Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Je reviens sur un thème que j’ai déjà brièvement évoqué dans le billet « Le citoyen et le bourgeois« , et que je développerai bien davantage encore dans une communication que je ferai cet été (le 9 août) au Banquet de Lagrasse : « Hegel : le citoyen et le bourgeois qui se logent en nous ne parlent pas d’une seule voix ».
Peut-il y avoir trop de propriété ?
Il n’existait pour Georg Wilhelm Friedrich Hegel, le philosophe allemand de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, que très peu de sujets sur lesquels il n’avait une opinion ferme et définitive. Or il existait une question dont il ignorait la réponse, et il le reconnut volontiers : comment éliminer la pauvreté de nos sociétés ? Il écrivait dans sa Philosophie du Droit (§ 245) : « Si on imposait à la classe riche la charge directe d’entretenir la masse réduite à la misère… la subsistance des misérables serait assurée sans être procurée par le travail, ce qui serait contraire au principe de la société civile et au sentiment individuel de l’indépendance et de l’honneur. Si au contraire leur vie était assurée par le travail (dont on leur procurerait l’occasion), la quantité des produits augmenterait, excès, qui avec le défaut des consommateurs correspondants qui seraient eux-mêmes des producteurs, constitue précisément le mal et il ne ferait que s’accroître doublement. Il apparaît ici que malgré son excès de richesse, la société civile n’est pas assez riche, c’est-à-dire que dans sa richesse elle ne possède pas assez de biens pour payer tribut à l’excès de misère et à la plèbe qu’elle engendre » (1). La question de la pauvreté était pour Hegel, insoluble dans le cadre de la société civile. Il l’évoqua dans d’autres contextes, comme résultant d’une contradiction entre le droit à la propriété et l’éthique, la morale dans sa dimension collective et sociale. Une autre manière encore de formuler la même difficulté, c’est de souligner les exigences contradictoires du citoyen et du bourgeois qui cohabitent en nous : le citoyen aspire à l’égalité de tous alors que le bourgeois insiste sur son droit à accumuler autant de richesse qu’il le jugera bon.
Cette contradiction fut centrale aux révolutions « bourgeoises » de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Durant la Révolution française, Robespierre avait proposé une solution politique à la question : distinguer le nécessaire du superflu. Dans son discours sur « Les subsistances » (1792), il posait la question : « Quel est le premier objet de la société ? », et il répondait : « C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? Celui d’exister. La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là ; la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonnée à l’industrie des commerçants. […] quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? Le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence, aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend par ce mot le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables » (2).
Alors, comment rapprocher les points de vue du citoyen et du bourgeois que nous sommes à la fois ? La réponse, c’est John Maynard Keynes, qui nous l’a offerte. Il écrivait en 1930 : « Il est vrai que les besoins des êtres humains semblent insatiables. Mais ils appartiennent à deux catégories : il y a d’abord les besoins qui sont absolus au sens où nous les ressentons quelle que soit la situation dans laquelle nous sommes, et il y a ensuite ceux qui sont relatifs, au sens où nous les éprouvons seulement si leur satisfaction nous élève par-dessus, nous fait sentir supérieurs à nos concitoyens » (3). Les besoins du premier type font de nous des citoyens, ceux du second type, des bourgeois. Pour réconcilier ces deux points de vue – au cas où la solution politique de Robespierre ne nous conviendrait pas – il faudra malheureusement attendre que notre espèce émerge des gamineries du genre : « C’est la mienne la plus grande ».
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(1) Traduction de Jean Hyppolite dans Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel, Paris : Marcel Rivière et Cie, 1948 : 92.
(2) Maximilien Robespierre, « Les subsistances » (1792), in Robespierre : entre vertu et terreur, Slavoj Zizek présente les plus beaux discours de Robespierre, Paris : Stock 2007 : 144–145.
(3) John Maynard Keynes, « Economic Possibilities for our Grandchildren » (1930), in Essays in Persuasion, Collected Writings Volume IX, Cambridge: Macmillan / Cambridge University Press for the Royal Economic Society, [1931] 1972 : 326.
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260 réponses à “BFM Radio, le lundi 14 juin à 10h46 – Peut-il y avoir trop de propriété ?”
Quel fameux équilibre il faudrait trouver pour assurer la suprématie du citoyen sur le bourgeois! L’égalité dans la subsistance étant très difficile à réaliser, on trouvera toujours, à mon sens, des gens âpres à s’élever dans la société et à piétiner leurs compatriotes pour gravir l’échelle sociale. Les « bourgeois » eux sont tout à fait au courant de cet état de choses: le gouvernement français vient de libéraliser le marché des paris pour mieux convaincre le citoyen qu’il est légitime de récolter un hypothétique magot par le fruit du hasard (sans doute trafiqué). Quand on n’a pas d’emplois à donner aux gens, on leur propose de s’affranchir de la contrainte de la pauvreté par l’illusion de la richesse.
Autre approche :
Si l’on considère la propriété comme une manifestation humaine , y a-t-il quelque chose à attendre d’une approche psychanalytique de la propriété dont le trop serait alors à aligner sur les névroses et psychoses d’un besoin mal traité ?
Dis moi comment tu possèdes je te dirai qui tu es .
Où les possédants paranoïaques , schizophtrènes , dépressifs , mégalomanïaques , découvrent qu’ils ont failli se faire …posséder par leur propre maladie .
On cherche un psy inconteté de la propriété .
PS : il me semble qu’il y a déjà eu des approches psychanalytiques des concepts et idéaux du néolibéralisme . Je ne sais plus où ni qui .
@ juan nessy,
juste une opinion personnelle à propos de ce que vous soulevez.
Tout d’abord les termes diagnostiques que vous utilisez sont des A.O.C. de la psychiatrie, qui interviennent autant dans le contrôle social par le dispatching des gens qui s’en trouvent affublés, que dans une élaboration dite « scientifique » dont 2 siècles après on attend toujours la consistance. Il est clair que le pharmacon (à entendre dans la double acception du terme qu’en faisaient les grecs anciens) – comme drogue ou parole – calme ou enflamme. Ce constat établi n’éclaire pas ce dont il s’agit et qui reste opaque. Ces précisions pour dire que l’affaire diagnostique est du registre médical, l’affaire diagnostique dans la « rencontre » entre un analyste et un consultant vient plutôt brouiller, parasiter ce qui peut advenir entre un qui offre et s’offre et l’autre qui demande dans un malentendu de plainte énigmatique, à déchiffrer.
Le sentiment de propriété est d’abord l’effet d’une organisation sociale. Il est produit par un ensemble de règles plus ou moins explicites que les ethnologues à partir de leurs présupposés bien de chez nous, ont cherché à mettre en évidence. Comment aussi dire « ma propriété » si une langue ne possède pas de première personne du singulier, ou si cette notion de propriété est diffractée et multiforme, en tout cas pas du tout étalonnée sur le juridique légué par Rome.
La psychanalyse s’adresse à des sujets effets de quelques millénaires où pêle-mêle on discerne à la louche des discours qu’un épistémologue interroge. Lacan soutient que la psychanalyse opère sur le sujet de la science. Sans science, pas de mondialisation à marche forcée, quant au sujet, le terme est d’une richesse sémantique rare et il n’y a pas de nœud coulant pour mieux le cerner. Entre sujet du Roi et sujet de la phrase…etc.
Alors à toutes ces formes de sujets qui brillent au grand jour, dans le maillage des discours juridiques, économiques etc. qui nous gouvernent, à part faire émerger la part obscure et en creux dans l’ombre du « y a quelque chose qui cloche là dedans » selon la formule de Vian, bref les trous dans les mailles, que voulez vous attendre de la psychanalyse ?
Ensuite, il est notoire que la psychanalyse ne s’est pas sentie bien à l’aise et dans les démocraties populaires et sous les dictatures. Chez les premières parce que des divergences idéologiques, des malentendus et des limites à l’entreprise individuelle l’ont éradiquée. Chez les secondes ce fut le passage à la clandestinité de réseaux puisque la méthode de « l’association libre » requiert la liberté d’expression.
Enfin si des écrits ont été produits à propos des idéaux du libéralisme, j’en retiens surtout l’articulation entre le consumérisme et sa vanité à combler le manque inhérent au sujet des pulsions.
@pvin :
Beaucoup plus simplement , je fondais l’hypothèse que les méthodes de la psychanalyse , en ce qu’elles permettent de mettre en évidence consciente les sources d’une inadaptation à un besoin , pouvaient aider à comprendre à la fois la source de soif de propriété et les causes de ces dérapages .
Je vous accorde qu’il faut définir alors ce qu’en l’espèce on nommerait » inadaptation » et » dérapages » ( le « trop » ?).
J’ai un peu donné ma propre réponse provisoire .
Le psychiatre c’est l’expression démocratique .
@juan nessy
J’ai tenté de faire simple en montrant la complexité sans donner dans le simplisme.
À propos de source de soif de propriété selon votre expression, il doit bien exister un test de psychologie qui montre que deux bambins jumeaux homozygotes s’intéressent plus au nounours qu’ils voient dans les mains de l’autre qu’au même qu’ils ont dans leur propre main.
« le psychiatre c’est l’expression démocratique » je sèche ! j’imagine que le droit au remboursement sécu en fait un produit de consommation démocratisé ?
Merci du lien plus haut pour la propriété en Chine.
@ pvin
Il y eu des expériences sur des bambins. On met un bambin dans une pièce avec quantité de jouets identiques. Il en prend un et joue tranquillement. On introduit alors un autre bambin dans la pièce et patatra, il veut le jouet du premier bambin alors même qu’il y en a quantité d’autres identiques.
D’aucuns en déduisent que l’Homme serait «naturellement» égoïste. Mais c’est beaucoup plus simple. Les bambins sont attirés par ce qui bouge, les mouvements du jouet.
@pvin :
Bonjour , j’espère que vous avez dormi un peu !
Pour le psychiatre et la démocratie , je voulais signifier par cette éllipse un peu hardie , que la vérité de l’équilibre personnel que le psychiatre sous entend par son art , est à rechercher plutôt ,dans la vie sociale, dans le débat démocratique et ses vérités provisoires mais nécessaires .
@juan nessy,
Je crois aussi que certains, pas tous, mal être sont liées aux formes d’organisations sociales qui font des dégâts subjectifs. C’était aussi l’opinion d’une partie des psychiatres français au moment de la Libération, qui imaginèrent d’autres formes de « soins » que l’asile de l’époque. Mais tout ça est loin comme l’est cette remarque du fil ici de la propriété.
@ Fujisan
Désolé, je crains que ce ne soit pas aussi simple.
Mais ce que je tente de contrer avec humour sur ce fil est l’hypothèse psychologisante, de l’égoïsme, de l’avidité etc. qui est tout à fait secondaire vis-à-vis de l’enjeu de limiter l’hubris de la propriété dans le capitalisme. Peu m’importe les ressorts désirants du bourgeois dans mon souhait de lui poser des limites dans un cadre politique.
@pvin :
» dans un cadre politique… »
je n’ai rien dit d’autre . On est donc d’accord !
Mais on a cependant à apprendre des neuro-sciences et de la psycho-sociologie .
@ juan nessy, neuro-sciences, psycho-sociologie ou autres, la question est du coté de l’utilisation idéologique et commerciale des productions scientifiques ou pseudo-.
Bonsoir,
J’arrive tard et je n’ai pas tout lu. Toutefois, je peux objecter que la question posée est peu soluble à l’échelle individuelle.
Mais fort heureusement il ne s’agit pas d’individus mais d’une communauté d’individus pour laquelle il est relativement accessible de déterminer le bon dosage entre ‘citoyen’ et ‘bourgeois’. On pourrait disserter longtemps mais énonçons le théorème qu’une société démocratique puisse correspondre à un certain équilibre entre des proportions de citoyens et de ‘bourgeois’.
Je dois ajouter que cela ne me choque pas du tout. Ce qui me choque davantage serait (ça l’est déjà) que les citoyens n’aient aucune perspective de devenir bourgeois et que les bourgeois soient trop certains de le rester. On peut l’entendre dans le présent et sur plusieurs générations.
Il me semble donc qu’une société démocratique moins mauvaise serait celle dans laquelle un citoyen peut s’embourgeoiser et un bourgeois s’appauvrir sans que cette ‘respiration’ puisse produire de drame dans l’assouvissement des ‘besoins absolus’ dont parle Keynes.
En sommes, résoudre la contradiction entre citoyen et bourgeois en 2 dimension (individu et société) me semble plus accessible que le casse-tête philosophique réflexif qui nous ramène forcément à la question : ‘pouvons-nous admettre d’en avoir moins que le voisin’?
Je m’arrête volontairement là !
« il faudra malheureusement attendre que notre espèce émerge des gamineries du genre : « C’est la mienne la plus grande ». »
– C’est bizarre cette coïncidence extraordinaire que l’on relève toujours entre « notre espèce » et « notre société »…notre civilisation !
– Ne nous laissez pas succomber à la tentation…
– « Notre fonction n’est plus d’acquérir, mais d’être. » Rabindranath Tagore
– « La civilisation, au vrai sens du terme, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement. C’est le seul moyen pour connaître le vrai bonheur et nous rendre plus disponible aux autres. Il faut un minimum de bien-être et de confort ; mais, passé cette limite, ce qui devait nous aider devient source de gêne. Vouloir créer un nombre illimité de besoins pour avoir ensuite à les satisfaire n’est que poursuivre du vent. Ce faux idéal n’est qu’un traquenard. Il faut savoir imposer une limite à ses propres besoins, physiques et même intellectuels, sinon la nécessité de les satisfaire devient recherche de la volupté. Nous devons nous arranger pour que nos conditions de vie, sur le plan matériel et culturel, ne nous empêchent pas de servir l’humanité, mission qui doit mobiliser toute notre énergie. » Gandhi
« au cas où la solution politique de Robespierre ne nous conviendrait pas » : 🙂
@Méthode 17H39
Non, je n’accepte rien de ce que vous dites. Tout ce qui est accepté par les autres dont je ne fais pas partie me révolte ! Je suis clair et net !
très bien.
ça ne m’étonne guère.
Pourquoi n’ai je pas vu ici le parallèle entre possession et domination ?
Se sentir si petit que l’on doive écraser les autres pour être à la hauteur ?
Les propriétés des l’humain sont ses capacités à faire.
Ses possessions ne sont que des constructions culturelles pour se protéger face à la disparition de la solidarité.
Elles sont la réponse à la pénurie organisée des ressources qu’elles accélèrent à leur tour dans une boucle de rétroaction.
Toutes ces réponses me semblent des réponses aux problèmes passés.
Pour le futur il faudra faire autrement.
@agata
le plus amusant est que lorsque nous définissons « propriété », « territoire », nous cherchons à confirmer les mécanismes qui en sont à la source :
http://www.pauljorion.com/blog/?p=12555#comment-84073
http://www.pauljorion.com/blog/?p=12555#comment-84073
http://www.pauljorion.com/blog/?p=12917#comment-87327
Bien sûr qu’il peut y avoir trop de propriété: quand on gagne trop d’argent, quand il y a trop d’argent de gagné, quand il y a trop de crédits, quand les banques vous démarchent en faisant du télémarketing pour vous demander si vous ne voulez pas acheter, et donc emprunter (ce que nous avons réellement vécu), quand les banques prêtent trop facilement parce que vous êtes en fait trop riches, quand les banques vous prêtent parce que vous vous croyez trop riches, quand les médias se mettent de la partie, quand on cherche et vous encourage à emprunter pour faire de la plus-value, quand les politiques ne réfléchissent pas assez, quand les économistes sont trop bien payés pour ce qu’ils font, quand on sait que c’est maintenant ou jamais, quand le monde se vide de sens, quand il n’y a plus de temps pour la réflexion, quand on est pris dans la course folle de la consommation et de la croissance… Quand il y a trop de tout, qu’on s’encombre et qu’on finit par se perdre… Trop, c’est trop!
Dans le genre haute (très très très haute) bourgeoisie citoyenne, je vous enjoins instamment à mettre votre nez, avec pince à linge, dans les croquignolesques affaires Neuilléo-Bettancouro-Woertho-Élyséenne, révélées dans Médiapart:
« Stupéfiant rebondissement dans l’affaire Liliane Bettencourt. La fille unique de la milliardaire, convaincue que sa mère est dépouillée de ses biens, a transmis à la police judiciaire des enregistrements pirates de conversations entre l’héritière de L’Oréal et ses principaux conseillers. Ces documents audio, dont Mediapart a pris connaissance, révèlent diverses opérations financières destinées à échapper au fisc, des relations avec le ministre Eric Woerth et son épouse, ainsi que les immixtions de l’Elysée dans la procédure judiciaire. »
Stavisky, c’était du pipi de chat!
La suite là: http://www.mediapart.fr/
Je ne comprend pas cette fixette sur le concept de « propriété »… Je ne comprend pas non plus ce que veut dire « trop de propriété ».
L’institution de la propriété est fondée sur le fait que tout le monde ne peut pas faire usage de la même chose en même temps (et ce n’est pas seulement une question de rareté, mais une question purement « technique »).
Ensuite on peut discuter les différents modes d’organisation de la coopération entre les membres de la communauté politique, en les autorisant ou non à faire ceci ou cela dans tel ou tel contexte, et ce qui en résulte est un ensemble de règles de « propriété ».
A ce point, il convient de faire plusieurs remarques:
1/ la propriété collective de tous les biens ne change fondamentalement rien. Il faudra toujours définir des règles quant à l’usage des choses. Et sous une forme ou sous une autre on revient à la problématique de départ.
2/ Je ne sais pas ce qu’on entend par « bourgeois ». Et ce que cela signifie très exactement dans la bouche de Hegel, mais c’est là un concept tellement flou qu’il ne signifie rien. Il vaudrait mieux parler de régimes de droits de propriété qu’on discute. Le reste n’étant que du baratin.
3 exemples:
– la gestion des ressources naturelles: il existe 4 modèles. Système capitaliste, Système centralisé, Commons, Gestion collective. Qui des externalités générées dans chaque cas, quelles implications quant à la forme de l’organisation qui en a la charge (quel type de lien est généré entre les individus qui coopèrent/coordonnent leurs activités)?
– la question du niveau de justification approprié à chaque régime de distribution des droits sur les biens rares:
Un républicain arguera que la démocratie a pour condition de possibilité l’accès de chacun à la propriété de son logement (démocratie de petits propriétaires), pour des raisons de stabilité politique (a/ il faut que chacun ait quelque chose à perdre… surtout les « prolétaires » et b/ il faut donner une raison à chacun d’appartenir à la communauté), alors qu’un libéral argumentera autrement (il n’a pas la même conception de ce qu’est une démocratie bien ordonnée).
Par opposition pensons à la question des droits de propriété sur les « éléments issus du corps humain » (greffons, placenta, ovules…). Doit-on essayer de traiter cette dernière de la même manière que celle du logement, en exigeant que la justification s’appuie explicitement sur une certaine conception de ce qu’est la communauté politique, ou bien doit on simplement en faire une question d’éthique individuelle (religieuse ou athée ca revient au même de ce point de vue)?
Tournons nous maintenant vers la propriété intellectuelle: est ce que c’est un principe politique/moral qui doit la régir (droit des créateurs sur leurs créations, par exemple) ou bien un retour à la raison de l’institution de la propriété elle-même (puisque tout le monde peut en jouir en même temps sans que ca pose problème il n’y a aucune raison pour une quelconque idée de propriété).
– la question de ce qu’est le droit de propriété.
N’importe quel juriste expliquera que le « concept » même de propriété a volé en éclats ces 15 dernières années. La trilogie « usus », « fructus », « abusus » a été entièrement déconstruite avec l’explosion des formes originales de titres de propriété désormais irréductibles à ces 3 dimensions issues du droit romain (et la finance en a généré beaucoup).
La difficulté est de savoir quel mode d’organisation social garantit ce que Robespierre veut garantir. Historiquement ca a donné lieu à un débat du type « propriété privée et marchés » contre « commons », et à ce qu’on a appelé ensuite « la tragédie des commons ». Et dans chaque cas il se peut que la réponse soit différente.
Pour ce qui est de la distinction « besoins »/ »excès », la réponse la plus cinglante a été donnée par Rawls: dans une démocratie bien ordonnée cette question n’a même pas à se poser car de facto, parce qu’ils sont membre de la communauté politique, les citoyens en tant que tels ont déjà droit à « plus » que ce que requièrent la simple satisfaction des « besoins ».
Il ajoute, à juste titre, qu’aborder le problème via la question des besoins, c’est déjà une attitude anti-démocratique, une régression totale, en ceci que ce qui sert d’étalon c’est alors l’individu en tant que substrat bio-psychologique, atomisé et coupé de toute participation à ce que permet de produire la coopération sociale dans son ensemble, ALORS MEME QU’IL EST UN MEMBRE A PART ENTIERE DE LA COMMUNAUTE POLITIQUE ET QU’IL NE SAURAIT ETRE TRAITE AUTREMENT QUE SOUS CET ANGLE LA. Les communautariens seraient également d’accord avec ça, mais pour d’autres raisons.
Et c’est pourquoi les discours des économistes par définition (qu’il s’agisse de Marx, de Hayek ou de Keynes) sont ipso facto anti-démocratiques: ce qui sert de support à leur argumentation c’est toujours le substrat bio-psychologique ou pire un « modèle comportemental » et JAMAIS un concept normatif tel que celui de « citoyen ».
@ Antoine Y :
On va attendre la réponse de Schizosophie , s’il ( elle?) passe par là , mais si vous posez l’institition de la propriété telle que dans votre deuxième paragraphe , je comprends que vous ne compreniez pas la fixette .
@Antoine Y :
Est ce que la réponse citoyenne ( individuelle et/ou collective) à la question des limites à la propriété selon votre conception, est alors une forme d’eugènisme ?
Bonjour,
Votre intervention est, comme souvent, de bon aloi.
Certes, si le système de propriété privé et de « biens communs », c’est-à-dire non pas appropriés mais à la disposition de tous, était clairement établi ou rétabli, il est à parier qu’il n’y aurait pas, aujourd’hui, de « fixette sur la propriété » comme vous le dites.
La déstabilisation de ces notions juridiques élémentaires durant le XXème siècle (atteintes répétées à l’absolutisme du droit de propriété) a probablement accéléré toutes les dérives que l’on connait (accélération de l’imagination et de la créativité financière par exemple).
Mais vous avez raison, cela ne résoudrait pas tout, car en effet, en matière de biens collectifs, les questions de propriété se transformerait souvent en « comment réguler l’usage de tous » sur ces « biens collectifs » ; sauf que l’air, l’eau, le vent etc. peuvent-ils vraiment être considérés comme des biens ou une chose ? Peut-être, tout simplement, n’est-il pas besoin d’en réglementer l’usage. Il suffit que tout un chacun reprenne conscience que l’on vit sur une Terre qui veut bien nous accueillir mais qu’elle pourrait, un jour, en décider autrement ; autrement dit, si l’homme abuse de ce que la nature lui procure, il s’expose, tout simplement à disparaître. Comment réglementer ou réguler cela ? Il me semble que cela relève de la conscience individuelle et collective et non d’une règle de droit.
J’ajoute que, conformément à la politique américaine, la transformation de la notion de droit en commerce a considérablement aggravé les choses : le droit est devenu l’arme du commerce et a ce faisant perdu sa place de régulateur social. Le droit est devenu l’ennemi du Droit en quelque sorte. Tout est commerce, et les discussions sur l’appropriation du corps humain ou des brevets font parti de cette façon de penser.
Dans un monde idéal, on ne saurait mettre sur un pied d’égalité la maison et le corps humain, pas plus qu’il ne saurait être question de monnayer les idées humaines. Peut-être est-ce là de l’utopie, mais sincèrement, je trouve que la façon monétaire d’aborder les questions de bioéthique n’est pas la bonne. Encore une fois, je trouve très choquant que la vie puisse être marchandée.
Cordialement,
Je m’étonne un peu de l’absence de nombreux commentateurs habituels qui considèrent peut être qu’ils se sont suffisamment répandu sur des billets antérieurs . En particulier , je m’attendais à voir réapparaître ceux qui avaient planché en janvier sur Marx ou les salariés , ou sur le « capital surabondant » . Ils ont peut être redouté qu’on leur demande leur déclaration de patrimoine ( moi c’est un deux pièces cuisine et une 206 ) .
Peut on être propriétaires de ses enfants comme la définition première de prolétariat ou la notion de « mère possessive » , le laissent penser ?
La propriété est elle nécessaire à l’économie , politique ou pas ?
La propriété est ce le résultat d’un instinct de domination ou d’un instinct de survie ?
Apprivoiser la propriété revient il à apprivoiser nos instincts , par nécessité ou par idéal transcendant ?
Pour éventuellement recadrer assez pauvrement :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_propriété
(telles sont les ….propriétés du lien )
@ tous,
VB nous dit que ‘chiffrer l’excès de propriété’ serait une erreur…
>>> dans quel termes énnoncer cet excès nuisible ???
NB : appel à tous les LECTEURS du blog aussi 🙂
Qu’elles soient législatives, boycot de la conso, grèves, etc… TOUTES les possibles solutions seront C O L L E C T I V E S Merci à tous!
à Juan Nessy suite,
‘chaque chose que nous possédons nous possède’.
C’est tellement vrai. Il nous faut travailler pour l’acquérir, lui trouver une place, l’entretenir, la protéger, la porter si on se déplace > perte d’argent (=énergie vitale) , perte de place , perte de temps (précieux) , protection contre la convoitise des autres, soucis, difficulté de se déplacer simplement,…
>>> perte de liberté.
Cela bien présent à l’esprit, c’est plus facile de résister aux sirènes de l’achat…pour moi en tout cas 🙂
Pourquoi avons-nous peur de la liberté au point de la remplir de contraintes en tout genre ?
La rubrique est publiée sur Dailymotion :
http://www.dailymotion.com/video/xdpxyf_14-06-2010-paul-jorion-bfm-radio-in_news
La brubique est publiée sur Dailymotion :
http://www.dailymotion.com/video/xdpxyf_14-06-2010-paul-jorion-bfm-radio-in_news
Bonjour, au sujet de la propriété, je voudrais faire une remarque : la propriété n’a d’interet que si l’on peut la vendre ou l’acheter à l’heure actuelle. Dans la réalité il faut faire la différence entre un « droit » ( logement, travail etc…) qui vise à exercer une activité réelle ou à subvenir à ses besoins et un droit qui devient une valeur marchande sans qu’il y ai de contrepartie autre que financiere: les actions par exemple. Une autre question: peut-t-on être propriétaire de quelque chose dont on ne peut pas s’occuper ou occupper ? Il y a un lien ( ou il devrait y avoir un lien) entre un titre de propriété ( qui est un droit ) et son usage. En quoi posséder des « actions » permet de toucher des dividendes, voir exiger des dividendes ?
« Peut on être propriétaires de ses enfants comme la définition première de prolétariat ou la notion de « mère possessive » , le laissent penser ? »
C’est vraiment incroyable. Vous lisez Engels, qui vous dit que la famille est issue de la propriété privée, et que l’inégalité entre les hommes et les femmes est en issue. Vous lisez Marx, qui vous dit que le Patriarcat est le terreau du capitalisme et que l’homme a droit de vie et de mort dans SON foyer. Et pourtant, malgré toutes ces prudentes recommandations, vous continuez de cibler vos critiques sur la « possessivité » des mères.
Quand allez-vous enfin parler du gynocide qui a duré 600 ans suite à la découverte de l’imprimerie par Gutenberg, à la base du droit européen, des héritières des traditions orales appellée « sorcières » lorsque la terre, avant les enclosures, était un domaine d’ordre spirituel confié aux femmes?
Quand allez-vous vous rendre compte que votre « liberté » se base tout simplement sur la forclusion du féminin et que ça commence à tourner au vinaigre?