Billet invité.
QUELLES NOUVELLES RÈGLES DU JEU ?
Pourquoi poursuivre la chronique de la crise, quand les lecteurs de celle-ci, lorsqu’ils s’expriment, semblent être déjà arrivés à la conclusion que, vu sa folie dévastatrice, le monde financier est à condamner sans autre forme de procès ?
N’éprouvant même plus toujours le besoin de mettre à profit les circonstances – ses rouages et roueries étant devenus particulièrement exposés – pour mieux savoir comment il fonctionne, afin de saisir comment il devrait être mis au pas. Comme si, bien que la fin de l’histoire ne soit pas connue, la cause était déjà entendue.
Se satisfaire de ce seul verdict serait cependant faire l’impasse sur une question simple et brutale : quelle va bien pouvoir être la suite de cette histoire qui est la nôtre ?
Dans leurs interventions, peu des commentateurs s’aventurent à entrer dans le vif du sujet, si ce n’est pour manifester la crainte – voire la certitude – de l’avènement d’un monde qui ne sera à les lire pas assurément meilleur, mais bien pire que celui que nous quittons. Ils puisent dans l’actualité et l’évolution de nos sociétés abondante matière pour le justifier.
N’étant pas en mesure de faire des pronostics si définitifs, rivé à cette même actualité, le chroniqueur – qui entend persister – n’envisage pas d’aller pour sa part plus vite que la musique. Ne ressentant pas de réconfort particulier à observer et décrire la poursuite d’une crise devenue chronique, au prétexte que seul un anéantissement final – espéré par certains – pourrait nous permettre d’en sortir.
Comme si une telle apothéose dans le désastre était un passage obligé afin de passer à la suite. Constatant simplement une implosion toujours en cours, l’amenant à s’interroger à propos de ce qui pourra en résulter, à voir la tournure que prennent les événements, à commencer par l’incapacité et le refus du monde financier à se réformer, bientôt trois ans après que ses digues aient cédées.
La période, il est vrai, n’est pas à la manifestation d’un optimisme à tout crin quant à ce que réserve l’avenir, tant et si bien qu’il n’est pas superflu de prendre avec cette ambiance quelque distance. Pour raison garder. Il est à ce propos remarquable de constater que fort rares sont autour de nous les occasions d’être sollicités par la perspective d’une sortie par le haut argumentée de la situation actuelle. Sauf pour affirmer que tout va redevenir comme avant, la seule option dont on peut être certain qu’elle ne se réalisera pas.
Dans ce contexte, on ressent le besoin de passer à autre chose, de s’interroger autrement. Afin de ne pas s’en tenir au rejet de ce qui a fait son temps, tout en s’accrochant. Sans donc non plus connaître le chemin qui va être emprunté. Dans le but de faire oeuvre positive et de collectivement réfléchir à une alternative, en évitant l’usage de mots ayant beaucoup servis, car c’est leur contenu qui importe. Afin de bâtir un ensemble de nouvelles règles du jeu et de ne pas non plus rester enfermé dans les actuelles.
En apposant dessus dans les grands jours – faute de grand soir – l’étiquette de nouveau paradigme. Munis d’une unique certitude, après avoir perdu quelques illusions : le capitalisme, comme mode de structuration de l’activité sociale, n’est pas le stade ultime de développement de notre civilisation. Comment le pourrait-il à l’échelle de l’histoire ? Cela vaut donc la peine de penser à la suite.
Comment alors structurer celle-ci autrement ? Cinq premières pistes peuvent être maladroitement énoncées, autant d’objectifs de base à atteindre qui sont proposés.
1- L’un des fondements de notre société – bien que fort mal partagé – est la propriété, dont l’une des caractéristiques est de garantir à celui qui en bénéficie un droit exclusif d’utilisation à son profit. Progressivement restreindre ce qui est formellement un droit consacré en vue de faire disparaître la propriété, au bénéfice d’un usage partagé, est le premier acte fondateur qui pourrait être retenu. Le web en est la plus éclatante et massive démonstration annonciatrice de ce qui est possible.
2- Au vu des progrès gigantesques déjà enregistrés, et qui vont se poursuivre, qui permettent à des machines de se substituer au travail humain, le second principe serait de considérer le travail comme une activité sociale parmi d’autres, dissociant celui-ci de la distribution à tous les citoyens d’un revenu de base afin de subvenir à leurs besoins élémentaires. C’est dans ce contexte que les problématiques de la formation, du partage du temps de travail disponible et de la retraite doivent être appréciées. Au Brésil, la Bolsa familia est une application partielle mais à très grande échelle de ce principe.
3- Dans ce double contexte, il devrait être progressivement procédé à la sortie des rapports marchands et de la sphère monétaire de l’usage de biens et services vitaux, un premier pas pouvant être l’adoption de modèles économiques privilégiant la forfaitisation de leur usage dans certaines limites. Un exemple pour l’eau potable : un nombre de mètres cubes sont gratuits par famille, afin de subvenir aux besoins de base. Les mètres cubes supplémentaires sont payants et de plus en chers. Ce modèle, qui revient à faire payer par les gros consommateurs la ressource et pour lesquels cela représente un coût marginal, a été adopté localement en Afrique du Sud.
4- Dans le domaine financier, entrer dans une logique s’appuyant sur des mécanismes type bancor au niveau international et SEL au niveau local. L’objectif poursuivi étant de redonner à la monnaie sa stricte valeur d’usage au service de l’échange. Dans le domaine économique, la voie tracée serait d’appuyer le calcul économique sur une mesure de la richesse prenant en compte les externalités et la satisfaction des besoins de la société.
5- Enfin, pour aborder le domaine politique, l’objectif serait de privilégier les principes d’auto-organisation en faisant obstacle à la professionnalisation de toute démocratie représentative.
Le caractère radical et global de ces principes, les ruptures qu’ils représenteraient et les applications à inventorier qu’ils nécessiteraient, ne devraient pas être un obstacle à leur discussion. L’idée est de ne plus s’en tenir aux aménagements possibles du système – qui se restreignent – mais de partir de la configuration du suivant, en dépit de l’abstraction de l’exercice. En définissant les bornes – les dispositions concrètes – qui jalonneront les chemins conduisant à sa concrétisation. Afin de concilier utopie et réalisme, car le réalisme n’est plus de s’inscrire dans un existant en crise et de s’y accrocher.
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