Billet invité.
LA GRANDE CRISE S’AUTO-ALIMENTE
Une constatation s’est déjà imposée : la Grande Crise est sortie de son état aigu, au moins provisoirement, pour entrer dans une phase chronique. Ce que l’on peut traduire par durable et installée. A poursuivre son observation – prenant un peu de recul face à la succession à cadence rapprochée de ses épisodes – on peut désormais également comprendre qu’elle s’auto-alimente. En d’autres termes qu’elle ne se poursuit pas uniquement parce qu’il n’a pas été fait face aux causes initiales de son déclenchement, mais aussi parce que les tentatives d’y remédier sont en elles-mêmes porteuses de sa poursuite et de son approfondissement. En ce sens, elle se reproduit.
Une conclusion s’impose alors : faute d’une reconfiguration en profondeur du capitalisme financier, pouvant aboutir à sa remise en question car il s’y oppose, la Grande Crise est devenue endémique. Pour s’en débarrasser, il n’y a d’autre issue que d’en faire autant d’un système financier parasitaire qui continue de s’accrocher à un corps social de moins en moins sain. Dont il est ressentit qu’il est vital de le préserver par un nombre grandissant de ses acteurs.
Afin de mettre en évidence ce phénomène de pérennisation désormais bien enclenché, tout peut partir d’une autre constatation, qui ne souffre pas discussion. Trois bulles financières distinctes coexistent actuellement, les deux dernières étant les produits d’une tentative inachevée et inopérante de faire face à la première. La bulle-mère est celle des actifs toxiques, qui est fort loin d’être résorbée. Les actifs y sont parqués dans ces bad banks de fait que sont les banques centrales, dans de discrets Special Purpose Vehicles, ou bien au fin fond des bilans mêmes des établissements financiers zombies, où ils sont très progressivement dépréciés.
Cette bulle-mère a été depuis rejointe par celle des actifs publiques – produit, dans une large mesure, du sauvetage du système bancaire et des mesures de soutien à l’économie – puis par celle des actifs privés, créée à force d’injections massives de liquidités des banques centrales, afin que le système financier puisse rééquilibrer son bilan. Mais ces trois bulles qui coexistent ne sont pas indépendantes l’une de l’autre : dans la pratique, elles interagissent entre elles, se contaminant réciproquement.
La nécessité de résorber la bulle des actifs publics fait ainsi obstacle à la relance de l’économie, qui réduit à néant l’espoir de revalorisation des actifs toxiques, qui permettait à leur bulle de se dégonfler sans douleur. Ce qui rend d’autant moins possible de retirer du marché les liquidités qui y ont été injectées, qui soutiennent le système financer et contribuent au gonflement de la bulle des actifs privés. Et qui rend également impossible toute stricte régulation financière des instruments spéculatifs et hautement pathogènes pourtant répertoriés, mais qui sont paradoxalement considérés comme étant indispensables au sauvetage de ce qu’ils ont coulé. On décrit là un enchaînement de phénomènes appelés à durer pendant probablement de très longues années, si rien ne vient briser leurs interactions qui ont tout du cercle vicieux.
Ce mécanisme diabolique observé, on s’interrogera alors sur la raison impérative pour laquelle il est aujourd’hui nécessaire de résorber de toute urgence la bulle des actifs publics, tout en laissant simultanément prospérer celle des actifs privés. Une étonnante asymétrie de traitement (pour parler comme les économistes distingués), les Etats devant financer sur les marchés privés leur dette, tandis que les établissements privés sont financés à taux presque nul par les banques centrales, elles-mêmes émanations des Etats (sauf aux Etats-Unis, où leur fonction a été privatisée).
On entre là dans les dédales d’un système qui ne trouve pas d’issue à sa propre crise, emprisonné dans sa logique même. La machine s’alimente – c’est dorénavant largement établi – avec comme combustible de la dette. Dette des entreprises, des particuliers, des Etats ou même des acteurs financiers eux-mêmes. Toutes les occasions sont suscitées et prétextes pour prêter du capital et percevoir des intérêts, à la recherche permanente des meilleurs rendements, dans une sorte de course sans fin qui s’emballe… jusqu’à ce qu’elle s’enraye. Là où nous en sommes arrivés.
La Grande Crise a créé de gigantesques besoins de financement, principalement des Etats et des établissements financiers. Dans la logique de ce qui précède, une telle situation devrait en soi satisfaire au fonctionnement de la machine, sauf qu’une demande d’une telle ampleur va avoir pour inévitable conséquence une hausse des taux du marché, et que les financiers – qui doivent renforcer les fonds propres de leurs établissements – craignent cette hausse qui viendrait encore plus limiter leurs performances, déjà atteintes en raison de la crise (et qui le sera encore davantage par des mesures de régulation, mêmes limitées). Ne sont-ils pas eux-mêmes soumis aux lois du marché et à l’optimisation de leurs rendements ?
Les Etats doivent donc, du point de vue du système financier qui a quelques raisons de les considérer comme de simples rouages, réduire leurs propres besoins, afin que la pression sur les taux obligataires diminue, en raison d’une contagion qui veut que le marché obligataire public détermine le barème des obligations privées.
A cette raison, que l’on pourrait appeler de circonstance, viennent se rajouter d’autres blocages. On a vu comment les instruments monétaires aux mains des banques centrales (leurs différentes taux) avaient permis à ces dernières d’arrêter la chute libre du système financier, pour ensuite constater que ces mêmes instruments étaient devenus inopérants lorsqu’il s’agissait de le réparer. Laissant les banques centrales dans une situation inédite, plantées aux milieu du gué, incapables de prendre de nouvelles initiatives comme de revenir sur celles qu’elles ont prises (et amusant la galerie pour donner le change). On remarque aujourd’hui qu’elles prétendent toujours appuyer leurs analyses et fonder leurs décisions sur le même corps de doctrine monétariste qui a permis de forger leurs outils d’intervention dépassés.
Au bout du compte, on ne peut que constater que les institutions financières qui sont supposées constituer la clé de voûte du système – lui-même censé se réguler au mieux – ne remplissent plus leur fonction suprême face à la furie financière. Les masses de capitaux flottants étant telles que les instruments dont disposent les banques centrales en deviennent dérisoires. On savait déjà qu’elles étaient devenues – les rapports de force l’imposant – très humbles dans leur approche des marchés des devises ; on comprend qu’elles le sont tout autant face à la masse en croissance exponentielle des produits dérivés financiers dérégulés qui les surplombent.
Si leurs instruments sont inopérants, que dire alors de leur sacro-sainte mission ? Que pèse en effet, dans ces conditions, la barrière des 2% d’inflation érigée en règle intangible, alors que l’Europe connaît une quasi-stagnation économique ? D’autant que celle-ci est doublement mise en question. Comme mesure uniquement appliquée aux prix des biens et des services, et non pas aussi à ceux des actifs financiers (dont l’inflation galopante est saluée) ; ou bien comme stricte norme faisant obstacle au financement du déficit public par une politique de création monétaire dont les bienfaits sont réservés aux établissement financiers ? Somme toute, il y aurait selon cette science économique en déroute et cramponnée à ses derniers bastions une bonne inflation et une mauvaise, de bons destinataires des liquidités-cadeaux et de mauvais (comme le cholestérol !).
Une même équation est posée, sans solution affichée, qui voudrait que la relance économique puisse intervenir en même temps que la diminution des déficits publics. Alors que l’investissement privé n’y contribue pas comme espéré, et la consommation non plus. Car ceux-ci subissent les effets de la crise économique et ne peuvent plus bénéficier de la manne du crédit issu de la titrisation, en panne sèche. Cette équation ne trouve pas de solution parce qu’elle n’en a prétendument pas. Celle qu’elle a en réalité n’est pas considérée comme acceptable puisqu’elle suppose une redistribution de la richesse.
Cette option rejetée, il va falloir d’une manière ou d’une autre faire sauter les verrous. Ou bien accepter un financement partiel des déficits publics grâce à une politique de création monétaire, ou bien aussi, prendre le risque que les Etats les plus faibles fassent défaut, ou bien encore, mutualiser les risques, ou bien enfin, faute d’un relai de financement, s’engager dans la rigueur et prendre le risque de fortes confrontations sociales. On en est pour l’instant, dans tous les pays occidentaux, à jouer au jeu du chat et de la souris, mais cela ne pourra pas durer, il va bien falloir entrer dans le vif du sujet si une relance miraculeuse n’intervient pas. Une relance porteuse d’une substantielle amélioration de l’emploi, est-il besoin de le préciser.
La crise de la dette publique porte en elle les germes d’une crise sociale et politique profonde, à moins que n’interviennent des remises en question qui ne sont aujourd’hui préconisées que par des voix isolées. En Europe, la création d’un FMI européen ou le lancement d’émissions d’euro-obligations seraient parmi les solutions les plus à portée. Le lancement d’un programme d’investissement communautaire avec comme objectif de créer de l’emploi pourrait être étudié. Mais toutes ces options paraissent bien lointaines.
La question est alors de savoir qui va parler au nom du destin et comment celui-ci va savoir se faire entendre, ou mieux encore s’il va être prié de rester à sa place.
135 réponses à “L’actualité de la crise: la Grande Crise s’auto-alimente, par François Leclerc”
@ Monsieur Leclerc,
y-t’il une manière pour nous de soutenir les islandais dans leur combat
EXEMPLAIRE ??
@ Lervol,
BRAVO !!
@ Monsieur Leclerc,
(en réponse au commentaire du 22-02 à 22h05)
Fabuleux !! pourvu que ‘ca balance’ encore et encore, c’est tout bon!
De ‘nouvelles bases’ ! Comme vous dites!! Génial.
Pour revenir sur l’aide des états à la Grèce.
Ces états n’ont pas d’argent.
Il faudra donc qu’ils empruntent.
Pour le moment les banques leurs proposent des taux « raisonnables » mettons 3 %.
Mais la Grèce étant en difficulté les banques ne lui prètent qu’à 6 ou 7 %.
Que vont faire les banques pour les états sollicitant un prêt pour aider la Grèce ????
Mais leur préter à 6,7, ou même peut-être 8 ou 10 % !!!!
Sachant où va aller l’argent elles ne sont pas folles quand même !!!!
Du coup les états ne pourront préter à la Grèce au minimum Qu’au même taux !!!
Ce qui va encore plus enfoncer la Grèce !!
Et donc les pays préteurs !!!
Du coup les organes de notation vont dégrader les notes de tout le monde !!!
Et les banques vont en remettre une couche en prenant des couvertures contre les risques de tout le monde.
Et faire des paris sur les défauts de tout le monde !!!!
C’est pour çà que tout le monde est bien embété pour aider la Grèce !
Bon c’est peut-être un peu brouillon mais c’est l’idée.
Je pense que M. Jorion avait compris ce que je voulais dire.
Vers une crise systémique des finances publiques ? La Grèce n’est qu’un signe avant-coureur.
Si la crise des institutions financières semble être en passe de se résoudre, en tous cas pour les grandes institutions, une nouvelle crise financière est en train de prendre de l’ampleur : celle des finances publiques.
La Grèce a trafiqué sciemment et avec l’aide des banques ses chiffres d’endettement. Elle atteint un niveau record d’endettement par rapport à son Produit National Brut, lui-même grossièrement sous-estimé vu l’importance de son « économie parallèle ».
Le Premier Ministre Papandreou a expliqué qu’il souhaitait simplement « se financer aux mêmes conditions que les autres pays de la zone Euro ». Ce manque de réalisme à la veille d’une opération d’émission d’obligations internationales montre à quel point les autorités grecques vivent en dehors de la réalité. Le rendement des obligations existantes de la Grèce se traitent a un niveau de 6.1 %, alors que celles de l’Allemagne, le meilleur crédit de l’Europe, se traitent a 3.9 %. Or la Grèce doit refinancer € 20 milliards sur les 300 en cours d’ici la fin du mois de mai. La Commerzbank vient de publier un calcul qui établit cette dette à € 400 milliards. Bref, on nage en plein délire.
Finance.blog.lemonde
Vous avez bien lu :
La Commerzbank vient de publier un calcul qui établit la dette publique de la Grèce à 400 milliards d’euros.
Pronostic : dans quelques semaines, la Grèce va se déclarer en défaut de paiement.
De Théorie communiste N°22, le moment actuel:
La crise.
La crise actuelle doit être historiquement et spécifiquement caractérisée dans sa singularité comme crise du rapport salarial. On peut toujours ramener toutes les crises à la baisse du taux de profit et ne considérer les formes d’apparition que comme des formes phénoménales que l’on peut dans l’analyse fondamentale laisser sur le bord du chemin en ne sachant trop qu’en faire. On oublie que les formes d’apparition sont le tout de la réalité et l’essence (la baisse du taux de profit) un concept, une réalité de pensée. Le concept lui-même de crise est impensable sans ses formes d’apparition, il est produit en elles et non une « vraie réalité » cachée sous elles. La crise actuelle a éclaté parce que des prolétaires n’ont plus pu payer leurs crédits. Elle a éclaté de par le rapport salarial même qui fondait la financiarisation de l’économie capitaliste : compression des salaires nécessaire à la « création de valeur » ; concurrence mondiale de la main-d’œuvre. L’exploitation du prolétariat à l’échelle mondiale est la face cachée et la condition de la valorisation et de la reproduction de ce capital qui tend vers un absolu degré d’abstraction. Ce qui a changé, dans la période actuelle, c’est l’échelle du champ à l’intérieur duquel s’exerce cette pression : le prix de référence est devenu le prix minimal mondial. Ce qui signifie une réduction drastique, si ce n’est une disparition, des différentiels admissibles de taux de profit. La recherche du profit maximum n’est pas une nouveauté, mais la norme salariale a changé avec la fin du parallélisme entre la croissance de la productivité et des salaires, ainsi que l’aire de péréquation à l’intérieur de laquelle s’exerce cette pression : la financiarisation du capital est avant tout une défaite des ouvriers face au capital. Cette compression est nécessaire non seulement en ce que la recherche du surtravail maximum est une nécessité structurelle générale (et toujours historiquement spécifique) du mode de production capitaliste, mais encore spécifiquement en ce qu’elle est la condition fonctionnelle dans le capitalisme financiarisé de la non-propagation des tensions inflationnistes dans un système d’accumulation reposant sur une alimentation constante en liquidités. C’est cette nécessité fonctionnelle qui, avec la crise des subprimes, fait retour de façon négative à l’intérieur du mode historique d’accumulation du capital. C’est le rapport salarial qui est maintenant au cœur de la crise actuelle. La crise actuelle est le début de la phase de renversement des déterminations et de la dynamique du capitalisme tel qu’il était sorti de la restructuration des années 1970 et 1980. Ce qui éclate maintenant et se retourne en entraves et vecteurs de la baisse tendancielle du taux de profit, c’est précisément ce qui avait fait la dynamique du système.
Toutes les contradictions se nouent après 2005 pour mener au déclenchement de la crise actuelle. D’abord la croissance de la consommation autorisée par la croissance de la dette alors que les salaires stagnent ou croissent faiblement ; ensuite la croissance de l’investissement fixe des entreprises autorisée par un taux de profit en légère augmentation après 2002, reposant elle-même sur la compression des salaires. Il y a simultanément suraccumulation de capital et surproduction de marchandises : suraccumuation parce que sous-consommation ; sous-consommation parce que suraccumulation. Les prolétaires ne consomment jamais une partie de la plus-value, comme le sous-entendent les théories sous-consommationnistes qui opposent la baisse ou la stagnation des salaires à la réalisation de la plus-value croissante qui en est le résultat. Le secret réside dans la trop grande transformation de revenu en capital constant par laquelle la production augmente en masse, alors le taux de profit baisse tendanciellement, ainsi que la capacité de consommation de la société. La consommation ouvrière est bloquée, par rapport à la production croissante, parce que trop de revenu a été transformé en capital constant (en fin de compte la production de moyens de production ne peut jamais qu’être au service de la consommation) ; trop de revenu a été transformé en capital constant parce que le but de la production capitaliste est la production maximale de plus-value et la réduction de la consommation ouvrière. Cette réduction bloque alors la reproduction du capital. La transformation d’une plus-value accrue en capital additionnel est simultanément bloquée, d’une part, par la faiblesse du degré d’augmentation de l’exploitation qui pourrait en résulter et, d’autre part, par le degré déjà atteint de la réduction de la consommation ouvrière qui ne pourrait se poursuivre que par une accélération de la transformation de revenu en capital.
C’est une crise du rapport salarial.
Pardonnez moi respectons nous bien la dignité de l’homme à travers tout ce vocabulaire ?
Prolétaire, capitaliste, capital, rente, rapport, salarial, taux, profit, analyse, essence, concept, produit, prolétaire, paye, crédit, financiarisation, économie, capitaliste, compression, salaire, valeur, concurrence, mondial, exploitation, prolétariat, condition, valorisation, reproduction, capital, absolu, abstraction, pression, prix, référence, réduction, disparition, différentiel, nouveauté, norme, parallélisme, croissance, productivité, défaite, ouvrier, capital, travail, maximum, nécessité, structure, général, historique, mode de production, condition fonctionnelle, alimentation, constante, liquidités, début, phase, renversement, restructuration,
croissance, investissement, autorisation, augmentation, compression, salaires, capital, surproduction, marchandises, sous-consommation, parce que suraccumulation, prolétaires,
consommation, plus value, théories, résultat, tendance ouvrière, capital constant, moyens de production, consommation.
Oui je me demande si avec une telle liste de mots, de termes économiques, le monde puisse réellement changer de conduite, pourquoi vouloir ranger et classer systématiquement les individus selon des étiquettes, en quoi le vocabulaire du communisme serait-il plus digne et respectueux pour l’homme que celui du capitalisme ?
Pardonnez-moi mais j’ai toujours aussi faim et soif d’entendre chose, un peu de poésie non prolétarienne par exemple.
@ Jérémie
Je m’y perds un peu dans les Jérémie!
L’avatar qui colle à votre texte ne correspond pas au « Jérémie » auquel je suis habitué, et qui, justement, nous régale souvent de ses textes poétiques, et profonds, et légers (il est ici d’ailleurs, un peu plus haut).
Ceci dit, en lisant ce que vous venez d’écrire, on découvre qu’un nouveau maître des mots vient de débouler, ce midi!
Si c’est le fait de s’appeler de ce nom qui vous donne du talent, dites-le moi les gars …j’abandonne sur le champ « Jean-Luc »!
(suite à ceci, un petit « * » va peut-être apparaître quelque part?…)
Répudions ces dettes crées par ceux qui vont en profitter.
@ claude roche
Je voudrais simplement comprendre.
Merou pose un problème que vous semblez éluder.
Vous dites:
« chacun sent (…) pas de solution en dehors (…) intégration plus forte de l’EUROPE »
C’est bien sûr en disant « chacun sent » que vous nous paraissez éluder le problème (comme la phrase « Nous savons tous que » congédie toutes les objections).
Comme Mérou je ne « sens » pas le truc. Il reste encore à me convaincre.
D’ailleurs, en dehors des mots « plus forte » qui qualifie l’intégration qui serait la solution (et où mon bon sens paysan lit surtout qu’on a donc pas fini d’en baver), il y a un autre terme qui me chiffonne.
C’est peut-être un lapsus, ou le signe que pour vous la solution serait dans une sorte de « gouvernance élargie » (ce qui se défend, mais ne me plaît vraiment pas -toujours ce bon sens paysans dont je peine à me défaire).
Vous dites « intégration de l’EUROPE » et non pas « intégration à l’EUROPE ».
Il s’agit donc bien de l’intégration DE l’Union Européenne à quelque chose de plus grand n’est-ce pas?
Et d’ailleurs, employer le mot Europe en lieu et place de Union Européenne est une façon de faire disparaître les membres qui composent cette union, les faire disparaître dans un ensemble géographique donné et immuable qui, lui, n’est bien sûr pas négociable. J’ai toujours considéré que c’était un tour de passe-passe pas très « fair play ». La première personne qui m’a convaincu que ma réflexion à ce sujet était fondé est une jeune polonaise.
Le premier mai 2004 nous étions quelques amis français, et cette polonaise de vingt-cinq ans, qui parlait le français avec un bel accent roulant et chantant. C’était le jour où la Pologne rentrait dans l’Union Européenne. Dialogues entendus ce jour-là:
– (à la fille) « Bienvenue en Europe! ».
– (la fille) « Nous, les polonais, sommes en Europe depuis aussi longtemps que vous. Nous ne sommes pas vos invités ».
– (à la fille) « Oui, mais c’est bien qu’un pays de l’Est rejoigne l’Union Européenne, non? »
– (la fille) « Regardez une carte. La Pologne n’est à l’Est que de vous. La Pologne est au centre de l’Europe ».
Moi, ça me plaît toujours quand j’entends des gens fiers de leurs origines et du lieu qui les a vu naître (ou qu’ils se sont choisi), et prêts à les défendre contre la grande machine à produire du Même (que cette machine soit « mondialiste » -même marché économique-, ou « altermondialistes » -même humains, égaux et sans différences de culture ou de race).
Quand l’autre sera moi, quand il n’y aura plus d’ »étrangèreté » à découvrir ailleurs, le monde sera tout petit. Et il sera encore plus petit, quand je serai seul, dupliqué à l’infini de six milliards de mêmes (et non pas « 6 milliards d’autres », ce projet proprement orwellien de Yann Arthus-Bertrand sur le site du même nom – YAB se fait, par les photos de ces gens souriant du même sourire, l’idiot utile de ce système qui écrase l’autre que moi-même). Ce jour là, quand YAB aura fini son recensement, il ne me restera que mes yeux, mes six milliards d’yeux pour pleurer sur la « diversité » que me chantaient les altermondialistes, sur une « musique du monde » signée Manu Chao ou Youssou N’Dour, et moulinée façon Real World Records par Peter Gabriel.
J’ai en horreur ces français qui passent leurs temps à vomir leur pays (la France « baguette et béret basque, raciste, orgueilleuse, esclavagiste, colonialiste, pétainiste, expulseuse de sans-papiers, etc. »). Si la France se retrouve « intégrée » à quelque chose de plus grand, de trop grand, et qu’elle y perd son âme, ce sera à cause de ces gens qui ne savent plus aimer leur pays.
La petite polonaise, ce jour-là nous a donné une grande leçon. Je ne suis pas étonné que ce soit une polonaise qui nous la donne d’ailleurs. Rappelons nous d’abord que la Pologne a été le premier pays du continent Européen à se doter d’une Constitution, le 3 mai 1791 (fête nationale), avant même la France. Et surtout si nous, français, avions aussi perdu notre terre, si nous avions vu notre pays disparaître totalement des cartes du monde entre 1795 et 1918, nous saurions l’importance d’une patrie (il n’y a pas que Gombrowicz pour le dire, mais il le dit bien).
Certains me rappelleront les derniers épisodes de la Pologne. Le magnifique humaniste Bronislaw Geremek suppliant ces amis français de dire « oui » à la Constitution Européenne. Le président Kwasniewski, succédant à Walesa dans l’arrimage du pays aux projets du nouvel ami américain, et l’actuel Kaczynski continuant le travail.
Il se peut que l’épisode du 1er septembre 1939 ait laissé des traces. Ce jour là les amis européens, et notamment français, ont mis du temps à retrouver le traité de secours mutuel qu’ils avaient signé juste avant, avec leur chère, très chère, si chère Pologne, qu’ils aiment tant aujourd’hui « accueillir dans l’Europe ».
Peut-être que Geremek voulait conjurer le sors.
Peut-être que Kaczynski aujourd’hui se souvient de ce proverbe français qui dit que « un homme averti en vaut deux ».
Un pays averti aussi en vaut deux. Les avertissements que reçoivent les français ne semblent avoir aucun effet pour l’instant. « L’Europe, l’Europe, l’Europe! » continuent à chanter les cabris du Général, le cou un peu raidi pourtant par le dernier traité qu’ils ont dans le derrière. Les français pensent peut-être n’avoir aucune leçon à recevoir de quiconque. Ils se trompent. Il ne s’agit pas de leçons d’ailleurs, mais d’avertissement.
Un polonais nous dirait peut-être: « Il vous faudrait une bonne guerre, towarzysze! ».
Allez, vive l’Europe!
Quant à l’Union Européenne…
« J’ai en horreur ces français qui passent leurs temps à vomir leur pays (la France « baguette et béret basque, raciste, orgueilleuse, esclavagiste, colonialiste, pétainiste, expulseuse de sans-papiers, etc. »). »
Et pourtant…l’empire colonial, le trafic d’esclaves (Bordeaux, et ses maisons bourgeoises),, la guerre d’Algérie et son métro Charonne, ses officiers réputés es-tortures, et qui s’exporteront, notamment en Amérique du Sud et Centrale, pour enseigner les tactiques de la guerre anti-subversion, guerre(s) qu’ils avaient perdu en vrai, mais comme disait Yupanqui : « Quien a ganado la guerra en los montes del Vietnam : El guerillero en su tierra, y el yanqui en el cinma » (Qui a gagné la guerre dans les collines du Viet-Nam, le guérillero chez lui, et les Yankees au cinéma), Pétain n’est pas venu par hasard, ni le Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, les expulsions, les centres de rétention, le Front National dont tous les autres partis s’inspireront, et la gauche qui mis en place les charters, et Rocard, l’ami du Médef, « la France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde… » C’est-y pas bien français tout ça, non, oui?
Cette France là existe bel et bien, si on ose dire, mais la France n’existe pas, toujours la manie de l’idéalisme, de l’essentialisme : la France, le Peuple, l’Europe, et surtout, surtout l’Homme éternel et sa nature, la France et son essence, sa francitude, comme oserait le dire la Sainte de Charentes-Poitou…
Le poète espagnol Machado avait écrit en son temps, avant de mourir dans l’exil de Collioure, « Hay dos Espanas » : il y a deux Espagnes. Il y a deux Frances, aussi, je hais celle éternelle associée aux exploits guerriers, aux entreprises coloniales, à la xénophobie (actuellement essentiellement anti-musulman, avec l’assimilation de l’islamisme au fascisme : voir M. Val (Dr.France inter, par la grâce de C.Bruni) et compagnie..
Contre les Centres( ce ne ne sont pas des Camps,non) de Rétention des étrangers en situation illégale, des mouvements ont lieu depuis un bon moment, des personnes sont réprimées pour solidarité et action contre ces centres, ou contre ceux qui profitent, il y en a des expulsions, c’est l’autre France…
Voir Indymédia
Quant à l’Europe et à son intégration… et aux bénéfices attendus, voilà le langage des patrons du monde et de sa gestion, de son managment en quelque sorte, c’est la langue des ennemis de tout changement, les mots des boss…
Pourquoi tenez-vous tant à ce que je vous « aie en horreur », communisation?
Pourquoi voulez vous faire de ce lieu-ci un champ de bataille?
Si on doit sur ce blog se jeter à la figure toute l’histoire de France, d’Espagne et du Monde, on a pas fini d’entendre siffler les dates à nos oreilles. Et puis, qu’est-ce qui vous rend si sûr de vous?
Je ne crois pas être à ce point assuré, comme vous l’êtes, de me trouver du bon côté de la barricade. D’ailleurs cette barricade de guerre civile que vous appelez de vos voeux, allez la tenir tout seul au milieu de votre Désert des Tartares. Je n’ai que faire de vos aboiements, vous ne m’enrôlerez pas dans vos bataillons.
Je vous répète ici, comme je l’ai fait ailleurs, que je partage beaucoup de vos points de vue. Voulez-vous à ce point vous fabriquer des ennemis? Ne comptez pas sur moi pour jouer ce rôle.
J’ai fait une expérience qui m’a servie, et que je vous livre ici pour servir une nouvelle fois. Une expérience de plus de dix années de squat à Paris, dans plusieurs lieux différents, que nous occupions « sans droit ni titre ». Des lieux sans la loi du « dehors », où toutes les libertés étaient possibles. Aucun flic ne venait jamais régler nos litiges. Il y avait avec moi le banc et l’arrière banc de l’extrême gauche idéaliste, des idéologues enflés de leurs lectures, des « autonomes » de tout poil. C’était mes copains, mes frères. Devinez ce qu’il arriva toujours, je dis bien toujours: ces lieux de liberté, grâce à des gens qui se font une idée de la liberté comme étant celle d’en priver les autres, sont devenus à chaque fois des champs de bataille.
Je me suis mangé les « autonomes » plus souvent qu’à mon tour, et si au début j’étais surpris qu’ils dépensent leur énergie à essayer de me détruire, j’ai vite compris. Pourquoi moi et pas leurs véritables adversaires, en dehors des squats? Pourquoi moi?
Tout simplement parce que j’étais leur frère, et qu’il jouissait de cette guerre civile. J’étais leur frère, alors il fallait que je sois comme eux. En tous points. Communisation, justement (si vous croyez qu’on ne vous voit pas venir de loin, avec votre uniforme). J’étais comme eux, je parlais et pensais comme eux, mais je refusais leur guerre des boutons, celle qu’ils avaient en tête à force de lecture édifiantes sur les « héros de la Liberté », et à force de tout ce roman frelaté de petits bourgeois bien sages, celui de « l’internationale de la résistance à tous les fascismes ». La bagarre contre la réalité, au dehors, leur aurait peut-être mis sous le nez que les, si fameux, et si terribles géants à abattre n’étaient que des moulins-à -vent, alors il s’accrochaient à taper, dedans, sur celui qui leur était le plus proche. Parce que j’étais réel, et pas décidé à me laisser coller une vareuse à bouton sur le dos. Ils jouissaient de tirer sur leur frère.
Parce que les armes, une fois chargées, il faut bien qu’elles servent!
Vous ne m’aurez pas, communisation. J’ai lu vos commentaires qui collaient parfois aux miens, au lieu d’aller se frotter là ou ils seraient plus utiles. Et je le répète ici devant tous, je ne suis en aucun cas votre adversaire.
Pour le reste, j’ai en tête la seule France que je connaisse, et je ne la retrouve pas dans celle que vous avez dans votre tête, ni dans vos classifications. Mais vomissez la France, si ça vous fait plaisir.
Tiens ! Jean-luc regarde ! Un petit papillon multicolore s’est posé sur ton épaule. T’as pas remarqué !
@ octobre
Ah oui! ça y est je le vois…
(merci octobre, hier soir je voyais que des papillons noirs)
Cool… nous Travaillons, les Grecs depensent… Trop de travail au « Black » chez les Grecs, pas d’entrée d’impot pour le gouvernement Grec donc les Europpéeens qui travaillent pour ceux qui font n’importe quoi de leur pays… je trouve sa inadmissible qu’il aura fallu une alerte pour defaut de payement d’un pays de l’UE… cette Europe dirigé par politiques qui se moquent de tout, la preuve est le 1er exemple Grec… en tout cas, je sais pour qui voter…
Eh oui ! Et ça a bien poussé, depuis… Petite bulle en germe deviendra grande, rejoignant ainsi la grosse « bulle-mère » des actifs toxiques. Tout était déjà bien vu ici. Bravo F. Leclerc pour cet excellent billet, que je viens de découvrir ce matin, en me promenant sur le net.