Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Certains d’entre vous qui ne consultent qu’occasionnellement Le Blog de Paul Jorion sont certainement déçus de voir qu’il n’y est pas question de ce qui fait aujourd’hui la une des journaux que lisent la grande majorité de mes lecteurs : les élections régionales en France. Quand je dis : « la grande majorité de mes lecteurs », c’est que, sur les trente derniers jours, 81 % d’entre vous êtes Français.
Bien sûr, je suis Belge résidant en France et, me viendrait-il l’envie de voter à ces élections régionales françaises, je n’en aurais pas le droit. Mais de là ne vient pas l’opinion que j’ai d’elles.
De manière générale, on ne trouve pas sur mon blog d’appels à l’action. Certains s’en plaignent, et je leur ai répondu dans deux billets récents : « N’est-il pas temps alors de s’engager ? » et Le duc d’Aiguillon, le vicomte de Noailles, le vicomte de Beauharnais et le duc du Châtelet. La raison n’est pas que je m’oppose à l’action, autrement dit que je lui préfère la contemplation, mais mon blog ne me paraît pas l’endroit d’où en parler : un blog est à mes yeux, un lieu de réflexion et, de ce point de vue, il me semble pleinement assumer sa fonction, car il a produit durant ses trois ans d’existence, sinon un corpus cohérent de mesures à prendre, tout au moins ce qui me semble un diagnostic très complet de la situation présente, que je caractérise depuis l’automne 2008 comme étant la fin et la sortie du capitalisme.
Pourquoi l’automne 2008 ? Parce que c’est à ce moment-là, dans les mesures prises aux États-Unis pour contenir l’hémorragie consécutive à la chute de Lehman Brothers, qu’on a pu constater que, faute de mesures susceptibles de sauver le système économique et financier en perdition, celles qui étaient prises – par leur inconséquence et leur inanité – ne pouvaient à terme qu’encore aggraver le mal.
Aggraver le mal, parce que les créances privées devenues trop lourdes et ayant précipité un effondrement de la finance d’abord et de l’économie ensuite, avaient été – selon une formule jusque-là classique – prises en charge par les États et que, pour la première fois dans l’histoire, cette charge était d’un montant tel qu’elle entraînait cette fois les États, à la suite du secteur privé, droit dans l’abîme. C’est cette situation inédite que j’ai décrite dans La sortie du capitalisme, un article paru l’automne dernier dans la revue Le Débat. Les discussions actuelles autour de la dette publique de la Grèce et d’autres pays comme la Grande-Bretagne, ne parlent de rien d’autre que de cette charge désormais trop lourde et de la chute dans l’abîme désormais amorcée.
Or, de cette sortie du capitalisme, qui est l’époque que nous vivons à présent et qui est au centre de toutes nos préoccupations, les partis qui briguent les suffrages des électeurs français aux élections régionales, n’en parlent pas.
Si vous êtes familier du Blog de Paul Jorion, vous avez pu constater que les opinions qui s’y expriment – aussi bien au niveau des commentaires que des chroniques – représentent ce qu’on appelle en France, la gauche et la droite « civilisées ». Il n’est pas surprenant du coup que les politiques à qui j’ai personnellement l’occasion de parler représentent le même éventail. J’évoque avec eux la période que nous traversons et je leur pose la question : « Pourquoi les partis n’en parlent-ils pas ? » Et la réponse est celle-ci – et je ne trahis personne en la révélant, parce qu’elle est la même, quelle que soit l’affiliation partisane : « Parce que les partis s’adressent l’un à l’autre d’une manière qui leur est devenue classique et qu’ils sont devenus incapables, par une longue habitude, de tenir un autre langage ». Mes interlocuteurs sont quant à eux conscients de la particularité de la période historique que nous traversons et des risques de débordement qui se profilent à l’horizon en raison d’un mécontentement qui ne pourra aller que croissant, mais ils ne voient pas comment, dans la chasse aux suffrages à laquelle se livrent les partis, ces sujets pourraient même être évoqués.
On a pris l’habitude d’appeler « pêcheurs à la ligne », ceux qui en France s’abstiennent de voter. Ils considèrent que les choses ne vont pas suffisamment mal qu’il faille rompre la paix d’un dimanche pour se rendre dans l’isoloir. Les 53 % d’abstentionnistes et les 4 % de votes blancs de dimanche dernier, ne sont pas cependant tous des pêcheurs à la ligne : les lacs et les cours d’eau français ne pourraient y suffire. Les pêcheurs à la ligne sont ceux qui ne sont pas spécialement inquiets, et le paradoxe de la situation présente me semble être – et il est crucial que les politiques en prennent conscience sans tarder davantage – qu’il n’y a plus en France que les pêcheurs à la ligne pour aller voter.
Pendant ce temps-là, l’époque elle n’attend pas, et le débat se poursuit et se poursuivra ici à propos des deux mondes : celui qui s’enfonce et s’efface d’une part et celui en train de naître d’autre part, au même niveau de sérieux et d’excellence que vous me permettez jour après jour d’atteindre ici.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
205 réponses à “Où sont les pêcheurs à la ligne ?”
Voici un auteur qui suggere de retourner au capitalisme…. Interessant
* Revenir au capitalisme
pour éviter les crises, Pascal Salin, Odile Jacob, 252 p., 2010.
« On peut devenir chef de (très grande) entreprise, avocat, banquier, ministre, président de la République, patron de journal de référence, magistrat à la Cour suprême ou à la Cour de Cassation, bref occuper à peu près tous les postes importants de la société sans rien comprendre aux processus physiques qui sont pourtant indispensables à l’accomplissement de nos activités économiques et sociales.
On peut occuper tous ces postes sans avoir la moindre idée des limites physiques à notre expansion, qui vont pourtant avoir des conséquences…
Nous vivons dans un univers bien physique, mais l’essentiel des décideurs sont dans un univers virtuel, fait de conventions.
Nous vivons tous dans Second Life. »
Jean Marc Jancovici « C’est maintenant ! »
Oui pourquoi les gens se détournent de plus en plus de certaines valeurs. Dans ces circonstances je vois mal comment des gens pourraient encore y croire.
Dans ce monde lorsqu’on avant tout une bonne position d’élu ou pas, on ne se mélange bien sur pas avec n’importe qui, surtout au regard de sa bonne conscience d’élu de droite comme de gauche surtout pas non plus devant n’importe quel paria.
Faut voir et vivre parfois certaines choses ça donne vraiment envie de les suivre, et plus on gagne et on perd, et plus on recommence, et plus ils en finissent par déléguer aux autres le soin paraît-il de mieux venir en aide à leur monde, déjà si mal en point, est-il encore possible d’être traité différemment par tant de bureaucratie ? Oui certains élus de ce monde d’un bord comme d’un autre se sentent vraiment au dessus de la moyenne avec leur petit mobile à la main. On parlotte, on parlotte, on s’enfle, on s’enfle mais en fait le monde ne change toujours pas mieux après eux.
Après cela je vis de nouveau autre chose, un autre quelle position occupait-il ? L’homme moderne ouvrit la bouche : « la crise c’est toujours l’autre jamais moi le premier à l’antenne ? » Abandonnant alors bien peu de choses matérielles, la multitude se leva et se remit de nouveau à tourner en rond, réclamant en fait continuellement la primauté du matériel sur toutes choses de plus sur terre. Si tout le monde était capitaliste ou socialiste qui pourrait encore me faire sortir de certains livres, et pendant ce temps là nous progressons toujours en fait aussi lentement sur le fond en voiture rapide comme en avion. C’est bien là le grand drame social du monde.
Cher Paul,
Ce que vous me dites me plait, évidemment. Cela prouve que le Belge s’exporte bien.
J’ai pu constater que vous parlez parfaitement l’anglais et cela fait énormément dans les relations avec les pays que vous avez cité.
Si vous avez quitté la Belgique depuis aussi longtemps, j’espère que vous continuez à jeter un coup d’oeil par ici.
Bruxelles n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a 37 ans.
Contrairement à certains wallons, elle n’a aucune envie de se greffer sur la France.
Il n’y a pas plus européen, si pas universel que Bruxelles.
On n’y rencontre pas uniquement 2 langues mais 20 avec la CE à proximité. Tout cela s’intègre plus ou moins bien. Encore une génération et on ne fera même plus la différence que par l’intermédiaire des noms de personne.
Paul,
Encore une preuve de ce qu’est notre petit pays et qui me rappelle ce qui s’est passé là où je travaillais dans le même secteur.
L’Echo écrit « Siemens vire 4200 personnes de l’IT, mais la Belgique est épargné ».
J’ai connu cela. Dans notre société, les grands pontes américains descendaient en Belgique avec le plus grand sourire, jusqu’il y a peu. Je ne vais pas aller dans les détails, évidemment.
Autre article: le chômage temporaire a sauvé 30.000 emplois en Belgique.
Vous n’êtes pas tenté d’y revenir? 🙂
Et si nous commencions dans notre vieille Europe par prier de temps en temps? Les musulmans prient cinq fois par jour. Je prends mon dictionnaire et je lis: « Prière » – Mouvement de l’âme tendant à une communication spirituelle avec Dieu, par l’élevation vers lui des sentiments (amour, reconnaissance), des méditations. Prière d’adoration, d’action de grâce, de demande. Prière exaucée. Etre en prière. Lieu de prière: église, mosquée, synagogue, temple. Une des voies pour nous en sortir.
Un grand n’importe quoi
Anne, vos convictions religieuses sont éminemment respectables. Personnellement, je crains que spéculer sur la bonté divine ne suffise pas à empêcher la spéculation sur les variations de prix.
Hum hum, je vois…et vous aller prier pour quelle liste dans le besoin Dimanche ?
Anne vous propose une méditation, une élévation des sentiments, et c’est tout ce que vous avez à lui répondre, les amis!
@ Anne,
N’écoutez pas ces chenapans, ces petits garnements. Certains d’entre nous pourraient bien avoir envie certains jours de prier avec vous. Même un agnostique de ma trempe, qui refusera toujours d’apprendre le « Notre Père », et de se signer en entrant dans une église.
Je trouve qu’une personne comme vous, qui semble instruite de certaines choses religieuses, a sa place ici. Les sujets traités sont souvent bien matériels, et un peu de spirituel n’a jamais nuit à personne. Du moment que vous ne nous serviez pas la messe. Mais je n’ai pas vu que c’était votre intention.
Amicalement.
Un lieu de prière, qu’il soit église, mosquée, temple ou synagogue est un exellent endroit pour méditer.
C’est calme, tempéré, la lumière y est diffuse et il y a de quoi s’assoir .
Là loin du bruit, il est possible de se poser pour réfléchir tranquillement à ce que pourrait être la suite des événements.
Sans oublier le seul et unique précepte qui doit guider cette réflexion, en dehors de toute idée de religion ou de quoi que se soit qui pourrait y ressembler : aime ton prochain comme toi même !
Méditer ou prier, c’est pas la même chose, les amis.
Anne nous a proposé une réflexion. A titre personnel, je ne crois pas à l’efficacité de la prière. En revanche, j’aime cette formule dans sa concision : « Tout ce qui s’élève converge ». Et n’oublions pas que Jésus, en chassant les marchands du Temple, fut le premier à imposer une limite au marché…
Tout le monde prête telle ou telle intention, tel ou tel message aux non votants. Dire des abstentionnistes que la politique ne les intéresse plus peut être tentant mais où sont les preuves puisque justement ils ne se sont pas exprimés.
Selon mon humble avis, le meilleur moyen de montrer clairement son mécontentement par le vote, c’est le vote blanc ou nul car il est actif. L’abstention, c’est donner aux autres le pouvoir de décision, c’est se décharger des responsabilités des conséquences des choix effectués.
J’ai 51 ans et je me suis intéressée à l’actualité politique dès l’âge de 10 ans mais sans aucune implication personnelle. Ce que j’ai constaté au fil des ans c’est que les partis politique paraissaient clairement positionnés les uns par rapport aux autres avec des représentants bien définis auxquels pouvaient se référer les électeurs.
Aujourd’hui, tout semble s’entremêler dans un capharnaüm général.
De son côté, en pratiquant « l’ouverture » au gouvernement, notre président a désorienté ses propres partisans. La gestion de la crise a fini de plonger dans l’indécision ses anciens électeurs (observons ce qui se passe en Alsace). Quant au mépris du vote contre la constitution européenne, il n’a pu qu’avoir un impact négatif sur la majorité des électeurs.
A gauche,les différents problèmes rencontrés par le P.S. ont provoqué également doutes et perplexité. Pour les autres partis, ils se sont renommés, pétris et mélangés. Trop, c’en est trop pour beaucoup qui avaient déjà tant de mal à se forger auparavant une opinion.
Quand j’ai lu l’info qu’un commerçant a proposé une réduction de 15% dans son magasin à qui lui montrerait sa carte d’électeur tamponnée et que des gens se sont rendus aux urnes suite à cette annonce, je me suis dit qu’ils ont trouvé leur leader, toujours le même dans ce monde de fous, l’argent.
Maintenant j’aurais une pensée pour toutes les personnes au bout du rouleau, qui ont connu perte d’emploi, de logement, de désir de vie et à qui l’idée de vote n’est depuis longtemps plus leur préoccupation.
Bon courage à tous!
Les pêcheurs à la ligne du dimanche n’ont pas besoin de partis politiques pour s’organiser. Les bons spots se partagent entre amis, tout comme les techniques efficientes que le pêcheur aguerri divulguera au novice.
Plus généralement ce qui singularise notre époque est que les connaissances et la critique argumentée s’organisent en réseau. Du coup les idées ont déserté les universités d’été de nos politiciens, tous occupés qu’ils sont à dire tout et son contraire pour rassurer ceux qui les payent (les contribuables) en devisant sur la crise et en invoquant la croissance sans emploi. Les partis politiques insipides sont le collatéral d’une société toujours critique mais interconnectée en réseau et c’est bien sûr ce que les sondeurs finissent par oublier. Alors les politiciens devraient jouir du jour présent, parce que pour eux demain sera pire : c’est le fonctionnement de tout les partis politiques en démocratie libérale qui va exploser avec le capitalisme, par inanité, preuve en a été faite depuis le début de la grande crise.
Un réseau chasse l’autre ?
Démocratie libérale ?! Démocratie d’internet ?! Foutaises .
La démocratie n’est pas indexée . Elle est pure et simple comme l’Esprit des Lois .
Démocratie , que de crimes on commet en ton nom ….
Hum, je lis votre fil. Je pense qu’il faut laisser les gens libres de venir voter ou pas.
Nous sommes dans une situation non inédite où les partis représentent tous sans exception des groupes d’intérêts – et ce plus ou moins explicitement. Si vous ajoutez les discours orientés, les modèles ou doxa qui servent de prisme de lecture du monde à chacun et les palinodies… vous avez assez de raisons pour comprendre pourquoi les gens ne votent pas.
Si on impose le vote comme obligatoire, on aura une crise majeure très vite car çà implique de reconnaitre le vote blanc. Autrement cette obligation serait absurde. Si le vote blanc est reconnu comme valide, on aura un effet mécanique immédiat : si un certain % de votants a choisi le bulletin blanc, on doit donc en tirer la conséquence que l’ensemble des propositions des partis présents n’intéressent pas la majorité du corps électoral. Dans notre cas de dimanche dernier, c’est très clair. Et là on fait quoi ?
On renvoie les partis qui servent des intérêts en arrière-plan expliquer à leurs soutiens que non seulement on reformule mais qu’il faut envisager un certain nombre de concessions…..
Alors là, le jour où çà arrive….
Donc on n’aura pas le vote obligatoire car çà conduirait inexorablement à obliger les puissants à lacher beaucoup plus qu’ils ne le souhaitent et aux factions sectaires de renoncer à leur vision du monde absolue pour composer avec une bande de profanes qui font cuicui car ils n’ont pas le langage du modèle.
De même, çà peut aussi conduire à une catastrophe majeure : imaginez un démagogue qui pousse le corps électoral dans une position extrémiste….
Les assemblées de citoyens ne sont pas toujours éclairées : cf L’expédition de Sicile (opération montée par Athènes en 415 ) voulue par les citoyens contre les dirigeants de la Cité lesquels cédèrent pour éviter d’être ostraciser ou pire. Et cf le cas Hitler plus récent et mieux connu.
Mon avis, c’est que les partis gouvernent entre eux tranquillement. Ils ont besoin qu’un minimum participent pour que le spectacle reste crédible. Ils jouent leur légitimité de gouverner. Mais comme cela a été dit, effectivement, on peut diriger la France avec un soutien effectif dans la population qui frise le ridicule. Pour prendre les commandes dans un groupe, il faut que 5% de l’effectif soit actif, organisé et solidaire. Les autres en majorité suivent et une minorité résiste.
L’abstention est donc un faux problème en soi. Notre système est si robuste qu’il tournerait encore avec 70% d’abstentionnistes. Je ne dis pas qu’en approchant des 80%, on aurait pas une situation très dangereuse. Car rupture entre les élites et la population quasi complète. En rapportant les 20% de votants qui se distribueraient sur les différents candidats, le vainqueur n’aurait aucun soutien. Il ne serait plus en mesure de gouverner quoi que ce soit. Même l’administration ferait selon son bon vouloir. Cas : la IVème République où la rue et l’armée ont fini par dirigé.
Pour en revenir au temps présent immédiat : je soupçonne même ceux parmi les politiques qui dénoncent l’abstentionnisme de n’en rien croire. çà leur va pas si mal que çà cette situation. Ils se piquent les voix des sympathisants entre partis. Ecoutez les appels des candidats pour le deuxième tour…. Il y a un UMP (Languedoc-Roussillon) qui n’a pas hésité à faire un appel aux communistes du cru qui ne sont pas trop Frêchiens. (« je ris »).
Non, je crois que ce dont nous avons besoin, réellement, c’est d’espace comme celui-ci pour papoter entre nous librement sans camisole. Un peu à la manière de Socrate sans remise en cause fondamentale de la Cité qui tourne d’après des Lois qui nous dépassent.
Un air de liberté, voila ce qu’il nous faut. Les élections se jouent au fond en dehors de nous… c’est triste.
@René
Tout à fait d’accord avec cette analyse. Je pense, néanmoins, qu’un taux d’abstention de plus de 50% n’est pas indicatif – j’entends par là, qu’il est en deçà de la réalité – du nombre de personne qui ressentent ce sentiment de rupture entre les élites et la population.
Je ne voudrais faire de généralisation à partir d’un fait particulier, mais l’exemple suivant illustre ma remarque : les membres de ma famille, en majorité et par conviction, sont plutôt de gauche – loin d’être révolutionnaires, ni bobo pour autant, mais petite bourgeoisie capitaliste et sociale, l’éducation ou le médical (au sens large) comme domaine de travail. Ces dernières semaines, Les discussions au sujet des élections reflétaient ce propos : il s’agissait de voter « contre » – contre la droite qui justifie le « vole » des droits, des biens, au profit des financiers, etc. – et non « pour » la gauche socialiste (sic).
Ce discours, banal et répandu, souligne qu’une grande partie – tous, excepté le noyau dur des partisans – vote à « défaut » d’autre chose ; schématisé, ils n’iraient pas se faire tirer dessus pour sauver ces idées politiques et leurs chantres.
Dans un monde où les aléas de la vie sont devenues des risques – ce qui appel à la « gestion des risques », stabilité du marché oblige – il va falloir attendre que la vie devienne bien plus dur et incertaine qu’elle ne l’est à l’heure présente, pour que la société civile estime devoir se prendre en main sans intermédiaires ou représentants. Et cela présentera des risques, comme la tentation du totalitarisme pour sauvegarder notre sécurité. Mais, c’est une évidence, les élites ne peuvent être les décideurs de demain – et il faudra bien se garder de donner la conduite des sociétés à des institutions supra-étatiques, en réponse à la défaillance des États – la fuite en avant a commencé il y a déjà 30-40 ans !
Je ne vote pas – sans insultes au processus démocratique – mais par refus donner ma voix (et donc, de donner légitimité à l’un ou l’autre candidat) aux architectes de ce système, ou pour reprendre le terme de M. Guy Debord, de la société du spectacle.
Bonheur à tous.
Et bien moi je vote pour légitimer celles et ceux qui se font petites mains pour forger de nouveaux sytèmes .
Sans bible , livre , ou réconfort préécrit par qui que soit d’autres que moi mêmes et celles et ceux pour qui je vote .
Pour fabriqueer notre bonheur .
@Eliot
vous exprimez bien notre problème commun (à toutes et tous) : ne pas donner une légitimité quelconque aux actes politiques de gens qui ne nous servent pas. La démonstration de ce point ne me semble plus à faire mais par rigueur j’en donnerai un exemple récent : le référendum de 2005 sur le Traité établissant une constitution pour l’Europe (http://www.france-politique.fr/referendum-2005.htm). « Nous » (le peuple citoyen) répondons « non » après un vrai débat et pour pas mal de gens lecture directe ou indirecte du Texte (qui était bien écrit contrairement à son prédécesseur dans le genre (Maastricht 1992)). 2 ans plus tard, nos élites revotent un texte quasi identique (aux mêmes effets la cosmétique en moins) : Le Traité de Lisbonne. Ils le font par voie parlementaire pour être bien sûr que le « Nous » direct ne viendra pas perturber le bon déroulement des choses. (http://www.europe-politique.eu/communaute-economique-europeenne.htm).
Et là nous touchons au fond de l’affaire : du temps d’Adam Smith, « on » (les milieux éclairés ou non) parlait du peuple dans des termes assez peu flatteurs, exemple : « l’ignorance crasse des masses ». Voila le genre d’expression qui nous désignaient. Le « nous » n’était pas le « nous » d’aujourd’hui. Et cette ambiguïté a persisté : le « nous » du référendum n’est pas le « nous » du Parlement. Ambiguïté savamment entretenue. Mais si autrefois tout çà passait au dessus de la tête de la majorité faute de compréhension pour ne pas dire de connaissances… il n’en est plus de même au présent. Les gens ont tous reçu une instruction et tous baignent dans un flot d’informations. Plus que jamais une personne désireuse de savoir apprendra en autodidacte (moyennant de gros efforts critiques). Les gens sont éduqués. Et nous avons une classe politique qui traite ces gens comme des ignorants qui suivent systématiquement l’émotionnel. Alors que dans les faits, d’émotionnel, il y a surtout ce travail de sape permanent des médias pour faire monter leur audience et éviter de parler des vrais sujets qui feraient que leurs patrons les licencieraient pour atteinte à leurs intérêts (affaire Polac).
Nous sommes donc de simples spectateurs de nos vies, gouvernés par d’autres qui ne servent même plus les intérêts de notre pays. On s’en rend compte tous les jours et « nous » (le pauvre peuple), nous nous en rendons parfaitement compte. Les élections ne sont qu’un simulacre dont le seul but est de reconduire tout çà afin que çà garde un semblant de légitimité. Un spectacle sans spectateur du tout serait dangereux. Or la vraie question est de savoir où est le seuil critique, à quel moment de non participation (donc d’abstention qui n’est pas un désintérêt contrairement à ce qu’on pourrait croire) le dispositif politique est en danger car tournant à vide sur lui-même ?
Exemple : au XVIIème siècle Louis XIV pour gouverner efficacement monte Versailles. A la fin du XVIIIème siècle, Versailles est devenu un outil (lieu) de gouvernement inefficace car il n’est plus qu’un microcosme déconnecté du pays.
Cette tendance lourde de déconnexion d’un dispositif politique, il me semble avec le recul que la seule personnalité politique (indépendamment de ce que j’en pense sur le plan des propositions) qui en a pris acte et qui a décidé de faire quelque chose activement a été Ségolène Royale avec sa « démocratie participative ». Effectivement l’analyse montre que le système Républicain démocrate tourne sur lui-même, s’auto-reproduit et que les citoyens sont sur la touche. Elle a compris. Mais elle l’a payé aussi : divorce, lynchages, trahisons, rupture avec le parti etc
Je parle d’elle sans la soutenir. C’est juste un constat froid.
Je pourrais aussi citer Besancenot qui imperturbablement refuse d’aller aux affaires et dont l’électorat lui est démoralisé et ne vote pas.
Séguéla quant à lui diagnostique la nécessité de ré-enchanter la politique et trouve que les candidats sont tous médiocres. C’est une vision de communiquant mais je ne crois pas que çà tienne à une affaire de communication-marketing. On a déjà Sarkozy qui a épuisé le stock de ficelles. La population est maintenant habituée et donc insensible.
Il faut des offres politiques avec des gens de la tempe de De Gaulle. Qu’on sente qu’ils aiment leur pays, qu’ils ne sont pas au service d’intérêts qui nous étrangers pour ne pas dire hostiles. Ce n’est donc plus un simple problème droite-gauche mais un problème de nature du sujet politique. C’est plus profond.
Bon, voila, selon moi ce qui fait qu’il y a pas mal de pêcheurs à la ligne. Un abstentionniste n’est pas quelqu’un qui s’en fiche, c’est juste quelqu’un de triste.
Pour finir, j’ai senti (et je ne suis pas le seul) que d’une certaine manière nous pourrions rentrer dans un cycle de perte de notre droit de vote. Il y a déjà beaucoup de régressions des droits sur d’autres plans et je pense que c’est cette tendance (et solution pour les politiques) qui va être retenue tôt ou tard (et non pas l’obligation du droit de vote).
@René
Vous semblez bien fataliste, René, ou êtes-ce seulement de la tristesse ?
Il est vrai que le fossé entre nos « élites » et nous-même semble bien large, que nos représentants ne représentent que l’intérêt de leur classe et que le pouvoir tourne en circuit fermé – ou presque.
Il est tout aussi vrai que je ne donne pas de légitimité – mais seulement au plan individuel – à cela en ne votant pas, de même, le vaste parti des abstentionnistes – une tranche conséquente de la population entre 18 et 30 ans (dont, je fais parti) et celle des SMICards (50% des actifs) est plutôt de gauche par conviction ou par cœur – permet à un faible pourcentage des français d’imposer leur vues aux autres.
M. J-L. Beauvois appelait ce clivage gauche/droite, le « parti informel du libéralisme européen », tant pis pour la dichotomie d’apparence :). A mes yeux, le politique doit se passer de la (cette) politique : l’inexorable chute de ce système permet, aujourd’hui, au seul contre-pouvoir encore existant – la société civile, le seul pouvoir légitime en fait – de définir le nouveau monde de lequel elle souhaite vivre. Les décideurs actuels en peuvent être les chantres d’aujourd’hui et e demain ; les habitudes ont la vie dure !
Peut-être, et c’est mon vœu, serons-nous bientôt pouvoir constituant originaire !
@ Eliot
juste triste Eliot car fataliste. On ne change pas certaines réalités existentielles facilement. Dans la science moderne, le « fatalisme » porte un nom technique qui indique sa rationalité : le « déterminisme » terme qui indique combien pèse l’existence de conditions (qu’on peut inventer – au sens de découvrir) sur nous tous.