Billet invité.
On assiste aujourd’hui, et depuis plusieurs décennies, en France, à une dérive de la conception traditionnelle du droit. La société, loin d’être régulée par quelques grandes orientations législatives pérennes et à ce titre garantes de sécurité juridique, devient soumise aux aléas d’une législation hyper évolutive, sujette à de brusques et fréquents revirements de tendance en rapport avec une conjoncture mal dominée par les « fabricants de lois » ; la multiplication des textes engendrant à son tour des contresens voire même des contradictions fondamentales dans les diverses branches du droit, sinon parfois aussi au sein d’une même branche du droit.
Cette évolution n’est pas seulement liée à un contexte de technicité plus ou moins évolutive mais également, plus profondément et sournoisement, à la soumission aveugle à la philosophie selon laquelle la loi décide et peut tout : un positivisme exacerbé. Ce positivisme a été puissamment relayé, au milieu du XXème siècle, par les écoles à produire les dirigeants, au premier titre desquelles l’ENA.
Au fil du temps, les représentants du peuple sont devenus des organes à produire des textes et leur légitimité même semble liée au nombre de textes votés, si ce n’est conçus, par législature. L’essentiel de l’évolution de la société échappant dès lors, par nécessité, aux fabricants de ces textes qui perdent non seulement le recul nécessaire mais également tout esprit critique. Le productivisme législatif a ainsi gravement nuit à la qualité législative.
Ajoutons à cela que la technicité même des textes nécessite un suivi et des études qui ne sont possibles qu’au sein d’une administration, et l’on comprendra que les textes soient dorénavant essentiellement conçus par le pouvoir exécutif, plus précisément, par les administrations centrales.
L’expérience nous a toutefois enseigné que cette hyper technicité des textes ne s’accompagne pas toujours, loin s’en faut, d’une compréhension des mécanismes décrits et prétendument régulés par ses auteurs, ni d’ailleurs d’une parfaite correction de langage et d’écriture. A cet égard il importe de préciser que l’imperfection formelle devient indispensable afin de permettre une marge de manœuvre interprétative aux auteurs de ces textes confus.
Le Conseil d’Etat lui-même, jadis garant d’une qualité minimal des normes, est aujourd’hui sous dimensionné pour répondre à la tâche du contrôle des textes avant leur vote par les assemblées. Il est de toutes façons devenu courant que les « auteurs » des textes normatifs se passent aujourd’hui régulièrement, si ce n’est couramment, des lumières du Conseil d’Etat.
Ce phénomène problématique se double d’une dérive partisane de la conception de la représentation nationale par des élus « représentants du peuple ». L’on arrive alors à des situations ubuesques où un texte de départ plus ou moins cohérent se voit adjoindre de multiples amendements (occasionnellement des milliers) d’origine et de philosophie radicalement différente, pour ne pas dire opposée, pour aboutir au final à un texte inconsistant tant sur la forme que sur le fond : la dure réalité de ce texte pesant dès lors exclusivement sur les citoyens contribuables de l’Etat en question. Il devient bientôt indispensable à ces derniers de s’armer d’une foultitude de juristes de tous bords, légalistes de lois sans droit, pour oser faire le moindre pas dans ce monde incertain : la frilosité devenant l’apanage de la survie.
Il y a là une dérive profonde d’un système, dit Etat de droit, qui n’avait pas du tout été conçu dans l’optique de la prolifération législative et dont les rouages et contrepouvoirs étaient bâtis sur une toute autre conception du droit. La séparation des pouvoirs, garante d’une certaine sérénité politique et sociale, devenant dès lors comme une paire de chaussures trop grandes, inadaptées à la nouvelle réalité. Les évolutions de la Constitution elle-même recelant plus d’une incohérence, plus d’un choix de société mal assumé.
Sur la forme, une évolution de la conception du droit ou pour dire les choses clairement, le passage d’un droit codifié à un droit compilé de nature essentiellement réglementaire est concevable. Mais dans ce cas, elle nécessiterait, pour être viable, une adhésion populaire : le contraire de la glissade discrète mais efficace de laquelle cette évolution provient. Elle aurait pour corollaire la mise en cause de la légitimité de la représentation populaire et nécessiterait en contrepartie une réflexion approfondie sur les contrepouvoirs à mettre en place pour rendre le système non seulement viable mais aussi et surtout vivable au citoyen contribuable.
Sur le fond, une telle évolution n’apparaît pas nécessairement pertinente. Elle pourrait même apparaître tout à fait néfaste si elle ne correspondait pas aux aspirations philosophiques profondes du peuple auquel elle prétend s’appliquer.
L’heure des choix a maintenant sonné.
77 réponses à “Les dérives de l’Etat de droit, par Valérie Bugault”
Un article que j’ai trouvé très bien fait sur le sujet : http://www.agoravox.fr/rdv-de-l-agora/article/le-sarkozysme-l-avenir-de-la-68216
« France se dit en chinois: FangGuo = le pays des lois! »
Amusant. On peut ajouter: lois inapliquées ou inaplicables.
( Je regrette de ne pouvoir citer les sources de ce que je relate)
J’ ai entendu ,sur France-Culture probablement, que les textes votés en hâte
suite, par exemple à un crime exploité par les info, n’ étaient pas suivis des décrets
d’ application. Les lois s’empilent sur un même sujet ( violence, sécurité)
alors même que la précédente n’est pas applicable.
Et le souci de cohérence du législateur n’est pas premier.
Le spécialiste qui causait dans le poste citait même des contradictions importantes.
Ces lois sont seulement destinées à exploiter les peurs inhérente à une société
déstructurée. La probabilité de mourir d’un coup de hache dans une ville de
100 000 habitants n’est pas nulle: le gouvernement ne fait rien !
Soit une souris de laboratoire pesant environ 150 g. Faisons lui ingurgiter
5 litres par jour d’une boisson connue ( et qui nettoye bien les WC), pendant 3 ans.
On constatera que la probabilité qu’ elle développe un cancer au bout
de 5 ans est loin d’être négligeable: le gouvernement sacrifie la santé
des citoyens au profit de l’industrie alimentaire.
Les députés constituent depuis longtemps une machine à instabilité législative,
andéans la période d’une même majorité.
Les dérives que vous constatez sont inhérentes aux assemblées françaises.
Toutes, depuis 1789, ont outrepassé le droit ou leur règlement.
Elles acceptent toutes d’ être instrumentées ou asservies.
Les notions d’ équilibre, de pondération et de consensus transactionnel
sont inconnues en pratique.
Aucunes n’ont assumées leur rôle constitutionnelle ( proposition,enquête,
sanction du gouvernement etc…).
L’ importance prise par la bureaucratie exécutrice, sanctionnée par la constitution
actuelle, a sans doute pour origine la volonté d’obvier aux profonds
disfonctionnements des chambres des 3. ième et 4. ième républiques.
Cela constitue un déssaissiment, en fait une mise sous tutelle
et doit satisfaire des députés qui collectivement connaissent mal
les limites de leurs devoirs; limite inférieure s’entend.
Et toutes sont éclaboussées par des scandales de corruption ou de dissimulation.
On peut citer comme exemple de chambre de députés particulièrement
destructrice ( et haineuse) la dernière législature du Second Empire.
Napoléon comprenait bien mieux qu’elle les dangers présentés par
la Prusse et les moyens pour tenter d’y faire face. La chambre a systématiquement
démoli les projets d’ organisation de la Défense.
A l’inverse, la législature à majorité socialiste « plurielle », Jospin étant premier ministre
me semble avec le recul fructueuse et pondérée. C’est un simple avis
Churchill, qui a eut à reconstruire les Communes, trésente des considérations
originales, sur les conditions les meilleures propre à un bon travail parlementaire.
Il n’y rentre aucune considération de Droit ou de haute théorie politique, mais
rien que du concret, terre à terre. Le sens pratique c’est trop simple.
Et puis il y a ceux qui préfèrent d’abord faire passer les lois qui les arrangent bien histoire de pouvoir vivre plus longtemps à l’écart des gens aux frais de la princesse, d’une société au bord de la faillite tous bords confondus bien évidemment.
@ bravo , et notamment bravo pour votre critique du positivisme.
In fine cela renvoie à la faiblesse de la réflexion institutionnelle : quand on ne réflechit pas à ce qui est sensé être au principe des lois, on sombre vite dans la multiplication des textes .
Plus il y a de lois, moins la loi est forte
amicalement
Une autre dérive de L’Etat de droit, c’est quand la forme prime le fond.
Je connais plusieurs cas où un avocat conseille à son client de ne PAS évoquer le fond devant un tribunal car cela pourrait se retourner contre son client : « Oui, vous avez raison, mais n’en parlez pas, laissez moi faire, je connais mon métier ».
On peut également regarder la juridico-structure comme une bulle économique, et constater que tous les intervenants (avocats, juges, experts, greffiers, système carcéral, ect…) ont un intérêt financier à légiférer sans cesse sur des domaines de plus en plus nombreux et à rendre les lois de plus en plus compliquées. La complexité demandant de plus en plus de temps à de plus en plus de monde, c’est une bulle/rente en constante augmentation, soigneusement entretenue par de nombreux acteurs.
@Peter Hoopmann
J’ai lu le livre remarquable de Philippe Kourilsky « Le temps de l’altruisme ». Je suis d’accord, c’est la voie à suivre y compris donc par le débat public, le plus clair et le plus transparent possible.
Sur le déséquilibre: je pense qu’un consensus ne peut s’établir qu’en alternant des phases d’ordre (apportant clarté et transparence) et des phases de désordre (chaotiques et donc opaques). En ce sens je pense que la compétition est nécessaire à la coopération, que le profit est nécessaire à la distribution équitable des surplus, quand ceux existent réellement !
Bien entendu et par définition, je peux changer d’avis en m’ouvrant à la vision qu’ont les autres de la réalité.
Plutôt d’accord sur le fond, mais pas sur la forme.
1) « la philosophie selon laquelle la loi décide et peut tout : un positivisme exacerbé. » : franchement, peut-on dire que l’évolution du droit ou de sa pratique résulte d’une « philosophie » ? Les sources du droit sont nombreuses et indépendantes, j’imagine mal qu’elles se concertent pour appliquer le même bréviaire d’un « positivisme exacerbé ».
2) « Ajoutons à cela que la technicité même des textes nécessite un suivi et des études qui ne sont possibles qu’au sein d’une administration, et l’on comprendra que les textes soient dorénavant essentiellement conçus par le pouvoir exécutif, plus précisément, par les administrations centrales. » : il y a là une dérive qui devrait être fortement critiquée, mais la forme d’emploi de « comprendre » signifie clairement « accepter ».
3) « ou pour dire les choses clairement, le passage d’un droit codifié à un droit compilé » : justement, c’est pas clair du tout ! 🙂
Il me semble que ce sujet « la dérive de l’état de droit » souffre d’une approche bien trop technique et trop peu politique. En effet ce qu’il faudrait peut-être mettre en avant c’est qu’aujourd’hui en France depuis bien longtemps (et pas seulement depuis l’avènement de notre Napoléon IV) il n’y a quasiment plus une seule loi qui soit d’origine parlementaire, source de »la représentation nationale ». Les projets de lois examinés puis votés à l’assemblée nationale sont essentiellement d’origine gouvernementale,c’est à dire, rédigés effectivement dans les bureaux de l’administration centrale. D’autre part les quelques projets de lois qui sont proposés par des députés doivent d’abord passer le crible de la Commission des lois (organe très peu démocratique s’il en est puisqu’aux mains de la majorité du moment…) Enfin la gestion de » l’ordre du jour » de la session parlementaire permet de repousser aux calendes grecques tout projet génant. Bien sur les procédures dites d’urgence et autres 49-3 permettent des passages en force remarquables. Sans prendre en exemple les institutions états-uniennes, le système de check and balance « (pouvoir contre pouvoir) y est bien plus équilibré qu’en France (sauf depuis les mesures d’extra-pouvoirs exécutifs pris par Bush et consorts après le 11 Septembre et bien sur non remis en question par son successeur démocrate).
Qu’en France aujourd’hui l’inflation législative soit à son comble est un fait patent mais j’ai le sentiment que la dérive de l’état de droit se mesure plus aujourd’hui au fait qu’on puisse considérer effectivement dans la loi un gréviste occupant son usine et retenant ses cadres comme un individus relevant de la législation spéciale antiterroriste me paraît porteur de jours plus sombres que l’empilement délirant de mesures destinées à être retouchées continuellement par leurs décrets d’application ou des arrêtés rectificatifs…
Mme Bugault
J’ai eu la chance/le malheur d’être législateur durant 15 ans. C’était aux tout débuts d’un pouvoir législatif. Tout était à créer, à mettre ne place. Ce fut une période très passionnante et étant un de ceux qui avaient quelques idées et projets à mettre en musique, j’en ai profité avant que les divers pouvoirs d’influence (depuis l’Europe jusqu’aux lobbies d’entreprises) ne ralentissent le processus. Grâce à la jeunesse des collègues des différentes formations politiques et le retard de la mise en place des tactiques politiciennes usuelles, nous avons pu faire avancer les lois assez rapidement.
Par la suite, hélas, les interférences furent nombreuses et le processus s’est sclérosé. Il faut dire que les meilleurs empêcheurs d’avancer simplement et avec bon sens sont les juristes. J’ai appris à détester ces coupeurs de cheveux en 4 qui ne créent jamais rien mais empêchent la Loi d’avancer au nom d’arguties sans fin. Certes, il ne faut éviter de se tromper et d’aller à l’encontre des textes constitutionnels mais à côté de ces garde-fous précieux que manient les bons juristes, que de Diafoirus qui bloquent les progrès grâce à des manoeuvres juridiques de retardement. Par contre, j’apprécie plutôt leur aide quant il convient de rationaliser la loi et de coordonner des textes qui, au fil des temps, se sont empilés comme des tapis dans une mosquée millénaire.
Il convient de prendre du recul par rapport à ces œuvres humaines toujours imparfaites, mais je peux vous dire que pour un scientifique qui a éprouvé quelques difficultés à passer des lois de la nature que l’on découvre aux lois des hommes que l’on invente, La Loi reste le plus sûr rempart pour protéger les faibles contre la domination/dominance des forts.
C’est bien pourquoi j’apprécie celui qui nous dit que l’économie est un secteur un peu à part ou la loi de la jungle reste la seule à agir et qu’il importe d’écrire une Constitution qui introduirait un peu d’humanité dans ce monde de brutes sauvages…
Bonsoir,
@ Crapaud Rouge :
1) Le positivisme suppose que l’on ignore ou rejette le droit naturel pour ne plus croire qu’en un droit formel ; la règle, qui n’est soumise à aucun principe supérieur, se charge de tout diriger. Tout devient du ressort de la loi qui a vocation à gérer et entrer dans les moindres détails. Le positivisme a ceci de dangereux que le droit peut devenir contre nature et s’imposer avec tout autant de force : aucun rappel ne peut intervenir, ni du juge, ni de personne. Le droit n’est soumis à rien d’autre qu’à son bon vouloir.
« Le positivisme juridique est un courant en théorie du droit qui s’oppose au jusnaturalisme et prétend décrire le droit tel qu’il est. Il consiste en le rejet de l’idée d’un droit idéal ou naturel, et affirmation que seul le droit positif a une valeur juridique, et qu’il est donc la seule norme à respecter » : http://woerterbuch.babylon.com/positivisme%20juridique.
Voir également : « En devenant « positif », l’esprit renoncerait à la question « pourquoi ? », c’est-à-dire à chercher les causes premières des choses. Il se limiterait au « comment », c’est-à-dire à la formulation des lois de la nature, exprimées en langage mathématique, en dégageant, par le moyen d’observations et d’expériences répétées, les relations constantes qui unissent les phénomènes, et permettent d’expliquer la réalité des faits. » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Positivisme.
Oui, le droit est toujours sous-tendu par une philosophie.
2) L’emploi du terme « comprendra » doit s’entendre comme l’explication d’un phénomène, qui, sur le fond, est éminemment condamnable. Une figure de style. Tel est le sens de mon billet.
3) Un droit codifié est un droit réfléchi, organisé, hiérarchisé, doté de grands principes ou grandes orientations, le détail de son application étant laissé à l’appréciation du juge (qui prend dès lors toute sa place dans une optique de contre pouvoir). Un droit compilé s’entend d’un inventaire de règles sans véritable colonne vertébrale : le « code » étant alors une compilation, plus ou moins organisée, de règles plus ou moins hétéroclites. Le droit compilé ne suppose aucun travail de synthèse, de hiérarchisation vraie (autre que formelle), ni de mise en cohérence des choix de société (politiques) sous-jacents. La « codification » actuelle a tout d’une compilation et rien d’une codification.
@ un animal moins égal que les autres :
Personne ne pourra jamais rien changer s’il ne comprend pas les mécanismes profonds à l’œuvre dans une situation donnée.
Cordialement
Merci beaucoup pour ces explications, je comprends mieux.
N’oublions par la production administrative :
– les circulaires (censées interpréter lois et décrets évasifs sans avoir de valeur juridique),
– les bleus utilisés à Matignon et à l’Elysée (sorte de mini-doctrines émanant de haut fonctionnaires ayant valeurs juridiques par tradition),
– les notes internes
– et les règlements intérieurs.
L’auteur pose avec justesse la question de savoir où nous mène une pratique du droit qui se perd dans des arguties au sein de milliers de pages toutes plus absconses les unes que les autres…
Au nom de « nul n’est censé ignorer la loi » et de l’Etat de droit avec sa séparation des pouvoirs.
Que reste-t-il des clartés d’expression de la Révolution ? Et ce n’est pas qu’en Chine que la France apparaît porteuse de la nécessité des lois…
La méthode stroboscopique dans le travail législatif est une démarche organisée : http://www.ebm.free.fr/IMG/pdf/Emmanuel_Dockes-1.pdf Elle est utilisée de manière intensive par Sarkozy (cf. les articles glissés dans des lois dont le thème n’a rien à voir !)
Savons-nous seulement lire nos textes fondateurs ? Le Préambule des constitutions de 1946 et 1958 qui énonce que l’emploi est un droit et travailler un devoir ou que les moyens essentiels qui seraient en monopole de fait doivent être nationalisés… etc.
N’a-t-on pas le sentiment (je ne suis pas juriste !) que les lois de ces dernières années dans ces domaines sont anticonstitutionnelles ??? Elles n’assurent pas l’emploi, elles organisent au contraire la réduction des emplois ; elles ne nationalisent pas les monopoles de fait, elles les donnent, en spoliant les citoyens-contribuables qui ont payé pour les bâtir, à des capitalistes qui n’ont comme première préoccupation, c’est le PDG d’EDF qui nous le dit, de négocier son salaire à des hauteurs qui feraient crier au vol les anciens directeurs d’EDF qui n’ont eu eux qu’à la construire, excusez du peu, en étant payés comme un vulgaire préfet ! A vomir, n’est-ce pas ?
Alors, il faut bien en parler : le droit est l’enjeu de la lutte des classes au même titre que les autres structures de la société. Il est fait par ceux qui ont tous les pouvoirs, il n’est pas étonnant qu’il leur soit profitable.
Mais il y a deux sortes de droit : celui des riches possédants dont les lois facilitent l’enrichissement (bouclier fiscal par exemple, mais pour qui sont les 400 niches fiscales, finement définies ? pas pour le smicard) et celui contre les pauvres qui les contient dans leur état de dépendance et contrôle la violence éventuelle qu’ils pourraient exercer contre leurs spoliateurs (par exemple patrons voyous retenus pour exiger qu’ils rendent une partie de l’argent qu’ils ont volé dans la mesure où le droit des riches ne le permet pas, a-t-on déjà réussi à récupérer l’argent détourné de son affectation par les patrons d’une entreprise ? Moulinex ? Attendons de voir s’ils vont payer !).
Ce sont les deux faces d’une même médaille, l’exploitation capitaliste et ses effets. Mais cela a été dit il y a plus de 150 ans, alors ce n’est pas moderne et toute ressemblance avec la situation actuelle….
Et pour conclure, ce qui me fait peur, c’est toute l’intelligence mise dans les commentaires pour décrire les effets… sans jamais les rattacher aux causes. Pensez-vous que cela va pouvoir durer longtemps ? A qui profite le crime ?
Je me permet de mettre ce lien pour donner une idée des débats en question au lecteur qui en serait peu familier:
http://www.thomas-aquin.net/Pages/Droits_Homme/Droits_Homme03.pdf
(Aristote et la position thomiste CONTRE les droits de l’homme)
Et surtout M. Bastit: Naissance de la Loi Moderne, chef d’oeuvre de la pensée juridique française qui montre parfaitement comment toutes les difficultés soulevées ici IMPOSENT de revenir à la grande bifurcation que constitue la fécondation/déformation mutuelle de l’aristotélisme et de la tradition biblique dans les systèmes théologiques médiévaux. Sans quoi on ne comprend RIEN aux débats contemporains qui opposent utilitarisme/néo-kantisme/ formalisme/anarchie!! et rien non plus à la décadence dénoncée dans ce billet.
La philosophie politique a investi la philosophie du droit il y a longtemps et n’a jamais vraiment cessé de le faire, par opposition à ce qui s’est passé en « philosophie morale », en « économie », en « gestion » et en « comptabilité ».
C’est une question majeure et toute interrogation de fond sur « ce qui est à changer » ne peut pas faire l’économie d’une reprise de la question sur la nature de « Loi ». Et le problème avec ça c’est que peu de philosophes s’y intéressent sur le plan axiologique (peu sont capables de relier philosophie politique contemporaine et pensées médiévales de la Loi, dont on pourrait dire comme pour la monnaie que personne ne sait vraiment ce que c’est!), et que les juristes sont embrigadés dès la première année dans une forme ou une autre de positivisme juridique libéral.
Par exemple, pour maintenir l’idée de séparation stricte des pouvoirs (executif; legislatif, judiciaire), on en vient à raconter n’importe quoi sur la nature effective du travail du juge.
La tache à entreprendre est colossale. Et nous n’y parviendrons jamais. Nous sommes passé d’un peuple régi par le Droit à des espaces polarisés par des normes. Il faudrait casser 200 ans de théorie démocratique démagogique /juridique pour revenir à quelque chose de « sain ».
Et encore, ce qui est indiqué dans l’article n’est qu’une goutte d’eau, une fois compris que s’opposent aussi deux visons de la démocratie (aggrégative/procédurale/formelle contre constitutionnelle) et que le Droit dans notre système est également soumis à une tension permanente entre la pratique démocratique qui tend à donner à toute activité un traitement politique et le libéralisme politique qui tend au contraire à dégager des espaces étanches de non intervention de l’Etat (l’Art ne regarde pas l’Etat, non plus que la Religion, ou encore l’Economie…).
A moins d’une véritable catastrophe politique et morale que personne ne souhaite. nous sommes sur la pente d’une décadence multiséculaire (pour ce qui est de la compréhension des phénomènes juridiques), qu’on n’enrayera malheureusement pas.
Et j’ajoute que l’idée de faire une « constitution pour l’économie » est peut-etre bonne dans l’intention, mais est particulièrement inquiétante dans l’interprétation qu’elle sous-tend de ce que devrait être l’institution du Droit dans une démocratie. Ce n est certainement pas parce que les libertariens ont pris la Constitution en otage que cela justifie de la prendre en otage à son tour. Une constitution n’est pas le genre de truc qu’on est habilité à utiliser pour imposer son système économique. Il va falloir faire autrement si on veut rompre avec de sales habitudes. Un ensemble de lois ordinaires sera bien suffisant à mon sens, avec un ou deux principes de type PGDP ou une Loi constitutionnelle de la Finance. Mais le reste me parait clairement incompatible avec ce que doit être l’esprit des institutions dans une société démocratique bien ordonnée.
Article central dans le débat. Merci à l’auteur.
J’arrive un peu après la bataille ; j’ose pas dire juridique.
Plusieurs d’entre-nous ont parlé de constitution, et vous en dernier Antoine Y.
Personnellement, je pense qu’une constitution bien ficelée peut simplifier l’enchevêtrement de lois existant, enchevêtrement qui ne cesse d’être amélioré par nos très chers dirigeants.
A cette constitution – je veux dire pour la France, celle de la V ème avant ses remaniements (ma crédulité me laisse penser qu’il n’est pas possible que « le Général » ait laissé pondre un texte bancal), rien n’empêcherait d’y amender une constitution pour l’économie, comme en 2004 (je crois) y fut amendé la Charte de l’environnement.
Et comme je persiste à être naïf, faudrait ensuite faire un gros nettoyage dans les Codes.
Au final, s’il restera difficile de penser que « nul n’est censé ignorer la loi », du moins on pourra croire que « nul n’est censé ignorer la constitution » si cette dernière par sa « perfection » nous évite une sorte d’ADN législatif.
Retenons maintenant une chose : Désormais, en économie, en politique, en social, c’est par les Lois de la Physique que, sur notre petite planète, nous allons être contraints.
Ces Lois sont assez simples et pour notre malheur elles sont incontournables.
Alors, de fait, actions rapides exigées dans le domaine de l’écologie !
Le problème c’est que Constitution désigne à la fois 1/ un phénomène juridique (et ne désigne même que ça d’après la doctrine en vigueur) et 2/ un phénomène politique. C’est pq je préfère distinguer entre « constitutio » et « politeia ».
Je maintiens pour ma part que l’expression « nulle n’est censée ignorer la Loi » est un bon principe, à condition de ne pas voir dans la Loi le phénomène juridique mais au contraire l’idéal politique et moral qui le sous-tend. Ceci a des implications nettes en terme de charge de la preuve et de droits procéduraux des parties en général.
Une Constitution pour l’environnement est l’exemple typique de la décadence de la pensée juridique moderne. Une constitution n a pour objet, pour des raisons démocratiques fortes, que la définition des termes du lien politique entre les citoyens. Et ceci n’est pas modifiable par les partis politiques eux-mêmes, ni objet de tractation ou de négociation légitime sur l’espace public.
On ne fait pas « une constitution pour ceci ou une constitution pour cela »: c’est devenu du grand n’importe quoi.
En fait chacun tire la couverture à soi, et profite d’une autre idée stupide, quoique bien pratique pour les professionnels du droit, qui est celle de « hiérarchie des normes » (telle que comprise par les Modernes).
On ne considère plus le droit que comme un « cadre formel » (à l’intérieur duquel on fait passer la conception dominante du moment) dont le niveau le plus élevé (constitutionnel) garantit la protection de cette conception contre toute remise en cause ultérieure, alors que le type de norme (Règlement, Loi) et leniveau de traitement approprié dépend de la nature de la question traitée, et non pas de son degré d’importance éventuel quand bien même serait-il décisif.
Cette instrumentalisation du droit témoigne déjà du fait que les citoyens ont complètement perdu de vue l’idéal politique et moral de respect mutuel entre égaux, parce-que cette dernière est clairement incompatible avec ce principe.
Ma position est la suivante: si demain nous en arrivons, à cause de la conjoncture actuelle, à une « dictature post-constitutionnelle », ce sera bien fait, les citoyens en étant les premiers responsables. Comme les islandais auront été les premiers responsables de la crise actuelle:
Comment se fait-il que le Conseil Constitutionnel français soit la seule « cours suprême » qui ne motive pas ses avis (à moins que ca ait changé mais j’en doute)? C’est proprement scandaleux. Comment se fait-il que les décisions en matières de bioéthique passent quasiment directement du CCNE au Parlement, dans un Etat qui se prétend républicain, quand on connait la composition du CCNE (représentants des grandes traditions religieuses)? Pourquoi depuis la révolution française les mêmes familles détiennent t-elles toujours les mêmes charges juridiques au plus haut niveau de la hiérarchie juridique?
» quand on connait la composition du CCNE (représentants des grandes traditions religieuses)? »
Oui vous avez peut-être raison mais dans quelle proportion exactement ?
39 membres nommés pour 4 ans
5 personnalités appartenant aux « principales familles philosophiques et spirituelles » (courants philosophiques et religions catholique, protestante, juive et musulmane)
19 personnalités choisies pour « leur compétence et leur intérêt pour les problèmes éthiques »
15 personnalités appartenant au « secteur de la recherche » (Inserm, CNRS, Institut Pasteur…)
1 Secrétaire Général qui coordonne les travaux du Comité au quotidien.
Sur la sentence de la Cour Supreme US et les menaces sur les institutions élues de l’Etat de droit : ‘un inhabituel et realiste dans l’édition de vendredi du NY Times, expliquait l’histoire de facon succinte; ‘Le nouveau pouvoir des lobbies: Croisez notre route et notre cash vous enterrera’
Les Etats corporatistes d’Amérique ?
@ Jérémie
Le problème n’est pas là, même si on pourrait discuter longtemps de la légitimité des « personnalités » en question ou de l’influence respective réelle des uns et des autres. Le fait que des représentants des grandes traditions religieuses soient mobilisés en leur qualité même de représentants de ces traditions, est déjà en soi déjà douteux.
Le problème est surtout celui de la dépossession de la tâche confiée aux parlementaires (et les bourdes monumentales qui vont avec), qui rejoint le sujet discuté. Pour un point de vue strictement juridique, je me permets de renvoyer à la thèse de sophie monnier: « Les Comités D Éthique Et Le Droit ».
Les études qui mettent en évidence le caractère anti-démocratique du CCNE sont par ailleurs pléthore (ca allait tant que les avis restaient des avis, c’est à dire purement consultatifs, mais ca ne va plus dès lors qu’il prennent une valeur normative et que les membres outrepassent la fonction qui leur est dévolue). Evidemment certains ont essayé – en vain- de défendre la légitimité du CCNE en mettant en avant l’idée habermassienne « d’éthique de la discussion » et celle de « démocratie participative » (c’est qu’ils ne leur restait plus que ça!). Manque de chance, ce qui s’y passe effectivement n’a rigoureusement rien à voir ni avec l’un ni avec l’autre. Sans même mentionner le fait que de toute façon, par définition, ces tentatives de légitimations sont complètement déplacées du point de vue même des théories politiques auxquelles il est fait appel.
Mais comme ca évite aux parlementaires de faire leur travail, ils s’en contentent.
1) Steve dit (22 janvier 2010 à 11:28)
Fa Kouo [et non Fang Kouo comme vous l’indiquez par erreur] est l’abbréviation du nom complet de la France, Fa Lan Si,
(Traduction Ryjik)
Si loi il y a dans Fa Kouo, c’est par référence à Descartes, pas aux codes Dalloz.
2) Benoit Debray (22 janvier 2010 à 16:19 )
C’est une réflexion naïve: prenez n’importe quel clampin francophone au coin de la rue , demandez-lui des explications sur un point quelconque de la langue française, et préparez-vous à rire ( ou à pleurer , selon vos dispositions génétiques).
D’ailleurs, le plus petit dictionnaire de chinois fait apparaître au moins dix caractères se prononçant Fa. Pourquoi justement celui-là ?
3) Il ne faut pas s’étonner que les noms chinois des pays occidentaux puissent prendre un sens un peu sophistiqué, et plutôt élogieux. Les translittérations ont été faites par les jèsuites et autres du dix-septième au dix-neuvième siècle, et pas par les chinois eux-mêmes.(Sur ce point, je n’ai pas de certitude, si quelqu’un sait mieux ?)
@ Jacques :
Pour vous donner un aperçu de la quantité de normes européennes en application, je vous engage à jeter un petit coup d’oeil au JOUE (journal officiel de l’Union Européenne) : http://eur-lex.europa.eu/JOIndex.do?ihmlang=fr
Cordialement