a-t-il expliqué, renvoyant sur leurs Etats respectifs la responsabilité de couvrir leurs besoins de financement. Il est également intimé d’arrêter les achats des obligations des pays en difficulté sur le second marché, qui ont contribué à contenir la hausse des taux.
Appliqué, un tel double arrêt aurait pour inévitable effet de précipiter les pays en question dans une crise aiguë, les amenant à quitter la zone euro et à renégocier leur dette. Le système bancaire européen – les banques allemandes et françaises au premier chef – seraient immédiatement déstabilisées à leur tour, un effet domino s’en suivant.
De quoi cette politique procède-t-elle, si ce n’est d’une autre fuite destructrice en avant ?
Si l’on comprend bien, il faudrait sauver ce qui peut l’être de la zone euro, en faisant la part du feu. Afin de conserver les avantages d’une zone monétaire où les Allemands et leurs partenaires pourront continuer de trouver leurs aises, car elle est le débouché principal de leurs exportations et le champ de leurs délocalisations industrielles, en Europe de l’Est. C’est faire peu de cas des bouleversements imprévisibles qui résulteraient de cet éclatement.
Car sur un autre registre, Alex Weber s’est déclaré tout aussi inflexible. Les sanctions prises contre les pays qui ne respecteraient pas les ratios de déficit et de dette devraient être selon lui « automatiques », prenant le contre-pied de ceux qui souhaitent apporter souplesse et accommodements à la procédure.
Dans le monde fermé qui est le leur, enfin, les milieux financiers prétendent faire valoir haut et fort leurs prérogatives. Ils pratiquent aussi l’art inconséquent de la fuite en avant. Au Royaume-Uni, la City multiplie les menaces à la délocalisation de ses activités, au nom de sa contribution à hauteur de 10% au PIB britannique et de ses 300.000 emplois. Tout en se félicitant de la décision gouvernementale de ramener le taux d’imposition des sociétés de 28 à 24%, la municipalité de la « City of London » vient de déplorer le maintien du taux élevé d’imposition des particuliers, comparable à la France ou l’Allemagne, dit-elle (une horreur!).
Richard Lambert, le patron des patrons britannique directeur de la Confederation of British Industry, a mis les pieds dans le plat, en se référant aux critiques « irresponsables » des banquiers : « Comprennent-ils que si le Royaume-Uni veut rester un centre financier de premier ordre, il lui faudra retenir des gens qui sont payés horriblement cher ? Et comprennent-ils le risque qu’il y a à imposer des règles unilatérales dans une industrie qui est totalement mondiale ? ».
87 réponses à “L’actualité de la crise: L’HEURE DES FUITES EN AVANT A SONNÉ , par François Leclerc”
Je vide la case site,je viens d’avoir une illumination…
Suspense,j’envoie…
J’ai eu chaud.