Paraît dans L’ENA hors les murs No 397, janvier 2010.
L’année 2009 restera sans doute comme la plus extraordinaire dans les annales de la finance. Des règles fondamentales qui dictaient son organisation furent suspendues, de peur que la poursuite de leur application ne mette tout l’édifice économique en danger. Le caractère tout à fait exceptionnel des circonstances conduisit à la mise en place de l’équivalent d’un état d’urgence où les problèmes qui se posaient étaient réglés au cas par cas par les autorités en charge, donnant leurs directives hors des cadres convenus, autorités administratives, directeurs de banques commerciales et président de banque centrale prenant leurs décisions conjointement dans l’ignorance de tout protocole, et ceci en Europe aussi bien qu’aux États-Unis en raison de l’urgence et parce que les chiffres économiques calculés à l’abri des regards indiscrets mettaient en évidence une insolvabilité généralisée. Le monde était entré dans une période où le système capitaliste ne pouvait plus fonctionner que par le jeu de mesures ad hoc improvisées. Jamais sans doute on ne parla tant de transparence, jamais pourtant l’opacité ne fut davantage à l’ordre du jour.
La fin de l’année 2008 avait offert le spectacle de la déliquescence de la seconde administration Bush, naviguant à vue sur un océan de mauvaises nouvelles, incapable faute de temps, de mettre en place une politique innovatrice. Barack Obama avait été élu président des États-Unis et prendrait les rênes du pouvoir en janvier 2009. Il s’agissait d’un homme jeune et dynamique : le cauchemar, pensait-on s’achèverait bientôt !
Il n’en fut rien. Durant la campagne présidentielle, pressé par sa base populiste, John McCain, le candidat républicain avait adopté une attitude sans concession à l’égard de Wall Street, menant en particulier la fronde contre le « Plan Paulson » destiné à stopper la gangrène par une injection de fonds au montant jusqu’alors inouï de 700 milliards de dollars. Obama, prenant de la hauteur, tenait lui des propos modérés. Wall Street n’hésita pas un instant et vint se ranger comme un seul homme sous sa bannière. Le sort en était jeté : Wall Street apporterait son soutien au candidat démocrate, tandis que Goldman Sachs, son fleuron, devenait son principal soutien financier. Wall Street embrassait Obama et, c’en était fait de lui.
Le monde attendait du nouveau président un « New Deal » ambitieux à la hauteur de l’enthousiasme qui l’avait porté au pouvoir et ne se vit offrir à la place qu’une tentative dérisoire de reconstruire à l’identique le système dont l’irrémédiable effondrement avait été observé dans la stupeur l’année précédente.
La bulle du crédit avait été d’une dimension inédite et l’on découvrait rapidement que le trou creusé par son éclatement était si grand que les moyens pour le combler manquaient, et ce malgré un doublement du déficit budgétaire des États–Unis. La tentative de reconstruction tourna rapidement au fiasco et l’on décida alors d’instaurer un état d’urgence qui permettrait la mise entre parenthèses des règles prudentielles régnant d’ordinaire. Citons parmi les oukases les plus spectaculaires et les plus choquantes : l’obligation faite sous la menace au FASB, le Financial Accounting Standards Board, l’organisme américain chargé des règles comptables, de modifier dans un sens favorable le mode de calcul du prix des produits financiers dépréciés, ou la directive encourageant les organismes de crédit à s’abstenir d’enregistrer comme pertes la différence entre la somme encore due et la valeur du collatéral lorsque la seconde était devenue inférieure à la première. Le contexte d’un tel abandon des principes les plus élémentaires de gouvernance était celui d’un « tout est bon » généralisé où la Federal Reserve distribuait ses faveurs sans révéler ni à qui ni pour quel montant, prétextant que la divulgation de ces informations fausserait la logique concurrentielle.
Les banques centrales bénéficiaient depuis leur origine d’une autonomie et d’une indépendance destinées à les protéger contre les vues à court terme des politiques soumis aux pressions résultant de leur souci de se voir réélus. Cette indépendance garantissait une certaine opacité à leurs faits et gestes et la tentation était grande du coup de leur transférer la responsabilité de toutes les tâches dont on ne voulait pas rendre les détails publics, les États-Unis s’engagèrent dans cette voie sans la moindre hésitation. La manœuvre n’en était pas moins voyante et se doublait d’une rotation sans retenue de personnel entre l’administration, la Federal Reserve et les échelons supérieurs des grandes banques qui donna lieu à l’expression « Government Sachs », où le mot gouvernement remplace « Goldman » dans le nom de la plus importante des deux firmes ayant survécu à la débâcle de Wall Street en 2008, l’autre étant Morgan Stanley. L’état d’urgence faisait qu’il n’existait plus qu’un seul monde où les représentants de l’État, de la banque centrale ainsi que les dirigeants des plus grosses banques commerciales se consultaient en permanence pour prendre les décisions qui semblaient s’imposer. Cette confusion des pouvoirs n’épargna pas l’Europe : nécessité faisait loi.
Certains s’élevèrent contre le spectacle indigne que constituait désormais la fin du capitalisme. Parmi les noms que l’histoire retiendra, qu’ils deviennent un jour les héros du monde nouveau qui émergera des décombres, ou qu’ils apparaissent plus tragiquement comme prophètes dérisoires impuissants à prévenir la débâcle, on trouve aux États-Unis : Simon Johnson, ancien économiste en chef du Fonds Monétaire International, qui proposa une interprétation de la politique américaine sur le modèle russe où une oligarchie locale tient en otage le gouvernement du pays, Elizabeth Warren, à la tête du bureau du Congrès qui supervise le TARP (Trouble Assets Relief Program), le programme gouvernemental de sauvetage de l’industrie financière – posant sur le ton d’une naïveté bon enfant, les questions qui s’imposent, Alan Grayson, le parlementaire qui traque inlassablement les sommes allouées sous le manteau dans le cadre de l’état d’urgence, ainsi que Marcy Kaptur, qui encouragea les familles dont la maison est saisie de résister par tous les moyens possibles à leur éviction. Admirables aussi en Grande-Bretagne, où l’expression « sens de l’État » semble ne pas avoir perdu toute signification : le baron Adair Turner, président de la Financial Services Authority, le régulateur des marchés financiers, qui dénonça les activités financières « inutiles au plan social », Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre qui, paraphrasant Churchill, déclara que « Jamais tant d’argent ne fut dû à tant par un si petit nombre » ou John Kay, vénérable économiste, dénonçant lui aussi le pouvoir d’oligarques « incrustés » et « haïs du peuple ».
Les autorités entreprirent une vaste campagne destinée à convaincre le public qu’une reprise était parfaitement possible alors même que le taux de chômage n’arrêtait pas de progresser, paradoxe qui les força à lancer le concept surprenant de « reprise sans emploi ». Le marketing de la nouvelle expression ne parvint cependant pas à améliorer la situation de l’immobilier commercial américain : comment les propriétaires d’hôtels, les promoteurs de centres commerciaux ou de nouvelles stations touristiques, pourraient-ils rembourser leurs emprunts en l’absence de clients ?
Seul dans son cas au sein de l’économie, le secteur bancaire reprenait du poil de la bête. Nullement bien entendu dans son activité d’intermédiation utile à l’économie, la plupart des candidats à l’emprunt – particuliers ou entreprises – étant désormais de bien trop mauvais risques, mais dans ses activités nocives de spéculation. L’argent offert par les banques centrales à des taux proche de zéro, et qui ne trouvait pas emprunteur, était alors replacé auprès d’elles, où il se trouvait rétribué, opération sans risque mais qui rapportait gros. Les banques centrales, quant à elles, auprès de qui les produits financiers dépréciés étaient placés en pension, s’étaient transformées en ces « bad banks », ces banques de défaisance, que l’on avait évoquées au début de la crise mais qui n’avaient pas pu être mises sur pied.
En arrière-plan de tout cela, la Bourse affichait une bonne santé insolente, apportant son soutien à l’effort des gouvernements affirmant que tout était en train de s’arranger. Il y avait plusieurs raisons à cela. La première était que le Bourse constitue en toutes circonstances une zone refuge pour les capitaux en mal de placement. La deuxième était que le prix des valeurs grimpait grâce à des opérations automatisées – en croissance constante – des plus grands intervenants, au premier rang desquels, Goldman Sachs précisément, utilisant le « High Frequency Trading » pour vendre et acheter des titres en quelques fractions de seconde et bénéficier ainsi d’une ristourne accordée par les organisateurs des marchés pour récompenser ceux qui procurent de la liquidité – même si, comme dans ce cas-ci, ce sont les mêmes exactement qui la consomment aussitôt après. La troisième était que la hausse des prix à la Bourse de New York se contentait de compenser la dépréciation du dollar – ce qui n’empêchait pas les autres Bourses de la suivre à la hausse, le rapport entre les bénéfices d’une société cotée en Bourse et le prix de son action étant en réalité arbitraire.
Seule la Chine semblait triompher. Les chiffres ne trompaient pas : l’Empire du Milieu tirait apparemment son épingle du jeu. Le nouveau « New Deal » rooseveltien attendu dans l’Amérique du président Obama, c’était la Chine qui le mettait en place. On s’inquiétait seulement de quelques anomalies, comme le fait que l’augmentation vertigineuse des ventes de voitures en Chine n’avait aucun impact sur la vente de carburant, qui demeurait elle étale. Les sommets atteints par la Bourse de Shanghai obligeaient également de s’interroger sur la capacité des autorités chinoises à maîtriser mieux que leurs homologues occidentaux, les bulles financières. Le retour en grande pompe dans les discours officiels de Mao-Zé-Dong et de Karl Marx confirmait ce dont chacun se doutait : que le capitalisme n’avait été pour la Chine qu’un instrument transitoire mobilisé aux fins de parfaire sa révolution industrielle.
Entre la Chine, peut-être triomphante, et les États-Unis persistant à suivre la voie qui les avait pourtant conduits au gouffre, l’Europe se tâtait. Un attentisme coupable de sa part qui la forcera sans aucun doute à se mordre les doigts dès 2010.
82 réponses à “L’année 2009 : l’ère du semblant”
@paul et à tous,
Le billet de Paul, comme souvent, est très intéressant à lire, et repose sur des données indiscutables, tout en ayant un souffle que l’on pourrait qualifier d’épique. Quel talent.
Quel dommage que nous soyions en désaccord sur ce qui me paraît être le point fondamental, celui de l’essence de l’argent.
Dans cette situation d’endettement généralisé, et même s’il ne faut pas oublier le phénomène de l’épargne, bien sûr, ne pas accepter que c’est l’accumulation des dettes, et l’intérêt payé sur les emprunts correspondant, qui est le principal facteur de la crise actuelle – en dehors de tout ce qui est très justement dit sur l’avidité des spéculateurs et des capitalistes – me semble à la fois incompréhensible – ce qui ne serait pas le plus grave – et fort dommageable.
Cordialement,
B.L.
Hmm… vous n’avez pas lu mon livre, sans quoi vous ne m’attribueriez pas des opinions qui sont le contraire de celles que je défends.
Un petit indice, à votre intention : j’ai reçu hier le nouveau livre de Helmut Creutz, avec une dédicace très chaleureuse. Si j’avais exprimé dans « L’argent, mode d’emploi », les vues que vous m’attribuez, je doute sincèrement qu’il l’ait fait.
@Paul,
OK, je vais donc m’empresser de lire votre livre,
tous mes voeux de bonne santé pour cette année nouvelle,
cordialement,
Bruno.
@Paul,
suite de ma réponse.
Après avoir commandé votre dernier ouvrage, je suis allé voir son descriptif, qui me va tout à fait (heureusement 😉 ), ou presque.
Autant je pense, comme vous, que les revenus « non gagnés » ne méritent pas rémunération (donc que les détenteurs d’argent n’ont aucun droit à percevoir des intérêts plus ou moins pharamineux dessus), autant, pour ma part, je fais une distinction – comme Maurice Allais – entre les « vrais » capitalistes, qui se contentent de « regarder leur argent travailler », et les entrepreneurs, aux revenus légitimes (du moins ils le sont souvent).
Je n’oppose donc pas la « caste des capitalistes et chefs d’entreprise » à la cate des « travailleurs », mais, plus précisément, s’il y a opposition (ce qui est difficile de nier) c’est entre les « rentiers-captitalistes » et les « entreprises » (chef d’entreprises et collaborateurs) qu’elle se situe. Je ferai sans doute une exception pour les entreprises du CAC40, dont les dirigeants ne « méritent » peut être pas la dénomination d’entrepreneurs, et dont les revenus, aussi légitimes soient-ils lorsqu’ils font progresser leurs entreprises, deviennent illégitimes lorsqu’ils prennent la forme de parachutes dorés. Qu’en pensez vous?
Bien entendu, c’est peut être mon passé d’économiste professeur à HEC qui me fait adopter cette attitude, mais n’ayant rien à défendre, j’essaye d’être aussi objectif que possible.
D’autant plus que nous avons le m^me objectif, je pense, faire en sorte que l’argent soit au service de la collectivité, et pas à celui des plus fortunés.
Cordialement, Bruno.
Paul Jorion, L’argent, mode d’emploi, Fayard, 2009, p. 285-286.
Paul Jorion, L’argent, mode d’emploi, Fayard, 2009, p. 325.
Bonjour,
vous ne pensez pas que il faudrait souligner aussi 2009 comme l’année de l’avénement du G20 ou bien celui du G2+0 ?
Cordialement bonne année à tous
Oups ! Je ne les avais même pas remarqués ! Il aurait fallu ?
Ben euh …
c’est que ils ont le mérite d’exister quand même un peu !
@Nikademus et Jorion
Merci de la citation ad hoc du livre de Paul, que je n’ai pas encore lu (nul n’est parfait) mais seulement commandé.
Si nous sommes d’accord sur les dirigeants des grandes entreprises et l’effet pernicieux des stock options, nous ne sommes pas d’accord sur le fait que capitalistes et entrepreneurs sont dans le m^me camp.
« Ce système-là conduit, comme chacun sait, à la concentration de l’argent dans les classes auxquelles appartiennent capitalistes et entrepreneurs. »
Il ne s’agit pas de faire dire à Paul ce qu’il ne dit pas, ni de lui faire des procès d’intention (que Marx l’ai écrit lui-même ou non n’est pas très important) mais je persiste à dire que ceux qui font de l’argent avec de l’argent ne sont pas à ranger dans la m^me catégorie que ceux qui développent des entreprises et des projets. Je ne confonds pas, pour ma part, Mulliez et Rockfeller, Gates et Rotschild, Steve Jobs et Madoff.
Cordialement,
Bruno.
Certes ils ne sont pas à ranger dans la même catégorie mais la nature des projets des entrepreneurs que vous citez
n’est-elle pas d’une manière liée à la logique financière du capitalisme de casino ?
Mulliez (Auchan) ou Bill Gates (Microsoft) n’ont pas pas développé leurs projets à part le développement du capitalisme financier.
Ils ont tiré profit de la division internationale du travail qui augmente la taille des marchés et tire les salaires vers le bas, toujours pour gagner des « guerres » économiques, être compétitif à l’internationale, pour parler jargon.
La distribution de masse en flux tendus, les salaires comprimés avec horaires décalés des caissières, la pression sur les producteurs, ne seraient pas ce qu’ils sont sans le « casino » mondial de la finance qui permet au capital d’aller là où les profits sont les plus juteux, et tant pis pour les salariés et la qualité des services, sans parler de l’utilité sociale des produits.
La période est aux papiers-balais sur l’année 2009. Voici celui de Joseph Stiglitz, paru dans le China Daily (distribué en syndication). Il est intitulé « De dures leçons que nous pourrions avoir à nouveau à étudier ».
C’est en Anglais !
http://www.chinadaily.com.cn/opinion/2009-12/31/content_9249981.htm
A noter une critique au vitriol du système financier, ainsi qu’une quasi absence de propositions alternatives à la politique de l’administration Obama, sauf pour rejoindre l’orthodoxie keynésienne de Paul Krugman en faveur d’une nouvelle forte relance de l’économie.
Stiglitz écrit dans cet article : « Jamais tant d’argent ne fut transféré par tant à un si petit nombre ». Est-ce que ça ne rappelle pas Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre qui, paraphrasant Churchill, déclara : « Jamais tant d’argent ne fut dû à tant par un si petit nombre » ?
Evidemment, les bons mots sont eux aussi en petit nombre.
Bonjour Paul,
Puisque vous citez Helmut Creutz, autant citer aussi son blog. Même si tout un chacun n’est pas coutumier de la langue germaine, voici son site :
http://www.helmut-creutz.de/
Signé : un malade atteint de la foi du charbonnier en Silvio Gesell (désolé, c’est dur à soigner).
Meilleurs voeux à tous pour 2010.
@Pierre-Yves D
Comprenez moi, je ne veux pas dire que Steve Jobs, Bill Gates ou Mulliez ne sont pas attirés par l’argent. Mais ils ont participé à des aventures et des projets collectifs qui ont apporté des biens et services au monde. Ils ne sont pas restés les pouces croisés en regardant leur argent travailler tout seul.
On peut parler de la division du travail, certes, qui n’est pas vraiment répartie justement.
Mais il faut aussi savoir ce que l’on veut combattre. Est-ce le système de l’argent qui rapporte aux hommes aux écus, sans que ces derniers n’aient aucun mérite, sinon de regarder leur argent augmenter?
Ou est-ce tout système qui permettrait à ceux qui ont plus de compétences ou de talents, et parfois de chances, de gagner davantage que ceux qui ont moins de talent, moins de compétence et/ou moins de chance?
Lorsque Attali, Jorion ou d’Ormesson vendent leurs bouquins, d’autres qui ont moins de talent, moins de compétence et moins de chance n’en vendent pas. Faut-il interdire aux premiers d’en vendre plus qu’aux autres?
J’ai défendu par ailleurs le concept de Revenu Minimum de dignité, qui permettrait à chacun d’avoir un revenu garanti égal au 1/4 du PIB moyen, indépendamment de toute compétence ou de talent.
Faut-il aller plus loin, et faire en sorte que chacun ait le m^me revenu? Je ne le crois pas, ce n’est ni envisageable ni même souhaitable. Bien entendu, si j’étais dans le décile le plus pauvre de la population, je dirais sans doute autre chose.
Tout cela pour dire que dans le système actuel, c’est bien à l’argent qui va à l’argent qu’il faut s’attaquer, et au système d’endettement qui est régi presque entièrement par des entreprises privées, les banques.
Très cordialement,
Bruno.
Bruno Lemaire,
Il faudrait peut-être commencer par définir ce qu’est le talent.
Il faut bien constater qu’aujourd’hui c’est une logique de guerre — économique — qui oriente très nettement sa définition.
La définition qu’on en donne, quelque soient les mérites que l’on associe au talent, est d’abord quantitative avant d’être qualitative, parce que le qualitatif est en dernier ressort jugé à l’aune de critères purement quantitatifs. C’est le constat de la disparition de l’économie politique, la science économique et le management confondus dans la technique seule, les effets sociaux éventuellement positifs n’y étant que des sous-produits.
L’établissement de nouvelles règles du jeu pour le capitalisme financier aura nécessairement pour incidence de
remettre en cause la définition actuelle car l’argent en allant là où il est le plus utile socialement c’est à dire au service de projets à long terme significatifs en termes d’émancipation individuelle et de bien commun (social et écologique) le qualitatif reprendra la place qui lui revient dans une économie authentiquement humaniste, la première.
Ce projet vous paraîtra peut-être trop ambitieux, mais au point où nous en sommes il m’apparaît clairement qu’il ne ne peut plus y avoir de demie-mesure.
Ou bien nous essayons de maintenir le système avec des aménagements périphériques lesquels non seulement ne remettront pas la planète en état mais aussi aggraveront les situations déjà conflictuelles occasionnées par la guerre économiques, ou bien nous nous nous engageons sur la voie d’une remise en cause radicale du capitalisme financier (que vous appelez d’ailleurs de vos voeux) avec toues les conséquences induites, sociales, humaines, économiques qui vont nécessairement de pair. Pour ma part la thèse selon laquelle il y a une alliance objective entre entrepreneurs du CAC 40 et capitalisme financier n’est plus à démontrer. Et il m’apparait que si la mesure phare de Paul Jorion — l’interdiction des paris sur les fluctuations des prix — devait être appliquée le rapport de force s’établissant au sein du jeu économique tri partite se déplacerait du pôle constitué par les investisseurs et les entrepreneurs vers le pôle constitué par les entrepreneurs et les salariés. Paul s’en expliquera dans un de ses prochains ouvrages, comme il l’a déjà annoncé.
Bref, ce que je veux dire c’est que les enjeux ne seront plus du tout les mêmes une fois que l’humanité aura fait le deuil de l’ancien système. On peut discuter des mérites de chacun dans l’économie mais il encore faut-il déterminer en vue de quelle finalité, dans quel système. Bien entendu, je souscris entièrement à votre dernière phrase qui me semble une bonne base de discussion ; si tous les profs actuels ou anciens d’HEC convenaient de cette même nécessité ce serait une preuve que les idées proposées et débattues ici font leur chemin 😉
Autre papier-balais, celui de Paul Krugman, qui a consacré sa dernière chronique du 27 décembre du New York Times, « The Big Zero » (le zéro pointé) aux années 2000. Parlant d’une décennie « où nous ne se sommes parvenus à rien et où nous n’avons rien appris. » (en Anglais).
http://www.nytimes.com/2009/12/28/opinion/28krugman.html?_r=1
Revenant plus en arrière, dans les années 90, Simon Johnson évoque pour sa part, toujours dans le New York Times, du 31 décembre, « des leçons apprises mais non appliquées ».
http://economix.blogs.nytimes.com/2009/12/31/by-simon-johnson-lessons-lea/
Martin Wolf, dans le Financial Times, titrait sa chronique « Comment les années zéro (les noughties) ont été une charnière de l’histoire ».
http://www.ft.com/cms/s/0/1161315a-effa-11de-833d-00144feab49a.html?ftcamp=rss
Intéressant, le rapprochement Stiglitz / Krugman : deux prix Nobel américains d’économie, crachant tous deux de dégoût sur le désastre financier de leur pays, et l’absence de volonté d’y remédier.
@François Leclerc
Contrairement à ce qu’écrit Krugman, je pense que nous avons – du moins ceux qui le veulent et sont suffisamment ouverts – beaucoup appris.
Nous avons en particulier appris que l’argent-monnaie était d’une importance cruciale, et que les classiques et les néo-classiques se trompaient en lui faisant jouer un rôle secondaire, un simple « voile monétaire » n’ayant une influence que sur les prix.
Nous avons appris que la régulation (ou l’absence de régulation) monétaire était LE problème crucial, et que tant que ce problème ne serait pas abordé de front – indépendamment de l’avidité obscène des « capitalistes » « toujours plus » – il n’y avait pas grand chose à espérer d’autres mesures, aussi importantes soient-eles.
Cordialement,
Bruno Lemaire.
A propos de prix Nobel, et quoiqu’ayant le plus grand respect pour Krugman (pour Stiglitz, c’est autre chose), je ne peux que conseiller la lecture de M. Allais. C’est pas mal non plus.
@Francois Leclerc et @Paul
Sur le sur le désastre financier de leur pays cité par Krugman sur lequel revient Paul.
On ne peut qu’être d’accord sur ce point.
Je ne sais pas, en revanche, si les USA n’ont pas vraiment eu l’envie d’y remédier.
Le problème c’est que, vu la façon dont la régulation monétaire est faite dans ce pays, comme dans la plupart des autres, vu aussi le fait qu’il s’agit de ne pas toucher à Wall Street – assimilé, à tort – au symbole de la libre entreprise (alors que c’est bien plus le refuge de la haute finance et de la spéculation la plus avide), les USA ne pouvaient rien faire.
Le slogan « Yes we can » est un très bon slogan, bien sûr. Mais pour pouvoir, il faut vouloir changer complètement de paradigme, et remettre l’économie réelle, et les sphères productives et consommatrices, sur le devant de la scène, au lieu de l’inféoder à la sphère banco-financière.
Lorsque Marx décrétait: le petit capitaliste doit grossir ou mourir, cela reste vrai, encore plus vrai, de nos jours. C’est donc à l’homme aux écus, au spéculateur, aux « revenus non gagnés » qu’il faut s’en prendre en priorité. Tout le reste suivra, « hopefully ».
Cordialement, Bruno.
Bonne année à tous!
Paul Jorion me fait souvent penser à Terry Pratchett, suis je le seul?
Il a aussi co écris 2 livres sur la science du disque monde qui pourrais aussi s’appeler « Comment la vérité et la réalité ont été inventées » (enfin je pense, je n’ai pas lu celui de Paul)
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Science_du_Disque-monde
Je viens d’aller voir sur Wikipedia qui il est. Honnêtement, je ne vois rien que nous ayions en commun : je n’écris pas de science-fiction, je n’ai pas été anobli par la reine d’Angleterre, je ne fais pas de donations d’un million de dollars, etc. Pouvez-vous en dire plus ?
Si je comprends bien les bilans des banques sont mensongers puisque des actifs « pourris » y figurent encore avec une valeur irréelle. Les bénéfices de ces établissements sont donc fictifs. Et c’est sur cette base qu’on verse des bonus bien réels aux traders et dirigeants ! Quelle impudence, quel scandale !
Les traders prétendront bien que les pertes des années passées, provenant des autres métiers de la banque ne les concernent pas, et qu’ils ont eu, eux, de beaux résultats cette année. On peut cependant penser qu’ils n’y sont pour rien : quand l’argent coule à flot des banques centrales et qu’on le dirige vers les marchés (au lieu de le prêter) on est sur que ces marchés vous feront gagner de l’argent.
Les banquiers me font penser à l’aristocratie de 1788 qui détenait des droits apparement naturels sur les richesses de la Nation. Il a fallu une révolution pour qu’ils en abandonnent une bonne partie. Comment fait-on une révolution contre les banquiers ?
Les deux paragraphes finaux de mon article, « La sortie du capitalisme », dans Le Débat No 157 (pages 17 – 30) :
Bonsoir,
Je voudrais juste faire remarquer (pour mon humble défense) que je ne suis (heureusement) pas le seul à dénoncer en ces lieux les odieux privilégiés qui nous volent comme au coin du bois, et ce même sans citer de noms.
Et ceux qui dénoncent (avec juste raison) les prédateurs déchaînés du moment que sont les financiers cupides, ne sont (heureusement) pas toujours considérés ici comme sottement complotistes, tournant en rond indéfiniment autour de leurs scandales chéris… 😉
Ça me rassure bien. Merci beaucoup.
—-
Bonne année à tous et je souhaite que 2010 voit enfin grandir, dans la tête des milliards d’humains ordinaires, la belle et forte idée d’imposer chez eux la désignation d’une ASSEMBLÉE CONSTITUANTE TIRÉE AU SORT, seule procédure logique pour s’affranchir un jour de la malhonnêteté traditionnelle en matière d’institution du contrôles des pouvoirs.
Étienne.
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Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?
Évangile de Luc, 6, 41.
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Ah bon, le hasard ferait mieux que la divine providence mon cher Etienne ? C’est vous qui avez commencé en citant les pitreries de Luc !
Arf, drôle d’idée de s’en remettre ainsi à la stochastique pour les affaires humaines. Savez-vous qu’un nombre conséquent de branches évolutives n’ont pas perduré à ce petit jeu ?
je prends date: bonne année 2010!
La Chine basculera en récession cette année, tout simplement parce que la hausse de sa production industrielle de près de 20% en 2009 ne trouvera pas de débouchés.
Sans doute, c’est cette récession qui précipitera le dollar etc….
L’augmentation de 20% de la production industrielle chinoise ne trouvera pas de débouchés! Meme pas dans son marché intérieur ou dans des démonstrations navales? Vous y allez fort Mr Finckh, vous etes confondant .Va pour une bulle financière ou immobilière mais pas pour une bulle industrielle. Etant contrariant,je prends date sur une reprise du dollar en 2010 et une reprise de la récession du début des ides de mars à la miaou.
Superbe papier. Tout y est. Pour mesurer la politique des banques fuyant le crédit à l’économie pour spéculer
http://criseusa.blog.lemonde.fr/2009/09/21/comment-ont-ete-utilisees-les-aides-financiere-par-les-banques-americaines/
« Wall Street embrassait Obama et c’en était fait de lui. »
La formule est forte !
Bonne année cher Monsieur !