On a reparlé récemment de Terrence Malick, parce que son nouveau film The Tree of Life, qui devait être présenté à Cannes, et sur lequel on comptait beaucoup, n’était pas prêt.
J’ai vu The Thin Red Line en Californie à l’époque où il est sorti (1998). Un de mes fils me rendait visite à cette époque, et nous l’avons vu ensemble. Nous en sommes ressortis rompus : quel extraordinaire documentaire sur l’espèce à laquelle nous appartenons lui, vous et moi-même.
Pour ceux qui n’ont pas vu le film : il s’agit de la bataille de Guadalcanal dans l’Océan Pacifique (1942-43) et Malick, dans sa croisade anti-Hollywood, a voulu filmer cela de la manière la plus réaliste qu’on puisse imaginer.
Ceux qui ont vécu ce genre d’événements « extrêmes » pourront nous dire si le metteur en scène a réussi ou non à rendre le climat de l’homme dans ses pires moments, et dans ses meilleurs bien sûr, puisqu’ils viennent malheureusement en général ensemble (comme quand le personnage incarné par Sean Penn oublie tout de l’importance que pourrait avoir à ses yeux sa propre vie pour aller rechercher l’un de ses camarades tombé en première ligne).
Notre espèce, pour le pire et le meilleur. Quoi qu’il en soit, et tant qu’à naître sur cette planète, j’aurais préféré, et de loin, naître une girafe.
73 réponses à “Naître une girafe”
Très beau film, climat obsédant, mais c’est une description parmi tant d’autres de la compassion pour le soldat patriote, volontaire, plongé dans l’horreur et l’absurdité d’une guerre que justifient bon nombre d’historiens. Cette horreur opposée à la vie du paradis perdu et des fantasmes de ce gosse. L’opposition à voir » Le démineur » et qui à mon sens est un film très fort, toujours sur le guerrier individuel, mais décrivant son assuétude aux sensations et ce, au mépris de sa vie. Le tout, dans une « sale » guerre non justifiée: l’Irak. Cette dernière filmée de manière bien plus réaliste, car il n’est pas besoin de matériel hollywoodiens pour cette guérilla urbaine.
Bon, puisque personne ne s’y met.
Days of Heaven, une quatrième merveille :
http://www.youtube.com/watch#v=0zLPM8FLMtk&feature=related
non, non, The New World :
Cette violence esthétisée,
ou mise en scène, me fait gerber.
Si les balles ou les coups pouvaient
traverser l’écran et toucher la vraie cible,
le spectateur passif vautré sur son fauteuil,
la perception des conséquences de
ces images débiles deviendrait plus juste.
Le cinéma est de l’art; la violence fimée
en est la négation.
Au niveau des Etats, la mise en scène n’est pas différente:
Un historique de l’ armement nucléaire UK
pose la question préalable
« Pourquoi des Nuke ? » . Réponse:
« Pour être pris au sérieux par les US ».
C ‘est bien le concours débile de savoir
qui est autorisé à jouer dans la cour
des grands, et concourir à qui a la plus longue.
Tout cela est immature et déshumanisant.
Je n’ai pas de mots assez forts
pour exprimer ma désapprobation.
Comment associer ces choses désolantes
à l’ extraordinaire beauté d’une girafe,
et de tout animal ,dans son cadre de vie ?
Vue dans un parc animalier,
elle est d’une splendeur mystérieuse.
La Ligne rouge: l’un de très rares chefs d’oeuvre du cinéma de ces trente dernières années.
Un film philosophique, métaphysique même (comme « Ordet » de Dreyer ou « 2001 odyssée dans l’espace » de Kubrick), et plus, c’est vrai, sur l’espèce humaine que sur l’être humain (ceux qui croient que c’est un film de guerre confondent le cadre avec le tableau et doivent penser que Don Quichotte est un roman sur l’Espagne du XVIe siècle).
Les premières phrases qu’on entend sur fond d’images (et de musique) du paradis d’avant la civilisation (des enfants aborigènes jouant et plongeant dans l’eau) donnent la clé du film:
-« C’est quoi cette guerre au sein même de la Nature? »
-« Pourquoi la Nature lutte contre elle-même? »
-« Pourquoi la terre rivalise avec la mer? »
-« Est-ce que la Nature peut porter en elle la vengeance, être, non pas une force, mais deux? »
Tout est donc dit dans les cinq premiers minutes du film. Dans ses dernières secondes, les images du paradis reviennent et débouchent sur celle d’une plante qui pousse sur une plage.
Entre ces deux séquences paradisiaques, l’histoire de l’homme: la violence, le pouvoir, la Nature, le sentiment du mystère de la vie ou son absence, le hasard, le courage, la justice, le désir, l’innocence, la cupidité, le couple, la solidarité, la pitié, la lucidité, la foi, l’Amour, le sacrifice…
En un mot, un film shakespearien.
Et qui parle, donc, du seul problème philosophique digne de ce nom et vieux d’au moins 5 000 ans (le Gilgamesh des Babyloniens): le Bien et le Mal.
Tout cela avec la plus belle musique écrite par Hans Zimmer (compositeur qui plagie copieusement les grands symphonistes et qui a écrit beaucoup trop de musiques médiocres, mais qui a aussi composé certaines des plus belles musiques de ces vingt dernières années) : le thème « Light »:
Thème qui rappelle, d’ailleurs, par moments le sublime « Cantus in Memory of Benjamin Britten » de Arvo Part:
http://www.youtube.com/watch?v=e348n660zrA
Arvo Pärt – je connais : Le « Cantus in Memory of Benjamin Britten » me donne la chair de poule, me fait pleurer, et me tient debout dans les moments difficiles. Merci.
Je pense aussi au film Platoon de Oliver Stone. Mais c’est surtout avec l’intention de faire découvrir la musique de Samuel Barber, le fameux adagio pour cordes, pour ceux qui ne connaissent pas. Cette musique fait partie de la bande son du film : comme un rêve.
De Barber il y a aussi l’Andante de son Concerto pour violon (composé en 1939):
http://www.youtube.com/watch?v=SFQqqC0I_GI
(En disque, la plus belle version est celle de Gil Shaham avec A. Prévin)
« The thin red Line », la séparation entre l’héroïsme et la lâcheté, est une ligne qui se franchit sans que l’on s’en rende compte.
Le personnage central du film la franchit quand il rencontre ce soldat blessé et ravi car il peut rentrer au pays. À cet instant, il franchit cette ligne. Ce n’est pas dans les mots qu’il franchit la ligne. Ce n’est pas dans la rencontre. Je ne sais pas comment il la franchit à ce moment. Mais je sais qu’il la franchit pendant les quelques mots qu’il échange avec ce type.
Avant cette discussion, il était déserteur et pas du tout motivé. Sans cesse, il balançait entre la beauté époustouflante du lieu ou de ses souvenirs et l’horreur des combats, de la mort, de la peur et des blessures. Cet aller-retour incessant marque pour moi les hésitations et le déchirement de ce type entre ces deux aspects du monde. Il est beau. Il est horrible.
Après cette discussion, il n’y a plus d’aller-retours. Il y juste l’action du moment. L’état des lieux et un type qui se porte volontaire pour une mission quasiment suicide. Il réussit encore à mettre à l’abri ses deux collègues avant de se faire tuer par les Japonais.
Le film se termine avec une affirmation. Les hommes ont été changés par les combats.
Le sujet du film n’est pas Guadalcanal. Pour moi, le sujet du film est de savoir ce que vous faites de la réalité dans laquelle vous vivez. Les différents personnages rencontrés par le héros principal sont différentes réponses à cette question. Le personnage principal les regarde et nous à travers lui pour savoir qu’est ce qu’il fait là. Chacune des réponses proposées par ces personnages est insatisfaisante. Alors ce type en trouve une autre. La guerre n’est qu’un prétexte à cette question.
Les hommes ont été changés par les combats. Mais chacun de nous a une vie. Dans chacune de nos vies se pose la question de savoir ce que nous faisons ici. Malick propose une réponse et avertit qu’elle n’assure pas du tout la survie. Pourtant elle me plaît beaucoup.
Elle intègre, dans l’ordre croissant d’importance la mort, la vie et les autres humains, ceux que j’aime nommer, comme Villon le faisait, « mes frères humains qui après nous vivez ».
L’épitaphe Villon (La Ballade des Pendus) . 1463 .
Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés cinq, six :
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça * dévorée et pourrie, * depuis longtemps
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoi que fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis ;
Excusez nous puis que sommes transis *, * morts
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit par nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie *, * moleste
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués * et lavés, * lessivés
Et le soleil desséchés et noircis ;
Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous as maîtrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
À lui n’ayons que faire ne que soudre *. * payer
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
François Villon
(né en 1431 ou 1432, et jamais mort)
Naitre une girafe?
Ecoutez Monsieur Jorion pour ma part je vous trouve très bien comme cela .
Très franchement,je ne me vois pas bloguer ou skyper avec une girafe ,un panama vissé sur les ossicônes.Je ne fume pas moi monsieur!
Jamais fait une remarque (aussi conne).
Vous m’avez coupé la parole !
Merci à tous pour ces évocations cinématographiques et musicales.
Mais,
pourquoi une girafe ?
Est-ce pour prendre de la hauteur ???
c’est drole, mais comment dire que je ne suis pas surpis de voir Paul Jorion parler de « the thin red line »…j’ai toujours trouve beaucoup de raisonance entre ce film et certains ce ces propos…je m’explique.
Sans vouloir trop le reduire, je trouve que cet un film incroyable sur le theme de la violence…en nous, en toute chose dans la nature…d’ou vient cette violence? qu’est elle? et pourquoi est elle la?
Paul Jorion, comme d’autres, que ce soit dans son livre l’argent mode d’emploi ou ailleurs dans les articles, quand il commence a evoquer des solutions « serieuses », son cote « humaniste » ressort toujours ( l’importance de la solidarite, civiliser l’economie, le role de violence de la monnaie, etc). Quelque part, il reviens toujours a poser cette premiere question qui est centrale au film… des la premiere phrase du film
« What’s this war in the heart of nature?
Why does nature vie with itself?.
The land contend with the sea?
ls there an avenging power in nature?
Not one power, but two? »
Et en sage, il se garde bien dis repondre…tout en sentant bien que tant que l’on ne l’aborde pas, on ne resoud rien.
Arvo Part – Spiegel Im Spiegel
Il y a une résistance en moi à ce film, non pas que les larmes, la révolte, la violence, le chagrin et la pitié ne soient pas retrouvés (« elle est retrouvée /quoi? / l’éternité »), mais c’est une histoire qui les raconte et la violence, ou ce curieux chien qui nous suit, la peur, par l’illusoire direct avec quoi haletant nous attendons le dénouement, perd de vue son chien, la peur, son chien qui nous tire à sa laisse, et où? la violence racontée perd la mesure de celle vécue affectée au temps présent, la réponse qu’on y donne, le constat souvent amer d’y faillir, sans qu’on le sache vraiment; poids sans pareil de l’incertitude et de l’impermanence du présent.
spectateur nous passons de connivence ce pacte avec l’histoire parce qu’on fait comme si quelque chose s’y dira et comptera ou a compté, et même si seulement ça un moment il n’y a pas de honte, simplement revivre ces sentiments lesquels si peu évoqués jamais questionnés parce qu’enfouis dans la question sociale, rendent bien souvent à tout discours ce son de cloche narcissique, ignorant de ce qui compte, de ce sur quoi ça non on ne négociera pas, on ne transigera pas. Gageons qu’une histoire puisse modifier quelque peu nos conditionnements, nos réponses apprises qu’on annone, nous donne l’écart le retrait le punctum à lire un peu ce qu’est la peur.
ce qu’est l’histoire du post-fascisme? ce qu’est résister, ce qu’est s’insoumettre, déserter? je pense aussi au courage des fous qui habitent notre prison.
Les singes prêchèrent l’ordre nouveau, le règne de la paix. Et parmi les premiers enthousiastes on compta le tigre, le chat, le milan. Peu à peu, tous les autres animaux furent convertis. Ce fut alors une jubilation très douce, une fraternelle agape végétarienne.
Mais un jour la souris, qui plaisantait d’une façon fort civile avec le chat, se trouva renversée sous les griffes de son récent ami. Elle comprit que les choses reprenaient leur cours ancien. Avec un espoir vacillant, elle rappela au chat les principes du nouveau règne. « Oui », répondit le chat, « mais moi, je suis un fondateur du nouveau règne ». Et il lui planta les dents dans le dos.
Leonardo Sciascia
Bonjour à tous
@Paul: quoique la girafe soit aussi irréfutable que l’éléphant lorsqu’elle est à Paris, quelle ne fut pas ma surprise de les trouver invisibles dans la savane! C’est une métaphore de votre surgissement dans la blogosphère!
Voir aussi Full Metal jacket de Kubrick, bonne illustration des thèses de René Girard sur la ritualisation de la violence et son utilisation.
Ne pas oublier non plus voyage au bout de l’enfer.
J’ai des photos de mon grand père maternel à vingt ans dans le Michigan en 1917: c’est encore un très jeune homme souriant . Quelques mois plus tard au cours d’une perm à Maubeuge, avec celle qui sera sa femme, il a l’air d’avoir plus de quarante ans et le regard hanté. J’ai aussi des photos de mon grand oncle Gabriel , engagé à 17 ans à Oran un bel athlète , retour gazé : mort à 34 ans crâmé, tout regrigné: Avant , après quelle pub pour la guerre! Les belles images c’est pour Roudoudou!
Cordialement.