L’actualité de la crise: Adair Turner persiste et signe, par François Leclerc

Billet invité.

ADAIR TURNER PERSISTE ET SIGNE

Sous le titre « La colère du peuple contre les banquiers est légitime », qui reprend ses propos, Adair Turner, patron de la FSA qui régule l’activité financière au Royaume Uni, vient de persévérer et signer. A l’occasion d’une interview accordée hier lundi à La Tribune, le quotidien économique français, il appelle à la rescousse Stephen Green, le patron de la banque HSBC, pour réaffirmer qu’ « une partie de leurs activités (financières) n’avaient aucune utilité pour l’ humanité », ce que ce dernier aurait admis, avec « d’autres financiers éminents ».

Allant cette fois-ci plus loin, poursuivant ainsi  : «…c’est vrai qu’il y a parmi eux des responsables qui n’ont toujours pas compris combien légitime est la colère du peuple. Pendant des années, on a répété des fables sur l’innovation financière et le dynamisme du secteur bancaire, réputés favorables à l’économie dans son ensemble, et on a justifié ainsi les rémunérations considérables dans la finance. Après la crise, ces rémunérations un peu étranges sont devenues scandaleuses, à cause du tort que la finance a porté à l’économie. Et il y a aujourd’hui une demande populaire très légitime pour que les régulateurs et le gouvernement mettent de l’ordre. »

Adair Turner réitère la proposition qu’il a formulée au dernier Forum économique mondial de Davos, en préconisant la mise en oeuvre d’un contrôle du crédit, une mesure qui lui semble pouvoir « prévenir une autre catastrophe ». Ajoutant  : « Nous pourrions nous pardonner de ne pas comprendre des crises nouvelles, mais ce qui pose problème, c’est notre incapacité à tirer les leçons de phénomènes qui se sont déjà produits ! ».

Voilà comment il voit les choses  : « Il faudrait faire la différence entre les crédits selon leur finalité. Il y a ainsi des crédits qui financent l’activité réelle, de nouveaux actifs ou des investissements, qui débouchent sur de la croissance ; le remboursement s’effectue au moyen du cash-flow créé par l’activité nouvelle. Et d’autres financent le rachat d’actifs existants – les crédits pour l’immobilier, pour les LBO ou rachats d’entreprise – avec un endettement élevé, où ce sont les plus-values qui financent le coût du crédit. Ce sont deux formes de prêts très différentes, il n’y a pas de raison de limiter les premiers, alors que les autres n’ont pas toujours d’utilité sociale, ils peuvent même être dangereux. Et lorsqu’on relève les taux d’intérêt, on pénalise indifféremment les deux, on frappe même davantage l’activité réelle, alors que l’on récompense les spéculateurs : le resserrement de la politique monétaire se traduit souvent par une montée du taux de change, qui augmente la plus-value. On n’a pas assez réfléchi à cela, notamment au Royaume-Uni, à cause de l’idéologie ambiante qui était contre une telle distinction. Nous étions aveuglés par la crainte de voir resurgir l’interventionnisme et ses travers. » (*)

Le projet de réforme des activités bancaires de Barack Obama s’inspirait des idées de Paul Volcker, un ancien président de la Fed. Aujourd’hui, le sort qui va lui être réservé par le Sénat américain est pour le moins incertain. Ce qui va advenir de cette nouvelle proposition d’Adair Turner l’est tout autant. Dans les deux cas, ces réformes peuvent être considérées comme n’allant pas au fond des choses et ne pouvant empêcher le déclenchement ultérieur d’une nouvelle crise. Mais ces réserves ne sont-elles pas secondaires, si l’on considère la personnalité et la position de ceux qui sont à l’origine de ces tentatives de prévenir une nouvelle catastrophe, et sont conscient que si rien n’est fait elle sera inévitable  ? Pouvant laisser penser que nous ne sommes qu’au début de la réflexion, et que la poursuite de la crise, sans attendre la prochaine, va faire mûrir la réflexion  ?

————-
(*) Note PJ : J’ai souvent insisté sur la nécessité d’une telle distinction. Par exemple en octobre 2008 dans Un Bretton Woods dont l’espèce se souvienne et en janvier 2009 dans À propos de « Pour un système socialisé du crédit » par Frédéric Lordon.

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66 réponses à “L’actualité de la crise: Adair Turner persiste et signe, par François Leclerc”

  1. Avatar de laurence
    laurence

    Hello!

    Et si on imprimait déjà tous ‘les mesures que je préconise’ de Monsieur Jorion (9 février, 21h53),

    et on se refile ici toutes les adresses auxquelles il serait bon de faire parvenir ce document ?

    Il y a déjà bcp de monde ici et en en parlant autour de nous……

    Qu’en pensez-vous ?? Ce serait un début…

    1. Avatar de Pierre-Yves D.
      Pierre-Yves D.

      Vous avez parfaitement raison. Si les gens se font tondre c’est parce que règne un certain l’aquabonisme, autre nom de l’impuissance.
      Si les gens ne bougent pas c’est surtout par ignorance. Chacun sait qu’il y a des bons et des méchants, des riches et des pauvres, et les premiers dans le rôle de ceux qui vivent aux dépend des seconds, mais cela ne dépasse guère ce stade de la réflexion.

      Il manque au plus grand nombre une explication globale et compréhensible des mécanismes qui sont à l’oeuvre dans le système.
      Paul fournit ces clés, les premières clés, car son travail n’est pas achevé. Il ne peut non plus être au four et au moulin, ses journées n’ont que 24 heures, c’est donc à nous ses lecteurs de partager ce que nous avons pu apprendre ici et dans ses livres, notammment, « L’argent mode d’emploi ».

    2. Avatar de Tigue
      Tigue

      Les associations d’ aides aux personnes âgées sont en asphyxie financière. La réponse de l élu (augmenter les impôts) est des plus classiques et s inscrit dans la droite trajectoire déclinante du modèle de l homo economicus (l argent , rien que l argent…).
      La personne âgée n éprouvera guère de reconnaissance envers un politicien, elle se souviendra en revanche de celles et ceux qui lui donnent de son temps de façon réellement désintéressée, sans vendre de la politique ou de lbideologie.

      Un exemple d’ une telle personne est Cathy Saraï .

      « Comme beaucoup, je n’ai connu Cathy qu’à travers mon écran de télévision et pourtant, j’ai l’impression d’avoir perdu quelqu’un de proche…Son décès brutal me touche et me boulverse.
      Cathy était une femme bien.Un personne humble, humaine qui savait donner de son temps pour les autres et faire le bien autour d’elle…des personnes comme il y en a peu aujourd’hui. »

      A Laurence , a l ami de Saint Naz , a Jeremie:
      C est de cette manière que les choses changeront vraiment et durablement. Car quand nous agissons comme cette personne, nous changeons en bien a nos propres yeux, et retrouvons l espoir que d’ autres suivent le même chemin, pour ensuite changer l humanité entière.
      Lorsqu une famille entière est réunie autour d’ un vrai repas, et que chacun prend le temps de se parler, plutôt que de grignoter dans son coin des produits multi  emballés avec chacun des écouteurs pour mieux s’ isoler des autres, on crée une brèche dans le blindage de la finance, car c est autant de temps qu elle ne vous a pas volé.

  2. Avatar de taotaquin
    taotaquin

    Bonsoir Monsieur Leclerc,

    que pensez-vous de ceci:

    http://le-revenu-de-base.blogspot.com/

    Merci!

    1. Avatar de François Leclerc
      François Leclerc

      Vous touchez là un point sensible : un revenu permettant d’assurer les besoins fondamentaux devrait être dans l’avenir, selon moi et pas mal d’autres, garanti de la naissance à la mort à chacun !

      Il y a une réflexion internationale sur ce thème, qui me semble s’élargir, en dépit du caractère profondément utopique d’une telle mesure, plus réaliste que l’on ne croit.

      Réalisation partielle et imparfaite de celle-ci, le programme Bolsa Familia (la bourse de la famille) concerne environ 50 millions de brésiliens, sur une population globale estimée à 180 millions. Lancé par Fernando Henrique (Cardoso), il a été ensuite développé par Lula.

    2. Avatar de taotaquin
      taotaquin

      Merci de votre réponse

      Parmi la classe politique actuelle, y a-t-il quelques personnes qui en sont également convaincus ?

      J’aimerais beaucoup avoir l’avis de Madame Corinne Lepage qui fréquente ce blog.

      Beaucoup on crié à l’utopie irréaliste lors de l’instauration des congés payés…

      Il me semble en effet que l’instauration d’un tel revenu pourrait sensiblement diminuer la dominance sociale (je suis en parfait accord avec Betov sur ce point: la clé d’une société plus juste, plus apaisée devra passer par la diminution de la dominance sociale).

      D’une plus grande liberté quant aux choix de vie de chacun résulterait moins de crispations, de frustrations diverses…

      Une part de revenu de base, une part de salaire en échange, ça doit pourtant être possible à réaliser.

      V., François, Paul et les autres 🙂 , tentons de faire comprendre que, comme le dit une intervenante dans la vidéo en question: « Ca fait cent ans qu’on trime pour faire diminuer le travail! »

      Merci!

    3. Avatar de taotaquin
      taotaquin

      erratum: Il faut lire « une part de salaire en échange d’un travail »

    4. Avatar de jeannot14
      jeannot14

      http://www.allocationuniverselle.com/index.htm

      Sur ce site, vous pouvez même simuler vos revenus, les allocations diverses, les taxes et impôts dues, avec l’allocation universelle. C’est surprenant, rentrez vos données et vérifiez.

  3. Avatar de laurence
    laurence

    @Tigue,

    voyez-vous, c’est mon métier. Oui… celui que vous décrivez avec tant d’émotion.

  4. Avatar de laurence
    laurence

    @ Philippe de

    mon métier : accompagner des personnes handicapées mentales au quotidien : joies,angoisses,soins des corps et des âmes avec toute l’humilité et l’empathie que cela suppose.

    Mon quotidien : avec ce que ce métier me rapporte : frugalité dans TOUS les domaines et conscience aïgue de la fragilité potentielle des gens et de leur ‘croyances’.

    Excusez-moi mais la teneur de votre réponse m’échappe un peu.

    1. Avatar de Phil de Saint Naz
      Phil de Saint Naz

      C’est marrant, ma femme fait le même boulot. Oui, je vois bien ce que ça représente, Bravo. Ca ça fait vraiment changer les choses, surtout pour ceux dont vous vous occupez. Ca explique probablement également votre sensibilité à fleur de peau, et excusez-moi si j’ai pu être offensant avec mes commentaires.

  5. Avatar de daniel
    daniel

    @ Bertrand 10 février 2010 à 16:22

    « Toutes les révolutions française ont au moins un point commun : Le niveau d’imposition
    délirant qui pousse le peuple à se révolter… ».
    C’est inexact pour 1789. En moyenne, le taux d’imposition n’était pas « délirant ».
    Je dis ‘ en moyenne’, parce que les régimes d’imposition ‘direct’ et ‘indirect’ variaient
    selon les provinces; en fait, c’était l’anarchie et le particularisme poussé
    à l’extrême, injustes l’un et l’autre. Par comparaison , le parlement anglais extrayait des impôts
    plus élevés…mais sur l’ensemble des actifs. ( Le fisc anglais, hérité des Normands,
    a toujours été de haut rendement.)
    Le pays était riche et en pleine expansion; la France concentrait
    le tiers du numéraire en Europe; les ports, Atlantique et Méditerranée, étaient
    très actifs. L’ industrie commençait à être touchée par la révolution industrielle.
    soutenue par des chercheurs et scientifiques de très haut niveau.
    Certains des intendants avaient une idée dynamique de leur rôle…
    Le pays avait un solde des échanges toujours positif, à part
    les périodes de guerre.
    Bref, un pays globalement florissant, mais pas cependant à l’abri de crise alimentaire.
    La révolution est devenue ‘obligatoire’ quand la Noblesse a préferrée défendre
    ses ‘droits’ plutôt que les intérêts du pays. Elle refusait de prendre sa part
    dans les impôts, extrayait du système des pensions une part croissante
    de la richesse nationale et se fermait à l’esprit du temps : maintien des privilèges,
    refus de l’ouverture à l’accession aux fonctions dans l’ Etat, et refus de travailler.
    Il me semble que sa condamnation vient autant du refus d’ être productif
    que du refus des impôts.

    En gros, en 1789 la révolution a éclatée dans un pays riche avec un Etat
    aux finances exsangues. Les parallèles avec la situation actuelle sont évidents.

  6. Avatar de VB
    VB

    Bonjour,

    @ Daniel,

    Oui, une petite leçon d’histoire ne fait de mal à personne ; surtout lorsqu’elle n’est pas tronquée. Tout cela est vrai.
    J’ajoute que « la noblesse » manquait elle-même de cohésion dans la mesure où certains nobles, hobereaux de provinces, étaient désargentés et aimés du peuple (notamment en Vendée : 🙂 : quelqu’un connaît-il François Athanase de Charette de la Contrie ?) tandis que d’autres, plus en cours, ne connaissaient à l’évidence aucun problèmes financiers mais étaient détestés du peuple en raison, notamment, de leur morgue à l’égard des difficultés générales de la population (le Tiers Etat).
    Par ailleurs, la bourgeoisie naissante n’avait pas accès aux postes clefs de l’administration territoriale générale, ce qui développait une rancoeur d’autant plus aiguë que cette bourgeoisie avait de plus en plus de moyens financiers (développement commercial et début de la société industrielle) et que ses droits ne suivaient pas.

    Cordialement,

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