Billet invité.
L’ETAT, MOTEUR DE SECOURS PERMANENT DU CAPITALISME FINANCIER
Certaines promesses ne valent plus la peine d’être lancées, faute d’un minimum de crédibilité, par exemple lorsqu’il s’agit de la relance économique et de la résorption du chômage. Car la première s’annonce toujours aussi résolument anémique et la seconde ne donne aucun signe de s’engager. D’autres semblent pouvoir encore l’être, bien que de plus en plus sujettes à caution. A commencer par l’affirmation trompeuse que la baisse des déficits se fera sans augmentation des impôts, ni atteintes au filet de protection social (grâce à l’opération du Saint Esprit ?). Tandis que les dégâts sociaux de la crise s’étendent et s’approfondissent, et que l’on est loin d’avoir tout vu. Le montant des additions à régler s’annonçant prohibitif, en due proportion du coût du sauvetage du système financier.
Une autre promesse est également faite, selon laquelle les dispositions prises à l’occasion de ce sauvetage seront progressivement retirées… quand les circonstances le permettront. Pour donner un seul chiffre, l’enveloppe globale des prêts au taux de 1% de la BCE tourne autour 665 milliards d’euros, dont bénéficie un millier de banques dans les seuls 16 pays de la zone euro. Un chiffre qui ne prend en compte ni les soutiens financiers publics directs aux banques, ni les garanties apportées à leurs émissions obligataires sur le marché. Or, la question qui se pose, toute crue, est désormais de savoir si le retrait de cet autre filet de protection, nettement plus onéreux, sera vraiment possible un jour et quand, vu la tournure que prennent les évènements !
L’exemple très récent du Japon irait en tout cas plutôt dans le sens contraire de celui de l’allégement, puisque la BoJ va injecter dans le système bancaire l’équivalent de 77 milliards d’euros au taux de 0,1%, pour une période indéterminée. Pour expliquer cette mesure très urgente, les commentateurs invoquent des raisons de circonstance, par exemple la grande faiblesse du dollar par rapport au yen qui pénalise les exportations japonaises. Mais ils feraient bien de chercher dans les coffres des mégabanques nationales le résultat d’une décennie de séjour dans la trappe à liquidité (de Keynes) qu’a subi le Japon : ils sont pleins à ras bord des obligations que l’Etat a émises pour financer sa dette et maintenir à flot son économie. Il est en réalité patent que la monnaie créée par la BoJ va financer les déficits à venir de l’Etat, via les banques (qui ne le pouvaient plus comme auparavant).
On pourrait à cette occasion se demander si ce n’est pas le sort qui attend les autres grands pays occidentaux. Leurs banques centrales n’achètent pas toutes des obligations d’Etat, mais toutes gardent en pension, pour une durée indéterminée, des actifs toujours aussi peu valorisables. Et, ne pouvant que précautionneusement les restituer à leur propriétaires d’origine, les banques auxquelles elles ont prêté des liquidités (afin de ne pas les déséquilibrer), il ne leur resterait plus comme unique ressource que de lentement diminuer leurs injections de celles-ci. Mais il ne faut pas oublier que les banques centrales, même quand elles n’achètent pas directement des obligations d’Etat (c’est le cas de la BCE), contribuent en allégeant ainsi les banques à ce que ces dernières le fassent, ce dont elles ne se privent pas. Un allégement trop brutal n’aurait donc pas pour seule conséquence de déséquilibrer davantage les banques, mais également les finances publiques de la zone euro. L’inconvénient est que l’embellie boursière se poursuit, et avec elle le gonflement de la bulle financière. Seul choix possible : choisir le moindre mal…
En attendant que cette éventualité se confirme, qu’en est-il donc actuellement du côté des autres grandes banques centrales ? Leur approche est pour le moins très prudente et elles évitent de s’engager, donnant au contraire les gages du maintien de l’essentiel de leur dispositif. La BCE vient, comme prévu, de confirmer que sa nouvelle adjudication à un an était la dernière, mais les experts qui supputaient l’annonce d’autres mesures d’allégement immédiat du dispositif de soutien sont restés sur leur faim. Dans un autre domaine, on sait que le programme britannique de garantie publique des émissions obligataires des banques va se terminer à la fin de l’année. Ce sera en avril prochain aux Etats-Unis. Vont-ils devoir ou non être renouvelés ?
En réalité, les mesures prises dans l’urgence afin d’éviter l’effondrement du système financier ne sont pas prêtes d’être retirées. Celui-ci fonctionne désormais grâce à un très peu orthodoxe moteur de secours, dont on a déjà parlé à l’occasion du sauvetage de General Motors : l’Etat, hier si vilipendé… Plus que jamais, le capitalisme financier est un capitalisme d’Etat, ce qui remet ce dernier à sa place. Permettant d’évacuer toute illusion à propos du côté où il se trouve. Les Etats et les banques centrales apportent à ce système un soutien prioritaire, décisif et durable.
Si l’on veut en chercher une nouvelle illustration, il suffisait hier de lire les nouvelles en provenance d’outre-Rhin, en RFA. Devant les fortes menaces planant sur de nouvelles restrictions d’accès au crédit pour le PME allemandes, il vient d’y être décidé la création d’un fonds qui leur sera destiné. Celui-ci serait certes alimenté par les banques, mais il est déjà question, alors qu’il n’est pas encore crée, que les crédits qu’il accordera seront garantis par l’Etat, via son bras armé, la KfW (détenue à 80% par l’Etat et 20% par les Länder). Cela permettrait de soulager le bilan des banques, qui continuent d’en avoir très besoin. Wolfgang Schäuble, le ministre des finances, a déclaré lors de la conférence de presse donnée à l’occasion de l’annonce de la création de ce fonds, « Nous devons peser le pour et le contre, d’un côté la possiblité de développer le crédit, de l’autre les risques pour le contribuable ». On croit deviner de quel côté la balance va pencher. On apprenait par ailleurs que les banques allemandes réclamaient, en contrepartie de la relance du crédit, des mesures de soutien à celle de la titrisation. Ce qui est une nouvelle confirmation de leurs intentions véritables (de jouer avec les allumettes) et l’illustration de leur situation périlleuse, ce qui n’est pas d’avantage une découverte.
S’il est une très grosse inconnue qui s’accroît, c’est toujours à propos de la situation financière des banques. Car, pour les déficits publics, les interrogations ne sont pas de mise : il va falloir les ré-so-rber ! Le raisonnement de ceux qui s’interrogent à propos des banques est simple à suivre : vu l’étendue des besoins de financement des banques dans les deux années à venir, à tous titres confondus, comment le marché va-t-il bien pouvoir réagir ? Va-t-il être en mesure de répondre, dans des conditions de taux raisonnables, à toutes les demandes, alors que les émissions de toutes natures se multiplient, des Etats, des grandes entreprises des secteurs non-financiers, et pour finir des banques elles-même ? Que vont faire les banques, si les conditions d’accès au crédit se détériorent, leur ROE (return on equity – retour sur fonds propres) en faisant inévitablement autant, si les banques centrales et les pouvoirs publics continuent de tester l’allégement de leur dispositif ? Ne va-t-on pas assister à la poursuite et à l’accélération de la concentration bancaire déjà bien engagée ? A la constitution d’un nombre réduit de mégabanques ?
Non sans raison, nous pouvons avoir aujourd’hui l’impression d’être pris en otage par le système financier. De constater une double cruelle réalité. Pour ceux qui n’en étaient pas déjà convaincus, que les Etats n’étaient pas de leur côté et, pour tout le monde, que le vent de la révolte devant une telle situation et face à de telles perspectives ne souffle pas très fort.
60 réponses à “L’actualité de la crise : l’Etat, moteur de secours permanent du capitalisme financier, par François Leclerc”
à Michel Martin:
Votre question est intéressante, et je ne m’y déroberai pas, même si un côté « utopique » est présent, vu le peu de débat public autour de ces questions, évidemment et malheureusement!
Ceci dit, on pourrait dire que l’urgence de la crise impose l’action, alors, soyons fous!
Il suffit dès lors que les différentes banques centrales n’émettent dès à présent plus que des billets datés et pucés!
Ces billets devront dès lors être réactualisés par leurs porteurs à date fixe dans les banques ou les commerces, et cela coûterait, en moyenne, 5% de la valeur faciale par an (ou 5/12ème % mensuels) du billet.Les banques centrales réstituent nécessairement le même volume via les gouvernements par exemple, afin de conserver ainsi la quantité progressivement émise de nouvelle monnaie.
Pour faire simple, on va dire que l’ancienne monnaie garderait sa validité, mais, à chaque retour en banque centrale, le billet sera détruit pour être remplacé uniquement par des billets nouveaux en fonction de la demande des banques.
Dois-je vous rappeler tous les enchainements qui suivraient une telle mesure?
1) pour les particuliers, pas grand chose a priori s’agissant de monnaie utilisée dans les jours qui suivent pour faire des achats courants.
2)Les commerces, équipés de machines lisant les puces, pas grand changement non plus: ils pourront, au moment de la date de la « fonte », appliquer aux clients la dite fonte sur les billets.
3)Les banques, elles, s’emploiront à émettre préférentiellement cette nouvelle monnaie, car, en la gardant en caisse, cela leur coûterait éventuellement cher. je précise que la banque centrale ne reprendrait ces billets nouveaux seulement en appliquant ce même taux de fonte périodique à date fixe.
4)Rendre possible et souhaitable l’extension de cette mesure aux comptes courants que les particuliers utilisent comme de la monnaie liquide dans la mesure où il s’agit de leurs revenus reçus par virement mensuel notamment et dont une bonne partie diffuse via les virements bancaires sans passer nécessairement par la phase liquide:
Les banques expliqueront aux déposants qu’elles devront leur appliquer sur les comptes courants un taux de « fonte » équivalent à la fonte du numéraire, car en gérant les dépôts à vue, ce sont bien les banques qui reçoivent du numéraire qu’elles doivent refairecirculer!
De plus, les comptes courants s’inclueraient logiquement d’elles-mêmes dans le dispositif pour éviter là des difficultés entre ces deux modes de paiement.
5)Cela incitera au glissement des dépôts à vue vers des dépôts d’épargne, et la banque, toujours en raison du risque nouveau (la fonte), ne pourra faire autrement que baisser l’intérêt de l’épargne.
6)La banque pourra et devra dès lors également baisser de la même façon les taux des prêts, car la banque veut et doit proposer des crédits à la même hauteur que l’épargne reçue (ce qu’elle fait déjà actuellement!), car, sinon, il y aurait des biens et services invendus! Je rappelle que l’épargnant, en n’achetant pas mais en épargnant, laisse bien des biens et services sur le marché que l’emprunteur, en empruntant, achète nécessairement. Et ce circuit ne se boucle que si les taux d’épargne et les taux de crédit sont proches (la différence, de l’ordre d’1%, est la marge bancaire).
7) La baisse général des taux d’intérêt dans l’économie favorisera un désendettement général tout en réduisant les revenus rentiers. Cela augmentera ipso facto les revenus des surendettés qui consommeront dès lors davantage.
8)La monnaie nouvelle ne sera certainement pas thésaurisée et sortie du circuit, car tout le monde préfèrera garder les anciens billets en stock qui gardent mieux la valeur faciale! En tout cas, tant qu’ils ne reviennent pas à la banque qui, elle, ne va plus guère les rendre aux clients, car elle reçoit beaucoup de billets nouveaux dont elle souhaite se débarasser prioritairement!
9)L’effet obtenu sera ainsi une circulation monétaire complètement stabilisée et rapidement constituée exclusivement de billets nouveaux. L’éconmie cessera immédiatement de perdre des emplois dès lors. L’augmentation des revenus des plus modestes, tout aussi rapide, stimulera suffisamment la demande pour organiser même un sensible recul du chômage!
10)Ce sont bien ces différents éléments:
*cette meilleure circulation monétaire,
*la dynamique du désendettement et
*la perspective d’un recul sensible et rapide du chômage
qui pourraient se révéler décisifs en faveur de la monnaie fondante dans un contexte où même les états les plus riches ne sont plus du tout à l’abri du risque d’une cessation de paiement prochaine du fait de leur endettement toujours croissant et hors contrôle.
Sera-ce sufisant pour faire « décider le G20 » une telle mesure?
Il me semble évident que tous les experts devraient déjà, ou en tout cas un grand nombre de ces experts, être convaincus de la pertinence de la chose, je m’y emplois, mais est-ce suffisant?
anticipation d’une objection:
L’émission de monnaie nouvelle dans les conditions exposées dans le précédent envoi aurait l’autre grand avantage de parer à tout dérapage inflationniste possible car au cas où davantage de monnaie thésaurisée devait revenir dans la circulation du fait par exemple que la conjoncture se stabilise à cause justement de la monnaie dite fondante!, cela aurait comme seule conséquence que les banques centrales devront différer le temps qu’il faudra l’émission de la nouvelle monnaie.
En faisant revenir l’ancienne monnaie à rendre le service attendu d’elle, de toute façon, l’objctif serait bien atteint!
Le but n’est pas la « nouvelle monnaie » pour elle-même, mais l’obtention d’une circulation monétaire stable sans inflation!
à Michel Martin: avez vous lu ma réponse?
@Johannes Finckh,
Je la découvre. Je vais passer un peu de temps dessus avant de réagir, je ne suis pas du tout spécialiste et il me faut beaucoup de temps pour me faire une idée. Je vous ai laissé un petit message sur votre blog à propos de la différence entre épargne et thésaurisation.
Merci beaucoup, je l’ai lu, merci aussi de réactiver mon blog que j’ai un peu délaissé, je pioche depans et ramène les réflexions sur ce blog ici qui est davantage lu.
Mon mail : johannes.finckh@wanadoo.fr
Je vuis enverrai aussitôt un exemplaire du livre de Gesell, vous verrez, c’est passionnant!
D’autre part, je me permets de reproduire votre remarque et ma réponse ici, afin de maintenir le débat plus large!
Michel Martin écrit:
Le blé dans le grenier
En lisant vos réflexions sur la monnaie thésaurisable et le rapprochement avec les marchandises, je repensais aux précurseurs de la monnaie et en particulier à celui qui lui est encore synonyme : le blé. Thésauriser le blé peut être utile, à la fois pour celui qui le thésaurise qui pourra en tirer une valeur d’échange plus élevée quand celui-ci se fera un peu plus rare, et aux fourmis qui seront heureuses de pouvoir disposer de cette réserve bienvenue. Je ne sais encore bien quelle leçon tirer de ce parallèle avec la monnaie qui ne comporte pas de caractère saisonnier comme le blé, mais toujours est-il qu’il s’agit bien d’un cas de marchandise pour laquelle la thésaurisation est sensée.
réponse à Michel Martin
Vous avez tout à fait raison de rappeler cette histoire de blé tout à fait biblique !
Voir Joseph comme administrateur du Paharaon en Egypte, les vaches grasses et les vaches maigres !
Il y a des historiens qui ont développé des théories sur l’économie du blé en Egypte – vous trouverez des remarques dans les livres de Liétar. L’Egypte ancienne aurait eu, pendant des millénaires, une économie fonctionnnat avec les mesures de blé comme unités d’échange consommables ! Les ouvriers des chantiers pharaoniques étaient payés en mesures de blé qu’ils consommaient en partie et qu’ils échangeaient pour une partie sur le marché comme de la monnaie contre d’autres biens et services.
La stabilité de l’Egypte ancienne plaide en faveur de l’usage de cette monnaie-blé, tout à fait « fondante » et reproduite via les crues du Nil et les récoltes !
On n’a plus jamais connu aucun autre empire ayant connu, après, une stabilité comparable à travers les millénaires. Mais je n’y étais pas, et mes connaissances ne vont pas dans le détail.