Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Je suis à Paris, pour plusieurs rendez-vous : ce matin, un débat, passionnant d’ailleurs, pour Philosophie Magazine, avec David Thesmar et arbitré par Nicolas Cori de Libération, demain un entretien avec Alexis Lacroix pour Marianne, et un autre dans l’après-midi avec Jean-Pierre Elkabbach pour Public Sénat.
Je suis descendu dans un petit hôtel près de la Bastille. Quand on a fait beaucoup de choses différentes dans sa vie, plein d’endroits vous sont en fait familiers. La Bastille, le Marais, c’est l’un des mes anciens quartiers : j’ai habité rue des Tournelles et à deux adresses différentes rue Saint-Paul.
François et moi allons manger des tapas. Je regarde tous ces gens assis à des terrasses, toute cette foule bruyante, comme si de rien n’était, et je me dis : il y a deux possibilités, ou bien c’est nous qui rêvons avec nos longues dissertations sur la crise et la fin d’un monde, ou bien ce sont eux, ceux que l’on voit là, qui poursuivent un rêve : le rêve d’un monde qui en réalité a cessé d’exister. Et la réponse me vient : c’est comme dans « Un soir, un train ».
J’ai vu quand il est sorti en 1968, le film d’André Delvaux, avec Yves Montand et Anouk Aimée, mais j’ai aussi lu dans sa version originale en flamand, le roman de Johan Daisne dont le film est tiré : De trein der traagheid.
Un train s’arrête en rase campagne, quelques voyageurs en descendent. Débute alors pour eux un périple d’une lenteur éprouvante : une longue marche, suivie d’un séjour dans un café où l’on danse avec componction et où les pendules, curieusement, sont arrêtées. Jusqu’à ce que le héros s’éveille brutalement : des cris l’entourent de partout, le train a déraillé. Il retrouve enfin sa femme : son corps fait partie d’un alignement de cadavres allongés.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
157 réponses à “Un soir, un train”
En regardant un livre sur le peintre André Beaudin, je lis ce beau texte de Veno Pilon :
Pour se libérer de sa matière-prison
l’homme (beau joueur)
tente de percer son écorce
mais il est retenu par l’esprit lumière
et poésie de son jeu.
« La crise » ne touche pas tous le monde. Une large partie de la population, que ce soit à Paris ou ailleurs en Europe, touche tous les mois un salaire, des primes, avantages, augmentations….Pour eux, il n’y a pas de crise, la vie continue et les habitudes aussi. Les chômeurs sont des paresseux et les précaires anxiogènes. Mieux vaut pas les voir.
» Les chômeurs sont des paresseux et les précaires anxiogènes. Mieux vaut pas les voir. »
Ca fait partie des idées reçues faut faire du chiffre, pourtant tous les chômeurs ne sont pas des paresseux et des précaires anxiogènes, bien au contraire c’est juste que c’est beaucoup moins évident à expliquer et à démontrer pour eux comme pour les gens ayant une bonne place.
Je dirais même qu’ils ont beaucoup plus de mérite à vivre certaines situations dans l’adversité la plus totale que d’autres n’ayant jamais réellement vécus cela surtout en ce moment. Mais rassurez-vous la grande meule du commerce mondial se grippe de plus en plus, alors tôt ou tard ils en seront bien obligés de réviser sérieusement leur jugement moral sur beaucoup de personnes.
Père, pardonnez-leur car ils ne voient pas encore les premiers ce qu’ils préfèrent subir aux autres pour faire davantage de chiffre.
Pour moi c’est surtout la foi au ciel et non en le Pape qui m’aide à tenir et à garder mon humanité en espérant que cette parole ne soit pas aussi blessante que la leur au quotidien.
Parole de Jérémie portant douloureusement sa croix comme tant d’autres peut-être au quotidien,
accrochez-vous il n’en sera pas toujours ainsi c’est évident.
Les premiers deviendront les derniers et les derniers les premiers travailleurs de l’esprit.
Voici un vieux texte que j’avais écrit en 2005:
Vous ne parvenez pas à vous endormir. Vous vous retournez et retournez encore, dans ce putain de lit, rien ne se passe et le sommeil ne vient pas. Vous pensez à tout ce qui ne va pas. Aux problèmes qui ne font que défiler dans votre mémoire. Le mot « crise » ponctue quelque phrase au hasard.
Vous vous énervez et pourtant c’est le moment de vous rendre compte que le temps existe vraiment et qu’il peut être long. Écouter s’égrener les secondes à l’horloge vous donne enfin l’impression et la conscience qu’il existe autre chose que la vie trépidante. Au plafond, le faisceau de l’horloge projette l’heure et les minutes.
– Alors, c’est quand que tu vas passer à la minute suivante? Quelle idée d’avoir acheté ce compteur de temps qui n’a que les heures et les minutes à bord. Avec les secondes en plus, on aurait pu croire qu’il vit encore.
Comptez les moutons qu’ils disaient. Ils ne savent pas que cela oblige rester éveiller pour n’en passer aucun.
Cette pensée de l’existence du temps vous permet de rêver au passé tout proche, aux bons et mauvais moments de la journée écoulée. Rendre en fait le temps au temps. La nuit est conseillère, espérons qu’à votre réveil, il en restera quelque chose.
Insensiblement, insidieusement, vous ne pensez plus à cette horloge de malheur.
Un déclic, une inattention et Morphée reprend ses droits.
Pourtant, au matin, la routine reprend le dessus, avec ses obligations stressantes.
Par habitude, vous voulez dépasser la voiture qui vous précède dans la file et qui vous semble se traîner lamentablement (il a peut-être lu cet article avant vous).
Un conseil ? Restez bien sagement derrière lui et regardez à gauche et à droite. La nature vous a probablement échappé jusqu’ici, les choses ont changé sans que vous en ayez pris conscience. Un coup de frein s’impose très vite de peur de rater la marche décisive.
Au bureau, prenez le temps de planifier votre travail. Réservez-vous des temps de vie (non des temps morts, quelle drôle d’idée) pour espacer vos actions journalières.
Votre patron vous relance et vous replonge dans le stress habituel. Qu’à cela ne tienne, restez zen. Et comme vous avez programmé votre temps, vous aurez une vue plus claire des objectifs de la journée et de ce qui reste important à votre vie. Refusez la fuite en avant.
Au besoin, faites lui lire cet article. Malgré ses impératifs, peut-être réfléchira-t-il aussi à son propre intérêt en temps qu’Homme, qui calmerait son stress et épargnerait sa santé.
Montrez lui la fenêtre qu’il n’a plus pris le temps d’ouvrir. Le monde extérieur qui prend encore le temps d’y jeter plus qu’un coup d’œil distrait.
Le livre de la vie se lit et se savoure mot à mot, phrase par phrase, chapitre après chapitre.
Ne tournez pas une page sans en avoir compris tout le sens.
Contrôlez le déroulement de l’histoire avant de passer au chapitre suivant.
Au fur et à mesure que vous avancerez dans la lecture, vous éprouverez peut-être des envies d’en connaître la suite, d’en deviner une part du dénouement.
Surtout évitez de brusquer les choses, car ce livre-là est à sens unique. Pas question de relire une page non assimilée et qui vous a fait perdre le fil.
Le livre n’a pas un nombre de pages illimité et ce serait dommage d’approcher de la fin en vous retrouvant tout désorienté sans savoir si le temps n’est pas passé au dessus de votre tête à votre insu.
Un autre livre est un luxe que nous ne pouvons pas nous payer, et arrivé à la dernière page, nous pouvons espérer que le résumé du livre soit à la hauteur de nos espérances.
Ce soir, en allant vous coucher, en repensant à tout cela, vous verrez que les bras de Morphée vous seront grand ouverts et que la journée fut bonne.
En attendant Godot, Samuel Beckett
bon, et bien oui, il faut continuer à manger et à vivre, non ?
et ces tapas, elles étaient bonnes ?
François Leclerc semble garder l’appétit, malgré tout (il aime bien la cuisine espagnole François, vous aussi ?)
Je suis à Paris, pour plusieurs rendez-vous : ce matin, un débat, passionnant d’ailleurs, pour Philosophie Magazine, avec David Thesmar et arbitré par Nicolas Cori de Libération, demain un entretien avec Alexis Lacroix pour Marianne, et un autre dans l’après-midi avec Jean-Pierre Elkabbach pour Public Sénat.
Bonjour
Cette super activite n’est elle pas en quelque sorte (dans sa forme et dans son fond d’ailleurs) une illustration de : un soir ,un train
La derive est en gestation et les debats impactent si peu le cours des choses.
Cordialement
L’ambiance générale fait plutôt penser à cette suspension du temps si bien décrite dans « un balcon en forêt » de Julien Gracq, et qui a pour cadre la drôle de guerre (1940) vue des premières lignes du front. Nous sommes bien dans la « drôle de crise », provisoirement.
Oui un monde financier s’effondre en ce moment même nul doute qu’au delà de sa chute virtuelle, il aura des conséquences réelles et douloureuses. Et pourtant profiter d’un peu de soleil assis sur une chaise, c’est une technique de résistance. La toute puissante « finance » tue nos démocraties, tue nos rêves matériels, tue notre situation future, alors pourquoi tuerai-t’elle notre capacité à bénéficier de l’instant présent ?
Pour moi tout cet argent n’a jamais existé et notre niveau de vie était largement surfait. A partir de là, la situation actuelle est une illusion qui se dissipe, un charme matérialiste, sur une vie qui devra apprendre à faire sans.
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