La décadence

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Hegel attribua la chute de l’empire romain à la prévalence des intérêts particuliers. Préoccupés de poursuivre essentiellement leur intérêts propres, les Romains se seraient désintéressés de la chose publique. L’avènement du christianisme aurait joué un rôle essentiel dans ce désintérêt croissant : en relation privée avec leur dieu – « Le royaume de Dieu est en vous » – les citoyens cessèrent de s’identifier au sort de leur Cité.

La guerre, dit Hegel, rappelle aux citoyens l’existence de l’État comme entité supérieure par rapport à laquelle leur vie s’organise dans un cadre plus large que celui de leurs préoccupations immédiates. Quand la guerre éclate, le bourgeois qui loge au cœur du citoyen se rend compte que seul, il ne pourra pas défendre les possessions dont il est propriétaire et auxquelles il tient par-dessus tout : c’est l’État seul qui pourra organiser la force collective qui permettra de défendre la propriété de chacun.

La décadence résulte de la perte de ce sentiment du bien commun comme seul capable d’assurer le bien individuel. La société civile, comme simple conjugaison d’intérêts particuliers est insuffisante à alimenter la flamme de ce sentiment.

La décadence a lieu de son propre mouvement quand l’individu fait prévaloir sa liberté immédiate par rapport au bonheur de la communauté dans son ensemble. Une idéologie existe qui place cette liberté immédiate au pinacle : l’ultralibéralisme sous ses formes diverses du libertarianisme, de l’anarcho-capitalisme, etc. Notre société contemporaine se singularise par le fait qu’une idéologie porteuse des principes de sa propre décadence s’est formulée explicitement en son sein, prône les valeurs qui la provoquent inéluctablement quand elles sont mises en œuvre, et applique son programme consciencieusement et systématiquement, quelle que soit la puissance des démentis que les faits lui apportent.

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