Billet invité.
LA CRISE SOUS SON ANGLE POLITIQUE
Le 16 décembre dernier, deux sénateurs républicain et démocrate déposaient un projet de loi intitulé « Banking Integrity Act », qui n’a pas probablement pas fini de faire parler de lui. En une seule page et trois articles, John Mc Cain (R) et Maria Cantwell (D) ne proposent rien de moins que de rétablir la principale disposition du Glass-Steagall Act, qui avait instauré en 1933 une stricte séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires. Un mur qui avait été ensuite abattu en 1999, par le Gramm-Leach-Bliley Act. Cela pourrait être courant janvier que Christopher Dodd, président de la Commission des Banques du Sénat, devrait annoncer le sort qui sera réservé à ce projet, qui suscite actuellement d’intenses discussions. Un projet similaire avait bien été déposé sur le bureau de la Chambre des représentants par Maurice Hinchey (D), mais il n’avait pas été retenu au sein du paquet de mesures de régulation financière adopté le 11 décembre dernier. Les dispositions votées prévoyant que les régulateurs pourraient seulement, si jugé nécessaire, instaurer au cas par cas un tel démantèlement.
Les opposants à ce nouveau projet de loi sénatorial, très mobilisés sous la bannière de la toute puissante American Bankers Association, ont beau jeu pour s’y opposer de faire valoir, examen des épisodes successifs de la crise bancaire à l’appui, qu’une telle séparation n’aurait pas empêché celle-ci de survenir. Lehman Brothers, pour ne prendre que cet exemple, n’ayant que des activités de banque d’affaire. Mais ils feignent d’oublier un événement majeur, alors intervenu dans la précipitation la plus totale : l’obtention par Goldman Sachs et Morgan Stanley du statut de compagnie bancaire, leur donnant accès aux liquidités de la Fed. Le retour à une séparation des activités bancaires aurait, en effet, comme conséquence la perte de ce soutien décisif pour celles qui ne conserveraient que le statut de banque d’affaires. Autant dire qu’elles auraient été condamnées dans le cours de la crise actuelle et le seraient tout aussi probablement si une nouvelle crise survenait. Si l’on veut réécrire l’histoire, il faut le faire pour tous ses épisodes.
C’est bien ce qu’a d’ailleurs signifié Paul Volcker, l’un des conseillers économiques de Barack Obama et ancien président de la Fed, qui mène depuis des mois une intense campagne, à Washington, dans la presse et de toutes les tribunes où il accède, après avoir constitué avec des banquiers et des hauts fonctionnaires un Groupe des Trente (Group of Thirty). Il a clairement expliqué que si certains voulaient continuer de jouer à des jeux financiers risqués, il n’y voyait pour sa part strictement aucun inconvénient, mais que cela devait se faire à leurs risques et périls. Et que le parapluie offert par les pouvoirs publics devait être réservé aux banques de dépôts.
Certes, il peut être rétorqué à l’honorable financier que laisser dans l’avenir à leur triste sort des mastodontes financiers comme les mégabanques actuelles, quelque soit leur statut, si une crise survenait à nouveau, est proprement inconcevable en raison des conséquences systémiques catastrophiques que leur effondrement causerait. Et donc que la réinstauration du Glass-Steagall Act ne peut pas prétendre à l’efficacité en terme de régulation financière. Que c’est également le cas pour les projets de taxations des opérations financières, qui vont elles aussi revenir sur le devant de la scène dans les semaines à venir. En un mot, qu’il est nécessaire de s’attaquer au coeur du système et de sa logique par des mesures d’interdiction strictes portant sur les fondements mêmes de la spéculation financière.
Pourtant, dans les deux cas, l’importance accordée à ces batailles au sein de l’establishment doit prendre en compte leur caractère éminemment politique, et pas seulement leur portée strictement financière, qui est discutable. Le Congrès américain n’est-il pas en passe de devenir une machine de plus en plus difficilement contrôlable, que ce soit par l’administration Obama ou par les lobbies, aussi puissant soient-ils ? On a déjà observé que les débats au sein de la Commission des finances de la Chambre des représentants avaient pu déjouer les projets les mieux ficelés et surprendre leurs artisans les plus assurés. Sans que cela aille trop loin, il est vrai. Il ne peut toutefois être exclu, dans un proche avenir, que des votes très politiques puissent intervenir dans le contexte de crise économique et sociale persistante et approfondie que connaissent les Américains, émanant de membres du Congrès sous la pression grandissante de leurs électeurs. C’est de ce type d’interaction que pourraient naître d’imprévus développements.
Nous n’en sommes pour l’instant qu’au début d’un processus qui reste incertain. Il va d’ailleurs concerner l’ensemble des gouvernements occidentaux, lorsqu’ils vont devoir sous peu annoncer dans leurs pays respectifs des plans d’austérité et de rigueur, dont ils se passeraient bien et qu’ils préféreraient différer, afin de faire face aux déficits publics. C’est l’acte III de la pièce qui va alors commencer, dont le dénouement n’est pas écrit.
Il va falloir expliquer et faire accepter que, par la vertu d’une mystérieuse et malencontreuse alchimie à laquelle ils ne peuvent rien, ces prêts quasi gratuits quand les banques centrales les accordent aux banques ne le sont plus du tout quand se détermine le coupon des obligations que les Etats émettent.
18 réponses à “L’actualité de la crise: la crise sous son angle politique, par François Leclerc”
Si l’on a été élu par ceux qui peuvent acheter des obligations , ça peut passer…jusqu’à la fin du mandat .
Pensez-vous que Nicolas 1er (dit le petit) puisse différer ces inévitables mesures de sape sociale jusqu’à son second mandat?
Que la vigueur de l’économie parallèle réveillera les banques zombies?
Que le rapport de l’AIE pour 2009 tombera plus vite dans l’oubli que celui de 2010?
Pour ma part, nul doute, c’est non aux trois. Mais j’adorerai me tromper! 8)
Je suis d’accord avec vous. Et plus que ça encore, pour ce qui concerne l’état énergétique de la planète : dans ce domaine, la pire facture de l’Histoire de l’Humanité est en passe de nous arriver ; douleur assurée, sans assurance chez AIG.
Malgré cela, c’est marrant, personne en haut lieu n’en parle. L’argent, toujours l’argent mais jamais ce qui dans notre économie le génère vraiment et réellement : l’énergie et plus particulièrement le pétrole.
Ancienne filiale financière de General Motors, GMAC va recevoir 3,8 milliards de dollars d’aide publique, qui viennent s’ajouter aux 12,5 milliards déjà reçus dans l’année. A cette occasion, GMAC va passer sous le contrôle majoritaire de l’Etat fédéral, qui va monter de 35 à 56% de son capital.
La société, après s’être lancé dans le crédit automobile, avait diversifié ses activités dans le banque traditionnelle, le crédit immobilier et l’assurance. Elle a perdu plus de 5 milliards de dollars sur les trois premiers trimestres de l’année en cours.
GMAC s’était vu accorder le statut de banque en décembre 2008, ce qui lui a permis de bénéficier de ces aides.
Cher Monsieur LECLERC,
lecteur régulier et discret de votre blog, je savoure quasi systématiquement la justesse de vos analyses.
La démonstration n’est plus à faire, vous décelez, démontez, déjouez, démasquez.
Néanmoins, il y a toujours comme « un je ne sais quoi » d’inabouti. Vous n’allez pas jusqu’au bout.
Depuis le début de cette crise, vous dénoncez sans nommer. Ces responsables alias « la finance », il
serait peut être temps d’en déterminer un plus petit dénominateur commun. Parce qu’à force d’à force, cela risque de
de se diluer pour ne plus ressembler à grand chose. Qui sont- ils ? Quelles sont ces sangsues ? Quel est leur moteur?
L’argent, c’est bien beau, mais pour en faire quoi ? Leur âme se réduirait-elle à la prévarication,la concussion, la soif de pouvoir,
le sentiment de puissance, le mépris d’autrui ? Est ce là leur raison d’être et de fonctionner ? Dans quel monde se déplacent-ils ?
philosophique ? matérialiste ? religieux ? politique ? Merci d’apporter un début de réponse.
Je parle assez souvent du capitalisme financier et de système. Et je m’en tiens là, pour ne pas entrer à l’occasion de cette chronique dans des considérations et des débats plus généraux et théoriques.
Ils pourraient alors porter sur le concept de mode de production, ainsi que sur ceux de niveau des forces productives et de rapports de production, tous propres à Karl Marx.
Mais ce n’est pas mon propos. Le suivi de la crise actuelle prend en ce qui concerne naturellement le pas, vu sa richesse comme ses implications, sur des débats qui s’en trouveront ultérieurement enrichis. Afin de partir des faits et de les confronter avec les idées.
En ce qui concerne le blog, il est comme vous pouvez le remarquer celui de Paul Jorion, qui m’a invité à publier cette chronique, et non pas le mien !
@pipas « jusqu’à son second mandat??? » pitié non, le 1er n’aurait jamais du exister! 🙂
Peut-être ! Mais interrogeons-nous sur notre système politique qui fait que nous avons des candidats de plus en plus médiocres en finale des présidentielles. Le Petit Nicolas était seulement moins pire que Sélénite, imaginaire et toujours dans la Lune.
De toute façon, depuis 1986, ce n’est plus les politiques qui commandent en France.
Et si on s’amusait au petit jeu des prévisions ?
Voici mes prévisions pour l’année 2010 en France :
– La crise financière va connaître une seconde vague, encore plus dévastatrice que la première vague. Sarkozy sera contraint de nationaliser les banques françaises.
– La crise économique sera encore plus catastrophique en 2010 qu’en 2009 : faillites, fermetures d’usines, etc.
– La crise sociale sera un peu comme au moment des émeutes d’octobre-novembre 2005, mais en plus sanglante.
– La crise politique provoquera un changement de ligne : Sarkozy durcira sa politique sécuritaire, autoritaire, identitaire. L’ouverture à gauche sera terminée.
Voilà mes prévisions.
J’espère me tromper. J’espère vraiment me tromper.
Rendez-vous dans un an, sur ce blog, pour faire le bilan.
Bonne année, bonne santé, bon courage à tous.
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jFJyhDU7TnurfC2LxWs16bPF1HDQ
Sont à prévoir des aggravations de prélèvements directs et indirects.
Un aggravation des impôts sur les actifs privés.
Les droits de succession, les droits et frais afférents aux transactions de toutes natures.
Le principal poste de crainte politique est bien sûr le chômage qui entraine en quelques jours une déstabilisation de l’état…si des troubles urbains apparaissent.
Les partis et les syndicats actuellement « représentatifs » sont muets.
Bizarre.
Encore Bravo Mrs François Leclerc,
Mrs Jorion a de la chance de vous avoir trouvé, je pense que vous aussi avez de la chance d’être un acteur important de se blog.
Il n’auront pas le choix de differencier capitalisme productif de capitalisme financier. Les premiers crée de la richesse en créant des objets, les second produisent du crédit. M’enfin pour produire du crédit il faut avoir de l’épargne, se qui n’est malheureusement pas le cas des seconds.
En fait le capitalisme productif, les entrepreneurs petit ou grand, se sont fait avoir par de marchant de bonne aventure. Cela aura duré 20 ans, mais il en faudra autant pour s’en remettre.
En contrepoint de votre analyse, deux symptomes qui laissent penser que le Congrès fera le nécessaire:
1) l’éditorial tout récent du New York Times traduit par Contre-Info:
« Les banques ont parié contre nous tous 29 décembre 2009
Comment une banque d’affaire peut-elle s’enrichir facilement ? Voici la recette : créer un produit financier aussi risqué que fragile, mais suffisamment sophistiqué pour qu’il en devienne incompréhensible. Le vendre à des clients en affirmant que la note AAA (achetée auprès des agences de notation) est solide comme un roc. Prendre une assurance contre la faillite des clients et/ou de ces titres. (La magie financière de Wall Street permet d’assurer la valeur d’un bien que l’on ne possède pas). Attendre quelques mois, le temps que la déconfiture des titres entraîne celle des acheteurs crédules. Encaisser les bénéfices. Est-ce le scénario qu’aurait mis en œuvre Goldman Sachs et quelques autres ? C’est la question que se pose un nombre croissant d’observateurs avertis, dont le New York Times.
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2944
2) le mouvement « Move your money » des grandes banques vers les « community banks » relayé notamment
par le Huffington Post: http://www.huffingtonpost.com/arianna-huffington/move-your-money-a-new-yea_b_406022.html
qui annonce des difficultés pour les banques zombies
Meilleurs voeux à tous les « vigilantes »de ce blog précieux, mille mercis à Francois Leclerc et Paul Jorion
Bonne année , et le retour du politique ?
http://pagesperso-orange.fr/druyes/miseajour.htm
Bravo pour ce petit billet
Où l’on voit que les mécanismes du contrôle politique tendent à se mettre en place , quoi qu’on ait pu dire de la toute puissance des financiers. Mais ce n’est que le début d’un débat qui risque de mener très loin ..
amicalement
Après les lueurs d’espoir de mercredi :
. matinale de France Culture avec Stéphane Hessel
. article de Michel Rocard dans le Nouvel Obs
Hubert Védrine, dans la matinale de France Inter de ce matin, nous a rappelé aux dures réalités de la réal-politique qui serait la seule possible et incontournable et nécessite de mettre les droits de l’homme entre parenthèses (pas trop grandes j’ose espérer).
Cependant des nouvelles flammes ou flammèches de bougies nous éclairent.
Une page pleine du Monde du 29/12 est consacrée à la finance US.
« Les nouveaux visages de la finance américaine » (accessible aux abonnés)
De nouveaux dirigeants succèdent aux éléphants de Wall Street.
http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=1110335
« A Manhattan, entre la 34° rue et la 59°, la finance se fait discrète ».
On envisage une division des activités d’investissement et de commerce.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/29/a-manhattan-entre-la-34e-et-la-59e-rue-la-finance-se-fait-discrete_1285734_3234.html
Le gendarme de la bourse américaine enquête sur les pratiques de plusieurs « supermarchés de la finance.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/12/29/goldman-sachs-vendait-a-ses-clients-des-subprimes-dont-il-se-debarrassait-en-douce_1285735_3234.html
Bonne nouvelle, les français réputés individualistes s’intègrent bien dans le mode opératoire collectif de GS et se hissent au plus haut niveau de l’activité spéculative.
Fidèles au 7° des 14 points :
« il n’y a pas de place chez nous pour ceux qui mettent leurs intérêts propres avant ceux de l’entreprise et ceux des clients »
Tout un programme, bravo, c’est un minimum.
En ma qualité de simple lecteur curieux du journal le Monde et ne possédant aucune connaissance dans le domaine de la finance je vous laisse apprécier ces nouvelles encourageantes.
A tous, je vous souhaite une bonne et heureuse année 2010 et beaucoup de perspicacité.
Le véritable choix politique sera de savoir laquelle des deux voies on privilègie pour trancher les noeuds gordiens d’une situation hypermerdique :
– laisser faire l’establishment comme en 2009 ( et avant pour nous foutre dans la …)
– faire trancher par le vote , solution qui a bien sûr mes faveurs , mais qui est conditionnée pour être efficace et en conscience , par la mise sur l’agora des attendus du vote , d’un diagnostic compréhensible par mon petit fils de sept ans ( que j’ai déjà mis à contribution apr ailleurs) du « récit » politico-économique qui nous a amené où nous sommes .
Si je peux comprendre aussi , ça ne sera pas plus mal, mais ça n’est pas obligatoire car il est largement plus futé que moi , et après tout c’est de son avenir à lui qu’il s’agit .
Je serais très navré de ne pas trouver sur les blogs que je lis , cette bougie que les confrontations inter-universitaires ne m’ont pas encore donnée , loin s’en faut .
Mais Attali , dans ses voeux pour 2010 semble ( un peu résigné , début de « vraie » sagesse ou blessure d’amour propre ?) convaincu qu’une telle bougie n’éclaire que celui qui la porte .
En l’état ,je lui donne raison et je crois qu’il faut que je me prépare à fabriquer seul ma bougie avec et pour mes descendants . Pour faire de la politique .
Un entretien avec M. Rocard, limpide.
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2355/articles/a415588-.html