Billet invité.
LA CRISE DE SOCIETE AMERICAINE
Une bagarre à l’issue incertaine est en cours à Washington, là où on ne l’attendait pas. Elle a pour cadre le Sénat et pour objet la confirmation de la nomination à la présidence de la Fed, pour un second mandat, de Ben Bernanke. Un vote pourrait intervenir à partir de mercredi prochain, alors que le mandat en cours se termine le 31 janvier, le calendrier est donc serré. Ce qui est le plus significatif, dans cette situation que nul n’aurait prédit il y a quelques semaines, c’est que les votes qui pourraient manquer à Ben Bernanke viennent à la fois du camp démocrate et de celui des républicains. Prenant doublement à revers Barack Obama, qui a réaffirmé son soutien à son candidat et pourrait le voir défait, et qui peut constater que l’alliance bipartisane dont il n’a cessé de se revendiquer depuis qu’il a été élu, cherchant l’appui à la fois des démocrates et des républicains, se constitue bien, mais contre lui en l’occurrence !
Ce n’est pas non plus un des moindre paradoxes de la situation politique Américaine actuelle que de constater que le président assure de son soutien, pour diriger la Fed – principal artisan et bailleur de fonds du sauvetage du système financier – un homme qui était aux commandes durant toute la période de montée en puissance de la crise et n’a rien fait pour l’endiguer. Alors qu’il a entrepris depuis peu, en proposant une taxation des mégabanques, puis dans la foulée un projet de restriction de certaines de leurs activités (à la portée toutefois indécise), une véritable croisade contre ce que représente ce même candidat, qui était et reste l’homme de Wall Street.
Dans ces conditions, il est loisible de s’interroger sur la sincérité et l’ampleur du tournant que semble prendre Barack Obama, qui serait plus crédible s’il était assorti de modifications de son équipe économique, alors que les réserves au nouveau cours de certains de ses piliers, s’expriment en privé à défaut de le faire devant les micros. D’autant que le dernier plan de restriction des activités bancaires, qui à l’habitude du président n’a été exposé que dans ses grandes lignes, laisse beaucoup de grain à moudre dans tous ses tiroirs pour de futures négociations en vue de son passage devant le Congrès. A moins qu’une accélération n’intervienne, amenant Barack Obama a procéder par décrets présidentiels, ce qui serait alors un vrai tournant, que rien ne permet de pronostiquer dans l’état actuel des choses.
Considérée depuis Washington, la vie politique américaine est entrée dans une phase faite à la fois de grandes incertitudes et d’une inconnue majeure : jusqu’où est prêt à aller Barack Obama – qui s’est déclaré décidé à se battre – afin de reconquérir un électorat qui lui a fait brutalement défaut dans le Massachusetts ? Le sentiment dominant étant que la bagarre qui s’est engagée à l’initiative du président – qui a besoin de reprendre l’initiative pour négocier sur la base d’un meilleur rapport de force, ne semblant ainsi pas vouloir mettre en cause sa stratégie générale – est désormais porteuse de dérapages potentiels, car il faut être deux pour se marier et le prétendant républicain s’obstine à se dérober. Dix mois mouvementés sont en tout état de cause devant nous, jusqu’aux midterms de novembre prochain, pour que le paysage s’éclaircisse.
Les réactions des républicains enregistrées à ce jour, ainsi que celles peu nombreuses des représentants des mégabanques, sont prudentes et semblent montrer que les uns et les autres ne souhaitent pas d’affrontement au grand jour. Ils privilégient une autre tactique, qui a si bien réussi jusqu’à maintenant aux mégabanques. Pour ces dernières, il va s’agir de mener une nouvelle guerre d’usure, de toute la puissance de leur action de lobbying, s’appuyant sur leurs hommes au Congrès, ayant pour objectif de mener à bien un véritable travail de sape afin de bloquer ou d’édulcorer des projets qu’ils considèrent comme contraires à leurs intérêts, de leur retirer leur substance afin de n’en garder que l’enveloppe. Les républicains, quant à eux, pris dans un dilemme, ne pouvant s’afficher ouvertement en faveur des mégabanques, mais ne voulant pas davantage avaliser les plans d’Obama.
Ces jeux à venir, qui se voudraient la réplique de ceux qui ont déjà été couronnés de succès, à propos des projets de loi de régulation financière et de réforme de la santé, risquent toutefois d’être perturbés dans leur déroulement. Car si une leçon peut être tirée des difficultés rencontrées au Sénat par Ben Bernanke, c’est que celles-ci proviennent principalement de sénateurs – quel que soit leur bord – qui doivent se présenter prochainement devant leurs électeurs, dont ils redoutent le verdict. Washington ne peut pas ignorer ce qui se passe dans le pays, l’opinion de Main Street telle qu’on la dénomme, dont la traduction en terme politique est devenue une inconnue redoutée. Ni les membres du Congrès, ni le président lui-même ne peuvent le faire, comme ce dernier vient avec éloquence de le démontrer. Les acteurs de la vie politique jouent sur un plateau leur partie, mais ils doivent tenir compte des réactions de la salle, ne pouvant pas toujours tout régler en coulisses. Si une chose est certaine dans la situation actuelle, c’est bien que le poids de la société américaine en crise est en train de s’affirmer. Ce qui l’est moins, c’est ce qu’elle va susciter.
La crise, en effet, n’est pas seulement économique et sociale, faite de saisies immobilières qui se poursuivent et d’un chômage qui s’installe, de la poursuite des faillites des banques régionales et des difficultés rencontrées par les PME pour obtenir des crédits, ou bien de la situation financière très tendue de grands Etats et de grandes métropoles. Aboutissant à une situation inédite : le pouvoir d’achat des classes moyennes, pris globalement, est durablement menacé, son financement par le crédit n’étant plus assuré, les déséquilibrant sans rémission. La crise qui les atteint est aussi idéologique, mettant en cause ce qu’il était convenu de considérer être leurs valeurs, leur ciment, leur endoctrinement et croyance dans les vertus inégalables de la libre entreprise, de la concurrence et du libre exercice du marché, de la suprématie américaine. Une situation qui n’a eu comme précédent récent, mais moins dévastateur, que la contestation profonde de la guerre menée au Viet-Nam qui avait traversé la société toute entière, et qui pourrait même reléguer au second plan le grand traumatisme du 11 septembre, avec tout ce qu’il a déclenché et permis de changements profonds au sein de la société américaine.
D’autant que des contradictions se développent au sein de l’administration, qui vont également jouer leur rôle, aux luttes d’influence se succédant des luttes de succession. Celle de Ben Bernanke pourrait donc se révéler ouverte, de même que celle de Tim Geithner, secrétaire au Trésor, qui va avoir beaucoup de mal à sortir du piège dans lequel il est tombé à propos du sauvetage de mégabanques via le renflouement d’AIG. Elisabeth Warren a certes peu de chances de prendre la direction de la future agence de protection des consommateurs, la création de celle-ci risquant de faire les frais d’un accord global avec les ténors du Sénat. Mais Sheila Bair, présidente du FDIC continue de faire campagne et se verrait toujours bien prendre la succession de Tim Geithner.
Il est par ailleurs inévitable que des révélations sortent, à la faveur de telle ou telle audition devant les différentes commissions qui les multiplient, ou bien d’enquêtes journalistiques en cours, contribuant à déstabiliser les acteurs du sauvetage des mégabanques et de ses conditions scabreuses, alors que la situation économique et sociale pèse lourdement et que les mégabanques paradent, faisant preuve d’un étonnant manque de sens politique pour qui ne comprend pas le monde ferné dans lequel ses cadres vivent. Cette situation, à elle seule, est difficilement tenable si le sort des victimes de la crise ne s’améliore pas substantiellement, or cela n’en prend pas le chemin.
Tout ceci va créer des ouvertures pouvant déjouer les calculs des uns et des autres. Deux analyses sont à ce stade possibles, un choix entre elles deux encore impossible. On peut soit penser que Barack Obama va multiplier les déclarations fortes – comme il vient de les renouveler à propos de la décision de la Cour Suprême d’ouvrir en grand les vannes du soutien financier des entreprises au monde politique – tout en négociant de nouveaux reculs sur les réformes en cours, afin de leur faire passer le barrage du Sénat, aboutissant au final à des ersatz de réformes et prenant de ce point de vue un risque électoral majeur pour le renouvellement de son mandat. Soit, au contraire, qu’il va être amené, dans la logique de ses dernières prises de position, poussé par son électorat, harcelé par une opposition voulant le défaire et le laisser sans pouvoir à la faveur des midterms, a défendre ses propres projets et à les imposer. Ce qui supposera de changer d’équipe économique, de procéder par décret présidentiel ou de menacer clairement de le faire. De changer de stratégie, par la force des circonstances.
76 réponses à “L’actualité de la crise: la crise de société américaine, par François Leclerc”
[…] Original post by François Leclerc […]
@publicola
Vous ne devriez peut-être pas tout prendre au 1er degré cher Publicola. C’est vrai qu’il est très difficile par l’écrit d’avoir toujours les mots les plus justes et de se faire comprendre par tous et toutes. Je ne sais pas s’il faut une petite explication de texte, je ne crois pas que cela soit l’objet de ce blog. Paul Jorion et François Leclerc modèrent nos bétises ou les écarts de langage des grossiers personnages. Pour faire simple, il y avait un petit clin d’oeil @Paul, car il vrai que d’avoir souvent raison avant l’heure (je ne parle pas de mes propos) et voir la non application de ceux-ci ont de quoi être exaspérant. Depuis 30 ans le rouleau compresseur libéral détricote l’ensemble des avantages acquis par notre société depuis 1945 avec le soutient du PS et souvent avac celui de syndicats. La CFDT pour ne pas la nommer va proposer cette semaine une « réforme »(novlangue) de nos retraites. Il s’agit d’un nuveau mode de calcul qui réduira nos pensions de 15 à 25% et éloignera le moment de prendre la retraite (vu notre système éco pour ceux qui n’ont pas de retraite châpeau nous pouvons dire que c’est terminé). Je n’attend pas le grand soir. Je suis désespéré que des salariés aujourd’hui puissent réclamer les miettent de ce système. De plus je suis milite depuis des années contre l’alimentation standardisée et les OGM, bientôt de la nanotechnologie dans nos assiettes.
Voilà
Bonne journée
Merci @Paul et François pour les billets quotidiens qui permettent un éclairage et un débat.