Billet invité.
UN SYSTEME QUI MARCHE TOTALEMENT EN CRABE
Donald Kohn, vice président de la Fed, a sonné l’alarme vendredi à l’occasion d’une conférence organisée par l’agence gouvernementale FDIC, à Arlington (Virginie). « Emprunter à court terme et prêter à long terme est une stratégie risquée par nature », s’est-il soudainement rappelé, en tirant comme leçon de cette constatation que ceux qui développent ce business (les banques) « doivent être certains que, la relance économique apparaissant, ils ne risquent pas d’être coincés par la hausse des taux d’intérêt … ». Se contentant de mentionner, comme cause de celle-ci, le moment où la Fed modifiera sa politique de très bas taux d’intérêt, ce dont il n’est pas question dans l’immédiat. Nous amenant à nous interroger sur les raisons de l’opportunité de son intervention; sur ce qui pourrait, selon ses propres termes, amener les banques à naviguer dans des « eaux inexplorées » et donc périlleuses.
Paul Tucker, numéro 2 de la Banque d’Angleterre, a également évoqué cette inconnue devant les parlementaires britanniques, la semaine dernière, mais il a été plus explicite. Il s’exprimait dans le contexte de la réunion de la semaine à venir du comité de politique monétaire de la banque centrale britannique – qui pratique le très bas taux de 0,5% – qui va devoir décider ou non de prolonger et d’étendre son programme d’achat des obligations d’Etat (les gilts). Tandis que les milieux d’affaires, craignant un redémarrage de l’inflation, préconisent l’arrêt de ce programme. Prélude, dans un second temps, à l’augmentation des taux de la BoE.
Les craintes qui s’expriment à propos de la capacité des banques à supporter une future hausse des taux sont suffisamment importantes pour avoir fait l’objet d’une réunion à la Banque des règlements internationaux, a révélé Paul Tucker. Un autre facteur poussant à la hausse des taux, sur le marché obligataire cette fois-ci, aurait été pris en compte. Dans l’immédiat celui de la crise grecque, et à terme les effets de la campagne qui s’exerce sur les gouvernements pour qu’ils entament la réduction de leurs dettes. Pouvant aboutir à un surenchérissement général des taux du marché, celui-là même sur lequel les banques seront appelées à lever des capitaux, une fois fermés les robinets à liquidités des banques centrales.
La réunion de la BCE de cette semaine devrait également confirmer, en maintenant ses taux inchangés, que les banques centrales ne sont pas en mesure d’arrêter leurs programmes de soutien aux établissements financiers, craignant qu’ils soient alors exposés et vulnérables à des taux qui ne peuvent que se tendre sur les marchés. La poursuite de la hausse des taux qui se profile n’en resterait pas moins problématique pour les banques, celles-ci ayant d’énormes besoins de refinancement et risquant d’être prises en ciseaux entre les taux qui leur seraient appliqués et ceux qu’elles ont consentis.
Il ne faut donc pas chercher plus loin les raisons de la campagne menée avec virulence à propos des déficits publics. Les banques cherchent ainsi à limiter l’inexorable montée des taux que la progression de la dette susciterait, dont elles feraient les frais. Dans l’immédiat, elles aboutissent à l’effet contraire. Il est donc impératif, pour elles, que les gouvernements présentent sans tarder la note à leurs administrés.
Comme si cette dépendance des banques aux liquidités des banques centrales n’était pas déjà assez significative de la situation hors normes que nous connaissons, illustrant le fait que la machine financière est cassée et n’est pas prête d’être réparée, une autre singularité de celle-ci démontre que nous ne sommes pas en passe de connaître un retour à la normalité. Il est particulièrement flagrant aux Etats-Unis que la relance économique est étroitement dépendante, elle aussi, des plans de relance publics. Le marché immobilier y est totalement tenu à bout de bras par la Fed et par un programme fédéral de prime à l’achat. Les dispositifs de soutien se multiplient, les derniers en date en faveur des petites et moyennes entreprises (pour aider l’emploi), et bientôt des Etats et collectivités locales, pour lesquels le programme intitulé « Build America Bonds » va devenir permanent (l’Etat fédéral prenant en charge environ un tiers des intérêts des emprunteurs). Non seulement la reprise n’est donc pas à mettre au crédit du secteur privé (si l’on exclut l’industrie financière et le secteur pharmaceutique), mais l’Etat est dans la nécessité de bricoler des programmes de soutien financier, ne pouvant plus afficher un nouveau plan global de relance puisqu’il lui est enjoint de réduire son déficit.
Cette situation va être difficilement tenable, exprimant une contradiction d’intérêt montante entre les besoins respectifs du secteur financier et de l’économie. L’Etat est sollicité de tous côtés et sommé en même temps de réduire ses dépenses.
Un projet hors norme se présente cependant, qui pourrait théoriquement offrir une porte de sortie, loin d’être aujourd’hui ne serait-ce qu’entrouverte. Dominique Strauss-Kahn vient en effet d’annoncer à Davos un projet très novateur, s’il est adopté. Il s’agit de la création d’un « fonds vert », destiné à financer la lutte contre les changements climatiques, qui est en cours d’étude. Ce fonds pourrait être doté jusqu’à hauteur de 100 milliards de dollars par an, financé par la distribution de DTS (droits de tirages spéciaux), cet instrument financier dont dispose le FMI. Car celui-ci a depuis sa création comme prérogative de pouvoir créer cette monnaie, uniquement destinée à l’usage des Etats, qui repose sur un panier de devises. Cette annonce intervient aux lendemains de l’échec de la Conférence de Copenhague, à propos de l’aide financière que les pays développés devaient accorder aux pays qui le sont moins, dans le contexte des difficultés budgétaires des premiers, en raison de la crise actuelle. Des consultations seraient prochainement engagées entre le FMI, les banques centrales et les gouvernements.
S’il était permis au FMI de mettre en marche cette mécanique, une boîte de Pandore serait ouverte. Elle ne l’a jamais vraiment été, en raison notamment de l’opposition constante des Américains, mais les temps sont en train de changer. En effet, si les DTS pouvaient permettre de financer la lutte contre les changements climatiques, d’autres objectifs pourraient leur être assigné… On pense, inévitablement, au financement des déficits publics.
Demain sera un autre jour.
60 réponses à “L’actualité de la crise: un système qui marche totalement en crabe, par François Leclerc”
Que faut-il choisir ?
La pauvreté en restant dans l’Union Européenne ?
Ou alors la pauvreté en sortant de l’Union Européenne ?
A titre personnel, je préfèrerais être pauvre en sortant de l’Union Européenne.
Seul l’esprit de Pauvreté tout court et non l’esprit de Richesse pourrait vraiment nous permettre de changer de monde, de valeurs, d’état d’esprit, voir même de passer plus rapidement et sans tarder par le chas d’une aiguille que pour un riche, c’est pourquoi lorsque la prochaine grosse bulle éclatera les premiers deviendront bientôt les derniers et les derniers les premiers dans d’autres valeurs de vie et non de mort.
@ BA : j’en sais rien.
J’aime pas la pauvreté. Que ce soit dans ou hors de l’UE.
Ce qui n’a RIGOUREUSEMENT rien à voir avec les pauvres (j’ai réussi à replacer RIGO….).
Ensuite, tout dépend de la définition et de la réalité vécue de la pauvreté et de la richesse que l’on donne.
A l’ouest, la réalité vécue est extrême, en termes d’écarts. A l’est, la définition est extrêmement relative, selon les concepts philosophiques, religieux, sociaux, moraux, etc.
Entre les deux, ‘au milieu’, il y a l’UE.
Il me semble, il me semble, qu’un ‘juste’ milieu n’est pas forcément le point équidistant entre les deux points les plus extrêmes.
Il est ailleurs.
L’UE, c’est l’innovation (du moins, ce devait l’être).
On devrait reprendre ce chemin …
zébu écrit : « L’UE, c’est l’innovation. »
J’éclate de rire !
« L’UE, c’est l’innovation. »
Mais non ! L’UE, c’est la tradition !
L’UE, c’est la confiscation des richesses au profit des plus riches, et grâce à l’appauvrissement de tous les autres (qui deviennent de plus en plus pauvres).
L’UE, c’est l’outil créé par les notables afin de leur permettre de conserver tous les pouvoirs.
L’UE, c’est le monde tel que nous l’avons toujours connu (quelques exceptions : la Révolution française notamment).
L’UE, c’est l’instrument de domination des élites médiatiques, économiques, patronales, qui leur permet de continuer à dominer.
Enfin, l’UE, c’est la tentative séculaire d’unifier le continent européen (tentative qui s’est toujours terminée par l’effondrement depuis 2000 ans).
L’UE, c’est chiant : on connaît le film, on l’a déjà vu 15 fois, et on connaît la fin du film : l’effondrement.
pour un européen, je pense quand même qu’il est préférable de vivre maintenant, en 2010, qu’en 1941 en Europe Occidentale, ou en 1950 en Europe de l’Est.
B.L.
Bruno Lemaire écrit : « pour un européen, je pense quand même qu’il est préférable de vivre maintenant, en 2010, qu’en 1941 en Europe Occidentale, ou en 1950 en Europe de l’Est. »
C’est-à-dire sous le nazisme, et sous le stalinisme.
Pour un européen, je pense quand même qu’il est préférable de vivre maintenant, en 2010, qu’au Moyen Age lors de l’épidémie de la Grande Peste.
Et je pense quand même qu’un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie.
Mais il est vrai que la situation actuelle nous amène au bord du gouffre.
La question subliminale étant: est-ce que la catastrophe peut être évitée grâce à un accrod entre les nations, un « gouvernement européen », ou tout autrement?
Est-ce l’UE qui nous amène à la catastrophe (à propos, j’ai voté non en 2005, mais je n’ai pas forcément eu raison) ou est-ce autre chose, nos « élites », nos « lobbies » de toute sorte, nos « revenus non gagnés »?
Sont-ce nos politiques les puissants, ou sont-ce d’autres « élites » ou « éminences grises ».
Cordialement, B.L.
@Jérémie, BA et Zébu.
Le système économique, chacun pourrait en convenir, est « bon » lorsqu’il atteint sa fin, lorsqu’il est assez bien ordonné
pour que la nourriture entre dans l’estomac qui a faim; pour que les vêtements couvrent les épaules qui ont froid; pour que les chaussures viennent sur les pieds qui sont nus; pour qu’un bon feu réchauffe la maison en hiver; pour que les malades reçoivent la visite du médecin; pour que maîtres et élèves se rencontrent.
Voilà le domaine de l’économique. Domaine bien temporel.
Le système économique a donc une fin bien à lui dans ce domaine: satisfaire les besoins des hommes. Que l’homme puisse manger lorsqu’il a faim, s’abriter dans un logis convenable…
Les moyens actuels que met l’U.E. à la disposition de ses membres correspondent-ils à cette fin: il est permis d’en douter.
Pourrait-on faire autrement, et comment: à chacun de voir, et d’étudier à la lumière de la fin rappelée précédemment les diverses propositions qui ont été mises en avant, sur ce blog ou ailleurs.
Il ne devrait nulle part être question d’argent, mais de ressources matérielles et humaines, de production, de consommation,d’ investissement, de développement « soutenable » et d’externalités positives.
Cordialement, B.L.