Ce texte est un « article presslib’ » (*)
L’un des commentateurs du blog a fait la remarque facétieuse que s’il y a bien une preuve que je suis un anthropologue et non un économiste, c’est le fait que mes prédictions se vérifient.
Parmi celles-ci, la suivante a reçu un sérieux coup de pouce jeudi soir, alors que les réveillonneurs, ignorant que le monde était en train de changer, se mettaient à table :
Le plus fascinant sans doute est que c’était le petit tango que la Chine et les États–Unis dansaient ensemble depuis quelques années qui avait conduit là l’Amérique. L’évolution qui se dessinait suggérait un scénario tout à fait surprenant : une convergence du système économique et politique des deux nations comme conséquence de leur symbiose de fait. On entrevoyait qu’à brève échéance, de l’ordre de cinq ans, les systèmes politique et économique de la Chine et des États–Unis seraient quasi-identiques : un capitalisme d’Etat comprenant comme une enclave en son sein un capitalisme de marché sous très haute surveillance.
On trouve cette prédiction à la page 93 de « La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire » (Fayard 2008). Qu’est-ce qui rend cette prédiction plus plausible aujourd’hui qu’hier ? Le fait que le gouvernement américain a levé le plafonnement de son financement des Government–Sponsored Entities, Fannie Mae et Freddie Mac, signifiant qu’il garantit leurs opérations quoi qu’il advienne – autrement dit il garantit l’avenir du secteur du crédit immobilier résidentiel américain dans sa totalité –, faisant d’elles, de facto des organismes d’État à part entière. La somme maximale des titres constitués de crédits hypothécaires que les GSE peuvent conserver dans leur propre portefeuille a été fixée à 900 milliards de dollars, autrement dit a été relevée si on compare ce chiffre aux 772 milliards du portefeuille actuel de Fannie Mae et aux 762 milliards de celui de Freddie Mac.
Ceux d’entre vous qui ont eu l’occasion de lire « La crise du capitalisme américain » (La Découverte 2007 ; Le Croquant 2009), se souviennent que les GSE étaient les vedettes de cet ouvrage. Ils se souviendront aussi que dans les toutes premières années du nouveau millénaire, Mr. Greenspan recommandait avec une certaine véhémence le démantèlement de ces géants semi-étatiques déjà perçus comme « too big to fail » (trop gros pour tomber) pour les remplacer par des entités plus petites et purement privées (pages 105 à 108).
Les parlementaires républicains parlent à juste titre de coup fourré : un communiqué diffusé le soir d’un réveillon de Noël tombant avec beaucoup de générosité cette année un jeudi, ce qui offre trois jours à la presse pour oublier la nouvelle. La fureur des républicains s’alimente du fait que la nouvelle a une portée beaucoup plus générale : elle révèle en effet la politique globale de l’administration Obama devant le « too big to fail ». Il est clair qu’en haut-lieu on a cessé de voir dans le secteur privé un recours possible pour le « too big to fail » – même sous la forme éclatée d’organismes de taille plus réduite (la formule utilisée autrefois pour mettre à la raison les trusts), au contraire, il est manifeste que tout ce qui est trop gros pour qu’on le laisse tomber, l’État le phagocytera désormais … sans jamais le reconnaître bien entendu, afin d’éviter qu’on ne revoie dans les rues des manifestants « Tea Party », hurlant : « Socialisme ! Socialisme ! » Pauvre Monsieur Greenspan : les « libertariens » en viendront bientôt à regretter Keynes !
On comprend mieux du coup l’attitude de l’administration Obama envers les rares survivantes de Wall Street au cours des mois passés : si les frontières entre grandes banques et administration sont devenues plus poreuses que jamais dans l’histoire américains, pourquoi s’en faire ? administration et banques ne constituent plus que les différents rouages d’un immense capitalisme d’État.
Les manifestants « Tea Party » manquent de culture politique : rien à voir ici avec le socialisme : sous le nouveau régime, les patrons de Fannie et Freddie se voient garantir des salaires annuels de 6 millions de dollars (à la poubelle, les stock options du défunt capitalisme sauvage ! Qui en voudrait d’ailleurs, avec des actions à 2 $ et des pertes à venir s’élevant vers le ciel !). Leurs adjoints immédiats recevront environ trois millions – ce qui est, admettons-le, bien payé pour s’abstenir d’aucune initiative et obéir passivement aux ordres de leurs confrères au sein de l’administration. Brave Amérique : elle passe du capitalisme privé au capitalisme d’État, mais sans vouloir sacrifier pour autant la lutte de classes ! On se débarrasse de ce qui ne marche pas, et on garde le meilleur : « On entrevoyait qu’à brève échéance, de l’ordre de cinq ans, les systèmes politique et économique de la Chine et des États–Unis seraient quasi-identiques ».
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
65 réponses à “Fannie, Freddie et la deuxième mort d’Alan Greenspan”
Que les Etats-Unis s’orientent vers un « capitalisme d’état », je veux bien l’admettre, mais, sachant qu’ils ont toujours été des adversaires acharnés et paranoïaques de tout ce qui ressemble de près ou de loin à du collectivisme, quelque chose ne colle pas.
« Fannie Mae et Freddie Mac, signifiant qu’il garantit leurs opérations quoi qu’il advienne – autrement dit il garantit l’avenir du secteur du crédit immobilier résidentiel américain dans sa totalité –, faisant d’elles, de facto des organismes d’État à part entière. » : on aimerait avoir le point de vue des Américains eux-mêmes. Pensent-ils que Fannie Mae et Freddie Mac soient devenus « de facto des organismes d’État » ? Je parie que non. Si je me trompe, il faudrait expliquer comment ils ont pu changer si rapidement de psychologie.
A l’époque où « la vérité et la réalité furent inventées », l’enjeu était de faire coller le discours à la réalité pour que le premier soit crédible. Aujourd’hui, – et depuis longtemps -, il semble que ce soit le contraire qui prime : pour qu’un discours politique soit crédible, (je ne vise pas monsieur Jorion, évidemment), il ne doit surtout pas dire la réalité. C’est ainsi que la Chine, adversaire acharnée et paranoïaque de tout ce qui ressemble de près ou de loin à du privé, a pu instaurer son capitalisme privé sous régime communiste.
Pour reprendre un point important que l’on découvre dans « Comment la vérité… », celui de l’adhésion du locuteur à son discours, on peut dire que les systèmes capitalistes et chinois ont en commun de produire un discours auquel ils n’adhèrent pas du tout. Faut-il s’y résigner ou espérer que cela change ?
Découverte pour moi que cette évolution révélée par l’article de Paul Jorion.
Moins surpris par les commentaires sur le retour des manants-gueux et les plus minoritaires possédants.
De fait ,à court terme,ils seront « possédants » de quoi ??? Or,Energie…C’est bientôt fini.
Je vais tenter de rester dans le ton mais en y apportant mon « rêve » ….(qui est pour moi réalité ultime !) :
L’Homme,ainsi dépouillé,d’une manière ou d’une autre,acculé à la survie,s’en sortira par justement ses capacités révélées par ses instincts de survie en question = recherches,suivies de découvertes,quelles qu’elles soient,mais toutes à visée utilitaire collective.
Là sera le carrefour où devront être choisis les voies à suivre.
Deux voies : l’une qui conduit à la Vie ,l’autre à la mort. (La mort étant la voie qui nous a menés au point zéro d’aujourd’hui ).
La vie ? : les principes essentiels donnés par Paul Jorion ,Homme inspiré =
–Suppression de la spéculation.
–Augmentation sensible des salaires des prolétaires
et quelques autres de Samuel Rouvillois « Frère Samuel »:
–Humilité dans la reconnaissance de notre finitude
–bienveillance dans les relations interpersonnelles
Jean-Louis,
Voici un article de Marianne2.fr qui devrait vous intéresser :
http://www.marianne2.fr/George-Orwell-et-le-socialisme-populaire_a183265.html
G. Orwell est décidément dans tous les esprits.
Convergence USA/Chine…Pour combien de temps ?
Pour l’heure ,on panse les blessures,on a assez dit que les états n’avaient pas correctement pris leurs responsabilités dans les premiers temps de la crise de 1929,et maintenant nous nous offusquerions de leurs mainmise.Je vous pose la question ou se situerait le bon point d’équilibre?
Au delà de la crise financière reste le problême du leadership.Au moment ou un un avion de la Northwest Airlines a été l’objet d’un attentat ne devrait on pas s’inquiéter du fait qu’après avoir été le prisonnier de Wall-Street, le suzerain ne devienne un peu plus, le joujou(Nöel oblige), du Pentagone?.Avec toutes les conséquences pour les vassaux (puisque certains évoquent le retour de la féodalité).
pour savoir si les deux systèmes convergent vers un point commun, il faut aussi partir de l’origine;
dans l’ un des cas, le pouvoir a été pris par les plus miséreux du pays;
dans l’autre par les plus nantis;
je pense que cette divergence doit laisser des traces dans les mémoires et donc dans l’Histoire telle qu’elle s’écrira dans les siècles futurs;
C’est vrai, on ne gomme pas cette histoire, mais il n’en reste pas moins intéressant de dresser et de remplir un tableau, avec deux colonnes: dissemblances / ressemblances.
On parle toujours des premières, parlons des secondes, pour une fois !
Il est également possible de partir d’un autre point de vue, plus spéculatif : si nous devions nous diriger vers un système unique, quitte à ce qu’il ait naturellement des variantes, quelles pourraient être ses principales caractéristiques ?
L’intérêt de ces exercices est de mieux comprendre des mécaniques, dans leur dimension mondiale, qu’elles soient financières, économiques ou sociales, ainsi que leur globalité. En un mot, de décrire un système en construction.
Si vous vous voulez remonter à l’origine, vous ne pouvez pas dire que, à l’origine, le pouvoir a été pris, au USA, par les nantis : les immigrés du Mayflower n’en étaient pas. Pendant longtemps, la société idéale, rêvée et partiellement réalisée, par les américains a été celle de petits producteurs indépendants, très impliqués dans la gestion directe de la politique de leur communauté. Je ne sais pas quand les choses ont commencé à déraper: il semblerait que Tocqueville n’ait pas vu la mutation déjà en cours (développement de l’industrie et donc du salariat, naissance de l’oligarchie libérale …) lors de son voyage américain en 1830-31.
Si j’avais un conseil à donner aux américains, ce ne serait pas d’ « imiter’ je ne sais quel modèle de capitalisme d’Etat (lequel ? voir mon commentaire précédent) mais de renouer avec leur grande tradition de populisme (le vrai ! Pas la caricature du populisme que certaines personnes, intéressées, divulguent, chez nous, dans les médias). Retour, non pas pas reprendre cette tradition, telle quelle, mais pour s’en inspirer pour crérer du nouveau.
(C) The Washington Post
La comparaison avec les économistes était une référence à l’adage « on a inventé les économistes pour que les météorologues ne soient pas les seuls à se tromper. » Les économistes passent leurs temps à se planter ils ne savent qu’extrapoler. Bien sûr le hasard veut qu’ils aient quelques fois raison (le contraire serait une forme d’exploit) mais vous sembliez avoir raison bien au dela faisant de vous un suspect…
Sinon si la gouvernance américaine prends effectivement un peu un gout de canard laqué, les américains ne sont par contre pas les chinois; je ne suis pas convaincu du tout qu’ils acceptent d’être mangé à la sauce aigre-douce.
Ce pays ne ressemblera à aucun autre (on va bien rigoler)