Billet invité.
QUELLES NOUVELLES RÈGLES DU JEU ?
Pourquoi poursuivre la chronique de la crise, quand les lecteurs de celle-ci, lorsqu’ils s’expriment, semblent être déjà arrivés à la conclusion que, vu sa folie dévastatrice, le monde financier est à condamner sans autre forme de procès ?
N’éprouvant même plus toujours le besoin de mettre à profit les circonstances – ses rouages et roueries étant devenus particulièrement exposés – pour mieux savoir comment il fonctionne, afin de saisir comment il devrait être mis au pas. Comme si, bien que la fin de l’histoire ne soit pas connue, la cause était déjà entendue.
Se satisfaire de ce seul verdict serait cependant faire l’impasse sur une question simple et brutale : quelle va bien pouvoir être la suite de cette histoire qui est la nôtre ?
Dans leurs interventions, peu des commentateurs s’aventurent à entrer dans le vif du sujet, si ce n’est pour manifester la crainte – voire la certitude – de l’avènement d’un monde qui ne sera à les lire pas assurément meilleur, mais bien pire que celui que nous quittons. Ils puisent dans l’actualité et l’évolution de nos sociétés abondante matière pour le justifier.
N’étant pas en mesure de faire des pronostics si définitifs, rivé à cette même actualité, le chroniqueur – qui entend persister – n’envisage pas d’aller pour sa part plus vite que la musique. Ne ressentant pas de réconfort particulier à observer et décrire la poursuite d’une crise devenue chronique, au prétexte que seul un anéantissement final – espéré par certains – pourrait nous permettre d’en sortir.
Comme si une telle apothéose dans le désastre était un passage obligé afin de passer à la suite. Constatant simplement une implosion toujours en cours, l’amenant à s’interroger à propos de ce qui pourra en résulter, à voir la tournure que prennent les événements, à commencer par l’incapacité et le refus du monde financier à se réformer, bientôt trois ans après que ses digues aient cédées.
La période, il est vrai, n’est pas à la manifestation d’un optimisme à tout crin quant à ce que réserve l’avenir, tant et si bien qu’il n’est pas superflu de prendre avec cette ambiance quelque distance. Pour raison garder. Il est à ce propos remarquable de constater que fort rares sont autour de nous les occasions d’être sollicités par la perspective d’une sortie par le haut argumentée de la situation actuelle. Sauf pour affirmer que tout va redevenir comme avant, la seule option dont on peut être certain qu’elle ne se réalisera pas.
Dans ce contexte, on ressent le besoin de passer à autre chose, de s’interroger autrement. Afin de ne pas s’en tenir au rejet de ce qui a fait son temps, tout en s’accrochant. Sans donc non plus connaître le chemin qui va être emprunté. Dans le but de faire oeuvre positive et de collectivement réfléchir à une alternative, en évitant l’usage de mots ayant beaucoup servis, car c’est leur contenu qui importe. Afin de bâtir un ensemble de nouvelles règles du jeu et de ne pas non plus rester enfermé dans les actuelles.
En apposant dessus dans les grands jours – faute de grand soir – l’étiquette de nouveau paradigme. Munis d’une unique certitude, après avoir perdu quelques illusions : le capitalisme, comme mode de structuration de l’activité sociale, n’est pas le stade ultime de développement de notre civilisation. Comment le pourrait-il à l’échelle de l’histoire ? Cela vaut donc la peine de penser à la suite.
Comment alors structurer celle-ci autrement ? Cinq premières pistes peuvent être maladroitement énoncées, autant d’objectifs de base à atteindre qui sont proposés.
1- L’un des fondements de notre société – bien que fort mal partagé – est la propriété, dont l’une des caractéristiques est de garantir à celui qui en bénéficie un droit exclusif d’utilisation à son profit. Progressivement restreindre ce qui est formellement un droit consacré en vue de faire disparaître la propriété, au bénéfice d’un usage partagé, est le premier acte fondateur qui pourrait être retenu. Le web en est la plus éclatante et massive démonstration annonciatrice de ce qui est possible.
2- Au vu des progrès gigantesques déjà enregistrés, et qui vont se poursuivre, qui permettent à des machines de se substituer au travail humain, le second principe serait de considérer le travail comme une activité sociale parmi d’autres, dissociant celui-ci de la distribution à tous les citoyens d’un revenu de base afin de subvenir à leurs besoins élémentaires. C’est dans ce contexte que les problématiques de la formation, du partage du temps de travail disponible et de la retraite doivent être appréciées. Au Brésil, la Bolsa familia est une application partielle mais à très grande échelle de ce principe.
3- Dans ce double contexte, il devrait être progressivement procédé à la sortie des rapports marchands et de la sphère monétaire de l’usage de biens et services vitaux, un premier pas pouvant être l’adoption de modèles économiques privilégiant la forfaitisation de leur usage dans certaines limites. Un exemple pour l’eau potable : un nombre de mètres cubes sont gratuits par famille, afin de subvenir aux besoins de base. Les mètres cubes supplémentaires sont payants et de plus en chers. Ce modèle, qui revient à faire payer par les gros consommateurs la ressource et pour lesquels cela représente un coût marginal, a été adopté localement en Afrique du Sud.
4- Dans le domaine financier, entrer dans une logique s’appuyant sur des mécanismes type bancor au niveau international et SEL au niveau local. L’objectif poursuivi étant de redonner à la monnaie sa stricte valeur d’usage au service de l’échange. Dans le domaine économique, la voie tracée serait d’appuyer le calcul économique sur une mesure de la richesse prenant en compte les externalités et la satisfaction des besoins de la société.
5- Enfin, pour aborder le domaine politique, l’objectif serait de privilégier les principes d’auto-organisation en faisant obstacle à la professionnalisation de toute démocratie représentative.
Le caractère radical et global de ces principes, les ruptures qu’ils représenteraient et les applications à inventorier qu’ils nécessiteraient, ne devraient pas être un obstacle à leur discussion. L’idée est de ne plus s’en tenir aux aménagements possibles du système – qui se restreignent – mais de partir de la configuration du suivant, en dépit de l’abstraction de l’exercice. En définissant les bornes – les dispositions concrètes – qui jalonneront les chemins conduisant à sa concrétisation. Afin de concilier utopie et réalisme, car le réalisme n’est plus de s’inscrire dans un existant en crise et de s’y accrocher.
534 réponses à “Quelles nouvelles règles du jeu ? par François Leclerc”
Bonjour .
Après avoir bien failli passer à autre chose et changer de paradigme de façon radicale pour cause d’ennuis cardiaques acte 2 , je reprends un peu d’air et de vie ici , en me concentrant sur l’article qui , en essayant d’avancer quelques pistes pour baliser un chemin vers … autre chose , creuse un peu le sillon des lignes de forces pour un avenir différents. Mon esprit encore bétabloqué me laisse cependant émettre quelques remarques à coup de serpe :
– le sujet de la propriété est effectivement crucial . J’ai déjà évoqué au fil des billets que le sujet était complèxe et revêtait des traductions , vraies , réelles ou virtuelles très diverses .Il nécessite pédagogie et accord sur les etrmes et les « réalités » in itinere .
Parmi les propriétaires les plus odieux , au retour de mon voyage derrière le miroir , je suis plus que jamais convaincu , qu’ils sont à rechercher parmi ceux qui se sentent , consciemment ou pas , propriétaires des autres et même , comble de l’abject , propriétaires de leurs enfants .
– J’ai bien noté qu’il ne s’agit que de » structurer autrement l’activité sociale » .
Bien que l’on voit apparaître un chapitre 5 plus » politique » , je pense cependant qu’un projet réduit à ces 5 pistes est insuffisant pour » entraîner » le changement de paradigme espèré . Certains commentaires ( Pégase , Jean Nimes ) ouvrent d’ailleurs le champs des pistes avec bonheur .
Je m’étonne que Schizosophie n’ait pas apporté ici un contrepoint qui serait bienvenu . Le changement de structure de l’activité sociale ( avec une certaine ambiguïté de ces termes que certains ont relevée ) n’a de chance d’aboutir et d’intérêt , que s’il est la déclinaison » économique » d’un changement des rapports sociaux tout court .
Le paradigme nouveau est donc d’un cran supéreur . On cherche dans le matériel politique un Fançois Leclerc ou une équipe du même acabit qui serait capable d’éclairer les changements à promouvoir , de ce nouveau paradigme de vie humaine . Il et elle devraient oeuvrer à coup sur dans le multicritère et armés de compétences aussi variées , voire contradictoires , que ingénieurs , philosophes , religieux , médecins , entrepreneurs , enseignants , communicants ,artistes ….pour mettre sur l’agora les choix à trancher par l’expression démocratique . Je n’ose plus évoquer 2012 ! L’affaire dépasse d’ailleurs largement le cadre franco-français .
Les cinq pistes mises en avant doivent y trouver leur place .
Je me réjouis d’avoir pu être , si le compteur du blog reste en cette position , le 477 ème commentaire de cet important billet .
En tous cas , même d’outre tombe :
Liberté , Egalité , Fraternité !
Bon retour au club !
@juan nessy: Tenez bon. Crever en 1788, ce serait trop con. 🙂
Juan, vous pensiez vraiment que le compteur allait rester bloqué à 477 ?!
On est un paquet à se réjouir de votre retour de ce côté du miroir, et si on rapplique tous ici, le billet de François va établir le record du blog !
Très heureux de vous lire à nouveau, juan !
On vous en voudra pas, mais on commençait à s’inquiéter… 🙂
@Juan Nessy
Pas si bloquants les bétas ! J’aurais effectivement apporté un contrepoint en tentant de le fonder sur les conditions de possibilité « d’un changement » volontaire « des rapports sociaux tout court ». Mais parce que l’enjeu est si décisif et ses perspectives si agréables, il exige bien mieux qu’un avis, ce qui implique du temps de rumination. Se contenter de casser du sucre sur le SEL ou d’abhorrer une fois de plus la valeur eût manqué d’élégance.
Cette contribution-ci n’aurait pas eu lieu si le plaisir de vous sentir revenu si fort de cet étrange détour n’avait pas traversé les pixels.
@ Francois Leclerc, Juan Nessy,
bonsoir,
La création de monnaie…l’unité du maître étalon des échanges. Comment faire évoluer le sens de l’argent, sa valeur morale, notre comportement?
« Osons », faire le choix d’attribuer à la « propriété » d’être vivant, humain, une valeur monétaire individuelle, égale, quotidienne, même très modique.
De quoi restaurer la valeur morale de l’argent, redorer le blason humain de nos appauvrissants capitaux, propriété du rapport de force et de l’inégalité.
La création de valeur décidée, reconnue, un choix par tous, pour tous. De quoi transformer le crédit, les rapports entre hommes et choses…
La part imaginaire de la valeur monnaie rapportée au réel, de quoi équilibrer la part réelle abandonnée à l’imaginaire (parfois délirant ou malade)?
Juste un peu d’amour, et de bonne volonté…Celui dont la pensée ne va pas loin verra ses ennuis de près (confucius).
A coeur vaillant, bonne rémission Don Juan.
http://www.youtube.com/watch?v=n1-Dg6qERhI&feature=related
Liberté, Egalité, Fraternité!
Quelles nouvelles règles du jeu?
Je lis ce matin que le Monde Diplomatique de Septembre 2010 consacre un article aux socialistes européens: « Des socialistes européens en quête de projet – Liberté, égalité… « care ». » (!)
Ce qui m’amène à la reflexion suivante au sujet du « care ». Madame Aubry ferait bien de réfléchir avant que de s’avancer dans cette voie là. Car, s’il y a bien un groupe qui a mis une sacrée pagaille dans le « care », c’est bien la gauche me semble-t-il… Et nous repartons dans l’histoire, là où certains s’en donnèrent à coeur joie de tout envoyer balader par dessus bord, avec pour motto « Moi, d’abord, mon ventre quand Je veux, comme Je veux…etc », « les enfants, le mari, la famille, la tradition, quelles aliénations! », » Vive l’émancipation! »… Pour finalement inviter toutes les femmes à se jeter dans le monde du travail et dans la machine économique….
Bref, que l’on ne me fasse pas rire. Mesdames les féministes, libérées et de gauche, en pensant à vous d’abord, vous n’avez aucune raison d’aller chercher – maintenant que tout chancelle – quelque raison d’être ou de vivre, ou bien tout simplement pour soulager votre conscience, du côté du « care » – et en disant cela, je ne me place pas à droite non plus.
Le « care » est une valeur ESSENTIELLE qui n’appartient ni à la gauche, ni à la droite. Elle n’a pas à être inscrite dans tel ou tel programme politique. Ne cherchez surtout pas à la récupérer. Par contre, il revient à nous TOUS de méditer cette valeur et de la mettre en pratique, maintenant, partout. Car, à l’heure actuelle, seule cette attitude profondément humaine de compassion, d’attention, de soin envers son prochain peut encore nous sauver. Le « care », c’est être humble et charitable avant tout, c’est être humain tout simplement, et nous l’avons oublié…
Il faut commencer par là, le grand ménage peut commencer…
– Il nous faut trouver au cours des 25 prochaines années l’équivalent de 4 fois l’Arabie Saoudite à mettre sur le marché juste pour compenser le déclin des gisements actuels. C’est simple, y a pas !
http://auxinfosdunain.blogspot.com/2010/09/la-face-cachee-du-petrole.html
– Après l’armée US, l’armée allemande s’inquiète des conséquences du passage du pic pétrolier.
Espérons surtout qu’ils n’en arrivent pas à vouloir détruire de la demande à coup de bombes nucléaires. Tiens, à quand le retour des fantassins ?
http://petrole.blog.lemonde.fr/2010/09/02/peak-oil-rapport-cinglant-de-larmee-allemande-revele-par-der-spiegel/
– La « normalité » sera bientôt redéfinie, mais par qui ? Par ceux qui n’ont pas pris conscience sur quelle base elle reposait et qui ont empêché le prise conscience collective ? Plus que probable. Je suis dépité par la perte de temps au regard de ce qui va nous tomber dessus. Et dire que l’on continue à fabriquer des moteurs à combustion et que l’on continue à diffuser des pubs alors qu’il faudrait lancer un plan Marshall exposant 1000. C’est à croire que l’illusion devient ressource. Pauvres hommes mais surtout pauvres petits d’hommes. Cela me fend le coeur.
Bonjour,
Il ne faut pas être dépité, cela ne sert à rien, cela fait trente ans que j’ai pris conscience de l’importance du pétrole, nous avons perdu un temps précieux et des quantités de barrils impressionnantes.
Qu’à cela ne tienne, la crise systémique est là et le capitalisme ne lâchera pas une miette, s’il ne peut croître par la croissance pétrolière il croîtra en mangeant le consommateur contribuable.
C’est ce qui se passe aujourd’hui et il faut s’en réjouir car c’est une manière (peut-être la seule) de faire réfléchir les gens, ce qui aura plus tard (peut-être plus tôt qu’on ne le pense) des conséquences favorables.
Il y a trente ans des gens comme moi étaient taxés de doux rêveurs, aujourd’hui nous sommes de plus en plus écoutés surtout qu’on avait prévenus.
Aux propositions de François Leclerc, je voudrais en ajouter une
Il dit ceci:
« il devrait être progressivement procédé à la sortie des rapports marchands et de la sphère monétaire de l’usage de biens et services vitaux, un premier pas pouvant être l’adoption de modèles économiques privilégiant la forfaitisation de leur usage dans certaines limites. »
On devrait également sortir les intérêts financiers de tout ce qui a trait au matériel concernant les économies d’énergies et le développement des énergies renouvelables.
Par l’intérêt, trouvez vous normal que certains se sucrent sur le dos des consommateurs de ces produits pour se payer des 4×4, piscine ou que sais-je encore?
Comment, je n’en sais rien, je ne suis pas économiste, mais je pense que ce serait une matière à réflexion pour un blog comme celui-ci.
Merci pour les liens.
@Peak.Oil.2008 Merci pour les 2x55mn d’Arte que j’ai pris le temps de regarder, peu d’infos que j’ignorais mais une excellente synthèse et monstration que la main invisible du marché peut être rendue visible au moins pour le pétrole, à consommer sans modération (l’émission).
@ Peak Oil.2010,
Merci pour vos liens, qui confirment ce que j’ai déjà entendu par ailleurs. En quelques mots: le plus est à venir.
Cordialement,
@Moi
Okay, on poursuit en bas ; m’étonnerait que quelqu’un suive encore de toute façon !
« Si l’individu est protégé par des droits en être, ce n’est plus selon vous la politique qui décide de ses droits. »
Si. Puisque c’est la politique qui décident des droits fondamentaux.
« En attendant la suite de vos arguments, je peux déjà vous dire que la fiction de l’individu source du droit n’a pas empêché les guerres et l’exploitation de l’homme par l’homme, y compris à l’intérieur des communautés. Comme l’histoire le démontre. »
Vous partez du principe que c’est la fiction de l’individu qui est à l’origine des guerres. Mon explication est tout autre.
L’individu est tenu depuis l’enfance par une obligation de respectabilité : se marier, avoir un bon métier, de beaux enfants, etc.
La communauté, en tant qu’organisme de taille supérieure, a en fait les mêmes travers, qu’ils se nomment compétitivité ou image de marque dans le monde.
Le conflit est inhérent à la division entre être et paraitre.
Terminant ma phrase, je m’interroge. Je demande si notre divergence ne se tient pas à notre définition de l’individu.
Ce qui vous conduirait à affirmer que l’individu est une fonction tandis que je considère que la personne est un but à atteindre.
Je précise donc que quand je dis individu je pense personne. Ce distinguo est essentiel dans la mesure où votre existence comme la mienne ne peut être tenu pour une fiction. Vous êtes, je suis. C’est un fait. C’est en outre la raison pour laquelle l’individualisme comme antithèse à la communauté ne me semble pas la question. En fait, je suis ailleurs.
« Autrement dit, une communauté qui travaille dans son intérêt, l’intérêt commun, respecte par définition le care. »
Etant donné que le care c’est « voyons voir ce que nous pouvons faire de bien dans ce monde imparfait » et non « Mais si le nez de Cléopâtre », je ne sais que répondre. J’ai plutôt envie de vous demander : si vous n’êtes rien en tant que personne, si vous n’êtes pas un créateur, comment faites-vous ici et maintenant pour influer la communauté à aller dans celui qui vous semble le bon ?
@Martine:
« Si. Puisque c’est la politique qui décident des droits fondamentaux. »
Si la politique (la communauté) décide, comme c’est effectivement le cas, ce ne sont pas des droits en être mais des droits en avoir. Je voulais dire par là que ce sont des droits donnés et non pas des droits constitutifs. La communauté par exemple n’attends des droits de personne, elle est le droit. Toute la théorie libérale est fondée sur les droits constitutifs de l’individu. Autrement dit, l’individu y est le droit et il donne des droits à la communauté. Fiction évidemment, mais qui permet de réclamer politiquement certains droits pour des intérêts privés en prétendant en même temps que ces droits ne dépendent pas du politique.
« Vous partez du principe que c’est la fiction de l’individu qui est à l’origine des guerres. »
Non, j’ai dit que la fiction de l’individu était à l’origine de certaines guerres. Ces dernières existaient bien évidemment avant la fiction de l’individu. Ce qui est à l’origine de la majorité des guerres c’est que les communautés obéissent parfois à des intérêts particuliers (et la fiction de l’individu a, entre autres, servi à manipuler la communauté en faveur d’intérêts particuliers).
« La communauté, en tant qu’organisme de taille supérieure, a en fait les mêmes travers, qu’ils se nomment compétitivité ou image de marque dans le monde. »
La communauté n’a pas ces travers, c’est un être politique, elle ne ressent pas l’orgueil, la peur, etc. Ce sont ses membres qui ressentent cela. Et ce sont certains membres qui réussissent à manipuler la communauté et qui trouvent le plus souvent intérêt à la guerre. Que ce soit par orgueil, comme sous Louis XIV, ou par intérêt économique d’une ploutocratie comme actuellement en régime capitaliste. On reconnait en général ces gens à ce qu’ils ne font pas la guerre eux-mêmes.
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de guerres dans l’intérêt général d’une communauté mais que cela est assez rare.
« Ce distinguo est essentiel dans la mesure où votre existence comme la mienne ne peut être tenu pour une fiction. Vous êtes, je suis. C’est un fait. »
Non, ce n’est pas un fait. Que nous existions ne signifie pas que nous soyons des individus. Nous ne pouvons déduire de notre conscience que le sujet existe. Nous pouvons juste déduire que quelque chose existe que l’on peut appeler « pensée ». C’est une critique que Nietzsche, ou même déjà Spinoza, avaient faite à Descartes. Et je ne parle même pas de la philosophie orientale, telle le bouddhisme, qui avait poussé très loin l’introspection et arrivait aux mêmes conclusions: l’ego est une illusion.
« En fait, je suis ailleurs. »
Je pressens au vu de ce que j’ai pu lire de vous que vous êtes une citoyenne. Après cela, la théorie importe, vous travaillez d’instinct à l’intérêt général.
« si vous n’êtes rien en tant que personne, si vous n’êtes pas un créateur, comment faites-vous ici et maintenant pour influer la communauté à aller dans celui qui vous semble le bon »
J’essaye d’être citoyen c’est-à-dire de réfléchir à ce qui serait dans l’intérêt général et non uniquement dans le mien propre. Dans les faits, ce n’est pas toujours facile.
@Moi
Je n’avais pas vu que vous aviez trouvé sur l’autre fil une contradictrice en la personne de VB qui, quant à elle, croit à l’individu mais pas à l’universel. Rendez-vous, vous êtes cerné ! 🙂
Cerné par des femmes. J’ai vu pire. 🙂 (j’ai cru comprendre, peut-être à tort, que VB était une femme)
@Moi
Oui, VB est une fille. Il me semble qu’elle se prénomme Valérie. C’est en tout cas ce qui me faisait drôle cette double prise à partie, si l’on peut dire : elle étant du côté de la partie (l’individu), vous du tout (l’universel), et moi du côté de la partie et du tout comme marchant ensemble.
Bien sûr en précisant les notions, les idées, nous n’avançons que mieux.
Voici par conséquent des extraits d’un texte de Monique Lanoix paru en 2008 dans les Ateliers de l’Ethique, la revue du CREUM (Centre de recherche en Ethique de l’Université de Montréal). Vous allez vite comprendre pourquoi je vous les signale.
« (…)
Eva Feder Kittay analyse la théorie de Rawls du point de vue d’une personne qui prend soin de quelqu’un qui ne peut survivre sans son aide ; c’est-à-dire une aidante. Le but de Kittay est de comprendre l’impact des activités d’aidante pour cette citoyenne-aidante qui est aussi une adulte «productive». Dans un certain sens, Kittay reprend la critique de Susan Moller Okin envers la théorie de Rawls en ce qui concerne la place de la famille dans sa théorie de la justice, mais elle pousse sa critique encore plus loin. Selon Kittay, si Rawls ne peut penser la famille c’est qu’il n’y a pas de place dans sa théorie pour d’autres types de personnes que celles qui sont tout à fait isolées les unes des autres et qui n’ont personne à charge ; ces personnes sont non seulement autonomes, elles sont aussi autosuffisantes. Cependant, selon Kittay, la dépendance est un fait humain que nous ne pouvons pas ignorer puisque personne ne peut se suffire à soi-même. Nous sommes entièrement dépendantes durant nos années d’enfance et de jeune adolescence et cette dépendance peut redevenir importante à un âge avancé. Pour Kittay, l’une des circonstances fondamentales de la justice (circumstances of justice) est la dépendance dont toute théorie de la justice doit tenir compte. Elle soutient, dans Love’s Labor, que la justice rawlsienne sera toujours biaisée en ce qui concerne les personnes dépendantes et leurs aidantes parce que la citoyenne est implicitement pensée comme étant autosuffisante. Kittay soutient que les personnes ayant besoin d’une aide considérable en raison de déficits cognitifs importants ne sont pas citoyennes au sens rawlsien. Ces personnes n’ont pas le statut de citoyenne car elles ne peuvent participer aux interactions qui prennent place dans la sphère publique. Kittay souhaite cependant que ces personnes aient une place dans la société car, selon elle, une personne qui ne peut pas participer à la vie publique, parce qu’elle n’a pas la capacité de s’engager dans un rapport de réciprocité, défini de façon restreinte, est une personne qui fait quand même partie de la société. Si cette personne ne peut exercer un droit de vote parce qu’elle ne possède pas la capacité intellectuelle qui lui permet de le faire, elle doit quand même être protégée par la société. Pour Kittay, les droits à la protection de cette personne relèvent de la justice et non de la charité car les lois doivent garantir une certaine sécurité pour toutes. Alors, où situer de telles personnes dans une théorie politique ? Selon Kittay, la théorie rawlsienne ne peut accommoder ces individus et ceci présenterait un grave problème.
(…)
Nous constatons dans les écrits de Kittay une critique qui vise aussi l’ontologie sociale du libéralisme rawlsien même si Kittay n’utilise pas ce terme dans ses textes. Puisqu’elle est en désaccord avec l’idéal de la citoyenne comme individu «productive», Kittay conçoit la société comme un endroit où des personnes de capacités variées cohabitent et où les services qui relèvent de la justice ne sont pas offerts seulement aux citoyennes dites « productives ». Elle nous indique un nouveau chemin pour repenser la société comme un espace intégrant toute personne, capable ou non.
(…)
L’éthique de la sollicitude est une théorie qui peut reconnaître et intégrer les individus avec déficits importants car elle pose d’emblée que le lien entre concitoyennes n’est pas limité aux rapports entre adultes productives. L’apport de la sollicitude est qu’elle permet malgré tout de penser la citoyenne comme un être qui peut être de très jeune âge (donc incapable de consentir à un contrat quelconque ou même de faire confiance) ou très âgée avec des déficiences cognitives importantes. La sollicitude nous aide à nous défaire du paradigme de la citoyenne comme être adulte et essentiellement productif. Par le biais de l’éthique de la sollicitude, il devient plus facile d’appréhender dans toute sa complexité le lien qui peut se tisser entre les citoyennes et l’État et comment se lien peut évoluer. Car le rapport de la citoyenne avec l’État ne sera pas le même tout au long de sa vie, il changera. Par exemple, un enfant aura un rapport avec l’État qui sera différent de celui qu’elle aura comme adulte. Ces changements sont perçus par les différents droits de citoyenneté auxquels elle fera appel. Une enfant n’a pas le droit de vote ; cependant elle aura des droits quand à la sécurité de sa personne. Ses droits politiques sont donc inexistants tandis que ses droits civiques sont primaires.
(…) »
Le texte se trouve ici (j’espère que le pdf fonctionne) :
http://www.creum.umontreal.ca/IMG/pdf_05_Monique_Lanoix.pdf
Je partage tout à fait cette critique de la théorie rawlsienne. C’est ce qui arrive lorsqu’on part d’une fiction (l’individu), on se retrouve avec des réalités qui ont du mal à rentrer dans le cadre (handicapés, enfants, embryons, etc).
Dans les faits, c’est évidemment la société qui décide qui est quoi et qui a des droits et lesquels.
Je ne vois pas l’intérêt d’introduire une nouvelle théorie comme l’éthique de la sollicitude, si ce n’est à mettre une rustine sur une théorie déficiente.
La critique de Rawls par le care est surtout une critique de la notion abstraite de citoyen et de ses insuffisances. Vous remarquerez que je prends soin de ne pas dire le citoyen comme fiction. La fiction pouvant être un idéal et donc une réalité en marche. Tout comme la personne est, pour moi, une réalité en devenir.
Toujours est-il que je pensais ces extraits suffisamment explicites pour que vous y réfléchissiez plus avant et que nous en débattions. Mais surprise, vous tenez tellement à votre blâme de individu comme fiction que vous tombez d’accord avec vous-même en croyant reconnaitre chez les théoriciennes du care un écho à votre propre postulat. C’est un peu gênant pour poursuivre, avouez.
Il est difficile de continuer à débattre si l’on est d’accord. Le care est une critique de la notion abstraite de citoyen, dites-vous. Je n’y vois qu’une critique de la notion abstraite de l’individu. A la base de la théorie libérale de Rawls, il y a l’individu et non le citoyen. Et je ne peux qu’être d’accord.
Le citoyen n’est pas une notion abstraite, c’est tout ce qui participe de manière politique à la puissance de la communauté*, autrement dit c’est un membre de la communauté. Dire par exemple qu’un citoyen est quelqu’un qui vote (ou résumer la vie politique de la communauté à des élections), c’est ne pas comprendre ce qu’est un citoyen et le confondre avec un individu (ce qu’ont fait toutes les théories du contrat social, y compris Rousseau).
Il y a un corollaire important: tous les citoyens ne sont pas égaux en droits. Ce qui correspond à la réalité. (et cela ne contredit en rien qu’en tant que citoyen je lutte pour l’égalité des droits de tous les membres de la communauté, car je pense que c’est dans l’intérêt général)
Ce que je reproche au care, c’est de continuer à débattre dans un cadre fictif (dans lequel il y a des individus, etc, ce en quoi ils se tirent une balle dans le pied). Pas son objectif.
*Il est faux de dire: « Une enfant n’a pas le droit de vote ; cependant elle aura des droits quand à la sécurité de sa personne. Ses droits politiques sont donc inexistants tandis que ses droits civiques sont primaires. » Si l’enfant n’avait pas de droits politiques, il n’aurait aucun droit tout court. La politique c’est être membre de la communauté et participer à la volonté générale. Les droits politiques sont la capacité d’influence sur la volonté générale. Par sa simple présence l’enfant participe à la vie politique de la communauté, il n’a pas besoin de voter pour cela. Tout comme les animaux, les plantes, etc. Preuve en est que les lois ont changé sous la pression de membres de la communauté qui n’avaient pas de droits de vote, par exemple le mouvement féministe avant que les femmes ne puissent voter. Comment auraient-elles pu faire bouger le rapport de forces politique sans avoir de droits politiques? Elles étaient donc citoyennes avant que la loi ne dise qu’elles l’étaient. Tout ceci devrait être évident pour les gens, mais on les enferme dans des fictions qui les empêchent de faire valoir leurs droits politiques en toute conscience, de façon à ce qu’ils ne réclament pas ce qui leur est dû dans les droits civils (et non pas seulement civiques) accordés par la communauté.
@Moi
Je ne souscris pas l’idée que la citoyenneté doive englober toutes les dimensions de l’être.
Je suis fondamentalement attachée au fait que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme distingue l’Homme du Citoyen. Permettez-moi de vous citer Bataille. Juste deux phrases : « Ce qu’un être possède au fond de lui-même de perdu, de tragique, la « merveille aveuglante » ne peut plus être rencontrée que sur un lit. Il est vrai que la poussière satisfaite et les soucis dissociés du monde présent envahissent aussi les chambres : les chambres verrouillées n’en demeurent pas moins, dans le vide mental presque illimité, autant d’îlots où les figures de la vie se recomposent. »
C’est cette part privée, intime, solitaire de l’être, qui appartient en propre et relie les hommes aux hommes par-delà le lien social et le fait politique, que je considère comme importante. Non seulement parce que cette distance me parait garante de circulation, mais également parce que suis convaincue que c’est grâce à cet extérieur impliquant l’univers que l’homme peut se dire et se penser citoyen.
Comme je ne vais pas vous convaincre – convainct-on* jamais personne de toute façon ? Pas sûre. – laissez-moi surtout vous remercier pour ce très bel échange.
*Convainct-on ou convainc-t-on ? Humm…
@Martine: « C’est cette part privée, intime, solitaire de l’être, qui appartient en propre »
Effectivement Martine, nous ne nous convaincrons pas. Vous croyez dans le paradigme de l’individu (cet être qui a quelque chose en propre), pas moi pour qui la communauté elle-même n’est qu’un découpage artificiel (le politique) de la réalité indifférenciée. Néanmoins, notre débat a été très utile, pour moi en tous cas et j’en suis très satisfait car il m’a fait prendre un peu plus clairement conscience de mes conceptions. Je vous en remercie, car c’est grâce à vos questions et critiques qui furent toujours pertinentes.
pardon, je m’émisse dans votre débat et juste le temps malheureusement d’un coup d’oeil sur votre dialogue, le temps me presse. je repense à ce qu’écrit Cl. Rosset in « Loin de moi. Etude sur l’identité » / éd Minuit.
« L’identité personnelle est ainsi comme une personne fantomale qui hante ma personne réelle (et sociale), qui rôde autour de moi, souvent à proximité mais jamais tangible ni attingible, et qui constitue ce que Mallarmé, dans le premier de ses Contes indiens, appelle joliment sa « hantise ». Mon fantôme le plus familier sans doute, mais enfin mon fantôme ; et un fantôme n’est jamais qu’un fantôme même s’il vous visite de près et se décide même parfois à prendre carrément votre place […]. et même si ce moi social est lui-même pris dans les jeux de miroir et de l’illusion (curieuse alliance avec la pensée de Krishnamurti).
+ tard dans « La force majeure » in « Post-scriptum : le mécontentement de Cioran », « Reste pourtant une dernière hypothèse : celle d’une satisfaction totale au sein de l’infime même, semblable à la jubilation amoureuse telle que le décrit La Fontaine [… La Fontaine introduisant les Animaux malades de la peste « Plus d’amour, partant plus de joie »… ]. Hypothèse absurde et indéfendable, répète inlassablement Cioran. Mais c’est justement là le propre de la joie de vivre, et je dirais son privilège, que de s’éprouver comme parfaitement absurde et indéfendable : de demeurer allègre en pleine connaissance de cause, en complète possession des vérités qui la contrarient davantage. » p. 101.
+ tard Rosset in Impressions fugitives Clément Rosset, Chap.9 :
« il existe certains doubles qui sont au contraire [de ceux étudiés jusqu’ici] des signatures du réel garantissant son authenticité : telle l’ombre qui vient à manquer à la femme sans ombre, dans l’opéra d’Hofmannsthal et Richard Strauss ; tels aussi le reflet et l’écho » […]
« Ces doubles-ci, qu’on pourrait appeler doubles de proximité ou doubles mineurs, comme il y a des ordres mineurs, ne sont pas des prolongements fantomatiques du réel, mais des compléments nécessaires qui sont ses attributs obligés (pourvu qu’il y ait, naturellement, une source de lumière pour engendrer l’ombre, un miroir pour refléter, une falaise quelconque pour produire l’effet d’écho). S’ils viennent à manquer, l’objet perd sa réalité et devient lui-même fantomatique ».
exercice d’amour de la réalité… non sans l’épreuve du réel…
Cadeau petite vidéo
http://www.vimeo.com/groups/experimentalvideoart/videos/2927950
@roma: ben, en un coup d’oeil vous avez tout compris du débat. La première citation de Rosset résume tout à fait ce que je pense.
Je ne pense pas que le terme de « paradigme » convienne qui étaierait vos propos en cinq points.
L’usage du mot paradigme, revenu au dessus l’atlantique par ici, provoquait il y a une dizaine d’années fructueuses interrogations…
Il ouvrait le champs vide de l’innocence à celui propre de nos présupposés, afin que nos attachement investissent en meilleure place possible un domaine possible à étendre.
Je ne saurais être plus pisse-froid, et pourtant, si je n’approuve pas le mot « paradigme » engagé dans votre article, je suis en sympathie générale avec vos propos, avec la quête initiée ainsi que vous le faites.
Paradigme est un mot de grammairien, et notre société ne serait-elle que langage (?), c’est certainement à la constitution de nouvelles formes que vous en appelez, aux écrivains en quelque manière…
La forme sociale s’entendant ici, qu’elle soit convenablement habitable entre tous, cela doit aller de soi.
Est-ce une bonne méthode la tentative de substituer une efficience l’autre, ainsi que suggérée comme je subodore par « l’essai paradigmatique », pour s’éloigner d’une forme capitaliste dite faillie, peut-être plutôt en faillite, voire à faillir, alors la réformer ?
Le changement de paradigme est chose violente, et même si envisageable autant qu’audible, elle n’est pas possible sans transition cataclysmique:
La forme dans laquelle ce changement s’opèrerait, englobant ou s’applique cette méthode, elle ne résisterait pas, s’effondrerait immédiatement en provoquant une métamorphose si soudaine, qu’elle serait sublimation.
Un rôle révolutionnaire donc, et en voulons nous?
Par exemple, considérant la crise Argentine, ballon d’essai en changement de paradigme pour l’économie, les substitutions expérimentées furent véritablement une expérience paradigmatique.
L’épreuve était en cette sorte de paradigme qu’on peut admettre étant posée « la contre-valeur en monnaie ».
L’exemple de l’argentine n’est pas anodin car il permet d’apprécier, sur la voie du remaniement de paradigme, que ce remaniement, s’il a bien eu lieu alors là-bas, il a été opéré par qui occupe une toute autre position que la votre comme vous instiguez.
Le capital a vidé les lieux, suivant sa propre gouverne, et le changement de paradigme a pu démontrer ses effets.
Dans ce que vous instiguez alors nous conviant, nous ne sommes pas en mesure de le faire: changer de paradigme, d’une autre manière s’entend qui redéfinirait valeurs et contre-valeur en monnaie par exemple, et pourquoi pas la même.
Pour être en mesure de faire ainsi, il faut être le détenteur du capital, ce que, sauf extraordinaire conviction remise à ce détenteur de redéfinir valeur et contre-valeur en monnaie par exemple, nous ne sommes pas.
Cela paraît , sinon spécieux, désespérant!
Pas tout à fait, car en effet du changement de paradigme en Argentine avec la vidange de l’officielle monnaie, sont apparues des monnaies de circonstance, pour prolonger la nécessité de l’échange entre tous, nécessité .absolue dans un contexte dramatique.
Plus tard, tandis que courrait encore cette fausse monnaie, des richesses s’étaient constituées, puis revint progressivement l’officielle monnaie.
Si le changement de paradigme a bien opéré en effets, cela fut à l’origine par qui n’a pas eu besoin de réfléchir, à l’arrivée avec ceux qui on agît aux conséquences d’une contrainte apparue autant soudaine que bizarrement extérieure.
Alors,
Il y a un discours actuellement en droite profonde autant ubuesque que récurrent, mais honteux, qui consiste à intimer à tout opposant, à tout dénonciateur du modèle capitaliste fournir « LA » solution qui pallierait aux errements avec lui qui se constatent.
Cela peut-être au motif que sa doctrine aurait depuis longtemps et jusqu’ici porté tout le poids du monde avec mérite, un mérite d’évidence suffisant pour attendre et observer, depuis l’ailleurs suffisant, une indignation recélant départ hors une sorte d’Argentine globalisée.
Si je dis honteux, c’est que hors l’Argentine globalisée, plus loin que les pays émergents il y aurait la lune!
Peut-être,
s’il m’est impossible de croire possible un changement de « paradigme », comme je le prétends plus haut, et puisque quiconque joue les Cassandre doit proposer une solution, et puisque je ne la sais pas LA solution, je propose en manière de rigueur intellectuelle, que s’emploie le mot « greffe » pour signifier l’apparition de nouvelles formes où la monnaie instigue valeurs anciennement qualifiées et , nouvelle monnaie instigue nouvelles valeurs comme vous les qualifiez ici en cinq propositions.
Tout mon dire est affreusement chichiteu apparemment, mais au moins contient-il l’idée d’apparition de formes nouvelles greffées sur d’anciennes à condition de survie réciproque, de formes souhaitables mais sans financement connu admis au prémisses d’une doctrine, de champs ouverts aux tentatives de moindres échelles, et l’abandon de l’idée d’un possible investissement radical et substitutif qui n’aille pas sans guerre.
Greffer de nouvelles formes aux formes existantes, revendiquer leurs indépendances consécutivement pourquoi pas, mais abandonner l’idée que c’est à l’intérieur et dans l’économie d’une forme globalisée, finie et contourée que les combats doivent se poursuivre, il le faut.
Semblable greffe a eu lieu à l’envers un temps, et continue à avoir lieu, avec l’envahissement des territoires des états par les marchés.
Il faut parier que cela est réversible, ne pas croire trop longtemps à la régulation par les états hôtes si poussent de trop lourds greffons, ne pas plus croire pouvoir reconstituer et raffermir les fibres du bien commun, mais replanter pour que croissent ces fibres: pas de changement de paradigme…, une œuvre ré-initiée qui se rajoutant déplace peu à peu, remplace même.
Il y a suffisamment de choses inconnues dont financer nouvellement l’apparition se doit, et pour cela il est faux de dire que le monde est trop petit.
Il y a suffisamment peu de choses nécessaires bien connues pour que leur gestion rigoureuse ne soit plus confiée aux marchés.
Je ne crois pas qu’il puisse y avoir de problème d’interprétation sur le mot « paradigme ».
« Paradigme »: Système de représentation, de valeurs, de normes qui influent sur la perception du monde (ds Le nouveau Petit Robert – 2008).
Un changement de paradigme est nécessaire, c’est évident. N’allons pas compliquer les choses, elles sont déjà assez compliquées comme cela. L’heure est à la sim-pli-fi-ca-tion. Malade de théorisation, notre société a un grand besoin de méditer le vers quoi elle veut – et doit – s’orienter, et en particulier d’énoncer, clairement, les normes et les valeurs vers lesquelles ré-orienter et construire l’Europe de demain. Nous avons besoin d’une Europe capable de défendre des valeurs qui puissent re-lier, solidariser les hommes de tous horizons, dans le respect de leur diversité.
Mes lectures, ma reflexion, la vie de tous les jours m’ont conduite, comme d’autres l’ont déjà fait – Sommes-nous enfin disposés à les entendre? Qui nous empêche de percevoir leur message ? – à ne plus envisager notre société, et celle que nous lèguerons à nos enfants, qu’empreinte d’une profonde humilité et d’une attention désintéressée à tout ce qui touche l’humain. Cette éthique nous replongeant dans le respect du temps cyclique, doit réintégrer l’homme dans la compréhension d’un univers non plus linéaire et de compétition mais dans celui d’un univers où l’attention et la méditation sur le cycle de nos vies, éternel balancement entre la vie et la mort, doit nous faire réaliser que là doit se jouer ce changement de paradigme, là et pas ailleurs.
« What we need is a new frame of mind, rejecting unalloyed selfishness. We seek a widely acceptable ethic of caring for our fellow beings, caring for our home on Earth. It is within such a value system of caring that sustainable improvement in the quality of life can become the central focus of policy.
Based as it is on constant interaction, « care » has the capacity to promote egalitarian attitudes and practices. We believe that care must be made visible… » (Caring for the Future: conclusions and recommendations, in « Scanning the Future – 20 Eminent thinkers on the World of Tomorrow » – 1999 Thames & Hudson Ltd, London , p. 140).
A suivre…
Rendre visible le « care » – Entre modernité et tradition:
Rendre visible le « care »: une solution, le blog de PJ…
Le nouveau paradigme du « care », vous le préssentez sans doute, peut nous ramener là dans cette pénombre, cet espace privé et intime où la vie émerge et se modèle… espace inquiétant pour une société assujettie aux Lumières, aveuglée par les lumières et se voulant lumière d’un monde insaississable…
L’obscurité, c’est bien là où commence le « care ». Le paradigme du « care », contrairement au paradigme du progrès et du techno-économique, ne peut que prendre forme d’abord dans l’in-vi-si-bi-li-té. Rendre visible le « care », c’est accepter et reconnaître le non-visible. Hannah Arendt écrit dans « La crise de la Culture » » (ed. Gallimard, 1972): « Toute vie, et non seulement la vie végétative, émerge de l’obscurité, et si forte que soit sa tendance naturelle à se mettre en lumière a néanmoins besoin de la sécurité de l’obscurité pour parvenir à maturité. C’est peut-être ce qui explique que si souvent les enfants de parents célèbrent tournent mal: la célébrité s’insinue entre les quatre murs, envahit le domaine privé, apportant avec elle, surtout dans les conditions actuelles, la lumière impitoyable du domaine public, qui vient inonder toute la vie privée de ceux-ci, si bien que les enfants ne disposent plus de l’abri sûr où ils peuvent grandir. »(p.239)
Ce « non-respect des conditions de la croissance vitale » dont Hannah Arendt parle est bien à mon avis LE mal de notre société moderne. Le paradigme du « care » peut inverser ce caractère mortifère que notre société, soi-disant « éclairée », a encouragé, voire stimulé. C’est d’abord dans l’invisible que cette éthique de l’Attention, du souci de l’Autre, du devoir envers l’Autre se devine et s’ébauche.
Être invisible « dans notre monde humain où sont et deviennent si puissantes les forces de séparation, repliement, rupture, dislocation, haine « , pour ensuite travailler à la « reliance », car, pour reprendre les mots d’Edgar Morin dans « La méthode- 6. Ethique (p39), « nous sommes à la pointe de la lutte pathétique de la reliance contre la séparation, la dispersion, la mort ».