Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Bon, il semblerait qu’on se réveille en Amérique : la SEC (Securities & Exchange Commission), le régulateur des opération financières, poursuit Goldman Sachs pour fraude.
Il est vrai que « Government Sachs » par-ci, « Government Sachs » par-là, ça commençait à faire désordre. Quand Mr. Bernanke a dit avant-hier qu’il n’y avait rien à y redire à propos des magouilles de Goldman Sachs en Grèce il y a quelques années (les swaps de change trafiqués visant à maquiller le niveau de la dette publique du pays), il y a eu comme des grincements de dents dans l’assemblée des opinions publiques.
Alors, qu’est-ce que Goldman Sachs aurait fait ? Ils n’auraient pas simplement continué de vendre à leurs très chers clients des CDO (Collateralized–Debt Obligations) synthétiques (1) basés sur des prêts subprime après s’être rendus compte que ce n’était plus que de la camelote – ce qui serait effectivement business as usual (l’un d’eux écrivait dans un mail : « le business du cdo est mort : il ne reste plus beaucoup de temps »), ils auraient vendu à leurs très chers clients des CDO, en s’arrangeant pour que ce soit de la camelote.
Ouch ! ça, tout le monde sera d’accord : c’est bien un cran au-dessous du business as usual. Quel aurait été le scénario ? Mr. John Paulson (sans rapport avec Mr. Henry Paulson, ancien Secrétaire au Trésor américain) dirigeant d’un hedge fund, d’un fonds d’investissement spéculatif, spécialisé dans les paris sur l’effondrement de l’immobilier résidentiel américain (15 milliards de dollars de profit, rien qu’en 2007), aurait demandé à Goldman Sachs le droit de déterminer lui-même les crédits subprime qui seraient agrégés dans ce CDO (ABACUS 2007-AC1). Ayant choisi les plus pourris d’entre eux, Paulson & Co a parié que ce CDO ne vaudrait bientôt plus grand-chose, et les faits lui donnèrent rapidement raison – il est vrai qu’il ne prenait plus alors qu’un risque limité ! Dont bénéfice pour Paulson & Co : un milliard de dollars ; Goldman Sachs reçut de son côté 15 millions de dollars pour ses bons et loyaux services.
Quelques remarques. Notons d’abord que Bear Stearns, la première grande banque d’investissement de Wall Street à tomber en mars 2008 aurait refusé une offre similaire de Paulson. Notons ensuite que le principal perdant d’ABACUS 2007-AC1 est la Royal Bank of Scotland, semi-nationalisée en 2008 (l’État britannique détient désormais 84 % des parts de la banque) qui y laissa 840,9 millions de dollars, versés à Goldman Sachs et dont la plus grande part aboutit entre les mains de Paulson & Co. Notons enfin, et à ce propos, que les autorités américaines semblent faire preuve de davantage de punch dans leurs rapports avec leur propre milieu financier quand les intérêts de puissances étrangères sont en jeu. Rappelons-nous en effet que le sauvetage de Fannie Mae et Freddie Mac fut « télécommandé » de Pékin ; celui de AIG, probablement « télécommandé » de Paris (à moins que le fait que la Société Générale soit le principal bénéficiaire du plein remboursement ne résulte que d’une pure coïncidence) ; alors ? poursuites contre Goldman Sachs « télécommandées » de Londres dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui ?
Jusqu’ici, seul un Vice-Président de Goldman Sachs est poursuivi, et John Paulson n’est pas mis en cause (il n’est pas directement mouillé dans l’affirmation faite par Goldman Sachs à ses clients que le choix des crédits individuels constituant le CDO s’était faite sur une base impartiale) mais on s’accorde à penser que cela pourrait ne pas durer.
Petite remarque pour terminer : en 2008, Mr. Alan Greenspan, ancien président de la Federal Reserve, est devenu conseiller de Paulson & Co.
Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de Danemark, mon cher Horatio ?
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(1) Pour CDO, CDO synthétique voir le glossaire.
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81 réponses à “Quelque chose de pourri au royaume de Danemark ? (mise à jour – 2)”
« le royaume du Danemarque » me renvoie irrésistiblement à Shakespeare
» Etre ou ne pas être, voilà la question : [….. . ….! … ! ? … ? ]
Cela nous donne à réfléchir; c’est cette considération qui fait à la misère une si longue vie.
Qui voudrait en effet subir les coups de fouet et les dédains du monde, l’injustice de l’oppresseur, l’insulte de l’orgueilleux, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’injustice des gens en place, et les coups de pied que le mérite patient reçoit des indignes, si l’on pouvait soi-même se donner décharge de son compte avec un simple poinçon ?
Qui voudrait porter les fardeaux, grogner suer sous le poids de la vie, si l’épouvante de quelque chose après la mort, cette contrée inconnue dont nul voyageur ne repasse la frontière, ne déconcertait la volonté et ne nous faisait supporter les maux que nous avons, plutôt que de voler vers d’autres que nous ne connaissons pas ?.. C’est ainsi que la conscience fait des lâches de nous tous; et c’est ainsi que les couleurs naturelles de la résolution font place à la couleur maladive de la pensée, et des entreprises de haut vol et de grande conséquence, dès que l’on délibère, dévient de leur cours et perdent le nom d’action… »
(extrait de « vers l’idéal laïque et républicain », 1910)
Aujourd’hui, nous en sommes quelque part toujours de cette question: « Qui voudrait : grogner, suer … :l’injustice de l’oppresseur, l’insulte de l’orgueilleux ….
si l’épouvante (l’épouvante en être peut-être changer mais elle n’en est pas moins manifeste) ne déconcertait la volonté humaine
[…] C’est que le malade était sous perf depuis de longues années. Et les banques du sang ont joyeusement participé à la curée. Banques qui sont chez nous. Oui, chez nous, en France. Non […]