Billet invité.
NI FLEURS, NI COURONNES.
Pour accorder son vote à la loi de régulation américaine, un sénateur républicain a réclamé que soit abandonnée la taxation des banques qui y était inscrite. C’est chose faite, un enterrement se prépare : son adoption.
Conservée, cette mesure n’aurait certes pas changé quoi que ce soit à l’esprit de cette loi – resserrer un peu certaines mailles d’un filet dans lequel des ouvertures béantes ont été aménagées – mais un tel abandon de dernière minute augure mal de la suite des événements. A défaut de trouver en lui-même les ressorts de son aggiornamento, le capitalisme financier vient de victorieusement faire opposition aux velléités affichées d’encadrer, sinon de contrarier, sa logique destructrice. La loi, c’est sa loi.
Le travail n’est pas terminé, car il reste encore un gros morceau à casser. Il s’agit de Bâle III, le dernier rempart des régulateurs, la réglementation destinée à renforcer la capacité des banques à résister à une prochaine grande crise. Une issue inévitable au vu de ce qui a déjà été décidé par le Congrès américain, en plus de la poursuite de l’actuelle.
Le mandat initialement donné par le G20 prévoyait l’accroissement en quantité et en qualité des fonds propres des banques, ainsi que des dispositions techniques visant à décourager de trop forts leviers d’endettement. A Toronto, il a depuis été décidé d’assouplir l’implémentation des nouvelles règles en gestation, afin de ne pas brider le retour espéré de la croissance, ainsi que de tenir compte des conditions économiques nationales (puisque les décisions collégiales du G20 laissent désormais de larges marges de manoeuvre à chacun de ses membres).
Plus on plonge dans les chinoiseries dont sont entourées ces futures normes, plus l’on en ressort persuadé que leur destin est tout tracé : rejoindre plus tard celles de Bâle II au cimetière des réglementations sans effet. Mais pour l’instant, au fur et à mesure que se déroulent les discussions qui réunissent – et opposent – le Comité de Bâle chargé d’en définir l’architecture et ceux qui devront les respecter, le calendrier de leur lancement par tranches successives s’étire en longueur.
Nous en sommes à dix ans pour parvenir au terme du processus. A l’arrivée, cela donne toutes les raisons de penser qu’il en sera de Bâle III ce qu’il est advenu de Bâle II : ses dispositions n’étaient pas encore appliquées (en l’occurrence aux Etats-Unis) qu’elles étaient déjà obsolètes, n’ayant en rien empêché la crise systémique de menacer d’emporter tout le système financier.
Ces débats, dont nous ne percevons que les échos assourdis de loin en loin, sont entrés dans le vif du sujet. Pénétrant au coeur du fonctionnement du système bancaire, permettant ainsi aux observateurs d’en distinguer une image abasourdissante. Car, quand on parvient à ce niveau de technique financière, lorsque l’on est confronté à la complexité de mécanismes qu’il s’agit de maîtriser en élevant des barrières réputées infranchissables, on ne peut en tirer que deux conclusions : il subsiste des deux côtés de l’Atlantique une forte disparité réglementaire du système bancaire, qui fait obstacle à l’adoption de mesures unifiées de gestion de la finance, qui est elle globalisée ; l’affrontement entre les autorités réglementaires et ceux qui sont chargés de l’appliquer s’apparente de facto à la lutte contre le dopage sportif, les tricheurs ayant toujours une longueur d’avance et les surveillants étant suspectés de complaisance.
D’ici le prochain G20 de Séoul, en novembre prochain, le processus de consultation en cours devrait être terminé, avant que Bâle III ne soit adopté en grandes pompes. On croit en connaître les étapes successives : ce mois-ci la définition des éléments éligibles aux fonds propres, qui serviront de base au calcul de trois différents ratios, mis au point en septembre prochain.
Mais plein d’autres diaboliques détails, plus ou moins anodins mais ayant tous leur importance, font l’objet de discussions acharnées. Le monde des mégabanques n’est pas homogène, chacune ayant ses petites faiblesses ou ses petits secrets. Toutes essayant, au gré de ceux-ci et soutenu par ses autorités nationales, d’obtenir des assouplissements à son avantage, ou bien au contraire des durcissements pénalisant ses concurrents.
Cette cuisine laisse perplexe en raison de la multiplicité de ses ingrédients et de ses dosages à géométrie si variable. Quand elle ne renforce pas la conviction que tout ce système est un non-sens total. Qu’il est illusoire de vouloir renforcer un échafaudage financier qui va in fine reposer sur des compromis politiques. Que celui-ci cédera simplement là où on ne l’attend pas. Et, enfin, que les justifications qui sont encore données à ce système zombie – apporter la croissance et l’emploi – ne valent pas plus que la parole d’un banquier, vu la crise actuelle. Sa fonction première est désormais dévoilée pour ce qu’elle est réellement : profondément parasitaire.
Cette foire d’empoigne a comme toile de fond des études d’impact contradictoires de la future réglementation, afin d’argumenter en faveur de son assouplissement ou de son maintien dans ses dispositions actuelles. L’Institute of International Finance – le lobby international des mégabanques – a tiré le premier en prévoyant le pire (en terme de points de croissance et d’emplois en moins, selon l’argumentation habituelle) pour obtenir le desserrement de contraintes que ses mandants jugent inacceptables ; le Comité de Bâle va s’essayer le mois d’août prochain, avec le soutien de la Banque des règlements internationaux et du FMI, à une contre-offensive sur le même terrain, afin de présenter une étude d’impact plus avenante et de justifier ses positions.
Sans vouloir se risquer à des pronostics, vu la discrétion avec laquelle ce dossier est traité, il est probable qu’un deuxième enterrement se prépare déjà. Quoi que l’on puisse penser de garde-fous, jamais aussi bien nommés et destinés de toute manière à être rompus, tant la folie que l’appétit au risque (et aux profits) suscite est impétueuse lorsque celui-ci est supporté par les autres. Ce sont ses leviers qui devraient été mis hors d’usage, on en est loin.
L’application des dispositions de la loi américaine au marché des dérivés va être une autre occasion de prendre sa mesure. Une partie de la masse actuelle des produits dérivés amassés depuis les années 90, pour une valeur notionnelle estimée à 615.000 milliards de dollars, va désormais devoir utiliser les services de chambres de compensation. Combien d’années cela va-t-il prendre pour y parvenir ? Quelle proportion va être déclarée par le régulateur comme devant y souscrire ? Seule une toute petite proportion, malgré les efforts entrepris à sa demande pressante avant même que la loi ne soit adoptée, passe déjà par des chambres de compensation. Or il y a des millions de contrats à régulariser. La liquidation de Lehman Brothers illustre la lenteur avec laquelle ce type d’opération financière peut être dénouée.
Dans l’immédiat, un tri va devoir être fait par le régulateur, afin de séparer les produits standards des autres. Puis, il va falloir homologuer les chambres de compensation qui vont être autorisées à intervenir (et qui auront accès au guichet de la Fed comme les banques de dépôt, selon la nouvelle loi). C’est ensuite que les choses plus compliquées vont intervenir. Car toute une nouvelle mécanique va devoir être mise sur pied, puisque les chambres de compensation procéderont à des appels de marge et de collatéral, ce qui suppose une estimation des risques attachés aux titres qu’elles accueilleront puisqu’elles assumeront le risque de contrepartie.
Or, les coûts risquent d’être très élevés à l’arrivée pour les intervenants, s’il se confirme que de très nombreux contrats existants ne sont pas adossés à du collatéral les garantissant. Si c’est bien le cas, le processus n’en sortira pas accéléré. L’International Swaps and Derivatives Association considère que 23% des contrats sont dans ce cas, mais le Comité de Bâle s’interroge sur la situation réelle des 77% restant, vu les pratiques peu claires observées sur ce marché de gré à gré.
Une estimation effectuée par le FMI a abouti à la somme de 200 milliards de dollars afin de couvrir les appels de marge et les garanties prévisibles, qui seront à la charge des intervenants sur le marché. Leurs profits en sortiront très amoindris. Mais tout dépendra, en fin de compte, des décisions prises par le régulateur, en application de procédures qui n’ont pas été encore précisées et dont il est à craindre qu’elles ne soient pas des plus transparentes.
Au final, un choix va devoir être opéré. Standardiser au maximum les produits dérivés, ce qui va réduire les profits ; mais aussi, dans une proportion incertaine, le danger systémique inhérent à ce marché. Ou procéder à l’inverse, avec comme conséquence d’agir en contradiction avec l’esprit de la nouvelle réglementation et d’en réduire fortement la portée, voire de la réduire à néant.
Quoi qu’il en soit, le processus va être long à se mettre en place, à l’image de la réglementation de Bâle III. Cela ne sera pas sans offrir de nouvelles opportunités à des rebondissements de la crise actuelle.
125 réponses à “L’actualité de la crise: ni fleurs, ni couronnes, par François Leclerc”
Demandons plutôt à Julien (de l’IIF) comment il pense que les volontés d’un peuple parviennent à son cénacle :
Par quelles canaux ?
Quels sont suivant lui les filtres ?
etc.
(il est intelligent, il peut faire son propre sociologue)
Uniquement par les récriminations des titulaires de comptes de ses commanditaires! Sachant, bien sûr, que le poids de leur voix est inversement proportionnel au poids de ses compte. La démocratie bancaire est très subtile… Et j’oubliais le vibrionnant actionnariat populaire!
Reponse simple : la preoccupation principale des gens est leur bien etre et celui de la societe. Pour certains, cela signifie leur enrichissement personnel, pour d’autres cela signifie une societe egalitaire. Dans un cas comme dans l’autre, les individus ou l’Etat ont besoin de ressources financieres, et ces ressources viennent de (ou constituent) la croissance economique. Il est dans l’interet de tout le monde que l’industrie bancaire et la finance internationale fonctionne correctement, et c’est la que nous intervenons pour faire des recommandations.
@ julien,
Je vois. Vous intervenez pour, en quelques sortes, faire le bonheur des gens malgré eux ; faire le bonheur que vous supposez être le leur.
@ Julien, suite :
Si vous demandiez aux gens ce qu’ils pensent du bonheur que vous leur préparez, ne trouveriez-vous pas que vous feriez une grande avancée dans le sens d’un processus démocratique ? Parce que, peut-être vous apercevriez vous que leur bonheur ne dépend pas tant que ça de la finance internationale.
Vous me répondrez : c’est parce qu’ils n’ont pas une idée claire de leur intérêt. Mais, êtes vous vraiment sûr d’être le mieux placé pour connaître l’intérêt des peuples, des gens, enfin, des autres ?
« societe egalitaire » cela s’appelle une expression idéologique… J’aurais préféré de beaucoup que vous dissiez « société plus juste »! Les mots ne mentent pas … toujours!
VB:
Vous avez raison sur tous les points. Je crois à titre personnel que l’intérêt des gens est dans ce que j’ai décrit, mais je ne prétends pas mieux savoir. J’ai tendance à faire confiance au pouvoir politique qui reconnait l’importance de la finance.
Il y a certes de gros écueils : conflits d’intérêts, connivence, sans mentionner les nombreux excès devenus évidents ces dernières années, dans le domaine financier bien sûr, mais également dans le domaine politique.
Le bonheur des gens ne dépend pas directement de la finance internationale. Le lien est ténu, mais nous avons tous besoin d’une motivation pour aller travailler chaque jour, et voici la mienne.
Vigneron :
Je n’utiliserais pas « juste » puisque cela introduirait une dimension morale dans le débat, alors que nous parlions seulement d’aspects matériels. Par égalitaire j’entendais « redistribution », soutien aux défavorisés, etc…
@ Julien,
« les individus ou l’Etat ont besoin de ressources financieres, et ces ressources viennent de (ou constituent) la croissance economique. Il est dans l’interet de tout le monde que l’industrie bancaire et la finance internationale fonctionne correctement, et c’est la que nous intervenons pour faire des recommandations. »
=>
Ne confondez-vous pas industrie et industrie bancaire ?
Ne croyez-vous pas que « la croissance économique » dont vous parlez provient, provenait et/ou devrait provenir, de tout autre chose que de la finance (industrie bancaire) ? La croissance a longtemps provenu du processus industriel qui lui-même, d’une façon générale, dépend de la disponibilité des matières premières et ressources énergétiques.
En occident, nous avons deux problèmes majeurs : la relative (ça dépend des endroits et des continents) rareté des matières premières (ça dépend aussi des matières premières, le pétrole étant celle qui nous fait le plus défaut), et un désindustrialisation avancée.
Si vous êtes d’accord avec cette analyse, je vois mal comment le continuum dans le développement de la finance que nous connaissons pourra nous rendre ladite « croissance économique ».
Ceci, sans vouloir vous décourager,
Cordialement,
Si vous pensez que l’industrie s’est développée toute seule comme par magie, je vous renvoie aux différents ouvrages sur la révolution industrielle et le développement de la finance.
Sur la question des ressources et de la désindustrialisation : progrès technique et Schumpeter. Malthus est un peu passé de mode.
@ Julien,
L’industrie ne s’est certes pas développée toute seule comme vous dites, l’ingéniosité humaine et le développement du commerce consécutif au développement du transport maritime en sont la source, la finance a suivi mais certainement pas précédé ce développement.
Quant à la désindustrialisation, rien à en dire : juste à constater.
Sur la question des ressources : en plus du constat la chose suivante : le progrès technique s’accompagne d’une énorme dépendance de nos sociétés à quelques matières premières, ce qui les rend (lesdites sociétés) très fragiles et créera leur chute, immanquablement ; la finance ne pouvant rien à ce phénomène.
@ Julien suite,
Finalement, tout à une fin, le progrès ne faisant pas exception à cette règle. D’une part l’homme se heurte à la finitude de tout ce qui vit (et ne vit pas) sur terre : finitude de toutes les ressources naturelles. D’autre part, ce que l’on a très hypocritement désigné du terme de « société de services » (en pensant vaguement et de façon très irrationnelle qu’une telle société remplacerait efficacement la société industrielle) n’est absolument par créateur de richesse pour qui que ce soit.
« Tout a une fin, le progrès ne faisant pas exception à la règle ». Cela reste à prouver.
Bonjour,
@ Julien,
Çà dépend de quel progrès on parle.
Sur le progrès concernant la démocratie, il y a en effet beaucoup d’espoir à avoir ; il faut dire que l’on part de très bas.
Sur le progrès technique ou technologique, je ne peux que me répéter :
1) « le progrès technique s’accompagne d’une énorme dépendance de nos sociétés à quelques matières premières, ce qui les rend (lesdites sociétés) très fragiles et créera leur chute, immanquablement ; la finance ne pouvant rien à ce phénomène. »
2) ce progrès là requière une dynamique de « création de richesse » qui ne soit pas uniquement de la création bancaire de monnaie mais au contraire de la création de biens à échanger, ce qui nécessite soit un artisanat digne de ce nom, soit une industrie (qui n’existe plus en occident).
Cordialement,
VB Julien
Tant que tout le monde raisonnera en termes de « création de richesses », compétitivité, rentabilité, profit nous n’en sortirons pas !!!!!!!!!!!!
Les systèmes Linux en informatique çà marche !!!!!!!!!!!!
Uniquement pour la beauté du geste, l’envie de résoudre des trucs pas possibles !!!!!!!!!!!!
Je me rappelle un forum sur lequel mon mari m’a montré un échange complètement dément.
C’était à pleurer de rire!!!!!!!!!
Un type à peu près ignare en informatique et complètement fou voulait mettre ses trois ou quatre ordis en réseau, mais avec des particularités telles que cela demandait des connaissances très pointues.
Or, au vu des questions qu’il posait, il était manifeste qu’il n’y connaissait rien.
Cela donnait des dialogues de sourds (enfin d’aveugles plutôt puisque tout était écrit 🙂
-Le fou : Je voudrais faire ceci, mais avec çà et çà….
-A : ???????????????????
-B : Heu, faites comme ci
-Le fou : Qu’est-ce que c’est « ci » ? Bon ben j’ai fait comme çà…….
-A et B : ??????????????? Vous n’avez pas fait « çà » ?????????????
-Le fou le lendemain : Si mais j’ai planté, j’ai réussi à récupérer mes données sur un autre disque dur (comment on se le demande encore) , et j’ai fait………..
Et comme çà pendant plusieurs jours, avec des interruptions plus ou moins longues pour cause de plantages graves dont il se sortait toujours par miracle !
On a failli mourir de rire.
Mais il y avait dans ces échanges toute la passion de ces gens pour ce qu’ils faisaient, toute l’envie d’aider ce fou à réaliser son truc, tout l’acharnement à vouloir comprendre et résoudre le problème, mais aussi un mélage de stupéfaction, d’admiration devant ce type qui se lançait dans des procédures compliquées sans avoir la moindre idée de ce qu’il faisait.
Et tout çà gratuitement juste pour aider, juste pour PARTAGER !
Si vous libérez les gens de cette course folle à l’argent, vous aurez la surprise de voir que dans tous les domaines il existe des personnes passionnées qui ne demandent qu’à exprimer leur désir de « travailler » .
(bon, je conçois que dans certains domaines, nucléaire ou médecine, par exemple, il vaudra peut être mieux réfréner leurs ardeurs.)
@ Louise,
« Tant que tout le monde raisonnera en termes de « création de richesses », compétitivité, rentabilité, profit nous n’en sortirons pas !!!!!!!!!!!! »
=>
Oui, mais la création de richesse n’est pas la richesse financière ; le terme « richesse » est simplement une convention linguistique pour désigner la création de quelque chose de nouveau ou non dont les autres auront besoin (plutôt qu’envie), et qui permet l’échange de biens.
derrière le mot « richesse » : pas d’argent ou de capitalisation ou quoique ce soit qui y ressemble, juste la notion d’échange de choses, de biens (matériel ou immatériel d’ailleurs).
Vous n’allez pas au bout de votre raisonnement, il vaut mieux garder les pieds sur terre que rêver ce me semble, c’est plus prometteur pour l’avenir.
Cordialement,
[…] celui des USA 14 400 M$, et l’Europe c’est du même ordre de grandeur. La somme des produits financiers dérivés est estimé a 615 000 M$ (plus de 10X le PIB mondial) La dette publique française est de 1 535 […]
[…] celui des USA 14 400 M$, et l’Europe c’est du même ordre de grandeur. La somme des produits financiers dérivés est estimé a 615 000 M$ (plus de 10X le PIB mondial) La dette publique française est de 1 535 […]