Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Dans ma communication avant-hier au Banquet de Lagrasse, j’ai repris un certain nombre d’idées déjà exprimées ici dans des billets à propos du citoyen et du bourgeois, et en particulier l’idée hégélienne d’une origine distincte des deux fonctions, la première, fondée sur la logique aristocratique de la lutte à mort, la seconde sur l’éthique du travail née parmi les descendants d’esclaves.
Pour Hegel, dans le cadre de la société civile, la simple collection d’individus – et en attendant l’avènement d’un État conçu selon son souhait – la coïncidence des deux fonctions est irréalisable. De même, on a pu le voir dans le billet que j’ai récemment consacré à Freud et le bonheur, la question du bonheur de l’être humain achoppe pour lui sur la propriété privée, même si – comme il le souligne – l’inégalité sexuelle apparaîtrait soudain en pleine lumière si l’inégalité vis-à-vis de la propriété était résolue. Durant la Révolution, Saint-Just considère dans De la nature la possession comme un donné brut de l’humain et seul Robespierre propose pour la propriété un système original, à deux vitesses : propriété commune pour l’indispensable, propriété privée réservée au superflu. Ceci dit, même la Constitution de 1793, celle qui ne sera jamais appliquée parce que son application était suspendue au retour de la paix, et en dépit de sa radicalité (elle affirme le droit de chacun au bonheur, à la subsistance dans le malheur, et le droit du peuple à l’insurrection), ne se préoccupe de la propriété que de manière « classique » et affirme dans ses deux premiers articles : « Le but de la société est le bonheur commun. – Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la puissance de ses droits naturels et imprescriptibles. Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. »
Bien sûr, les juristes ont au fil des siècles traité de toutes les subtilités possibles de la propriété et la question de l’accès à la propriété a été réglée en différents lieux et à différentes époques de différentes manières. Il m’apparaît pourtant que, de Rousseau qui y voit la source de l’inégalité entre les hommes, jusqu’à Hegel qui y voit l’expression de la volonté pure, l’on s’est jusqu’ici contenté de traiter la possession et la propriété sur le mode de l’évidence intuitive.
La propriété étant d’une manière très générale la pierre d’achoppement de nos réflexions sur la transition vers un nouveau monde, je voudrais analyser son concept, non pas comme expression de la volonté humaine, comme chez Hegel, mais dans la perspective exactement inverse : comme celle du pouvoir que les choses exercent sur les hommes, comme on l’entend dire chez Marx quand il écrit : « Le bénéficiaire du majorat, le fils premier-né, appartient à la terre. Elle en hérite », observation que Pierre Bourdieu remit à l’honneur.
(… à suivre)
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
84 réponses à “La transition (III) – La propriété inanalysée”
Marx et le vol de bois : Du droit coutumier des pauvres au bien commun de l’humanité
Voici la préface par Daniel Bensaid à l’édition argentine des textes de Marx sur le vol du bois.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4545
Extrait fort à propos
@ P. Jorion,
« Le bénéficiaire du majorat, le fils premier-né, appartient à la terre. Elle en hérite »
Je n’ai pas trouvé sur marxist.org où Marx écrit ça.
Merci pour la référence…
Manuscrits de 1844.
Trouvé dans le premier manuscrit :
leur traduction dit : « De même le majorataire, le fils aîné appartient à la terre. C’est elle qui le reçoit en héritage ».
Je crois que notre mentalité bourgeoise et capitaliste nous empeche de voir ce qu’est la propriété « naturelle »: Le respect de l’Autre.
Exemple: Vous etes dans un camping, prés d’une autre tente. Ou mieux; vous faites du camping dans un champ avec d’autres personnes. Et bien la « propriété » c’est de respecter l’emplacement de vos voisins. Pourtant le champ ne nous appartient pas et on choisit « librement » et au hasard notre petit coin de verdure. pourtant s’organise un petit village de tentes, chacun dans sa « propriété » naturelle.
C’est le sédentarisme qui a tout changé et fait perdre vu ce point de vu originel et pragmatique, que l’on retrouve chez les nomades bien sur mais aussi dans le Pacifique, en Polynésie par exemple. On peut meme dire, que lors de la conquète de l’Ouest américain, cela a aussi existé. Non sans mal…Et malheureusement aussi à coup de fusils.
C’est drole que Jorion n’en parle pas? N’y a t’il rien en anthropologie sur le sujet?
Faut dire que j’ai trouvé mes source dans Paul Gaugin « Oviri ».
Donner une valeur d’échange à cette « propriété » est évidement irrationnel, mais c’est justement ce qui est advenu par la suite…
Dans le fond, la propriété n’est justement plus « naturelle ». La propriété transformée en valeur d’échange n’est donc pas un principe premier ou naturel à l’homme. On pourrait vivre et s’organiser sans:
Cela se passe tous les étés, en occident!
Etonnant non?
« Exemple: Vous etes dans un camping, prés d’une autre tente. Ou mieux; vous faites du camping dans un champ avec d’autres personnes. »
Vous avez pas autre chose comme exemple pour convaincre le bourgeois? 🙂
Paul,
Vous écrivez : « je voudrais analyser son concept, non pas comme expression de la volonté humaine, comme chez Hegel, mais dans la perspective exactement inverse : comme celle du pouvoir que les choses exercent sur les hommes, comme on l’entend dire chez Marx quand il écrit : « Le bénéficiaire du majorat, le fils premier-né, appartient à la terre. Elle en hérite », observation que Pierre Bourdieu remit à l’honneur ».
Donc, pour Marx, ce n’est pas le fils premier-né qui hérite de la terre (le pouvoir des hommes contre le pouvoir des choses) , mais la terre qui hérite du fils premier-né (le pouvoir des choses contre le pouvoir des hommes).
Si la terre a un tel « poids » (l’infrastruture ?), elle devrait déterminer, partout et toujours, le même type de système de propriété terrienne (la superstructure ?). Est-ce bien le cas ? L’anthropologue que vous êtes, devrait pouvoir répondre à cette question.
Remarque brève mais pas d’anthropologue …
De même que des royalistes soutiennent que le Roi appartient à son peuple, Marx constate que le majorataire est aliéné à sa possession, il est autant possédé que possesseur. Quelques lignes plus loin il pousse même le bouchon en écrivant que la terre « apparaît comme le corps non-organique de son maître ». Marx opère un renversement et donne donc à la terre un quasi statut de prothèse du corps propre du majorataire. Il faudrait aller au texte source en allemand.
C’est une remarque clinique très fine qui montre la façon dont un objet est dans une position de maître vis-à-vis d’un sujet qui y est attaché dans une dépendance qui lui fabrique une forme d’identité d’où la remarque de Marx sur « Patrie » et « nationalité » étroite, et même de « personne » un peu plus loin. Ce n’est pas la terre comme objet « naturel » de terre concrète, matière, qui serait vos mots « le pouvoir des choses », mais l’effet qu’un objet quelconque mais singulier produit pour constituer, fabriquer son « sujet » avec toutes les ambiguïtés sémantiques de ce terme. Les « choses » ne possèdent de pouvoir qu’a déjà être « investies ».
Un peu plus loin il propose d’ailleurs d’éliminer le coté « sentimental » du lien « que tout rapport personnel du propriétaire à sa propriété cesse et que celle-ci devienne seulement la richesse matérielle concrète… » bref pour faire apparaître « que l’argent n’a pas de maître ».
J’y reviens.
Marx donne une quasi-personnalité à la terre : C’est elle qui transmet le nom (et pas le père !) « la propriété foncière féodale donne son nom à son maître, comme un royaume le donne à son roi. L’histoire de sa famille, l’histoire de sa maison, etc., tout cela individualise pour lui la propriété foncière et en fait formellement sa maison, en fait une personne ». Il renverse la lecture usuelle et impute au « domaine » (étym : dominus «maître») la place du sujet et au seigneur celle de l’objet.
Dans le même temps il ajoute une autre lecture, cette fonction de prothèse du corps propre, autant dire qu’en privant le seigneur de son domaine, c’est une quasi-amputation dont il s’agit. Les cris d’horreur des tout petits auxquels on coupe les ongles fait image.
Elles ne sont pas contradictoires.
Mais ces lectures qu’il fait sont réservées à la féodalité puisque plus loin il écrit que « plus tard ce n’est plus que la bourse de l’homme qui le lie à la terre, et non son caractère ou son individualité ».
C’est une forme d’effacement du lien qu’il dit « sentimental » qui s’opère, quand le référent terre disparaît au profit si je puis dire, du seul signe monétaire qui la représente mais qui a le pouvoir aussi de représenter n’importe quoi d’autre.
Est-ce pour autant vrai que le capitaliste est tout à fait détaché sentimentalement de ce que le signe monétaire peut venir à représenter.
C’est selon : selon qu’il a seulement investit ou qu’il est aussi investit.
Je ne doute pas qu’il y ait des actionnaires attachés à une firme, comme des travailleurs montrent qu’ils sont attachés à leur usine autant que leur patron ? Mais quand la firme disparaît, l’histoire montre qu’ils n’éprouvent pas les mêmes embarras, puisqu’ils n’y avaient pas le même investissement et n’y étaient pas investis de la même façon. Il ne s’agit pas des mêmes coordonnées de deuil.
L’aventure du Baron Empain a changé sa vie. Il a laissé tomber son empire pour ne plus être sous sa coupe. Il témoigne : « La privation de liberté est un état insupportable. Vous savez, les choses importantes, c’est de pouvoir aller chaque matin prendre sa douche et de prendre son petit déjeuner tranquillement » et «Je me suis aperçu que le monde extérieur m’avait condamné en soixante jours. Ma famille, mes collaborateurs s’étaient organisés pour vivre sans moi. On avait même vendu ma Mercedes de fonction, mes héritiers s’intéressaient au testament, les organigrammes avaient été refaits.» Que Marx fasse de l’objet possédé une prothèse du corps propre m’a rappelé Empain et son petit doigt coupé par les ravisseurs.
Mais pour la prothèse du corps propre il suffit de regarder comment certains automobilistes réagissent quand leur bagnole a un gnon…
Marx reste dans la ligne de Locke et de la propriété extension du corps de l’individu. Tous enfants de Locke et des lumières…
Sais pas ! un meilleur interlocuteur à propos de Locke serait Balibar mais son bouquin s’est plus attaché à la conscience, et puis coté Marx il a des munitions…
Très intéressantes toute ces réflexions sur l’origine et la nature de la propriété amorcées par Paul.
Il faudrait donc nous déprendre du pouvoir que les choses ont sur nous. Comme l’a bien dit Rosebud, si les choses ont du pouvoir sur nous, nous possèdent, c’est parce que nous nous y investissons, si bien qu’elles font parties de nous-mêmes. Or cet investissement dans le cadre du régime de la propriété marchandise devient nuisible pour tous. Ce régime en tant qu’il produit de la rareté, rend nécessairement les hommes inégaux devant l’avoir. L’assimilation de l’être à l’avoir devient problématique.
Il faudrait alors un nouveau régime de la propriété par laquelle l’appropriation individuelle serait envisagée de nouvelle façon.
Trois conditions :
1. Il faut défaire l’actuel lien entre l’usage des choses du monde et possession de la propriété marchandise, notamment en faisant en sorte que les choses du monde deviennent abondantes.
2. Préserver néanmoins le principe de l’investissement (affectif) de chacun dans les choses matérielles. Il ne s’agit pas de créer la société des purs esprits ou des esprits purs.
Ancien principe : Les plus méritants ou les plus forts possèdent légitimement des propriétés, réparties en nombre limité. Cette inégale distribution des propriétés produit l’inégale distribution des revenus salariés, et finalement des conditions de vie. A ce principe correspond le régime de la propriété exclusive.
Nouveau principe : nous dépendons tous des autres pour notre survie, mieux, notre vie.
Nous sommes propriétaires, naturellement, de nos vies. C’est une propriété qui ne se définit plus de manière exclusive, mais au contraire de façon inclusive, en tant que, tous, du simple fait d’être nés, d’avoir grandi dans la société des hommes nous en sommes les co-créateurs.
La propriété inclusive est ce qui nous appartient en propre, mais un propre qui par principe se conçoit comme un produit social. Plutôt que l’égalité en tant que nous sommes tous mortels (Hegel), est privilégiée la vision d’une égalité en tant que nous sommes tous vivants.
Le régime existant privilégie le régime de la propriété exclusive, mais le régime de la propriété inclusive n’y est pas inexistant, qu’il soit monétisé ou non.
Que faire ?
Encadrer le régime de la propriété marchandise ?
Accroître le régime de la propriété inclusive ?
Et pourquoi ne pas lier les deux ?
Pierre-Yves D. dit : 15 août 2010 à 21:59
« Il faudrait donc nous déprendre du pouvoir que les choses ont sur nous ».
Ce n’est pas exactement pareil, j’en conviens, mais demander au toxico de se déprendre, à l’amoureux, au cadre hyperactif, ou à Citizen Kane à son dernier souffle avec son objet perdu, le traineau qui condense sa jeunesse…
Cependant une chose est certaine : ce que les braves gens nomment « instinct » de propriété n’a rien d’un instinct mais est culturel. Pire la culture dans laquelle nous avons été cultivés a largement poussé à l’accumulation. Le legs de mes grands parents tenait dans 2 valises, mes parents je vais être encombré, et mes enfants je ne vous dis pas…
L’inégalité devant l’avoir…ben oui et alors ? Déjà qu’Ikea rend égaux les jeunes couples…
C’est l’ampleur de l’inégalité devant l’avoir qui est d’abord à supprimer, après il restera une autre échelle, les suivants verront…
Le changement du rapport à la propriété ne peut qu’advenir au long cours.
L’idéologie est toujours en retard sur l’économie notait Marx. C’est à moduler un peu, comme les lois parfois en avance, le plus souvent en retard sur les mœurs.
Mais faire cesser l’aspiration à posséder, plutôt que louer, échanger, voire plus simplement renoncer prendra du temps.
Mon voisin de village est le noble du coin depuis le 13ème siècle. Petite noblesse qui vend ses terrains depuis la WW2, qui travaille, salarié. Les villageois de source l’appellent M. Le Comte. Et je suis l’immigré à leurs yeux.
C’est lent le changement des consciences. Quand j’étais môme dans les années 50,60, j’entendais des grandes personnes s’engueuler et souvent l’un de dire, « j’ai le droit de dire ce que je veux, on est en république tout de même ». Ça a disparu parce que ça va de soi. À l’échelle de l’histoire, l’agitation très raisonnée du politique, au niveau mondial et universaliste ne dure que depuis deux siècles. C’est peu.
Alors pour vos conditions :
1/ L’abondance, pour tout ce qu’on classe de l’ordre du besoin, oui. Mais la finitude des ressources suppose et pour le « besoin » et pour le « superflu » – cependant parfois aussi vital – d’inventer autre chose que singer nos plus aisés d’aujourd’hui.
2/ « Préservez l’investissement affectif »… ben les tentatives contraires sont et ont été vouées à l’échec.
Pour limiter l’avidité, en plus du contrôle des grands moyens de production pour entre autre s’inquiéter de ce qu’il y a lieu de produire, je ne vois qu’un moyen soft : la levée du secret bancaire. Alliée à l’élimination progressive de la monnaie fiduciaire-papier au profit de la seule monnaie électronique, cette levée permettrait de contrôler tout ? ce qui se passe, et au juge et au fisc d’en être enseignés. Ce serait un régime d’amaigrissement rapide de la grosse propriété.
Robespierre disait, en 1792 (cf. le billet de Paul du 14 juin 2010 « Y a-t-il trop de propriété » ?) : « quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? Le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence, aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend par ce mot le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables ».
Il est bon de rappeler que, un an plus tard, la Convention décrète « la peine de mort contre quiconque proposera une loi agraire ou toute autre subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles » … et que Robespierre avait qualifié une pareille loi agraire de « fantôme inventé par les fripons pour épouvanter les imbéciles ».
Allez comprendre !
C’est toute la problématique que tenta d’affronter Robespierre, coincé entre la bourgeoisie conservatrice et active et des boute-feu plus ou moins sincères ou manipulés…
Exactement vigneron.
La propriété, expression du pouvoir que les choses exercent sur les hommes…
Les choses (un terrain, une maison, une voiture, un ipad, un tableau, une statue, un livre ) suscitent en nous des affects, des émotions telles que le désir, l’envie, la peur, le rejet, la colère, etc.). Nous sommes sans cesse « imprégnés » d’émotions diverses auxquelles nous réagissons tant bien que mal. La propriété découle essentiellement du désir, de l’envie, du besoin de satisfaire une frustration ressentie sous l’effet d’une chose.
Dans cette perspective, on peut considérer que ce sont les choses qui nous possèdent ou dont nous sommes la propriété et non, nous, qui détenons la propriété sur les choses. La propriété, le pouvoir que nous pensons exercer volontairement sur les choses, ne serait donc qu’illusoire, qu’une croyance sans fondement, simple expression de notre vanité. Nous ne serions en fait que de simples gérants temporaires, des catalyseurs inconscients des affects que suscitent en nous les choses au fur et à mesure de nos expériences de vie.
Partant de là, on peut penser que les choses en nous possédant, nous emprisonnent, nous aliènent, Diogène l’avait déjà bien compris, lui qui errait sans bien, se contentant d’un tonneau pour logement.
Nous ne sommes propriétaires de rien, c’est la vie, l’univers, qui nous possède.
« En situation sociale, la gratification, c’est à dire l’utilisation, suivant les besoins, des objets et des êtres situés dans le territoire de l’individu, c’est à dire dans l’espace au sein duquel il peut agir, s’obtient évidemment par l’établissement de sa dominance. » -H. Laborit
Si on se base sur Laborit qui ramène plus ou moins tout à la recherche de la dominance, la notion de propriété n’est donc là que pour structurer la compétition entre les êtres qui cherchent à conserver un objet à leur disposition.
En poussant le raisonnement un peu plus loin, il déduira que l’ensemble des structures « socio-culturelles » n’ont d’autre but que la conservation des dominances en places. Ce postulat permet d’expliquer la notion de propriété intellectuelle, qui n’a absolument plus rien à voir avec celle de propriété tout court, puisque en l’occurrence, l’utilisation de l’ »objet » ne prive pas l’autre de son usage, la compétition pour la possession na plus d’intérêt (autre que générer du profit par le manque).
Je rejoins ici la position de Zebu, toute la difficulté consistant à trancher entre les ‘objets’ dont la possession prive un tiers d’un droit fondamental et ceux dont on pourrait permettre une possession exclusive. Quant à l’information, je suis de ceux qui pensent qu’elle est incompatible avec la notion de propriété, tout objet dont la réplication a un coût bien inférieur à la création ou dont l’usage n’est pas exclusif devrait faire partie de la ‘res communis’. Le monde de l’open source (logiciel libre) peut ici nous fournir une réflexion extrêmement aboutie. A noter qu’un tel modèle n’exclut pas le profit, pour ceux qui pense que seul ce type de gratification assure une créativité (progrès ?) suffisante.
Où est la limite entre la propriété privée et la propriété collective ? Et plus généralement quelles limites mettre à l’inégalité ou à l’égalité absolue, à la liberté totale ou à l’aliénation des individus. On cherche ici un optimum et en physique il existe un principe universel pour régler ce genre de dilemme : la loi du moindre effort. Un régime totalitaire est très couteux pour la société en terme de police, répression,… De même une société d’individus isolés sans aucun où règne la loi du plus fort n’est assurément pas un optimum du bien être commun et individuel.
Je crois qu’il est intéressant d’analyser les limites de la propriété individuelle par rapport aux efforts individuels et collectifs nécessaires pour la garantir.
Assurément ma maison est ma propriété car si n’importe qui peut y entrer et y faire ce qu’il veut, il y aura énormément de querelles et de crimes entre ceux qui ont fait l’effort de l’acquérir et de l’entretenir et ceux qui se servent en passant. On retombe là dans l’image bien connue de l’ère soviétique où le petit lopin de terre privé était très productif alors que les terres collectives étaient sous-exploitées.
A contrario avoir cent maisons, une île privée, des milliards pour spéculer sur le blé, une usine d’armement dont on souhaite tirer le plus de profits possible,… cela a un coût social incalculable.
Pour moi le débat politique de la propriété privée/collective est la recherche de cet optimum entre le bénéfice de celle-ci et le coût de celle-ci. C’est un débat politique noble où la limite est mouvante avec la technologie à notre disposition, les ressources naturelles dont on dispose (disette ou récolte abondante), et la culture dans laquelle on vit.
Ce principe permet d’évacuer la morale (il est dans l’absolu immoral d’accaparer le blé quand ses voisins meurent de faim) du débat politique car elle est toujours mauvaise conseillère et toujours particulière comme le montre les religieux qui veulent nous imposer telle loi au nom de la morale universelle, en fait la leur. Car la morale oublie souvent d’armer le bras de la justice, et si la justice n’est pas plus puissante que les malfaisants qu’elle condamne, elle devient inutile. L’ONU, ce « machin » sans armée illustre bien ce principe où la loi du plus fort permet d’ordonner des crimes au nom des plus nobles principes humanistes. Donc on évacue la morale du débat et on introduit le pouvoir, la force, la paix sociale, le bien-être commun,… qui sont des notions où les agents de l’Etat, fonctionnaires et élus, sont tout à fait compétents et outillés.
Ce que la crise montre bien est que le droit de propriété ne peut être un droit absolu. Et pour en sortir il faudra certainement « spolier » nombre de gens. Et cela sera tout à fait légitime, légal, juste et pertinent d’un point de vue économique.
L’analyse coût/bénéfice est l’argumentaire que l’on fait tous consciemment ou pas lorsque l’on égrène la liste des sociétés à nationaliser. Et les Chicago boys se trouvent alors devant un problème cornélien : soit ils nient cette recherche d’optimum utilitariste qui est pourtant la justification politiquement correcte de leur théorie, soit ils doivent remettre en cause la sacralisation absolue de la propriété privée, ce qui est quand même une conditions absolument nécessaire à la perpétuation de la ploutocratie qu’ils essaient de légitimer.
@ Laurent S dit : 12 août 2010 à 17:44
Vous avez tout à fait raison de faire un rappel sur le principe fondamental et incontournable du moindre effort. Il est en relation directe avec la consommation d’énergie, laquelle est ce qui conditionne la vie. Quand un système ne peut plus consommer d’énergie, il meurt s’il s’agit d’un organisme vivant.
Une organisation humaine est un système dans lequel énergie consommée est utilisée plus ou moins efficacement, pour faire fonctionner la collectivité et les individus.
Le site suivant donne la consommation moyenne d’énergie par habitant http://www.statistiques-mondiales.com/energie.htm
Les pays qui n’ont pas de réserves fossiles et qui sont gros consommateurs ont des soucis à se faire. Quand de plus ils ont des dettes, c’est encore pire.
« La propriété étant d’une manière très générale la pierre d’achoppement de nos réflexions sur la transition vers un nouveau monde… »
Effectivement : on peut se demander dans quelle mesure l’homme est propriétaire de sa réflexion. Elle a tellement pris de plis que l’on peut raisonnablement douter de l’ouverture qui s’offre à nous pour « un nouveau monde » !
“La non-possession s’applique autant aux pensées qu’aux choses; qui embarrasse son cerveau de connaissances inutiles viole le principe de la non-possession.”(Gandhi)
J’ai du mal à comprendre l’allergie de certains pour des mots comme « devoirs ».
Il me semble pourtant qu’il s’agit là d’un élément fondamental de la vie personnelle et de la vie en commun. J’ai, donc, tendance à croire que certains sont encore dans une psychologie de l’insurrection que je trouve personnellement infantile ! De là à dire que revendiquer des droits sans jamais parler de ses devoirs est pour moi une cause évidente de conflits sans fin dans la société et les familles, voire même avec soi-même.
Je trouve cette conception proprement stupéfiante de parti-pris infantile.
L’enfant devient un adulte le jour où il assume ses devoirs, pas le jour où il revendique ses droits. Même un animal revendique ses droits. Pourtant, il assume sa progéniture quand il en a.
Je persiste donc à penser qu’il y a une sorte d’allergie provenant d’une conception primitive de la vie en société.
@senec
Il se trouve que les volontaires pour nous rappeler nos devoirs ne manquent pas, de la naissance jusqu’à la mort, et dans toutes les facettes privées ou sociales de nos vies. Et aujourd’hui pas moins qu’hier, ne vous en déplaise. La pression normative, dite « post-morderne », compensant allègrement la permissivité, apparente seulement, dénoncée par vos ineffables tantras sécuritaires et babillages moralisateurs. Beaucoup de gens sont même payés et médaillés pour ça, mon bon Senec. Ne faites pas dans le bénévolat zélé, en l’occurrence ce serait du temps perdu. Ya des vrais experts qui s’en chargent.
Pour ce qui est de nos droits, c’est pas exactement la même mélodie, pas besoin de vous faire un dessin! Alors, jusqu’à preuve du contraire, mieux vaut continuer à revendiquer nos droits, existants formellement ou non-existants et souhaitables. Et laisser aux autres le soin de revendiquer nos devoirs. Les rapports de force se chargeront de faire le tri. Et les poules seront bien gardées…
@ Senec dit : 14 août 2010 à 09:50
« J’ai, donc, tendance à croire que certains sont encore dans une psychologie de l’insurrection que je trouve personnellement infantile !» dites-vous.
J’ai la même perception que vous et j’ai l’impression que cela plait à une partie de la population.
Cette psychologie ne touche pas que les couches les plus défavorisées qui pourraient être mues par une rébellion de frustration et c’est bien là que se situe la dangerosité des sujets concernés.
Ce sont souvent des individus brillants, à l’esprit alerte, à l’indépendance extrême, habiles manœuvriers, jamais pris, grands charmeurs et cyniques à la fois, capables de susciter l’admiration, d’être des leaders et en mesure de provoquer de grands ravages par contamination s’ils se trouvent placés en situation de formateurs, ce qui arrive à tout à chacun lorsqu’il devient parent où, ce qui les tente souvent, éducateurs, endoctrineurs.
Mais il manque une dimension essentielle à ces êtres pétris d’orgueil. Ils ne se sentent pas dépendants du monde, des autres dans l’étrernité. Ils sont incapables d’approcher l’intemporel.
On peut se demander s’ils se sont seulement interrogés une seule fois sur le sens de leur vie, et ce qu’ils se doivent d’apporter sur terre pour œuvrer à perpétuer l’entreprise humaine dans le long terme. Non, aborder l’intemporel, approcher le spirituel et le religieux, c’est pour eux se soumettre à une finalité supérieure, qui les dépasse et les transcende, leur égo leur interdit, ils perdraient la main.
Leur plaisir ne peut être que dans l’intensité de l’instant, de l’immédiat sans égard pour un intérêt supérieur.
Le mot supérieur, qui appelle la subordination, les révulse à moins qu’ils se l’applique à eux-mêmes et qu’ils se sentent en maîtres régnant par leur art, leur savoir, leur doctrine, en un mot leur puissance, qu’elle soit financière ou de tout autre nature à condition que ses effets soient mesurables au plus vite car l’éternel, aux relents par trop religieux, leur donne de suite la nausée.
Tout ce qui va dans le sens du court terme, voir de l’instantané les attire, quitte à faire usage de la brusquerie voire de la violence. La fulgurance, l’intensité, l’assouvissement immédiat du désir (pas uniquement sexuel) à la façon animale, leur importe bien plus qu’une lente, longue et savoureuse satisfaction mentale résultant d’une domestication du temps qui précède une extase longtemps désirée, et partant de là, sublimée.
Je ne peux m’empêcher de penser souvent à cette déclaration de Malraux disant à peu près ceci «le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas ».
S’il à vu juste, et si cette tendance à la satisfaction du court terme au détriment du long terme, voire de l’éternel, ne s’inverse pas rapidement, quitte à s’appuyer sur des aides développées par les courants religieux, j’ai des craintes pour mes descendants connus.
Nos premiers devoirs aujourd’hui se situent au plan moral et énergétique, bien avant l’économique et le politique trop calés le temporel.