Billet invité.
LE VIF DU SUJET
Les décisions du Comité de politique monétaire de la Fed sont aujourd’hui saluées par une chute générale des marchés boursiers. Soit, est-il expliqué par certains, parce que les mesures adoptées confirment le retour prochain de la récession, soit parce qu’elles sont considérées comme trop timorées et insuffisantes pour la prévenir, expliquent d’autres. A lire les commentaires des traders, les marchés semblent craindre tout et son contraire.
Aux Etats-Unis, l’installation d’un chômage structurel, la faiblesse de la demande qui en résulte (dont l’origine est aussi à trouver dans la pression qui s’exerce sur les salaires), ainsi que l’impossibilité de procéder à une relance budgétaire contribuent à dresser une toile de fond inquiétante, qui est maintenant installée. Les milieux d’affaires, comme le panel du Wall Street Journal vient de le mettre en évidence, en sont venus à considérer que la déflation était désormais l’ennemi public n°1, le danger du retour de l’inflation passant au second plan. C’est bien une époque, décidément, qui s’achève. D’autant que tous les commentaires reconnaissent que la déflation sera plus difficile à vaincre que l’inflation, et de s’en inquiéter.
On commence à envisager sérieusement que la Fed pourrait se trouver à court de munitions. Que la question n’est pas tant qu’elle aille prochainement, ou non, au-delà de ce qu’elle vient de décider, en se réengageant dans une politique de création monétaire à grande échelle, que tout le monde semble considérer comme une éventualité vraisemblable. Mais que l’effet de cette politique est tout simplement incertain. Les instruments monétaires ont leurs limites, qui pourraient avoir été trouvées. La relance du crédit bancaire grâce à l’injection de nouvelles liquidités pourrait-elle réellement, dans ces conditions, être en mesure d’éviter – et même de combattre – la récession qui s’annonce ? Rien n’est moins certain.
L’exemple du Japon, dans un contexte certes différent, n’est pas là pour rendre optimiste ceux qui aux Etats-Unis s’interrogent en ce sens. Car le resserrement du crédit qui est constaté en Amérique est plus à mettre sur le compte de l’insuffisante qualité de la demande, en raison de la crise économique, que sur l’absence de liquidités, car les banques ne prennent plus de risque, tout du moins dans ce domaine.
Le Département du Commerce américain vient aujourd’hui d’annoncer, pour le troisième mois consécutif, une forte hausse du déficit commercial. La raison en est une nouvelle baisse des exportations, contredisant les perspectives de relance économique et de croissance tracées par Barack Obama. Et mettant en cause tout l’échafaudage budgétaire des prochaines années. La baisse des exportations est particulièrement importante dans les biens d’équipement (-3,8%) et les fournitures industrielles (-3,0%), deux secteurs traditionnellement forts à l’exportation. Ce n’est décidément pas demain la veille que les Etats-Unis, première puissance économique et financière mondiale, tireront à nouveau l’économie mondiale.
Des Etats-Unis qui trébuchent lourdement, une Europe prise au piège de la dette publique et privée en dépit de l’accalmie actuelle, une Chine qui peine à résorber une bulle financière qui menace désormais son système bancaire : le tableau d’ensemble n’est pas rose. Chacune de ces situation a sa propre logique, très incertaine. Mais, combinées, elles laissent peu de chance à une relance prochaine globale de l’économie. Au contraire, la contagion d’une récession américaine, si elle se confirme, ne pourrait qu’accentuer les difficultés déjà rencontrées en Europe et en Chine. C’est bien pourquoi tous les regards sont braqués sur les Etats-Unis, après l’avoir été sur l’Europe.
Que l’on est loin du schéma idéal suivant lequel les pays émergents allaient tirer d’affaire les pays occidentaux et les aider à sortir de la crise ! Ainsi, si les Américains, face à la menace accrue d’une déflation, devaient faire fonctionner la planche à billets, il en résulterait une baisse du dollar qui menacerait les exportations européennes. Les plans d’austérité européens pourraient de leur côté ralentir la croissance économique et pénaliser les exportations américaines et chinoises. Dans l’immédiat, la hausse incontrôlable du yen par rapport au dollar et à l’euro menace la croissance japonaise qui repose sur les exportations. Enfin, il est désormais reconnu que les Chinois ne pourront que lentement développer leur marché intérieur et qu’ils vont continuer à inonder les pays occidentaux de leur production, ainsi qu’à dégager d’énormes surplus commerciaux, ayant comme principale préoccupation d’éviter l’explosion dévastatrice de leur gigantesque bulle financière. Le monde est global, la crise n’est pas compartimentée.
L’un des principaux intervenants sur le marché obligataire américain, PIMCO (Pacific Investment Management Co), ne fait plus preuve d’une grande originalité en annonçant une fois de plus une prochaine chute du marché des valeurs immobilières et de celui des actions, accompagné d’une remontée de celui des obligations. On constate déjà très clairement cette tendance sur les marchés, inversant la précédente. La valeur des obligations augmente à mesure que leur rendement chute, sous l’effet de l’intervention de la Fed et de la demande qui se présente. En raison de la menace d’une récession, la Fed n’a pas d’autre choix que de maintenir les taux obligataires aussi bas que possible pour une très longue période.
Dans cette nouvelle phase de la crise, un paradoxe est à relever. Plus l’économie américaine s’approche d’une nouvelle récession, plus les obligations d’un Etat aux abois sont recherchées par les investisseurs privés. Ou tout cela mènera-t-il ? L’Etat, sa monnaie et les marchés ? Quand on s’interroge sur la forme que prendra la prochaine phase de la crise, peut-être peut-on trouver dans ce paradoxe un premier élément de réponse.
Les détenteurs chinois de la dette américaine semblent en être parfaitement conscients, mais ils sont pris au piège. De manière remarquée, ils viennent d’investir lourdement dans la dette japonaise à court terme, car ils considèrent que le risque y est moindre, ce qui est tout relatif. Le yen étant appelé à continuer de monter, contrairement au dollar, les bas taux offerts par les Japonais ne les rebutent pas. Cette décision illustre la crainte des autorités chinoises que la Fed en vienne à faire fonctionner la planche à billet, précipitant la chute du dollar et érodant la valeur des énormes investissements déjà réalisés dans la dette américaine. Nous sommes là dans la dimension monétaire de la crise, qui petit à petit prend sa place.
Comme tout investisseur dans une telle situation, les dirigeants chinois cherchent en priorité à minorer les risques avant de penser à majorer les profits. Ils diversifient autant que faire se peut leurs investissements, après avoir pris leurs distances avec les obligations émises en euro. La seule attitude est d’agir dans le court terme – ce qu’ils font – afin de pouvoir s’adapter à une situation mouvante et imprévisible. Si les Etats-Unis s’enfoncent dans la récession, ce jeu va encore se tendre.
En attendant que la Fed apporte des précisions à la politique qu’elle entend mener dans l’immédiat, une autre prochaine échéance va permettre de mieux apprécier la situation américaine. Une grande rencontre réunissant toutes les parties prenantes du marché immobilier se tiendra à Washington le 17 août prochain, en vue d’élaborer un projet de réforme du financement du logement que l’administration Obama entend déposer sur le bureau du Congrès d’ici janvier prochain.
C’est le sort de Fannie Mae et Freddie Mac qui sera au centre des discussions, alors que ces deux agences gouvernementales viennent une fois de plus de demander au Trésor de combler de nouveaux trous financiers. A l’occasion de la conférence, ce dernier a rappelé que « le secteur du logement est d’une importance vitale pour l’avenir de notre pays. C’est un secteur clef de notre économie, qui soutient des millions d’emplois dans la construction, les industries, l’immobilier, la finance et d’autres secteurs. Qui plus est, le logement est le plus gros investissement financier de nombreux Américains ».
« Le rôle joué actuellement par l’Etat dans le marché du financement du logement n’est ni viable ni acceptable » a-t-il cependant reconnu, car Fannie et Freddie garantissent 90% des nouveaux prêts immobiliers et au total plus de 5.000 milliards de dollars d’emprunts immobiliers. Ce qui revient à dire que l’ensemble du marché est sous le contrôle de l’Etat, qui ne sait comment se dépêtrer avec sa crise chronique et profonde. Toute la question va être de savoir comment celui-ci va tenter, au moins partiellement, de se désengager sans accentuer la crise du marché immobilier, qui continue de faire preuve d’une très grande fragilité. Le pilotage de ce dossier va requérir beaucoup de doigté avec peu de moyens.
Décidément, l’économie américaine exhibe une grande faiblesse, même les mégabanques ayant annoncé pour le 2éme trimestre des résultats nettement en retrait des précédents. Même pour elles, si décriées pour leurs profits flamboyants, le business n’est plus ce qu’il était.
Un autre aspect de la situation mérite d’être suivi, plus que pour l’anecdote, car des surprises ne sont pas à en exclure. La pléiade des organismes régulateurs américains doit désormais se consacrer dans l’urgence à l’immense tâche que va être la mise au point des centaines de règles et dispositions précises destinées à remplir les blancs laissés par la loi Dodd-Franck de régulation financière, maintenant qu’elle a été adoptée. Un véritable travail de Romains qui pourrait prendre des années, créant en attendant des situations ubuesques. Une très sérieuse confusion risque en effet de s’installer, faute de règles du jeu claires.
Premier épisode en date, les agences de notation – qui pourraient maintenant être tenues financièrement responsables des conséquences de leurs notations – ont refusé que celles-ci soient utilisées, comme c’est la règle, dans le cadre de transactions sur le marché obligataire. Il a fallu que la SEC intervienne pour débloquer la situation, autorisant que la transaction soit effectuée sans référence aux notes des agences…
La mesure du risque au sein des établissements bancaire pourrait également devenir un vrai casse-tête, en raison d’une proposition conjointe de 4 régulateurs, dont la Fed et la FDIC, qui ont engagé une consultation publique en vue de jeter les bases d’un nouveau système d’évaluation indépendant des agences, impliquant de ne plus utiliser leurs notations. Des milliers de banques ne disposant pas de très onéreux modèles d’évaluation du risque, et dans l’obligation de le calculer, se retrouvent dans l’immédiat assis entre deux chaises.
Promettant que tout allait être fait pour accélérer la mise au point de la réglementation, Tim Geithner, secrétaire au Trésor, n’a eu comme ressource que d’exhorter les établissements financiers à agir par eux-mêmes dans l’immédiat: « n’attendez pas que Washington ait rédigé chaque réglementation avant de changer la façon dont vous faites des affaires… » a-t-il proposé lors d’une intervention remarquée à New York University, la semaine dernière, précisant à toutes fins utiles que « nous ne prendrons pas le risque de tuer la liberté d’innover qui est nécessaire à la croissance économique ».
L’affaire ne s’annonce pas si simple que cela, et c’est là où cela devient plus intéressant. La loi Dodd-Franck adoptée, les observateurs les plus attentifs et critiques ont émis la crainte que les lobbies bancaires donnent toute la mesure de leur pouvoir de nuisance et agrandissent encore ses gigantesques trous, les projecteurs éclairant le Congrès éteints, les régulateurs à pied d’oeuvre dans leurs bureaux. Mais les batailles risquent d’être sévères, bien que feutrées, certains régulateurs ayant une revanche à prendre après avoir été sévèrement mis en cause pour n’avoir rien vu venir à l’occasion du démarrage de la crise.
La FDIC, qui a la tâche de mener à bien les liquidations ordonnées des groupes bancaires et des sociétés financières non bancaires en faillite, a ainsi annoncé la création d’un Bureau destiné à surveiller, et si nécessaire démanteler, les « institutions financières complexes ». Celui-ci effectuera « des examens et une surveillance continue des groupes bancaires ayant plus de 100 milliards de dollars d’actifs, ainsi que les sociétés financières non bancaires désignées comme d’importance systémique par le nouveau Conseil de surveillance de la stabilité financière », a-t-elle annoncé. Ce qui n’est pas sans empiéter sur les nouvelles prérogatives de la Fed elle-même, qui est sensé chapeauter ce Conseil.
Finalement, n’est-ce pas des Etats-Unis, en raison de la profondeur de la crise qui traverse la société et en dépit des difficultés qu’elle rencontre à faire face à la nouvelle donne qui se précise et bouleverse ses fondements mêmes, que peuvent provenir des surprises ? Le pire n’est pas toujours sûr.
86 réponses à “L’actualité de la crise : le vif du sujet, par François Leclerc”
Et une économie mondiale qui est depuis vingt ans dans un cercle vicieux de bulles euphoriques suivies de débullages douloureux et désespérés, exaltations puis dépressions? On appelle pas ça un caractère bipolaire en psychiatrie? Ou maniaco-dépressif comme on disait dans le temps?
En général, sans intervention thérapeutique, ça finit par la mort auto- administrée du sujet c’t’affaire!
@ Vigneron,
Bonjour,
Force, ressources, infrastructures économiques, circuits parallèles (argent gris+noir), les points cardinaux des conflits modernes.
Force: armée, technologie et renseignement, diplomatie (blanche, verte, noire), information (médias).
Ressources: matières premières (dans les deux extrémités du lien d’échange production et consommation+acheminement),
Circuits parallèles: comme la force, et moins encore, trop pudiquement effleurés par « morale », la pénétration de « l’esprit » de ces masses financières dans les organes décisionnels des « ponts » de réinjection de l’officieux dans l’officiel, le tabou sexuel de l’économie en quelque sorte..
Infrastructures économiques: lieux des forces ou interdépendances de leurs acteurs constitutifs naturels.
Interactions entre ces pôles bien sûr, pour peu qu’on choisisse ce type de grille de lecture pour « analyse » ou « action ». Les hommes sont volontairement sortis des variables de l’équation, c’est sûrement leur définition « propre » qui se cherche à travers leurs contingences « naturelles ».
Les éléments schizophrénétiques de la « mondialisation », pour amateurs de cocktails corsés..
Dans le sport de haut niveau, le dopage n’est qu’un épouvantail, alors en géopolitique…délire de la raison « des tas » d’élites au nom des peuples respectifs…
Quand « démocraties », « oligarchies », « régimes autoritaires », discutent à table de leurs intérêts respectifs en tentant de les « partager », pour sûr qu’un psychiatre deviendrait un grand humoriste, à enfermer aussi sec, non?
Pouvoir des éléments constitutifs de la pensée, les prémisses de la dialectique hégelienne, partie « noble » de la philosophie, suffisamment complexe pour laisser à penser à chacun qu’elle lui est plus proche qu’autrui, multi-duplicité de l’universalité d’un propos, tant propice à la sagesse qu’à la folie de tous et chacun! Du respect dialectique du concept d’intérêt/de propriété privée?
La SUR-ABONDANCE des liquidités entassées dans les coffres des banques( et donc inemployées) est à l’origine du gonflement des bulles d’abord sur l’internet puis sur l’immobilier. Il aurait fallu, et dans le monde entier, investir dans les infrastructures et la recherche pour absorber ces liquidités…et créer de l’emploi… et du partage de richesses.
Ceux qui ont bonne mémoire penseront à saluer la clairvoyance des journalistes du Monde Diplomatique qui ont su, en leur temps et fort à propos, flétrir les politiques de Reagan et Thatcher qui consistaient, notamment, à rediriger vers les coffres des plus fortunés une part non négligeable du revenu des classes les moins aisées.
Merci cependant aux intervenants et au créateur de ce blog pour ce bel exercice de démocratie qui nous délivre l’esprit des incohérences de la langue de bois officielle.