Billet invité.
POURRAIENT NETTEMENT MIEUX FAIRE !
La réussite de l’émission obligataire grecque de 5 milliards d’euros – saluée avec un soupir de soulagement ou enregistrée non sans une certaine incrédulité – ne vaut pas solde de tout compte. La crise de la dette publique, tant grecque qu’européenne, vient de connaître un simulacre de dénouement, en attendant d’autres épisodes qui ne vont pas manquer d’intervenir, et dont la forte dynamique va dorénavant rythmer l’actualité.
Que savons-nous de cette souscription des obligations grecques ? Que la demande aurait été presque trois fois supérieure à l’offre et que son rendement a atteint 6,3%. Permettant de comprendre, à ce prix-là, que le gouvernement grec n’ait pas cherché à profiter d’une aubaine si coûteuse, au-delà de l’objectif de 5 milliards d’euros qu’il s’était fixé. Pour mémoire, le rendement des obligations allemandes était le même jour de 3,1%, plus de deux fois moins.
On saisit mieux, dans ces conditions, que le gouvernement a commenté le résultat de cette souscription en menaçant de faire prochainement appel au FMI – dont les taux seraient bien moindres – si un soutien affirmé des Européens ne lui est pas octroyé. Un refinancement de la dette grecque à un tel taux serait en effet difficilement tenable, accroissant la charge budgétaire de la dette au moment où il faut réduire le budget, ce qui imposerait un surcroît de mesures impopulaires.
Nous ne savons pas, par contre, qui a bénéficié de cette bonne affaire financière. Car s’il est apparu qu’instruction avait été donnée par le gouvernement grec aux banques chargées de placer l’émission de ne pas servir les hedge funds, suspectés d’être à l’origine de la hausse des taux obligataires, on ne connaît pas pour autant l’identité des investisseurs. Tout au plus peut-on supposer, sans pouvoir l’affirmer, qu’un sérieux coup de pouce a pu être donné par des banques amies, avec lesquelles des achats de l’émission ont pu être préalablement programmés.
Cela se fait entre gens du monde et relativiserait alors le spectacle offert à Berlin d’une Angela Merkel et d’un Georges Papandréou assurant qu’il n’était pas question, pour la première, de donner un seul centime d’euro et, pour le second, d’accepter quoique ce soit de la première, car il n’était pas demandeur. Des dispositions auraient pu en effet être prises pour que l’émission passe contre une lettre à la poste, afin qu’il ne soit pas nécessaire d’activer des mesures publiques de soutien faisant politiquement problème en Allemagne.
Mais, dans ce monde si opaque, ce n’est qu’une hypothèse, dont il est seulement possible de se dire qu’elle aura arrangé – si elle est exacte – ceux qui tenaient les cordons de la bourse et ont fait à leur guise, les Grecs n’ayant plus eu qu’à faire contre mauvaise fortune bon coeur.
Un premier obstacle maintenant franchi, le sort des prochaines émissions, qui devraient se succéder d’ici fin avril, n’en reste pas moins posé. Car le prix qui est déjà à payer en Grèce, en application des mesures d’austérité annoncées par le gouvernement socialiste, suscite déjà de fortes réactions, en dépit de premiers sondages qui croyaient pouvoir faire état d’une grande résignation des Grecs. D’où le chantage au FMI – n’ayons pas peur des mots – qui vient d’être fait et la réaction peut-être un peu trop rapide de Jean-Claude Juncker, le chef de file des ministres des finances des pays de l’eurozone, qui s’est à la fois félicité qu’un plan de sauvetage n’ait pas été nécessaire et a exclu dans un même mouvement qu’un recours au FMI puisse être envisagé.
La file d’attente des pays qui pourraient prendre la succession de la Grèce à la une de l’actualité de la crise n’est pas pour autant résorbée. La candidature de l’Espagne continue d’être sérieuse, tandis que celle, hors zone euro du Royaume-Uni, ne l’est pas moins. La dégringolade vis à vis du dollar enregistrée ces derniers jours par la livre sterling en témoigne, dans l’attente d’une élection dont les marchés craignent qu’elle ne résolve rien, lisez qu’elle n’aboutisse pas à la mise en place d’un gouvernement fort et d’un plan sévère d’austérité.
Ces mêmes marchés – ceux qui les animent – ne font-ils pas actuellement preuve d’une certaine candeur, la dernière chose que l’on pouvait attendre d’eux? Ils ont comme unique perspective de tenter d’imposer à tout prix des mesures de choc destinées à faire solder par les Etats, dans les meilleurs délais, le coût de l’addition de la première phase de la crise. Seuls les Grecs ont en Europe le bénéfice de l’entrevoir. Sans qu’une croissance économique – introuvable – vienne en diminuer le fardeau ; ces mesures ayant comme effet de réduire la masse salariale globale, ainsi que le montant des retraites, puis au bout du compte d’atteindre encore plus la consommation et donc la croissance. Voilà la dynamique qui est promise.
En attendant, le test grec n’a toujours pas répondu à ses attentes et produit de démonstration éclatante. Pour l’instant, il a seulement mis en évidence – la rigueur mise à part – que les gouvernements européens n’avaient pas d’autre ambition que d’improviser des bricolages de circonstance. Puis que, effrayés par une spéculation qui rétrécit leurs marges de manoeuvre, ils en venaient à envisager des mesures contre celle-ci, sans toutefois en avoir la réelle volonté ou s’en donner les moyens.
Que penser, en effet, de cette découverte tardive des malfaisances des CDS, si ce n’est qu’elle exprime chez ceux qui sont au pouvoir une bien dérisoire tentative de faire croire – ainsi que cela a été le cas pour les paradis fiscaux – que ces gouvernements vont prendre le taureau par les cornes et interdire l’accès au poulailler où sont pondus les oeufs d’or de l’industrie financière. Toutefois, de dérobades en dérobades, et de réformes repoussées en mesures émoussées, ce n’en est pas moins l’un des nerfs mêmes de la spéculation qui est maintenant clairement désigné. Encore un effort !
De la même manière qu’apparaissent aujourd’hui des issues hier impensables (ce qui ne veut pas dire qu’elles seront empruntées), telle par exemple la perspective de soulager la dette publique, le FMI procédant par voie de création monétaire pour prêter des fonds à des taux préférentiels, est-il concevable que l’on puisse obtenir du Congrès américain une régulation des CDS, qu’il se prépare pourtant à éluder ?
De passage à Berlin, Paul Volcker, conseiller de Barack Obama et architecte de sa dernière réforme financière, vient d’évoquer la nécessité « d’encadrer les excès sur les marchés dérivés,en particulier le nouvel instrument des Credit Default Swaps »: « Les révélations récentes sur l’utilisation et l’abus de dérivés complexes pour masquer l’ampleur des obligations financières grecques renforcent la nécessité pour plus de transparence et moins de complexité », a-t-il ajouté, sans indiquer les mesures qui selon lui devraient être prises afin d’y parvenir.
Plus on s’avance dans la crise, plus l’on croit percevoir qu’il va être nécessaire que celle-ci s’approfondisse encore pour que des mesures de ce type puissent être sérieusement envisagées.
De la même manière, il faudra bien un jour un l’autre reconnaître à voix haute ce que certains admettent déjà tout bas, à savoir que l’avenir de l’euro va devoir être repensé sur d’autres bases qu’à l’abri des digues submergées du déficit et de l’endettement, alors que se réfugier à nouveau derrière elles semble illusoire. Une autre construction va devoir être entreprise, faute de laquelle il sera inévitable d’assister à l’éclatement de la zone euro, avec toutes les conséquences économiques que cela aura pour ses pays membres, y compris pour les plus fortunés d’entre eux.
C’est au début de cette dernière que nous sommes en train d’assister. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, va en effet préconiser dans Welt am Sonntag de demain dimanche la création d’une institution européenne du type du FMI. Tandis que Alexander Dobrindt, secrétaire général de la CSU (Bavière), devrait déclarer dans le Bild am Sonntag de demain dimanche: « Nous avons besoin d’un Fonds monétaire européen sur le modèle du Fonds monétaire international », une idée qui a reçu sans attendre le soutien de Christian Lindner, secrétaire général du FDP (le parti libéral membre de la coalition).
Mais, dans l’esprit de ces nouveaux bâtisseurs, ce nouvel instrument ne se justifiera que s’il vient en appui de la rigueur, telle qu’ils la conçoivent et veulent l’imposer. Ne mettant pas en cause la répartition inégale de la richesse, favorisant le développement de la sphère des activités privatisées au détriment des publiques.
69 réponses à “L’actualité de la crise: pourraient nettement mieux faire !, par François Leclerc”
La dette de la Grèce s’est vendue comme un petit pain !
( http://www.marianne2.fr/La-dette-de-la-Grece-s-est-vendue-comme-un-petit-pain_a189712.html?TOKEN_RETURN )
… facile! les banques se refinancent à 1% auprès de la banque centrale (monnaie centrale) et elles achètent tout ce qu’elles veulent comme titres de dette grecque qui leur rapportera du 6,25% sans risque (qui pense que la Grèce ne paierait pas les intérêts?)
Le vrai problème est là, dans l’interiction faite aux banques centrales de l’eurozone d’acheter directement des titres de dette souveraine, plus que dans la spéculation!
@ Olivier et à Paul Jorion
Dans Le Livre il est question de la vie assez « décousue » qui prévalait jusqu’au déluge meurtrier. Là,symboliquement bien sûr,il n’a fallu que 40 jours pour « régler » (noyer) les problémes….
Plus sérieusement : notre civilisation est érigée sur les bases gréco-romaines. Plusieurs siécles de constructions.
Puis surgit le christianisme lequel constitue toujours d’ailleurs,bon gré mal gré, la trame de notre civilisation européenne.
Ce modéle a été répandue à partir d’une poignée d’illettrés et d’un féru des Lettres : Paul de Tarse.
Modéle qui tient toujours la route depuis 2000 ans et qui a de l’avenir…
Alors,par comparaison,comme l’incendie se propageant à partir d’un lumignon hésitant,et partant des idées radicales et ouvertes exprimées ici depuis deux ans,n’est-il pas imaginable d’espérer un séisme salvateur ?
Beaucoup le désirent,beaucoup doutent aussi.
Mais tous en avons plus qu’assez du désastre économique et social, et ce blog est en lui-même un contre-pouvoir aux malfaisants de la finance où qu’ils se trouvent.
Je parie que l’Histoire le retiendra forcément.