Billet invité
LE MARCHE MONÉTAIRE ATTEINT
A un rythme choisi, mais suivant des modalités qui convergent, les gouvernements européens s’engagent dans la voie d’une austérité injuste, que l’on n’appellera pas rigueur, car elle est tout sauf rigoureuse.
Laissons à l’OCDE, célèbre pour sa pantalonnade à propos de la radiation les uns après les autres des paradis fiscaux de la liste de la honte, le soin de mettre les points sur les « i ». Présentant un rapport sur l’économie Française, son secrétaire général Angel Gurria a dit aujourd’hui tout haut ce qui n’est encore exprimé que mezzo voce dans la plupart des capitales européennes. Laissant encore espérer que l’austérité salariale et les coupes dans les programmes sociaux, c’est pour les autres.
« La France est bien placée pour assurer une reprise solide à la suite de la crise économique, à condition qu’elle redresse ses finances publiques en opérant des coupes dans les dépenses et en réformant son système de retraites. (…) Des réformes structurelles supplémentaires sont nécessaires », ajoute-t-il pour ne pas être en reste, la principale étant à ses yeux une refonte qualifiée de « vitale » du marché du travail : »le coût du travail doit être réduit, et les taux d’emploi parmi les travailleurs âgés et les jeunes peu qualifiés doivent être accrus ».
S’inscrivant dans la plus classique des traditions, cette recette pourrait laisser sceptique tous ceux qui considèrent le rôle que joue la consommation dans l’économie des pays européens, et se demandent par quel artifice la croissance évoquée par l’OCDE pourrait intervenir. Cela n’a toutefois pas empêché les apprentis-sorciers de l’Eurogroupe d’engager à Bruxelles, pour certains à reculons, le premier round d’une discussion ouverte par la présentation d’un plan punitif allemand, destiné à ceux qui ne seraient pas dans les clous de la réduction des déficits publics. Présenté comme l’alpha et l’omega de la stratégie à suivre pour replacer l’Europe sur une trajectoire vertueuse. Le rapport des ministres sera rendu en octobre prochain, autant de temps de gagné se sont dit les hypocrites qui affichent leur accord mais n’en pensent pas moins. Les Français, comme attendu, vont jouer la montre.
Vu les auspices sous lesquelles s’engage leur réflexion, le temps semble s’être arrêté pour ces hauts responsables. ils n’ont comme seule ressource que de tenter de le remonter, comme si rien ne s’était passé, comme si tout allait repartir comme avant, un bon coup de collier donné.
Il est vrai que, les marchés boursiers venant de subir une nouvelle sérieuse bourrasque, deux bonnes nouvelles sont venues leur redonner du baume au coeur. Wall Street a salué l’adoption par le Sénat par une belle envolée des valeurs financières, ce qui vaut toute fastidieuse analyse du projet de loi de régulation. Les taux du bund Allemand et l’OAT Française – les obligations de la dette – continuent de baisser, atteignant des niveaux qu’ils n’avaient pas connu depuis 25 ans, profitant du plongeon boursier et du maintien à un niveau élevé des taux des obligations des pays européens toujours directement menacés.
La stabilisation de l’euro, y compris sa petite remontée du jour, ne fait pas réellement partie de ces motifs de satisfaction, car les marchés continuent de bruisser de rumeurs d’interventions de la BCE, selon toute vraisemblance au moins aidée par la Fed, qui ne pourront au mieux que freiner sa descente trop rapide vis-à-vis des autres grandes monnaies.
Tout n’irait donc pas si mal à la veille d’un long week-end, vu ce par quoi l’on vient de passer, si ce n’était ce qui nous attend, ce fichu déficit qu’il va falloir résorber sans pouvoir compter sur le retour de la croissance. Car si le rapport de l’OCDE démontre quelque chose, c’est qu’il en est fait son deuil dans les cercles bien informés.
Les plus hautes instances européennes semblent avoir abandonné toute perspective de relance de la croissance économique. Il n’en est pas de même dans le reste du monde occidental, qui n’a pas encore baissé les bras. La chute brutale de l’euro vis à vis des autres devises, dollar en tête, modifie cependant la donne du jeu qui s’y est engagé. On pourrait donner à celui-ci le nom de la bataille de l’export ou bien de à la recherche de la croissance perdue.
Ne se faisant pas d’illusions sur la reprise de la consommation intérieure, les Etats-Unis fondent comme on sait beaucoup d’espoir sur la réévaluation du yuan chinois, afin de diminuer leur déséquilibre commercial, développant leurs propres exportations et réduisant leurs importations. Las, la baisse de l’euro favorise désormais une concurrence dont ils se passeraient bien, tandis qu’elle pénalise les exportations japonaises vers l’Europe… comme les chinoises. Les Européens, eux, ne peuvent trop en attendre en raison de l’importance de leur activité commerciale au sein de la zone euro. L’euro est donc un trouble-fête, ce qui explique notamment la venue de Tim Geithner en route pour l’Allemagne et le Royaume-Uni à peine revenu de Chine. Signe éloquent, s’il en est besoin, de l’importance des évolutions en cours ou attendues sur le marché monétaire. Un « dialogue stratégique et économique Etats-Unis/Chine » s’ouvre à ce propos lundi à Pékin, afin de traiter tous les points de friction monétaires et commerciaux entre les deux pays.
Daniel Tarullo, l’un des gouverneurs de la Fed, vient de déclarer que la poursuite de la crise européenne avait le potentiel de « remettre en cause le redécollage de l’économie dans son ensemble », à cause de la contraction du commerce international et des pertes que les banques pourraient avoir à supporter sur leurs investissements européens.
Le commerce international étant par définition un jeu à somme nulle – les exportations et les importations s’équilibrent – une rude bataille internationale est donc prédite, à ceci près que l’offre des uns ne correspond pas nécessairement à la demande des autres. On observe que la propagation de la crise a trouvé un nouveau chemin. La crise de l’Europe a ravivé le danger d’une crise systémique du système bancaire, au sein de l’Europe mais pouvant atteindre les Etats-Unis ; la crise de l’euro annonce la venue d’un nouveau sujet de tension, l’exacerbation de la concurrence à l’export, seul facteur restant de croissance.
La volatilité qui se manifeste sur le marché monétaire – le Forex – n’est pas pour déplaire aux financiers, c’est même leur miel. Ils en ont fait une idole qu’ils vénèrent, combattant avec la plus farouche énergie ce qui pourrait la réduire (l’interdiction des CDS nus, par exemple). Mais elle n’arrange pas nécessairement les affaires des Etats. La baisse brutale de l’euro risque ainsi de retarder le geste attendu des Chinois, dont il était espéré qu’ils allaient donner un coup de pouce, même symbolique, au yuan. Car l’euro vient de perdre de la valeur vis à vis du yuan, ce qui ne fait pas non plus les affaires des Chinois.
Moins visible, une autre conséquence de la crise européenne est inquiétante pour les Etats-Unis. Il s’agit de la hausse du Libor, qui a une incidence sur les taux d’intérêt qui y sont indexés, en particulier dans le secteur des prêts hypothécaires. Une hausse de ceux-ci risque d’accroître les défauts et les pertes de Fannie Mae et Freddie Mac, les deux organismes qui tiennent à bout de bras le marché et sont renfloués par le Trésor. Et dont le sort est repoussé à plus tard, faute de savoir quoi faire. La bulle immobilière américaine n’en finit pas de crever et de se rappeler au bon souvenir des propriétaires endettés d’un côté, du gouvernement de l’autre.
En attendant, la voie choisie par défaut par les gouvernements européens n’est pas tenable. Quelle va être sa dynamique reste une inconnue. Le gouvernement allemand vient d’en donner une illustration possible, quelles que soient les limites dont sont entachées les mesures de régulation qu’il préconise.
Dans un peu plus d’un mois, le G20 va se réunir à Toronto. Que va-t-il pouvoir en sortir si ce n’est de vagues déclarations ronflantes, laissant ensuite les gouvernements occidentaux affronter des problèmes qui les dépassent ? Tenter de le masquer est le seul résultat qu’ils peuvent en attendre.
La crise a désormais atteint le marché monétaire, touchant son maillon faible qu’est l’euro. Impliquant que la réflexion sur la réforme du système monétaire international progresse, autre grand sujet de discorde au sein du monde occidental.
75 réponses à “L’actualité de la crise: le marché monétaire atteint, par François Leclerc”
@François Leclerc. Je pense que la zone euro telle quelle ne peut plus tourner correctement. Il faut comprendre que si la Grèce doit assumer des finances publiques aussi mal en point c’est avant tout, parce que l’euro trop fort ne lui a pas permis de sortir de la récession, la faiblesse de l’Espagne, du Portugal…et même de la France est du, en partie, a l’euro trop fort. Donc les solutions de rigueur qui reviendrait en fait a rendre encore plus difficile la sortie de crise ne sont pas adaptés.
Ce n’est pas une question de meilleure ou de moins bon, mais de différences au niveau de la structure économique des différents pays (l’Allemagne reste très industriel, la France plutot axée sur les services).
Pour avancer nous devons être raisonable et ne pas oublier qu’a l’origine l’euro était un pari difficile, en pleine crise structurel il est devenu insensé. S’adapter aux conditions économique en cours est en fait la seul solution pour sauver la construction européenne, n’oublions pas que la zone monétaire n’est pas l’UE.
Réflichissez y parlez en autour de vous, débattez en. Deux zones monétaires en Europe, c’est ce dont nous avons besoin pour traverser cette crise sans détruire, réellement la cohésion européenne.
Je ne crois pas qu’une solution de ce type soit en mesure de régler la crise actuelle, expression européenne d’une crise mondiale.
La crise de l’euro n’est qu’accessoirement une crise de l’Europe.